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J\
IMPRIMERIE DAUPELEY-GOUVERNEUR
A NOOENT-LE-ROTROU.
MEMOIRES
DU
COMTE DE SOUVIGNY
LIEUTENANT GÉNÉRAL DES ARMÉES DU ROI
PUBLIAS d'après le MAMUSCBIT ORIGINAL
POUR LA SOCIÉTÉ DB l'hISTOIRE DE FRANGE
PAR
Le Baron Ludovic DE CONTENSON
TOMB DEUXIÈME
1639-1659
A PARIS
LIBRAIRIE RENOUARD
H. LAURENS, SUCCESSEUR
libraire de la société de l'histoire de FRANCE
RUK DE TOURNON^ N^ 6
M DCCCC VI
330
EXTRAIT DU REGLEMENT.
Art. 14. — Le Conseil désigne les ouvrages à publier,
et choisit les personnes les plus capables d'en préparer et
d'en suivre la publication.
Il nomme, pour chaque ouvrage à publier, un Commis-
saire responsable, chargé d'en surveiller l'exécution.
Le nom de l'éditeur sera placé en tète de chaque volume.
Aucun volume ne pourra paraître sous le nom de la
Société sans l'autorisation du Conseil, et s'il n'est accom-
pagné d'une déclaration du Commissaire responsable, por-
tant que le travail lui a paru mériter d'être publié.
Le Commissaire responsable soussigné déclare que le
tome II des Mémoires du Comte de Souvigny, préparé par
M. le Baron Ludovic de Contenson, lui a paru digne
d'être publié par la Société de l'Histoire de France.
Fait à Palis, le 15 décembre 1907.
Signé : L. LECESTRE.
Certifié :
Le Secrétaire de la Société de THistoire de France,
A. DE BOISLISLE.
2GfS93
••?•>•
VIE, MÉMOIRES ET HISTOIRE
DE MESSIRB JEAN DE GANGNIÈRES
CHEVALIER
COMTE DE SOUVIGNY
LIEUTENANT GÉNÉRAL
DES CAMPS ET ARMÉES DE SA MAJESTÉ.
4639.
Au commencement de l'année 1639, les ennemis
assiégèrent le Chenche que M. le cardinal de la Valette
résolut secourir. A l'abord, nous forçâmes le retran-
chement des ennemis et, après un combat d'environ
trois heures, nous fûmes contraints de nous en retirer,
parce que cet endroit étoit très difficile pour nous et
avantageux pour les ennemis. Sur le soir, qu'on faisoit
les ordres pour donner d'un autre côté, M. le cardinal
de la Valette reçut une lettre par laquelle Madame
Royale le prioit instamment de venir en toute diligence
à Turin, pour la défendre contre M. le prince Thomas,
n s'y acheminoit avec son armée, après avoir été
reçu dans Chivas*. Alors M. le cardinal de la Valette
y accourut avec toute la cavalerie de l'armée et donna
1. Chivasso, ville sur la rive gauche du Pô, arr. de Turin.
Le prince Thomas quitta Chivasso le 13 avril.
11 1
2 MÉMOIRES DE SOUVIGNY. [1639
ordre à M. du Plessis, maréchal de camp, d'y conduire
l'infanterie. Il fit telle diligence que, d'auprès du
Chenche, il arriva à Turin en deux jours. La plupart
fut logée dans la ville, parce que Madame Royale se
défioit des habitants avec beaucoup de raison. M. le
prince Thomas ne laissa pourtant de continuer sa
marche droit à Turin et de faire semblant de vouloir
assiéger par les formes, pendant qu'on lui livreroit
quelques portes par le moyen des intelligences qu'il y
avoit.
A l'abord, il mit en déroute notre cavalerie, qui étoit
en bataille près de la Croisette*, et seroit entré dans la
ville avec les fuyards, si M. le cardinal de la Valette ne
se fût trouvé à la porte Neuve pour les en empêcher.
M. le marquis de Rangon, maréchal de camp, qui y
fut tué en cette occasion^, m'avoit envoyé auparavant
avec trois cents hommes pour m'opposer aux dragons
des ennemis du côté du Valentin^, avec ordre de me
retirer au faubourg du Pô, quand je serois pressé.
Mais, quand je vis les ennemis courir à bride abattue
vers la porte Neuve, j'y courus aussi et m'aidai à les
repousser. Il en fut tué quelques-uns jusque dans le
fossé. Le lendemain, M. le prince Thomas se saisit du
pont du Pô et fit une traverse à la rue, sur la hauteur,
environ demi-lieue du faubourg du Pô, sur la droite
duquel il y fit mettre les mortiers pour tirer des
1. Entre les chemins de Pignerol et de Moncalieri.
2. Giulio Rangone^ marquis de Roccabianca et Spilimberto,
commandeur de Calatrava, maréchal de camp général du roi
Très Chrétien et du duc de Savoie, colonel de cavalerie.
3. Le Valentin : maison de plaisance de la duchesse de Savoie,
avec jardin à Tentour, au sud de la ville.
1639] MÉMOIRES DE SOUVIGNY. 3
bombes, et, sur la gauche, son artillerie. M. de Gou-
vonges* fut posté avec son régiment en un dehors, entre
le bastion du château et celui de Sainte-Marguerite, que
l'on appeloit t Pièce de l'Escudrie* », qui étoit le seul
que nous gardâmes, craignant plus le dedans que le
dehors ; aussi la plupart de nos troupes furent postées
aux places du Château, Marché-aux-Herbes et place
Neuve, d'où se faisoient les patrouilles par la ville, et
le reste aux postes et sur les remparts, excepté celles
qu'on destina pour faire un chemin couvert devant le
bastion du château, pour s'opposer aux ennemis, qui
s'y avançoient à couvert par les maisons du faubourg
du Pô, que nous n'avions pas eu le temps de démolir.
M. le cardinal de la Valette m'ordonna pour comman-
der à ce poste. Madame m'avoit fait bailler, ainsi qu'aux
autres officiers d'armée, des principaux habitants de
Turin pour nous faire fournir les clous, palissades et
autres outils nécessaires pour la défense, avec des
artisans pour les mettre en œuvre, lesquels étoient de
si mauvaise volonté, les uns et les autres, que nous n'en
pouvions tirer de services. La première bombe que
j'y vis tirer donna à mon poste. Étant éclatée en l'air,
elle ne fit aucun mal. La plupart des autres, qui étoient
pointées vers le château, donnèrent dedans ou à la
place, ce qui effi^aya au conmiencement, mais tua peu de
1. Antoine de Stainville, comte de Couvonges, gouverneur
de la citadelle de Turin, mestre de camp du régiment de Lor-
raine, maréchal de camp en 1643, fut nommé lieutenant géné-
ral en 1646 et mourut la même année d'une blessure reçue à
Lérida.
2. De ritalien scuderia : écurie.
4 MÉMOIRES DE SOUVIGNY. [1639
gens. Les batteries ne firent pas guère plus grand efifet.
Pendant que M. le prince Thomas étoit au siège de
Turin, le commandeur Balbian^ lui remit la ville, châ-
teau et citadelle d'Ast, et le baron de Ternavas*, Ver-
rue^ ; et, voyant que les habitants de Turin ne pouvoient
pour lors [l'Jintroduire dans leur ville, il leva le siège
et s'avança du côté des places avec lesquelles il étoit
en traité.
Madame Royale, ayant avis que le comte de
Vivalde*, gouverneur de Quérasque, étoit de ce
nombre, me demanda à M. le cardinal de la Valette
pour y aller le prévenir. Il dit qu'il m'en parleroit et
me demanda mon intention sur ce sujet. Je lui dis que
je ferois ce qu'il commanderoit. Il ne me le conseilla
pas, voyant la rébellion presque par tout le Piémont,
qui me donneroit de la peine à conserver Quérasque,
et l'avantage que j'avois à l'armée. Mais, enfin, il se
laissa vaincre au désir de Madame Royale, et moi à ce
qu'ils voulurent tous deux. En même temps que
Madame Royale me fit faire mes expéditions pour Qué-
1. Flaminio BalbianO; chevalier de Malte, gouverneur d'Asti,
se retira ensuite à Costabella^ qu'il rendit le 2 mai.
2. Carlo-Filiberto Roero, baron de Ternavasio, était gou-
verneur de Verrue.
3. Verrua-Savoja, place forte sur la rive droite du Pô.
4. Le comte Giambattista Vivalda, comte de Castellino, de
la famille des marquis de Ceva, maréchal de camp général en
1640, mort en 1658. Voy. Storia délia Reggenza cU Cristina di
Francia, duchessa di Savoia, par le baron G. Garetta, Turin,
3 vol., t. I, p. 796. L'auteur dit à la page 430 du tome II :
a On a peu de renseignements sur les amis des deux princes
de Savoie, parce que plusieurs d'entre eux ont émigré dans
d'autres pays. »
4639] MÉMOIRES DE SOUVIGNY. 5
rasque^, elle donna congé au marquis de Bagnasque^,
personne de qualité, qui, en après, servit le prince
Thomas. En prenant congé de Madame, je rencontrai
le contrôleur Bianquis^, qui me dit qu'il alloit aussi à
Quérasque, sans pourtant savoir le sujet qui m'y menoit,
et que, si je voulois, il m'y feroit compagnie, dont je
fus bien aise, le connoissant fort intelligent et affec-
tionné pour le service de Madame, [pensant] qu'il pour-
roit bien m'aider à faire réussir mon dessein, et parce
qu'il nous falloit traverser un dangereux pays.
Je partis sans bagages et menai seulement avec moi
La Combe, sergent de la mestre-de-camp du régiment
d'Auvergne, brave soldat qui, depuis, a été major de
Quérasque. En arrivant à Savillan, nous trouvâmes
tout le peuple dans une extrême confusion. Ceux de la
ville, en sortant pour chercher leur sûreté dehors, et
ceux des faubourgs, voulant retirer leurs biens dedans,
occupoient tellement les portes qu'on ne pouvoit
entrer ni sortir. Sur l'avis que M. le prince Thomas
1. Sou vigny était donc déjà gouverneur de Quérasque quand
plus tard, par le traité du l*** juin, le roi de France et la duchesse
de Savoie convinrent d'introduire des garnisons françaises
dans les places de Carmagnole, Savillan et Quérasque. Voy. le
texte de ce traité dans les Rapports et notices sur t édition des
Mémoires de Richelieu^ préparée pour la Société de C Histoire
de France^ fasc. II, par Robert Lavollée, p. 185-186.
2. Filiberto del Carretto, marquis de Bagnasco, grand écuyer
du duc François-Hyacinthe, fut un des premiers à se déclarer
contre la régente, quoiqu'elle lui eût confié plusieurs charges
en 1638 (Claretta, II, 432); il mourut en 1658.
3. Le capitaine Giovanni-Stefano Bianco, né à Asti, contrô-
leur général de Tartillerie, mourut d'un coup de feu à Bène le
12 juillet 1639 [Claretta, I, 492).
6 MÉMOIRES DE SOUVIGNY. [1639
s'en alloit à eux, après avoir pris Villeneuve-d'Ast*,
nous trouvâmes le gouverneur de la ville tout seul au
milieu de la place, qui ne savoit quel parti prendre. Je
pris la liberté de lui dire qu'il me sembloit [bon], pour
faire cesser ce désordre, de faire fermer les portes et
se mettre en défense avec ce qu'il auroit d'habitants,
en attendant qu'on lui envoie des troupes, qu'il ne
devoit pas douter que Madame ne lui en envoyât sur
l'avis qu'il lui donneroit de l'état où il se trouvoit.
Ayant appris qu'il n'y avoit point de sûreté d'aller à
droiture de Savillan à Quérasque à cause de ceux de
Marenne*, M. Bianquis fut d'avis de passer à Foussan,
comme nous fîmes, et, étant à moitié chemin de Qué-
rasque, je lui déclarai le sujet de mon voyage et le
priai de servir Madame Royale en ce rencontre, et
moi je lui en aurois obligation. Il me dit qu'il [s']en
étoit douté, sachant le rapport qu'on avoit fait à
Madame que le comte Vivalde traitoit de rendre Qué-
rasque à M. le prince Thomas, et que, dans la ville, il y
avoit de bons serviteurs de Son Altesse, de ses amis,
qui me serviroient bien. Nous conclûmes ensemble
qu'en arrivant à Quérasque, je m'ouvrirois à M. de
Saltun-Sénantes^, lieutenant-colonel du régiment de
son frère ^, qui conunandoit la garnison, composée
1. Villanova-d'Astî, arr. d'Asti, prov. d'Alexandrie.
2. Marene, arr. de Saluées.
3. Nicolas de Havart, mort colonel de cavalerie et d'infante-
rie dans les troupes du duc de Savoie, fils de Nicolas, seigneur
de Sénantes, et de Madeleine de Saltun.
4. François de Havart, marquis de Sénantes, frère cadet du
précédent, fut d'abord gentilhomme attaché à Gaston d'Orléans
et s'établit en Piémont, où il devint mestre de camp d'un régi-
1639] MÉMOIRES DE SOUVIGNY. 7
d'environ trois cent cinquante hommes dudit régiment
et de celui de MaroUes^ et conviendrois avec lui de me
bailler sept officiers pour m'accompagner au château et
m'en saisir, et [il] envoya à l'avance un de ma part à
M. le gouverneur lui dire que je lui baisois les mains et
aurois le bien de le voir, pour lui communiquer les
ordres de Madame pour avoir des armes du château et
armer des recrues (jui n'en avoient point.
En même temps, M. Bianquis me fit venir M. Lunel,
premier syndic de la ville, à qui je dis que j'avois des
ordres de Son Altesse de ne lui délivrer* qu'en l'as-
semblée du conseil dans la maison de ville, que je le
priois de les^ faire promptement mettre ensemble pour
ce que j'étois pressé. Ce qu'ayant fait, je me rendis à la
maison de ville où ledit sieur Lunel, premier syndic,
ayant lu tout haut ma commission, en finissant, sans
prendre avis ni conseil de personne, se prosterna à
moi et me dit qu'il me pouvoit assurer, de la part de
la communauté, que j'étois le bienvenu et reconnu
pour leur gouverneur, que, tant qu'ils auroient de sang
dans leurs veines et qu'il y auroit des maisons sur pied
à Quérasque, ils seroient toujours fidèles serviteurs de
leur prince et obéissants aux ordres de Madame, légi-
time régente de ses États, mais qu'il ne pouvoit
ment du duc de Savoie, maréchal de camp en 1646, lieutenant
général et capitaine des gardes du corps de Madame Royale.
1. Le gros du régiment de MaroUes devait alors être à Ver-
oeil, d'après une lettre de d'Hémery (Bibl. nat., franc. 16060)
citée par M. de Noailles dans le Cardinal de la Valette , p. 408.
Le régiment de MaroUes, levé en 1636 par Joachim de Lenon-
court, marquis de MaroUes, fut licencié en 1652.
2. C'est-à-dire : à ne lui délivrer.
3. Cest-à-dire : les conseiUers.
8 MÉMOIRES DE SOU VIGNY. fi 639
répondre que des habitants, et non de M. le comte
Vivalde qui avoit sa compagnie dans le château ; que,
pour ce qui étoit de la garnison, il ne doutoit pas
qu'elle ne me reconnût avec joie; et, après les révé-
rences de tout le conseil, je répondis en peu de mots
que Madame Royale avoit toute confiance en leur fidé-
lité, [que] je ne manquerois pas à faire valoir les
bons services qu'ils rendoient à Son Altesse en ce ren-
contre, et qu'ils se pouvoient assurer que je les servirois
en tous autres; et, m'adressant au premier syndic, je
lui dis que la première chose que je désirois d'eux
étoit qu'ils ne sortissent point de la chambre du con-
seil que je n'y fusse de retour, et le chargeai en son
particulier d'y prendre garde.
En sortant, je m'en allai passer au logis de M. de
Sénantes, où il m'attendoit avec six officiers, et me
dit que celui qu'il avoit envoyé au château avoit rap-
porté que M. le gouverneur lui avoit dit que j'y serois
le bienvenu. On nous laissa donc entrer sans difficulté,
M. le comte Vivalde me reçut dans le jeu de paume tout
seul. Lorsque M. de Sénantes, avec les autres officiers,
se trouvèrent au droit du corps de garde, je lui dis, à
l'abord, que Madame se vouloit servir de lui près de sa
personne et m'envoyoit pour commander à sa place,
et, sans attendre sa réponse, je levai mon chapeau,
qui étoit le signal auquel M. de Sénantes et les autres
officiers mirent l'épée à la main, et désarmèrent dix ou
douze soldats de milice, qui ne se défendirent point,
et, en même temps, entrèrent dans le château cinquante
mousquetaires qui avoient été conmiandés pour cela.
Alors M. le comte Vivalde, transporté de colère,
me dit que c'étoit un effet de la malice de ses ennemis.
i639] MÉMOIRES DE SOUVIGNY. 9
et tout ce qui se pouvoit ajouter pour sa justification et
sa fidélité au service de Madame Royale. Je lui répondis
que, cela étant, il feroit bien de l'aller trouver promp-
tement [pour] faire entendre ses raisons, qu'elle le
recevroit fort bien. Il me répondit qu'il ne le pouvoit
pour à présent et me prioit trouver bon qu'il demeurât
encore quelques jours dans le château, pour donner
ordre à ses affaires. Je lui dis qu'il n'y pouvoit pas
demeurer plus de deux heures. Là-dessus il me repré-
senta qu'il y avoit sa femme, tous ses meubles et pro-
visions, qu'il ne pouvoit transporter si tôt. Je lui dis
que cela se pouvoit faire, tandis qu'il iroit voir
Madame, et que cependant Madame sa fenmie pour-
roit, en toute sûreté et liberté, prendre tout ce qu'elle
avoit dans le château, où elle seroit maîtresse dans
son appartement, avec tous ses domestiques, tout de
même que s'il y commandoit encore ; [que] je me reti-
rerois dans la chambre de la tour pour ne la point
incommoder; qu'enfin il auroit sujet de se louer de
mon procédé en son endroit, et pour toutes les
choses qui le regarderoient et lui pouvoient appar-
tenir ; que, hors le service de Son Altesse, je ferois
pour le sien tout ce qui me seroit possible. Gela l'ayant
ramené, il me dit qu'il désiroit se retirer dans son
château de Castelin *, près de Mondovi, et qu'il craignoit
que ses ennemis ne Tallassent attendre par le chemin.
Je lui offris cinquante mousquetaires pour l'escorter.
Ce qu'ayant accepté, il partit quelque temps après que
j'eusse assuré Madame sa femme du respect que l'on
auroit pour elle, et de la sorte qu'elle pouvoit disposer
1. CastellinOy sur la rive droite du Tanaro, arr. de Mondovi.
iO MÉMOIRES DE SOUYIGNT. [1639
de tout ce qui leur appartenoit dans le château. Il
fallut avoir passé sur ce que sa colère lui fit dire ce
qu'elle voulut contre les ennemis de son mari, et la
douleur de son déplaisir.
Pendant qu'elle s'occupa à faire transporter ou
vendre ses meubles, denrées et provisions, je m'em-
ployai à reconnoltre les manquements des fortifica-
tions de Quérasque, conunencées en plusieurs endroits,
et rien d'achevé ni hors de surprise, pour y remédier
autant qu'il seroit en mon pouvoir, spécialement aux
bastions de Saint-Jacques, de Madame Royale, de Son
Altesse et de leurs courtines et côtés.
Ayant donné avis à Madame Royale de la sorte que
j'avois été reçu à Quérasque de M. de Saltun-Sénantes,
commandant la garnison, et des habitants, et fait sor-
tir M. le comte de Vivalde du château et générale-
ment de toutes choses dépendantes de la place, Son
Altesse m'envoya un ingénieur, avec de l'argent, pour
y faire travailler. Gomme il falloit ménager, je disposai
les habitants à me fournir de la fascine, et fis faire des
fraises et palissades autant que notre peu d'argent le
put permettre, et, à mesure (jue les ennemis s'appro-
choient de nous, fermer principalement les brèches,
mettre les portes en sûreté par des herses, bascules et
cledas*, et, pour assurer le bac de la rivière de Sture*,
je fis une redoute palissadée, où je mis garde, aussi
bien qu'aux deux bacs du Taner.
1. CledaSy pour clèdes. Clède, qui vient du bas latin clida^
était un mot employé dans quelques provinces pour claie. La
claie, en terme de fortification^ était un assemblage de branches
d'arbres servant à retenir la terre.
2. La Stura-di-Demonte descend du col de rArgentière^
1639] MÉMOIRES DE SOUYIGNY. il
M** la comtesse de Vivalde, ayant envoyé à Gastelin
ou vendu ce qu'elle avoit dans le château de Qué-
rasque, en quinze jours qu'elle y demeura après le
départ de son mari, se retira aussi.
Les divers avis des desseins des ennemis sur Qué-
rasque m'ayant fait redoubler la garde par les habi-
tants et les paysans qui dépendent de ce gouvernement,
je leur fis paroître tant de confiance, que je prenois
plutôt des Piémontois que des François pour m'ao-
compagner en mes rondes et visites de la garde, dont
ils se sentirent obligés et conmiencèrent à me témoi-
gner beaucoup de volonté, laquelle ils ont continuée
tant que j'ai été leur gouverneur.
Après avoir mis ordre au dedans, je pensai aux
moyens de couvrir Quérasque au dehors par le moyen
des châteaux de Montché^ chemin des Langues,
entre Doyan^ et Narzole^, le château de Sainte- Vic-
toire* et celui de Polins'^, passage où il y a un bac sur
le Taner; ce que Madame Royale ayant approuvé
envoya les ordres pour y mettre garnison. Je n'envoyai
que deux sergents aux deux premiers, avec chacun
quinze hommes, et un capitaine et officiers à Polins, où
il en falloit cinquante. Quelque temps après, le comte
passe à Démonte et à Coni et se jette dans le Tanaro à Che-
rasco. Il ne faut pas la confondre avec la Stura-di-Sanzo, qui
se jette dans le Pô, rive gauche, à 4 kilomètres en aval de
Turin, ni avec la Stura, torrent du Montferrat, qui se jette
dans le Pô, rive droite, en amont de Casai.
1. Monchiero, rive droite du Tanaro, arr. d'Alba.
2. Dogliani, bourg à Tentrée du Montferrat, arr. de Mondovi.
3. Narzole, rive gauche du Tanaro, arr. de Mondovi.
4. Santa-Vittoria-d'Alba, rive gauche du Tanaro, arr. d*Alba.
5. Pollenzo, rive gauche du Tanaro, arr. d'Alba.
12 MÉMOIRES DE SOUVIGNY. fi 639
de Polins* m'ayant prié de le décharger des capitaine
et officiers, et ne lui laisser que trente hommes,
commandés par deux sergents, j'en obtins ordre de
Madame Royale* et commandai aux deux sergents de
lui obéir comme à moi-même; ce qu'ils observèrent si
ponctuellement qu'il me témoigna bien combien géné-
reusement il se ressentit de cette courtoisie, lorsque
M. le prince Thomas de Savoie me vint attaquer, étant
allé demander du secours au gouverneur d'Albe pour
m'envoyer, et fit si bien que j'en reçus cent hommes
après la première attaque; et ne veux pas oublier,
qu'en partant de Polins, il dit aux deux sergents qu'ils
ne manquassent à se bien défendre, sans craindre que
le canon ni les mines des ennemis démolissent son
château, qu'il n'avoit rien au monde qu'il ne voulût
employer pour le service de son prince.
Jusqu'environ le 15® juin de ladite année 1639, les
villes et châteaux deMurassan^, Cève, Mondovi, Bene*,
Carru^ et Coni tenoient pour Madame Royale. En ce
temps-là, je fus avertis que les habitants de Bene
avoient fait une conspiration contre le colonel Bru-
nasio, leur gouverneur, qui dévoient se saisir du
donjon où il se retiroit avec quelques-uns des princi-
1. Lorenzo Romagnano, comte de Pollenzo.
2. On trouvera à l'Appendice du troisième volume des lettres
adressées par la duchesse de Savoie à Souvigny alors qu'il
était gouverneur de Cherasco et, plus tard, quand il fut devenu
gouverneur de la citadelle de Turin, y commandant pour le roi
de France.
3. Murazzano, bourg du Montferrat, arr. de Mondovi.
4. Bene-Vagienna, bourg du Piémont^ arr. de Mondovi.
5. Garni, rive gauche du Tanaro, arr. de Mondovi.
1639] MÉMOIRES DE SOUYIGNT. 43
paux de la ville qu'il estimoit lui être fort affectionnés,
lesquels avoient promis se saisir de sa personne. J'en-
voyai M. Saint-Aubin, capitaine au régiment de
MaroUes, lui en donner avis avec cent hommes pour
[s']en servir en cette occasion. Il dit à M. Saint-Aubin^
qu'il n'en avoit pas besoin, qu'il étoit assuré de la fidé-
lité de ces gens-là et les envoya avec une belle lettre
de remerciements pour moi, qui appris, trois jours
après, que les bons amis de sa table, qui se réunis-
soient avec lui dans le donjon, s'en rendirent les
maitres, et, à coups de mousquets, chassèrent la garni-
son du régiment de Rangon qui étoit dans le bas-fort,
dont ils en tuèrent une partie, et les paysans le reste
quand ils voulurent se sauver à la campagne. Quant au
gouverneur, ils le livrèrent à M. le prince Thomas qui
l'envoya au château de Milan, où il demeura près de
deux ans prisonnier.
Quelque temps après, nous apprîmes qu'après que
M. le prince Maurice de Savoie fut maître du comté de
Nice, Coni se révolta et reçut garnison de sa part, et qu'il
y établit M. le comte de Vivalde pour gouverneur, que
se rendirent aussi à lui le château d'Asseille*, Mon-
dovi, Ormée^, Cève, Murassan et Carru, dont furent
chassées les garnisons de Madame.
Au mois de juillet de ladite année. Madame Royale
mit en dépôt entre les mains du Roi les villes et chà-
1. Le texte porte par erreur : M. de MaroUes,
2. Ciglie, rive droite du Tanaro, arr. de Mondovi, entre
Ceva et Carru.
3. Ormea, bourg des montagiies des Alpes-Maritimes, sur
le Tanaro et près de sa source^ arr. de Mondovi.
14 MÉMOIRES DE SOUVIGNY. [1639
teaux de Carmagnole S Quérasque et Savillan. Sa
Majesté donna le gouvernement de la première à M. le
comte du Plessis, à moi de la seconde, et à M. de
Roqueservière, [de] Savillan, avec des troupes de Sa
Majesté pour les garder. L'on me bailla les régiments
de Bonne*, Montpezat^ et la Rochette*, et dix compa-
gnies du régiment d'Urfé, commandées par M. de
Joux, que je demandai pour lieutenant de Roi, et le
sieur de la Combe, major.
M. le cardinal de la Valette, depuis le départ de
M. le prince Thomas de sous Turin, ayant assiégé
Chivas qu'il pressoit fort, étoit^ aux mains contre le
secours, quand M. le duc de Longueville^ y survint heu-
reusement avec son armée, qui ne faisoit que d'arriver
1. Carmagnola, bourg du Piémont, rive droite du Pô, arr.
de Turin.
2. Levé en 1635 par Alexandre de Bonne de Tallard; il fut
licencié en 1643.
3. Le régiment de Montpezat était en réalité le régiment des
Galères, levé le 10 juillet 1636 par le cardinal de Richelieu
pour la garnison des galères du roi. Le mestre de camp lieu-
tenant en était M. de Montpezat. Il fut donné, le 18 mai 1643,
au prince Maurice de Savoie.
4. Le régiment de la Rochette avait été levé cette année-là
par M. de Bonne de la Rochette pour tenir garnison à Turin. Il
devait être donné le 15 juillet 1641 à M. de Souvigny, dont il
prit le nom. Le 11 octobre 1643, il fut incorporé dans le régi-
ment des Galères.
5. Il y a dans le texte : il étoit,
6. Henri II d'Orléans, duc de Longueville, comte de Dunois
(1595-1663), gouverneur de Marmande, fut envoyé comme plé-
nipotentiaire à Munster, en 1645, et se tourna contre Mazarin
pendant la Fronde. Il épousa, en 1642, Anne-Geneviève de
Bourbon, sœur du grand Ck)ndé.
1639] MÉMOIRES DE SOUYIGNY. 15
de France, pour battre les ennemis et prendre Ghivas.
Ensuite après quoi, ils vinrent prendre Bene et le châ-
teau de Garni, où je leur envoyai deux pièces de canon
et des officiers pour les servir. Pendant ce temps-là,
j'écrivis à Madame l'avis, que j'avois eu, du jour que les
habitants de Turin avoient promis à MM. les princes
de Savoie de leur livrer la ville, et mêmement sa royale
personne; et [elle] me fit faire réponse, par M. le comte
Philippe d'Aglié*, que ses avis étoient conformes aux
miens et qu'elle y mettoit bon ordre, ayant envoyé
quérir quatre régiments françois pour mettre dans
Turin. Mais ces troupes, par malice ou par ignorance,
fiirent si mal postées qu'elles se perdirent inutilement,
d'autant qu'au lieu de les mettre en dedans, aux places
et aux portes de la ville, pour contenir les habitants,
on les mit en dehors, comme on fait pour soutenir un
siège, de sorte qu'après les prises de Bene et de Garni,
[tandis] que Messieurs nos généraux s'étoient avancés
avec leurs^ [troupes] près de Goni pour l'assiéger, M. le
prince Thomas exécuta facilement son entreprise,
d'autant qu'étant assuré de trouver les portes ouvertes,
il y envoya ses troupes tout droit, sans s'arrêter aux
coups de mousquets qui lui pouvoient être tirés des
1. Le comte Filîppo San-Martîno d'Aglie, mort à Turin en
1667; était le deuxième fils de Jules-César, premier marquis de
San-Germano, et d*Ottavia, fille de Niccolo Olderico, gentil-
homme génois. Chevalier de Tordre suprême, grand-croix des
Saints-Maurice-et-Lazare, gentilhomme de la Chambre, surin-
tendant général des finances en deçà et au delà des monts,
maréchal de camp général en 1646; il obtint un brevet de
maréchal de camp français, en 1642, et fut confirmé dans, ce
grade en 1643.
16 MÉMOIRES DE SOUYIGNT. [1639
pièces du dehors, et, après s'être rendu maître de la
ville, il fit prisonnier la plupart des capitaines, officiers
et soldats desdites troupes qui ne se pouvoient défendre
contre la ville.
Quant à Madame Royale, elle courut g}[*ande for-
tune et ne se seroit pas sauvée sans que it^* la com-
tesse de Verrue^ lui alla dire que les ennemis étoient
déjà dans la ville, entrés par le bastion, vu qu'elle
avoit son carrosse tout prêt pour s'en servir, s'il
lui plaisoit se retirer à la citadelle ; que, si elle ne le
vouloit faire, elle seroit contrainte de l'abandonner pour
s'y enfuir. M°** de Savoie ne lui fit point de réponse;
elle prit seulement une cassette dessus la table, où
étoient la plupart des pierreries de la maison de Savoie
qu'elle avoit de plus cher, d'autant qu'elle avoit déjà
envoyé ses enfants. Sans savoir, elle dit : c Prenez,
en lui présentant la cassette, sauvons-lious ; » et
trouvant le carrosse de la comtesse de Verrue prêt, à
la porte du château, elle se mit dedans et se sauva à
la citadelle, non sans grand danger des coups de
pierres, qui furent jetées sur l'impériale ^e son car-
rosse, en passant par les rues, et des ennemis qui
étoient entrés par la porte Castel, qdS l'auroient
prise, s'ils n'eussent été arrêtés par quelques gentils-
hommes de Savoie qui combattirent un quart d'heure
contre eux^.
1. Probablement la veuve du comte de Verrue, grand écuyer
de la duchesse, mort en 1637. Voy. t. I, p. 315.
2. Cette surprise de Turin est du 1*' août. Monglat la
raconte de la façon suivante, t. I, p. 249 : « La régente étoit
au lit, dans le palais, qui ne se défioit de rien, mais, s'étant
éveillée sur le bruit, elle n'eut le loisir que de prendre une
i
t
i639J MÉMOIRES DE SOUVIGNY. il
Sitôt que Messieurs les généraux iurent avertis de
la retraite de Madame Royale, ils lui dépêchèrent
M. de Castelan, en toute diligence, pour Favertir qu'ils
marchoient avec toute l'armée pour l'aller secourir.
Étant heureusement entrée dans la citadelle, Madame
eut une grande consolation de l'espérance du secours.
Comme grande princesse qu'elle étoit, elle avoit fort
bien pourvu à munir les places frontières de ses États
de toutes les choses nécessaires pour les défendre, mais
elle ne croyoit pas que le feu de la guerre civile s'allu-
mât si tôt dans le cœur, et n'avoit dans la citadelle
qu'une médiocre garnison, beaucoup d'artillerie, fort
peu de munitions et de vivres* . Messieurs nos généraux,
ayant fait camper l'armée près de la citadelle, réso-
lurent avec Madame de faire une tentative pour forcer
les ennemis dans la ville et les en chasser. Pour cet
effet, les troupes furent commandées de donner à une
heure de nuit, ayant quantité de flambeaux à leur
tête, à l'exemple de la sortie qu'avoit faite M. d'Éper-
jupe et de se sauver, quasi toute nue, dans la citadelle, au grand
regret du prince, qui envoya en diligence au palais pour se
saisir de sa personne, mais trop tard. »
1. On voit, d'après Souvigny, que Topinion de l'armée fran-
çaise, en Italie, sur Madame Royale, ne semble pas conforme
au jugement, très sévère et probablement partial, de Richelieu
sur cette princesse, ainsi qu'il ressort des Rapports et notices,
fasc. II, p. 123, 173, 178, 182, 183, 198. Si la duchesse, qui
était étrangère en Piémont, fut dans une situation fort difficile
en face de la révolte de ses beaux-frères, suivie en partie par
la population, elle trouva la sympathie et le fidèle dévouement
de bien d'autres; notamment de Français tels que Souvigny et
son frère du Fresnay-Belmont qui servirent, l'un et l'autre,
auprès d'elle pendant des années, ainsi que nous le verrons
par la suite.
n 2
18 MÉMOIRES DE S0UVI6NT. [1639
non de la citadelle dans la ville de Metz, où il désarma
les habitants aux flambeaux, sans trouver de résis-
tance^. Il n'en étoit pas de même de Turin, où il y
avoit une armée dedans, commandée par un prince
adoré du peuple, au lieu que M. d'Épernon n'avoit eu
affaire qu'aux bourgeois de Metz, et que les ennemis,
ayant abandonné les maisons qui étoient battues par
cent pièces de canon de la citadelle, avoient fait des
traverses à toutes les rues, à l'épreuve du canon, où ils
pourroient battre du côté de la citadelle, et mis plu-
sieurs bataillons aux places, spécialement à la place
Royale, près Saint-Charles, et vers la porte Neuve, [et]
bien traversé la rue pour aller de l'Esplanade à la porte
de Suse, entre la muraille et les maisons de la ville.
D'abord, toutes les troupes donnèrent avec extrême
vigueur, mais elles furent bientôt ralenties par la résis-
tance et le feu extraordinaire des ennemis, et par la
mort de quantité d'officiers et soldats, entre autres
M. le marquis de Nérestang, maréchal de camp, brave
et généreux, M. de Navailles, mestre de camp^, M. le
1. En 1602, le duc d'Épernon étant gouverneur des Trois-
Ëvêchés, les habitants de Metz se mutinèrent contre Saubole,
lieutenant de roi, dont ils avaient à se plaindre, et Tassiégèrent
dans la citadelle. Il est possible que le fait dont il s'agit se
rapporte à cette circonstance. Le roi Henri IV vint, en 1603,
à Metz pour trancher le différend, et Saubole fut déplacé.
(Girard, Bist. de la vie du duc d'Espernon, t. H, p. 93, éd. de
1663.)
2. Jean de Montant, vicomte de Torel, fils de Philippe de
Montant, baron de Bénac, seigneur de Navailles, et de Judith
de Gontaut, était frère cadet de Philippe, qui devint maréchal
de Navailles. Voy. Mémoires du maréchal de Navailles y p. 6,
Paris, 1861.
1639] MÉMOIRKS DE SOUVIGNY. 19
chevalier d'AlincourtS mestredecamp, qui mourut de
ses blessures dans la citadelle, où tous les autres blessés
étoient aussi retirés. Madame Royale fit bien connoltre
sa charité en leur endroit par les soins qu'elle prit .de
les faire nourrir et médicamenter, quoiqu'elle fût
extrêmement incommodée, aussi bien que les dames
qui étoient auprès d'elle, sans habits ni linge, n'ayant
emporté dans la citadelle que ce qu'elle avoit sur elle.
M. le prince Thomas lui envoyoit tous les jours des
vivres de la ville. Quelques jours s'étant passés, elle se
résolut de se retirer en Savoie, comme elle fit.
Après son départ, M. le cardinal de la Valette étant
mort*, l'armée fut commandée par M. le comte d'Har-
court^, auquel d'abord fut proposée une trêve entre
Madame et Messieurs ses beaux-frères; à quoi il
1. Lyon-François, fils de Charles, marquis de Villeroy et
d'Alincourt, et de Jacqueline de Harlay, commandeur de Malte,
mestre de camp du régiment de Lyonnais.
2. A Rivoli, le 28 septembre. Voy. le Cardinal de la Valette^
par le vicomte de Noailles, p. 534.
3. a Dans ce même temps, le comte d'Harcourt fut choisi
pour commander Tarmée d'Italie, et, comme il passa à Gre-
noble pour y aller, le cardinal de Richelieu lui dit que l'inten-
tion de Sa Majesté étoit qu'il ne fît rien qui fàt tant soit peu
considérable sans le conseil du comte du Plessis, à qui cet
honneur donna beaucoup d'inquiétude, aussi le témoigna-t-il
au cardinal de Richelieu, lui disant que cette grâce lui attire-
roit fort la jalousie des autres maréchaux de camp de l'armée,
savoir M. de Turenne et M. de la Motte-Houdancourt, qui,
ayant beaucoup de mérite, ne pourroient pas souffrir que le
comte du Plessis parût avoir plus de crédit qu'eux dans l'ar-
mée. B [Mém, du maréchal du Plessis y p. 179, coll. Petitot.)
U ne faut toutefois pas oublier que les Mémoires du maréchal
du Plessis ne manquent jamais d'attribuer à ce dernier une
part prépondérante dans les événements auxquels il prend part.
20 MÉMOIRES DE SOUYIGNT. [1639
répondit, en généreux capitaine comme il étoit, qu'il
n'avoit pas passé les monts pour traiter la paix, mais
pour faire la guerre aux ennemis de Madame Royale,
et reprendre les places qu'ils avoient occupées. Néan-
moins, quand il fut bien informé qu'il n'y avoit ni
vivres ni munitions dans la citadelle, et de la difficulté
d'y en mettre que par le moyen d'une trêve, il y con-
sentit. M. le cardinal Mazarin^, qui en étoit entremet-
teur, comme nonce de Sa Sainteté auprès de Madame
Royale, disposa' aussi les Espagnols, leur ayant fait
connoltre l'avantage qu'ils en tireroient de pouvoir
librement achever les travaux commencés à l'Espla-
nade, pour se défendre contre la citadelle, dans les
six semaines que dureroit la trêve. Je ne sais s'ils
étoient bien avertis de l'état où étoit la citadelle; mais
enfin, la trêve étant conclue et signée de part et d'autre,
chacun se fortifia de son côté entre la citadelle et la
ville, jusqu'aux lieux dont on étoit convenu, et qui
avoient été marqués à cet effet et entre les travailleurs
de chacun parti.
L'on voyoit promener ensemble les capitaines, offi-
ciers françois et espagnols, et boire à la santé des uns
des autres avec autant de civilité que s'ils avoient tou-
jours été bons amis, ce qui dura jusqu'à la rupture de
1. Mazarin ne reçut le chapeau de cardinal qu'en 1642.
Richelieu le lui obtint pour avoir négocié^ en 1640, la réconci-
liation des princes Thomas et Maurice de Savoie avec la
France. Il fut naturalisé Français cette même année 1639.
Monglat (t. I, p. 250] dit aussi que « Cafarelli, neveu de
Sa Sainteté, négocia si bien de tous côtés qu'il imagina une
suspension d'armes dans l'Italie pour deux mois, savoir depuis
le 15 d'août jusqu'au 15 octobre ».
2. Il y a dans le texte : il disposa.
1639] MÉMOIRES DE S0UVI6NT. 21
la trêve, que Ton recommença la guerre. M. de Cou-
vonges, gouverneur de la citadelle*, s'y acquit beaucoup
d'honneur. Après qu'on lui eut baillé ce qui lui étoit
nécessaire, il travailla si diligemment à se fortifier
du côté de la ville, qu'à la fin du siège ses travaux
se trouvèrent plus avancés que ceux des ennemis,
contre lesquels il fit jouer plusieurs fourneaux. En ce
temps-là M. de Roqueservière^ fut tué à l'Esplanade,
et fort regretté pour son mérite.
Après que M. le comte d'Harcourt eut donné l'ordre
nécessaire à la citadelle de Turin, il chercha les moyens
de faire subsister l'armée. Pour cet effet, il prit le loge-
ment de Chiers, ville abondante en vivres et fourrages,
à cinq milles de Turin'. M. le prince Thomas et le
marquis de Léganès, pour l'affamer et empêcher ses
fourrages, fortifièrent plusieurs quartiers à l'entour de
lui; mais cela n'empêcha pas d'y subsister tant qu'il y
eut des vivres. N'en ayant plus, il en partit et, en étant
environ à quatre milles, il rencontra M. le prince
Thomas en tête, avec son armée, pendant que le mar-
quis de Léganès attaqua son arrière-garde avec la
sienne; la mousqueterie de laquelle incommoda fort
notre cavalerie à l'abord; mais M. de Turenne*, qui la
1. M. de Couvonges venait d'être nommé gouverneur en
récompense de sa brillante conduite dans les affaires précé-
dentes.
2. Voy. t. I, p. 187.
3. Chieri, bourg à Tentrée de Montferrat, arr. et prov. de
Turin.
4. Henri de La Tour d'Auvergne, vicomte de Turenne, fils
du duc de Bouillon (1611-1675), alors maréchal de camp, avait
servi déjà plusieurs années sous ses oncles Maurice et Henri
de Nassau et en Lorraine. Il fut blessé Tannée suivante devant
22 MEMOIRES DE SOUVIGNT. [1639
commandoit, la sortit adroitement du détroit, et, ayant
pris un champ de bataille plus spacieux, arrêta toute
l'armée du marquis de Léganès avec M. le comte du
Plessis, pendant que M. le comte d'Harcourt, avec
l'avant-garde et la bataille, mit en déroute l'armée de
M. le prince Thomas en un lieu qui s'appelle la Route^,
et, en après, poussa si bien l'armée du marquis de
Léganès, qu'il fut contraint de faire sa retraite.
Après cette glorieuse action, qui fut le conmience-
ment du bonheur des armées du Roi et des avantages
remportés sur les ennemis sous sa conduite, l'heure
s'approchant, il alla prendre ses quartiers dans le pays
qui n'avoit pas été ruiné ; et, après avoir pris Busqué ^
le cinquième jour de son siège, toutes les villes et châ-
teaux depuis Saluées, la val de Pô, de Maire ^, Dro-
nero*, jusqu'auprès de Coni, se rendirent à lui. M. de
Ghampfort, qui commandoit l'artillerie, m'ayant fait ce
Turin^ reçut le bâton de maréchal en 1643 et remplaça la
même année Rantzau à Tarmée du Rhin.
1. La Rotta (20 novembre). D'Harcourt a partit le matin (de
Chierij et marcha jusqu'à une prairie, sur le bord d'un ruis-
seau nommé le Rouge de Santena, où il y a un passage fort
difficile appelé la Route ». Voy. dans Monglat (t. I^ p. 254) les
détails de la bataille de la Route^ qui plaça le comte d'Har-
court au rang des meilleurs capitaines de son temps et chan-
gea le sort de nos armes en Italie. Voy. aussi sur la bataille de
la Route la « Succincte narration des grandes actions du roi »
par le cardinal de Richelieu, coll. Petitot, t. XI, 2* série,
p. 334.
2. Busca, bourg du Piémont, sur la Maira, arr. de Coni.
3. La Maira, affluent du Pô, descend du mont Chambeyron,
dans les Alpes, et entre dans la plaine du Piémont à Dronero
et Busca.
4. Dronero, sur la Maira, arr. de Coni.
i639] MÉMOIRES DE S0UVI6NY. 23
discours, ajouta que les murailles de Busqué étoient
bâties de gros cailloux, qui jetoient de grosses flammes
en même temps que les coups de canon y donnoient,
et faisoient une grande clarté la nuit.
Pendant que M. le comte d'Harcourt établissoit ses
quartiers, je reçus ordre du Roi de désarmer les habi-
tants de Quérasque, à quoi je répondis que je suppliois
très humblement Sa Majesté d'avoir agréable de m'en-
voyer, auparavant, le nombre de gens de guerre pour
garder la place, avec les régiments de Bonne et de Mont-
pezat qui y étoient déjà, qui ne faisoient pas sept cents
hommes les deux, et il y avoit près de deux mille habi-
tants portant les armes. M. d'Hémery, ambassadeur
du Roi, qui m'avoit envoyé ses ordres, auquel je fis
entendre mes raisons, me fit une brusque réponse que
c'étoit à moi à obéir, qu'il y alloit de ma tête et qu'il
ne falloit pas m'imaginer que, dans la rébellion uni-
verselle de tout le Piémont, je puisse contenir les habi-
tants de Quérasque dans la fidélité. Je répliquai que
je trouvois bien ma justification devant les honunes, en
l'obéissance des ordres que j'avois reçus et pouvois
faire exécuter, sans aide de personne que de la garni-
son, qui étoit pour lors à Quérasque, mais que je croi-
rois conmiettre une grande lâcheté si, par l'appréhen-
sion des menaces qu'on me faisoit, j'avois manqué au
serment que je dois au Roi, en perdant une place que
Sa Majesté m'a fait l'honneur de me confier. J'aimois
beaucoup mieux hasarder ma vie, en attendant qu'il
plût à Sa Majesté envoyer du renfort.
Là-dessus, M. le comte d'Harcourt et M. d'Hémery,
ayant tenu conseil, envoyèrent M. de la Motte-Hou-
dancourt, maréchal de camp, qui a été depuis mare-
24 MÉMOIRES DE S0UVI6NY. [1639
chai de France par son propre mérite. Il vint donc
à Quérasque me dire qu'il m'amenoit deux mille
honunes de pied et cinq cents chevaux, pour m'ai-
der à désarmer les habitants, et me montra son
ordre, signé de M. le comte d'Harcourt. Je lui deman-
dai^ s'il n'en avoit point un particulier pour me
laisser partie de ses troupes. Il dit que non : < Vous
pouvez donc les renmiener quand il vous plaira, lui
dis-je : car je suis assez fort pour désarmer les habi-
tants; mais je n'aurois pas assez de gens pour garder
Ia{)lace sans eux jusqu'à ce qu'il ait plu à M. le comte
d'Harcourt de m'en envoyer. Vous êtes homme de
guerre, intelligent et fidèle serviteur du Roi ; je vous
supplie que je vous aie cette obligation de voir l'état
de cette place, la garnison et les habitants, et, en après,
me donner conseil de ce que vous estimerez que je
dois faire. » Il considéra toutes choses fort ponctuel-
lement, et, après qu'il eût tout vu, je lui demandai :
€ Eh bien! Monsieur, quel est votre avis? • Il me
répondit : c Voici mon ordre. » Quand je le voulus
presser davantage, il me dit : < Je vous plains. » Je
lui dis : < Ce n'est pas tout. Je sais bien que, par le
rapport que vous ferez, vous pouvez sauver cette place
et m'obliger infiniment en mon particulier, me faisant
envoyer environ mille hommes. »
Il me laissa cinquante dragons et, à son retour
auprès M. le comte d'Harcourt, l'on m'envoya les
régiments d'O'Reilly* et de la Rochette et, dès le len-
1. Il y a dans le texte : je lui en demandai.
2. Le régiment irlandais d*0'Reilly fut admis à la solde en
1635, servit dans le nord de la France, vint en Italie vers 1639
et fut licencié en 1641. Souvigny écrit d'Orgueil pour O'Reilly.
1639] MÉMOIRES DE SOUVIGNT. t5
demain, [je] désarmai les habitants, qui, à l'abord, se
trouvèrent fort surpris, parce qu'ils avoient bien su de
la manière que j'en avois usé, pour m'opposer à leur
désarmement, et qu'ils croyoient qu'on ne leur feroit
pas cet affiront, après tant de marques qu'ils avoient
données de leur fidélité ; je dis en général, car il y en
avoit quelques-uns avec les ennemis.
Pour ne pas désespérer les habitants et éviter les
désordres qui arrivent souventes fois aux désarme-
ments, après avoir mis la garnison en bataille aux
lieux nécessaires, j'envoyai quérir les syndics et les
principaux de la ville, et leur dis qu'ils savoient bien
que j 'avois fait mon possible pour empêcher de leur
donner ce déplaisir, ayant toute confiance en leur
fidélité et l'amitié particulière qu'ils avoient pour
moi ; que je les aimois comme mes frères, et que je [le]
leur témoignerois même en cette occasion en leur con-
servant leurs armes, pour les leur remettre quand il
sero[it] besoin, ne doutant pas qu'ils ne s'en servent
fort bien ; qu'il faudro[it] mettre leur étiquette sur cha-
cune arme et les porter au château, où mon secrétaire
les recevro[it] et en fero[it] un inventaire, afin que cha-
cun reconnoisse plus facilement les siennes : < Je vais
faire publier par toutes les rues l'ordre de les y por-
ter dans deux heures. Vous avertirez un chacun de
n'en point cacher, parce que je serois contraint de faire
punir ceux qui contreviendront dans la visite exacte
que j'en ferai faire. » Ces Messieurs, m'ayant remercié
de la manière que j'usois en leur endroit, se retirèrent,
et je cantonnai les quatre régiments pour faire la visite
chacun en son quartier, afin qu'ils fussent responsables
des désordres, s'il en arrivoit, et qu'à mesure que les
26 MÉMOIRES DE SOUVIGNY. [1639
sergents avec des soldats feroient la visite, il y eût
toujours un officier à la porte du logis, pour savoir de
l'hôte ou de l'hôtesse s'ils auroient sujet de s'en plaindre,
. afin que, sous prétexte de chercher des armes, ils ne
prissent pas la liberté de piller leurs maisons.
L'ordre ne fut pas plus tôt publié que l'on vit tous
les habitants porter leurs armes au château et, deux
heures après, l'on commença la visite en toutes les par-
ties des maisons, depuis le fond des cours jusqu'au
haut des greniers, et par tous les couvents et monas-
tères, sans rien réserver que le respect et la révérence
que l'on doit aux églises. Pendant ce temps-là, MM. les
mestres de camp et commandants étoient à la tète de
leurs corps, dont ils détachoient officiers, sergents et
soldats pour visiter les maisons, et moi j'allai par tous
les quartiers pour faire observer l'ordre, qui fut si
exactement observé qu'il n'y eut pas une seule plainte
de la part des habitants. Aussi avoient-ils été si obéis-
sants qu'en toute la visite il ne se trouva que dix ou
douze fusils et environ quinze paires de pistolets,
quelques vieilles piques et hallebardes déferrées, et
mousquets sans serpentins. Mais, enfin, quel soin que
je pusse prendre pour apaiser leur douleur, ils ne se
pouvoient empêcher de la faire paroître et de se
plaindre d'avoir été traités en rebelles, eux qui avoient
si fidèlement servi, comme il étoit vrai.
Après ce déplaisir, j'en eus un autre en mon parti-
culier de l'arrivée du marquis de Rangon à Quérasque,
lequel, avec son train, coûtoit presque tous les jours
cent pistoles à la ville. Après que lui et ses troupes
eurent ruiné quelques cassines du dehors, je fis en
sorte auprès de M. le comte d'Harcourt qu'il se retirât,
1639] MÉMOIRES DB SOUVIGNY. 27
dont je fiis bien aise pour le soulagement de Qué-
rascpie, qui m'étoit plus cher que toute autre chose,
désirant extrêmement leur conserver l'affection et
lamitié avec la garnison, afin que le Roi en fût mieux
servi. Auparavant que j'eusse obtenu du foin pour les
chevaux des capitaines et officiers, ils les envoyoient
paître en un pâturage de la communauté de Quérasque,
à la conjonction de la Sture au Taner ; et, comme il [y] en
eut quelques-uns de pris, je fis avertir, par tous les vil-
lages à l'entour de Quérasque, que, s'il passoit quelques
ennemis, bandits ou autres par leurs terres, qui prissent
des chevaux de notre garnison, je les ferois payer à leurs
communautés et punir ceux qui les auroient recelés.
Les premiers et derniers qui contrevinrent furent ceux
de la Moure* qui, trois jours après, en firent péni-
tence par le payement de deux cents pistoles qu'ils
baillèrent à M. de Bonne, mestre de camp*, pour quatre
mules qui lui avoient été prises. Messieurs du Sénat de
Turin envoyèrent des défenses contraires. M. le mar-
quis de Pianesse^, lieutenant général de l'État de Pié-
mont après que Madame eut passé en Savoie, ayant
ouï mes raisons, fit subsister mes ordres pour ce
sujet.
1. La Morra, bourg du Montferrat, arr. d'Albe, prov.
de Goni.
2. Alexandre de Bonne, seigneur d'Auriac et de la Rochette,
vicomte de Tallard, fils d'Etienne de Bonne et de Madeleine
Rosset, épousa Marie de Neufville-Villeroy.
3. Emmanuele-Filiberto-Giacinta de Simiane^ marquis de
Pianezza, conseiller du conseil secret d'Etat, lieutenant géné-
ral en Piémont, grand chambellan de Savoie et chevalier de
Tordre suprême.
28 MÉMOIRES DE SOUVIGNY. [1640
\&A0.
Au commencement de Tannée 1640, M. O'ReilIy,
mestre de camp, qui avoit son régiment dans Qué-
rasque, sachant qu'il leur étoit dû quelque chose sur
la communauté du marquisat de Nouvelle^, qui avoit
été ordonnée du consentement de Madame Royale et de
M. le marquis de Pianesse par M. Le Tellier, pour lors
intendant de la justice, police et finances de l'armée
d'Italie, présentement secrétaire d'État au département
de la guerre^, ledit sieur O'Reilly voulut entreprendre
par force de s'en faire payer, contre mon sentiment,
parce que je connoissois bien ceux à qui il avoit affaire,
qui, en deux heures, peuvent être secourus de deux
mille hommes des Langues, et [parce que je] dési-
rois faire venir les syndics du lieu, pour en traiter à
l'amiable, ainsi que j'avois toujours fait envers les autres
régiments, sans autre intérêt que celui de leur faire
donner satisfaction ; car, grâces à Dieu, je n'ai jamais
profité de contributions. Les ordres étoient expédiés
1. Novello, an*. d'Alba, rive droite du Tanaro.
2. Michel Le Tellier (1603-1685), intendant de l'armée en
Piémont, secrétaire d'Etat à la guerre en 1643, devint chance-
lier en 1677. Voy. dans Michel Le Tellier et t organisation de
V armée monarchique^ par Louis André, 1906, le chapitre inti-
tulé : Michel Le Telliery intendant à V armée d^Italie^ p. 45 à
88. On y trouve, p. 49, le texte de la commission d'intendant,
délivrée à Le Tellier le 3 septembre 1640, avec l'énumération
des pouvoirs attachés à cette charge. Cf. également Michel Le
Telliery son administration comme intendant d'armée en Pié"
monty par Caron, 1880.
i640] MÉMOIRES DE SOUVIGNT. 29
sur les extraits des revues des troupes, et je délivrois-au
commandant de chacun corps les originaux des ordon-
nances, sans me mêler d'autre chose que de prouver
leur payement. Ainsi, ayant les mains nettes, j'agissois
hardiment et avec toute l'autorité requise au service
du Roi. C'est pourquoi, pour détromper M. O'Reilly
par lui-même, quand il me demanda deux cents mous-
quetaires pour faire obéir ceux de Nouvello, je lui dis
que je lui en baillerois quatre cents, et même tout son
régiment s'il vouloit, mais qu'il se souvint que sa per-
sonne et son régiment étoient au Roi, et qu'il ne le
devoit pas engager mal à propos.
Après m'avoir remercié et fait sortir les quatre cents
mousquetaires, il s'achemina comme au triomphe.
Tous les officiers de la garnison, mieux informés que
lui, faisoient leur possible pour m'empêcher de le
laisser aller plus avant, disant qu'il s'alloit perdre;
mais il falloit de nécessité qu'il se désabusât, parce que
toute la garnison n'avoit pas été satisfaite. Je ne le fis
pourtant pas sans prendre une précaution qui lui fut
utile. J'envoyai quérir le major de son régiment, auquel
je baillai une lettre pour le marquis Alerame^ premier
des marquis de Nouvello, qui est une terre impériale,
consistant en cinq ou six paroisses, qui reconnoit
pourtant la couronne de Savoie. Ayant fait voir le con-
tenu de ma lettre, je la fermai et dis audit major de
[ne] la pas faire voir à M. O'Reilly, et ne s'en point
servir qu'alors que M. O'Reilly et lui verroient qu'il
1. Aleramo del Carretto, marquis de Novello, était né en
1596.
30 MÉMOIRES DE SOUVIGNY. [1640
serait nécessaire. Après que M. O'Reilly eut passé le
Taner au bac de Narzole, et fut mis en bataille au-delà
pour marcher droit à Nouvello, il entendit sonner le
tocsin aux paroisses des environs, et, en moins de
deux heures après, toute la colline [fut] couverte
d'hommes armés de fusils, resplendissants comme des
miroirs, desquels il se détacha environ trois cents au
pied de la colline, et les autres séparés en diverses
brigades, paroissant comme par degrés; ce qui l'ayant
obligé à faire halte et tenir conseil avec ses officiers,
il fut conclu de se retirer, et, comme on trouvoit de la
difficulté de repasser le Taner en leur présence, parce
qu'il n'y avoit qu'une barque, le major dit à M. O'Reilly
qu'il avoit une lettro de ma part, dont il savoit le con-
tenu, pour M. le marquis Alerame, qui commandoit
tous ces gens-là ; que, s'il trouvoit bon qu'il la lui ren-
dît, il croyoit qu'il leur laisseroit faire leur retraite en
toute sûreté; ce qui ayant été approuvé et la lettre
rendue, M. le marquis Alerame dit au major qui la
portoit qu'il pouvoit bien dire à celui qui conmiandoit
les troupes, qui étoient venues l'attaquer sans sujet,
que, sans le respect qu'il portoit à M. le gouverneur
de Quérasque et à sa lettre, il^ n'auroit jamais repassé
le Taner; mais, à sa considération, il le pouvoit faire
librement sans qu'aucun des siens lui donnât empê-
chement. Ainsi se retira M. O'Reilly avec plus d'hu-
milité qu'à son départ.
Environ le 1 5' janvier que le régiment d' Alincourt
fut réformé dans Quérasque et celui de . . .'^, je gardai la
1. Il y a quil dans le texte.
2. Le nom est en blanc dans le manuscrit. Il s*agit probable-
4640] MÉMOIRES DE SOUVIGNT. 31
plupart des sergents et caporaux, et baillai dix sols aux
premiers et huit aux autres, chacun jour, et les faisoit
servir avec des pertuisanes et hallebardes pour faire
les rondes et patrouilles dans la ville, en attendant les
ordres qu'on m'avoit fait espérer pour une compagnie
de carabins ^ J'aimai mieux auparavant faire cette
dépense que de perdre l'occasion de conserver de si
bons hommes, qui ont dignement servi à pied et à
cheval dans la ville et à la campagne. ^
Environ le W de février de ladite année i 640, M. le
comte d'Harcourt fit sortir de Quérasque plusieurs
troupes et recrues, spécialement de Sault et de Mer-
curin^, et ne me resta que les régiments de Bonne,
Montpezat et la Rochette, qui étoient si foibles que
j'obtins de M. le comte d'Harcourt qu'il m'enverroit
cinq cents hommes auparavant que l'armée entreprit
chose considérable^. Cependant, la plupart du temps
ment du régiment de la Bessière, dont le mestre de camp avait
été tué à la Rotta et qui fut licencié à cette époque. Le régiment
d'Alincourty qui avait aussi fait de grandes pertes^ fut officiel-
lement incorporé dans le régiment de Lyonnais. Il avait été
levé le 31 juillet 1639.
1. Souvigny forma quelques semaines après cette compagnie
de carabins.
2. Régiment levé en 1635 par le comte Mercurino.
3. Les régiments servant alors en Italie, et qui, d'après TEtat
de Tarmée, étaient au nombre d'une vingtaine, comptaient
vingt compagnies de cinquante hommes. Il n'était plus pos-
sible aux capitaines de maintenir leurs compagnies à cent
hommes. Pour l'histoire des régiments et pour les ordon-
nances concernant le commandement et l'administration de
l'armée à cette époque, consulter Y Histoire de V infanterie en
France, par le lieutenant-colonel Belhomme, fin du premier
volume et commencement du second.
32 MÉMOIRES DE SOUVIGNT. [1640
que je faisois redoubler les gardes, selon les avis, et tra-
vailler diligemment aux réparations, spécialement aux
retranchements que je fis faire en dedans la ville,
au-dessus du vallon, qui étoit l'endroit le plus foible
de la ville, et, pour assurer les corps de garde du
dedans, je fis faire bonne palissade autour, sdSn qu'on
ne les pût surprendre, n'épargnant point l'argent pour
être ponctuellement averti de l'état des ennemis, et
même dei^ qui se passoit parmi les familles de la ville,
qui avoient de leurs parents et amis avec elles*.
Environ le 22" avril de ladite année, M. le comte
d'Harcourt [me] commanda à l'avance de l'aller trouver
à Poirins*, où il avoit donné rendez-vous à son armée
pour aller au secours de Casai, afin de me bailler les
cinq cents hommes que je lui avois demandés, tant à
cause de la foiblesse de la garnison de Quérasque que
de la mauvaise volonté de la plupart des habitants, qui
avoient converti leur bonne volonté en rage et en fureur,
depuis qu'ils furent désarmés et que les fortifications,
commencées et imparfaites, étoient autant de loge-
ments faits pour les ennemis. M. le comte d'Harcourt,
m'ayant reçu avec sa bonté ordinaire, bien informé du
sujet de mon voyage, me prévint en me disant : < Je
veux vous faire voir mon armée. > Je l'accompagnai à
la revue générale qu'il fit de tous les bataillons et esca-
drons, et, ayant considéré qu'il ne pouvoit avoir en
tout qu'environ huit mille hommes de pied et quatre
1. Il y a eux dans le texte. — Pour Tétude des sièges de
CherascOy consulter à la Bibliothèque nationale, cabinet des
Estampes, Vb^®, le a Plan de Cherasque en Piedmont, 1649,
par Beaulieu n, provenant du fonds Gaignières.
2. Poirino, arr. et prov. de Turin.
4640] MÉMOIRES DE SOUYIGNY. 33
mille chevaux, je lui dis que l'honneur qu'il m'avoit
fait de voir ces troupes m'avoit fermé la bouche, qu'au
lieu de ne lui rien demander, j'aurois désiré lui pou-
voir bailler partie de notre garnison et l'accompagner
en cette belle occasion, ayant ouï dire que les enne-
mis avoient quatorze mille honunes de pied et huit
mille chevaux, bien retranchés dans la circonvallation
de Casai. Je lui dis : < Je prie Dieu qu'il bénisse les
armes du Roi sous votre heureuse conduite. > Ainsi
je pris congé de Son Altesse.
Étant de retour à Quérasque, je départis les postes
fixes aux régiments de Bonne, Montpezat et la Rochette,
qui pouvoient faire en tout environ huit cents hommes,
avec ordre de se relever entre eux, c'est-à-dire qu'il
y eût toujours deux escadres sous les armes pendant
que la troisième se reposeroit, cent vingt hommes à
la place d'armes, avec un capitaine et quatre oflBciers,
faisant incessamment, jour et nuit, des patrouilles par
toutes les rues pour empêcher les assemblées. [Je]
défendis aux habitants de sortir de leurs maisons après
le signal de la retraite et ordonnai que, dès l'entrée de
la nuit jusqu'au jour ensuivant, il y eût toujours de la
lumière à leurs fenêtres ; et, sur l'avis que me donna
M. de VignollesS gouverneur de Savillan, que les
ennemis avoient assemblé toutes leurs troupes, où ils
avoient joint les garnisons de Coni, Cève, Murassan et
autres, sous le conmiandement du comte de Vivalde, —
ci-devant gouverneur de Quérasque pour Son Altesse
Royale, et à présent de Coni et Cève pour Messieurs
1. Jean de Sarreteguy de Vignolles^ maréchal de camp en
1651, devint gouverneur de Saint-Jean-Pied-de-Port.
n 3
34 MÉMOIRES DE SOUYIGNY. [1640
les princes de Savoie, — [le] comte Broglio* , les marquis
de Bagnasco, de la Trinité^ et de Purpurate^, le com-
mandeur Balbian, et un colonel allemand qui y avoit
son régiment, et que leur marche tenoit en égale jalou-
sie Quérasque et Bène, j'envoyai deux carabins de ma
compagnie dans leur armée, avec ordre de faire sem-
blant d'y vouloir prendre parti et de n'en revenir point
qu'elle n'eût passé la croisée des deux chemins au deçà
de Salmour^, l'un tendant à Quérasque et l'autre à
Bène. L'un desdits carabins étoit françois ; mais il par-
loit aussi bien piémontois que son camarade, qui
m'a voit donné sujet d'être assuré de sa fidélité.
Outre ce, j'envoyai presque toute ma compagnie de
carabins battre l'estrade^ sur les avenues. Incontinent
après, je reçus lettre par laquelle M. de Sénantes, gour
verneur de Bène, me manda qu'ayant depuis trois jours
envoyé quatre cents honmies de son régiment à l'ar-
mée, il ne lui en restoit qu'environ quatre-vingts pour
défendre la ville et le château de Bène ; qu'il ne pou-
1. François-Marie Broglio, comte de Revel, en Piémont,
marquis de Sénonches, fils d'Amédée Broglio et d'Angélique
Tana, suivit partout lé prince Maurice de Savoie. En 1645^ il
passa au service de la France^ devint lieutenant général^ gou-
verneur de la Bassée, et fut tué d'un coup de mousquet au siège
de Valence en 1656.
2. Feriolo Costa, marquis de la Trinita. (Claretta, l, 486 et
passim.)
3. On trouve à cette époque le capitaine Antonio Porporati
di Sampeyre gouverneur de Villeneuve-d* Asti. (Claretta, I, 517,
et II, 440.)
4. Salmour, rive droite de la Stura, arr. de Mondovi.
5. Battre Testrade est un terme de guerre qui signifie éclai-
rer en avant de Tarmée en parcourant les routes. L expression
vient de Titalien strada, route.
4640] MÉMOIRES DE SOUVIGNY. 35
voit agir, n'étant pas guéri de sa grande blessure, et
alloit se faire porter à la place d'armes pour mourir
Tépée à la main, en attendant le sm)urs qu'il me prioit
de lui envoyer de cent hommes, avec des instantes
prières. Sur quoi ayant fait réflexion, je me résolus de
lui envoyer quarante mousquetaires et dix carabins,
croyant qu'avec cela et ce qu'il avoit, s'il étoit con-
traint d'abandonner la ville, il pouvoit au moins con-
server le château, et que la privation de cinquante
honmies de plus ou de moins n'étoit pas considérable
à l'égard d'une grande ville conmie Quérasque, et que
ce seroit un grand service à Son ÂHesse Royale d'em-
pêcher la prise de Bène. Ainsi, le temps ne permet-
tant pas d'en avoir ordre exprès, je les y envoyai
promptement. Je ne sais si les ennemis les recon-
nurent, passant près d'eux, la nuit même du 5* mai
1640^, qui fut à peu près le temps que M. le comte
d'Harcourt força le retranchement des Espagnols à
Casai.
Lesdites troupes de Messieurs les princes de Savoie
ayant laissé le chemin de Bène à la droite et mardié
en^-iron un mille par celui de Quérasque, lesdits deux
carabins* tentèrent de passer à cheval pour m'en venir
avertir; mais, ne l'ayant pu faire, ils abandonnèrent
leurs chevaux et se jetèrent à travers des broussailles,
le long de la rivière de Sture, et n'arrivèrent à Qué-
rasque qu'au point du jour. Nous avions été sous' les
armes, comme les six jours précédents, depuis deux
1. Attaque de Quérasque du 5* may iSkO : note marginale
dn manuscrit.
2. Ci-dessus, p. 34.
36 MÉMOIRES DE SOUYIGNT. [1640
heures devant jour jusqu'à soleil levant. Cet avis pour-
tant ne sembloit pas véritable, parce que les ennemis
ne parurent et ne commencèrent leurs attaques qu'il
ne fût trois quarts d'heure de jour. Ils donnèrent tou-
tefois assez vigoureusement, spécialement aux bastions
de Madame, de Saint-Jacques, de Son Altesse Royale,
à la fausse porte du Château, à l'Esplanade, à la porte
Cervère* et au vallon, et, conrnie les gardes de M. le
prince Maurice s'étoient déjà rendus maîtres du bas-
tion de Madame Royale, j'y courus avec la moitié du
corps de réserve, conunandé par le chevalier de Mont-
pezat*, et trouvai les sieurs Baron, major du régiment
d'Aiguebonne^, et la Palus, lieutenant, et un brigadier
de ma compagnie, qui défendoient vaillamment la cour-
tine proche dudit bastion. Les ayant joints, nous les en
chassâmes après quelques combats et secourûmes faci-
lement les bastions de Saint-Jacques et de Son Altesse
Royale, attaqués par les Allemands. Les tentatives qu'ils
avoient faites partout ailleurs ne leur ayant pas mieux
réussi, [ils] conunencèrent à se retirer, ayant fait une
perte considérable. Ma compagnie de carabins escar-
moucha avec eux environ une heure, à leur retraite,
lorsqu'ils prirent le chemin de Salmour. Pendant l'at-
1. Le bourg de Cervère est à 10 kilomètres au sud-ouest de
Cherasco, sur la Stura.
2. Jean-François de Trémolet de Bucelly, marquis de Mont-
pezat en 1665, lieutenant-colonel du régiment de Calvisson en
1637, mestre de camp en 1638, maréchal de camp en 1646,
lieutenant général en 1651, lieutenant général du pays d'Ar-
tois en 1665 et en Bas-Languedoc en 1674, mourut en 1677.
3. Levé en 1628 par Antoine-Rostaing d*Urre, marquis d*Ai-
guebonne, il fut licencié en 1658.
1640] MÉMOIRES DE SOUVIGNY. 37
taque, les habitants observèrent ponctuellement la
défense qui leur a voit été faite. Nous n'avons perdu
en cette occasion que ledit sieur de la Palus, Lapierre,
lieutenant au régiment de la Rochette, dix ou douze
soldats et environ vingt-cinq blessés*.
Le* jour de la Fête-Dieu de ladite année, un mauvais
prêtre, qui s'appeloit Fabio, se voulant venger d'un
nommé Travail et l'assassiner à la procession générale
du Saint-Sacrement, s'en alla au corps de garde de la
place, qui avoit pris les armes, dire à M. de Retordier,
capitaine au régiment de Bonne, qui y commandoit,
que, sous prétexte de cette procession, les habitants
dévoient couper la gorge à la garnison et commencer
par son corps de garde, que le temps ne permettoit
pas de m'en avertir, parce que les premiers étoient
déjà au droit du corps de garde, qu'il les falloit pré-
venir, qu'il les chargeroit le premier et chargeroit l'au-
1. Voy., à TAppendice du troisième volume, la lettre de
compliments adressée le 16 mai 1640 par la duchesse de
Savoie à Souvigny à Toccasion de la défense de Quérasque, et
la lettre du 25 mai pour lui en recommander les habitants.
2. U y a ici dans le manuscrit un renvoi à la marge, déve-
loppé plus loin (voy. p. 43), où on lit la note suivante, qui a
été effacée : « Si j*eus quelque joie de cet heureux succès, elle
fut incontinent après changée en afiBiction par la nouvelle de
la mort de M. de Beauregard, mon très cher et honoré oncle,
auquel j'avois toutes les obligations qu'on pût dire, étant
décédé à sa maison, à la Bresle, le jour de Saint-Médard,
8* juin 1640, avec une fin digne de sa chrétienneté, s'étant
jeté de son lit à terre tout seul pour aller recevoir le Saint-
Sacrement à la porte de sa chambre; après quoi, les forces
lui ayant entièrement manqué, il rendit Tesprit à Dieu, comme
on le reportoit sur son lit, ayant été également pieux et vail-
lant. »
38 MÉMOUKS DK S0C¥1G!IT. [1640
teur de cette actk». Tout antre qa'O eâl été qœ ledit
sieur de Retordier ne se seroit pas si légèrement oooh
porté sur on semblable rapport, comme fl fit en fri-
sant marcher tonte la garde dn côté de la procession,
pour soutenir le prêtre FalMO, ce disoit-il. Par bonne
fortune, j'arriyms lorsqu'O avoit déjà baillé des coups
d'épée à Travafl, et Tauroît achevé sans mm qui le fis
prendre et mettre en prison au diiteau, retirer la
garde et laisser finir la procession^.
En ce temps-là, j'eus divers avis que qudques par-
ticuliers de Quérasque oxispiroîent contre la garnison,
ce qui fut cause qu'ayant fait prendre un pa3rsan de
delà le Taner, qui avoit assassiné un soldat fi*anç<MS et
que Ton disoit avoir tué son onde, son tuteur, sa
femme et sa putain, et autres assassin[at]s, je m'imagi-
nai que les mal intentionnés pourroient bien se servir
d'un tel instrument, s'il étoit vrai qu'ils eussent attenté
contre la garnison, et lui fis dire que, s'il confess<Mt
la vérité, je^ ferois en sorte, auprès de Madame Royale,
de lui faire donner la vie. Ce malheureux n'en dit que
trop pour embarrasser la plupart des prindpales
familles de Quérasque, et, quoique je fusse bien
assuré qu'il en avoit faussement accusé plusieurs, je
ne laissai pas de les faire mettre tous en prison dans
le château, pour satisfaire au dû de ma diai^, en
attendant le grand prévôt de l'armée et un sénateur
de Turin pour faire leur procès, en ayant écrit à M. le
comte d'Harcourt et à M. le marquis de Pianesse, qui
1. Ce prêtre, nommé Fabîo Grimaldo, fut mandé auprès de
la duchesse de Savoie à la date du 12 juin pour rendre compte
de sa conduite. Voy. Appendice, 3* toI.
2. n y a dans le texte : que Je,
1640] MÉMOIRES DE SOUVIGNY. 39
me firent la faveur d'envoyer l'un et l'autre. Ce per-
fide souffrit tous les tourments que les juges purent
inventer, sans confesser son crime ni se désister des
fausses accusations qu'il avoit faites contre les prison-
niers, jusqu'à ce qu'il fût conduit au supplice. Alors,
voyant qu'il n'avoit plus d'espérance de vie, il déclara
les meurtres qu'il avoit commis et la malice d'avoir
accusé les innocents, en suite de quoi il fut exécuté.
Cela fut exemplaire pour le côté des Langues. Il n'en
étoit pas de besoin pour le finage* de Quérasque; car,
aussitôt qu'il arrivoit des gens de notre armée, ils
étoient en sûreté. Aussi j'ai une obligation toute par-
ticulière à M. le comte d'Harcourt, et à ceux qui com-
mandoient les troupes par ses ordres, des soins qu'ils
prenoient à le conserver, spécialement à M. de Mar-
sin*, dont le régiment de cavalerie y passoit fort sou-
vent. Je ne manquai de mon côté d'y contribuer ce
qui pouvoit dépendre de moi, ce qui m'acquit de l'es-
time et de l'amitié des citadins de Quérasque et des
paysans de la campagne, qui sauvèrent plusieurs ofiî-
ciers et soldats, notanmient M. de Saint-Miac, capi-
taine en mon régiment^, qu'un nommé la Grande-
1. Finage est une expression française qui signifie Tétendue
du territoire d'une commune.
2. Jean-Gaspard-Ferdinand de Marsin devint gouverneur de
Bellegarde et de Tortose, lieutenant général en Catalogne, en
1649-1651, gouverneur de Stenay, passa, en 1653, au service
de l'Espagne et mourut en 1673.
3. Le régiment de la Rochette ne fut donné officiellement à
Souvigny, pour devenir régiment de Souvigny, que le 15 juil-
let 1641. Souvigny ne possédait en propre, en 1640, outre
son emploi de major au régiment d'Auvergne, que sa compa-
gnie de carabins de Quérasque.
40 MÉMOIRES DE SOUYIGNT. [1640
Barbe, du village de la Fresca, empêcha d'être tué
par des bandits.
Après la glorieuse victoire que M. le comte d*Hap-
court remporta sur les ennemis, au secours de Casai,
dont on ne sauroit assez dignement louer la valeur^,
il se résolut de marcher du côté de Turin, dont le pays
n'étoit point ruiné, tant pour rafraîchir son armée que
pour se prévaloir de l'occasion de l'assiéger, s'il y
avoit apparence de l'entreprendre auparavant que les
ennemis pussent mettre la leur^ ensemble, après leur
déroute de devant Casai; ce qui lui réussit si heureu-
sement qu'ayant détaché M. le comte du Plessis, maré-
chal de camp, avec dix-huit cents hommes de pied et
cinq cents chevaux pour se saisir du fauboui^ du Pô,
il s'en rendit facilement maître et fît une traverse à la
grande rue, environ à la moitié du fauboui^, sur la
hauteur, de sorte que ses troupes furent à couvert de
la ville^.
1. Les Espagnols qui, malgré leur défaite de la Route,
s*étaient fortifiés pendant Thiver en Piémont, songèrent au
printemps à profiter de nouveau du mauvais état des affaires
de la duchesse de Savoie et à s'emparer de Casai, qu'ils assié-
gèrent au mois d'avril. Le comte d'Harcourt rassembla en
hâte une petite armée, à Pignerol, et se porta au secours de
Casai avec les maréchaux de camp Turenne, du Plessis-Pras-
lin, La Motte-Houdancourt, et les Piémontais, marquis de Ville
et de Pianezza. La victoire fut enlevée avec un entrain extraor-
dinaire, « mais les François, qui n avoient que sept mille
hommes, y allèrent si gaiement que, quoi qu'ils en attaquassent
dix-huit mille, ils ne doutèrent jamais de la victoire ». (AfoA-
glat, t. I, p. 287.)
2. C'est-à-dire leur armée.
3. Cf. Mém. du maréchal du Plessis, p. 182, où sont donnés
des détails sur le siège de Turin.
1640] MÉMOIRES DE SOUYIGNT. 41
Ce bon commencement fut cause que, dès le lende-
main, M. le comte d'Harcourt envoya M. de Turenne,
maréchal de camp, avec deux mille honmies de pied,
pour forcer le couvent des Capucins à la Madone del
Mont, le fort d'au-dessus, et une cassine entre deux
que les ennemis tenoient. Mon frère de Champfort
y conduisit deux pièces, et les fit tirer si à pro-
pos qu'elles rompirent les barricades et retranche-
ments qui étoient au-dessous; en suite de quoi M. de
Turenne fit donner la plupart de ce qui se trouva
dans ledit couvent, et, la cassine ayant été prise, M. de
Turenne fit sonmier le commandant du fort, lequel,
après plusieurs bravades espagnoles, ne laissa pas de
capituler le même jour, si bien qu'en deux jours M. le
comte d'Harcourt se saisit de toute la colline, du fau-
bourg et pont du Pô ; en suite de quoi il commença
sa ligne de circonvallation sur le bord du Pô, environ
mille pas au-dessus du Valentin, traversant le chemin
de Turin à Moncalier par la Purpurate, où il traversa
le grand chemin de Turin à Suse, et de là à la Doire, et
de là au Pô. En faisant travailler aux lignes, il écrivit au
Roi et à M. le Cardinal l'état des choses, et que, si on
lui envoyoit un puissant renfort, il espéroit de prendre
Turin, d'autant que nous tenions toujours la citadelle,
que les ennemis étoient en désordre et leurs généraux
en mauvaise intelligence, parce que le marquis de
Léganès s'étoit obstiné au siège de Casai, au lieu de
faire celui de la citadelle de Turin, ainsi que désiroit
M. le prince Thomas.
Comme il arrive souventes fois par ces différents
intérêts des armées confédérées, le marquis de Léga-
nès préféra celui du roi d'Espagne, son maître, parce
42 MÉMOIRES DE SOUVIGNT. [1640
qu'en prenant la citadelle de Turin il eût fallu la
remettre au prince Thomas, et il auroit gardé Casai,
s'il l'eût pris, et, par conséquent, tout le Montferrat*.
Gomme on se persuade facilement ce qu'on désire,
cette conquête lui parut infaillible, d'autant plus que la
garnison de Gasal étoit en fort petit nombre, les soldats
foibles et exténués, réduits au pain et à l'eau, depuis
cinq ou six mois, et qu'ils n'avoient point touché d'ar-
gent. Il faisoit son compte que, si on les mettoit aux
dehors pour la garde, ils déserteroient en leur baillant
à chacun un ducaton^ et un passeport pour sortir de
cette misère; que, si on abandonnoit les dehors, il
attaqueroit promptement le corps de la place et s'en
rendroit bientôt maitre. Mais la politique de M. de la
Tour^ et l'affection des habitants de Gasal rendirent son
espérance vaine, d'autant qu'il fit donner une pinte de
vin et demi-livre de viande par jour à chacun soldat,
et autres vivres avec leur pain de munition, de sorte
que, cette bonne nourriture les ayant rendus plus forts,
il fit des sorties si brusques et hardies qu'ayant rega-
1. Suivent, dans le manuscrit, quelques lignes effacées et, en
marge, un renvoi de la main de Fauteur à une feuille de mesme
marque. Le texte effacé est le suivant : a Cela se passoit envi-
ron le 20* juin 1640, que M. le comte d'Harcourt manda, etc. »
Voy. la fin du paragraphe à la page suivante.
2. Le ducaton de Savoie était une monnaie d'argent qui
valait à peu près 6 fr. 50 de notre monnaie. Il y avait aussi les
ducatons des Pays-Bas et de Toscane qui avaient la même
valeur. Le ducaton de Venise valait quelques centimes en
moins.
3. Philippe de Torcy, marquis de la Tour, mit sur pied en
1628 un régiment qui fut licencié en 1636. Gouverneur de
Casai en 1640, maréchal de camp en 1641, lieutenant général
en 1650, gouverneur d'Arras, il mourut en 1652.
1640] MÉMOIRES DE SOUVIGNT. 43
gué plusieurs postes que les euDemis avoient pris en
dehors, ils furent contraints d'attaquer Casai par les
formes, et ainsi M. le comte d'Harcourt eut le loisir
de le secourir.
L'on peut dire avec vérité, outre l'inclination des
Montferrins envers la France et leur fidélité pour
leur prince, qu'ils firent un effort particulier en cette
occasion pour l'amour de la Tour, qui n'a pas moins
acquis de réputation à Arras, où il ramena si bien l'es-
prit du peuple du rude traitement qu'ils recevoient
auparavant qu'il en fût gouverneur, [et] que l'on
pouvoit librement sortir plus de la moitié de la gar-
nison ordinaire, sans craindre aucun soulèvement des
habitants, qui s'estimoient heureux de vivre en l'obéis-
sance du Roi, sous la conduite d'un si bon gouverneur.
C'est ainsi que Sa Majesté savoit dignement choisir
ceux qui étoient capables de commander dans des
places.
Environ Je 20* juin 1640, M. le comte d'Harcourt
manda à tous les gouverneurs des places que le Roi
tenoit en Piémont, de lui envoyer du blé et de la farine.
Je lui envoyai cinquante charrettes, chargées de l'un et
de l'autre, qui passèrent heureusement dans son camp,
dont il fut bien satisfait.
En ce temps-là, j'appris une nouvelle qui modéra
grandement la joie que je pouvois avoir de ce qui
s'étoit passé à Quérasque et m'affligea extrêmement,
ce fut du décès de M. de Beauregard * , mon très cher et
honoré oncle, auquel j'avois toutes les obligations
qu'un fils peut avoir d'un bon père, desquelles ne pou-
1. En marge : Monsieur de Beauregard.
44 MÉMOIRES DE SOUVIGNY. [1640
vant témoigner ma recomioissance, je ferai un petit
crayon de sa vie exemplaire, pour servir de mémoire
à mes frères et à mes neveux pour imiter ses vertus.
Je dirai donc que, sur la fin de la guerre civile,
M. de Beauregard, mon oncle, servit le Roi avec mon
père, son aîné. La paix étant faite en France, il alla
au siège d'OstendeS aimant mieux servir le roi d'Es-
pagne que les HoUandois, parce qu'il étoit bon catho-
lique, et, après s'être trouvé en plusieurs occasions en
Allemagne, il fut à l'entreprise de Genève, laquelle,
ayant eu un bon conamencement, eut une mauvaise fin,
parce que, celui qui la conmiandoit ayant été blessé,
bien avant dans la ville, d'une mousquetade tirée par
une fenêtre, étant à la tête des troupes, elles demeu-
rèrent immobiles faute d'un autre commandant pour les
faire agir; sur quoi, les habitants, [qui] s'étoient assem-
blés à la place d'armes, [les] chargèrent, en taillèrent en
pièces une partie et contraignirent les autres à se reti-
rer*. M. de Beauregard étant de ces derniers, ayant ral-
lié environ cent hommes, se jeta dans une maison envi-
ron demi-lieue de la ville, où s'étant défendu deux ou
trois heures, il fut incité par de ses amis de notre pays,
qui surent qu'il commandoit cette troupe-là, de se
1. Le siège d'Ostende, où se déploya tout Tart de la guerre
du temps, dura trois ans (1601-1604), au bout desquels Spi-
nola, commandant l'armée espagnole, s'en empara sur les
Hollandais.
2. Après cette entreprise avortée du duc de Savoie (22-23 dé-
cembre 1602), les Genevois traitèrent fort durement leurs pri-
sonniers. Voy. (Economies royales de Sully, t. IV, p. 173,
coll. Petitot. Le duc de Savoie et les Genevois firent ensemble,
le 21 juillet 1603, le traité de Saint-Julien, qui mit fin d'une
façon à peu près définitive à leurs différends.
1640] MÉMOIRES DE SOUVIGNY. 45
rendre. Il traita à condition que lui et ceux qu'il com-
mandoit seroient traités en prisonniers de guerre. Mais,
quand ils furent dans la ville, le conseil de Genève man-
qua de foi, si bien que, tout ce que purent faire ses amis,
ce fut d'obtenir qu'il auroit la vie sauve, et M. Dupré
qui étoit avec lui, tous les autres ayant été pendus.
Étant pris prisonnier avec M. Dupré, il fut fort sol-
licité par les huguenots de ses amis de se faire de leur
religion. Il ne leur en ôta pas entièrement l'espérance,
tant pour n'en être pas plus maltraité que pour avoir
des livres, par le moyen desquels il s'instruisit si bien,
en la controverse et en affermissement de sa foi, qu'il leur
persuadoit lui-même de se faire catholiques. Il me l'a
raconté plusieurs fois que c'est dans cette prison, où
il demeura seize mois, que Dieu le voulut attirer à lui
par les fortes résolutions qu'il y fit de ne le plus offen-
ser, ayant jusqu'alors vécu dans la licence d'une jeu-
nesse débordée. J'ai remarqué les effets de ce change-
ment de vie, en l'espace de plus de vingt-cinq ans que
j'ai demeuré auprès de lui, sans lui avoir jamais ouï
jurer le nom de Dieu, quoiqu'il fût fort prompt à se
courroucer, n'ayant pu gagner sur son inclination natu-
relle de réprimer sa colère.
Je sais deux actions admirables de sa continence, que
je ne veux pas dire, ne voulant scandaliser personne.
Je l'ai toujours vu observer les abstinences et les jeûnes
ordonnés par l'Église, parmi les travaux de la guerre,
si ses J^lessures ou maladies ne l'en ont empêché,
jamais sorti de son logis sans faire sa prière, de demi-
heure pour le moins, ni passé un jour sans entendre
la messe toutes les fois qu'il la put ouïr.
46 MÉMOIRES DE S0UVI6NT. [1640
Il étoit fort autorisé^ à ses commandements, pen-
chant du côté de la sévérité par des paroles souventes
fois assez rudes. J'appréhendois toujours que cela ne
lui fît quelque mauvaise affaire, parce qu'il y a peu
d'officiers qui soufifrent volontiers d'être repris avec
aigreur. Néanmoins, comme les personnes de juge-
ment connoissoient son intention droite, qu'il n'étoit
point intéressé, et que ce qu'il faisoit n'avoit point
d'autre fin que le service du Roi et l'honneur du corps
qu'il commandoit, il n'en étoit pas moins aimé et
promptement obéi. douce et salutaire prison qui
n'ayant retenu le corps que pour la liberté de l'esprit
et le faire triompher des vices !
Vaincre soi-même est la grande victoire :
Chacun chez soi loge ses ennemis,
Qui, par l'effort de la raison soumis,
Ouvre le pas à Tétemelle gloire^.
Au sortir de la prison, il se mit dans le régiment de
Bourg, en l'an 1600, que le Roi, ayant pris Mont-
mélian et presque toute la Savoie, fit échange du
marquisat de Saluées avec la Bresse^. Quelque temps
1. Autorisé pour autoritaire.
2. XLVIP quatrain du sieur de Pybrac. Ces vers et la phrase
précédente : « O douce..., etc., » sont en marge du manus-
crit avec un renvoi. Les quatrains de Guy du Faur, seigneur
de Pybrac (1529-1584), chancelier de la reine de Navarre,
furent publiés pour la première fois, en 1574, sous le titre :
Cinquante quatrains, contenant préceptes et enseignements utiles
pour la vie de t homme, composés à V imitation de Thucydide^
Épicharmus et autres poètes grecs, Paris, 1574, in-4*.
3. La Bresse, le Bugey et le Valromey furent cédés par
1640] MÉMOIRES DB SOUYIGNY. 47
après, M. de la Guiche, gouverneur du Lyonnois, Forez
et Beaujolois, lui donna le commandement de Pierre-
Encise*. M. d'Alincourt, ayant été pourvu du gouver-
nement de ces provinces, voulant mettre une de ses
créatures dans Pierre-Encise, en ôta M. de Beauregard
qui, en après, ftit enseigne de la compagnie de M. de la
Poivrière au régiment de Bourg, ensuite lieutenant ; et
ayant traité de la compagnie avec M. de la Poivrière,
capitaine, il fut capitaine en sa place et fut lieutenant-
colonel du même régiment quelque temps après.
Étant en garnison à la Bresle, [il fut] logé chez
M. Ponchon, qui avoit efifectivement du bien et que
Ton croyoit encore plus riche. Il étoit âgé d'environ
quatre-vingts ans, avoit un fils et une fille, et sa femme
grosse*. Ce bonhomme prit une telle affection pour
M. de Beauregard qu'il ne pouvoit vivre sans lui et
lui dit un jour qu'il auroit une grande consolation, au
reste de ses jours, s'il vouloit épouser sa fille, à laquelle
il donneroit tout son bien, excepté la simple légitime,
qu'il ne pouvoit ôter à son fils, et autant à l'enfant qu'il
plairoit à Dieu lui donner de la grossesse de sa fenmie.
M. de Beauregard le remercia de sa bonne volonté,
et, quoique je fusse bien jeune, il me communiqua la
chose. Il y avoit une grande difficulté, savoir l'inéga-
Charles-Emmanuel P% duc de Savoie, à Henri IV par le traité
de Lyon en 1601. Le régiment du Bourg fit partie des troupes
chargées de la conquête de la Savoie, en 1600.
1. Voy. t. I, p. 10.
2. Antoine Ponchon, marchand à TArbresle, épousa Fran-
çoise Raby, hôtelière à l'enseigne du Dauphin, faubourg Saint-
Julien, à l'Arbresle. Le domaine de la Ponchonnière, habité
jusqu'au xix* siècle par la famille Ponchon, aujourd'hui éteinte^
se trouve à quelques minutes de l'Arbresle.
48 MÉMOIRES DE SOUYIGNT. [1640
lité de l'âge ; car la fille n'avoit guère plus de onze ans.
Néanmoins, raffection du père, la considération du
bien et Tespérance de bien faire nourrir la fille par sa
mère, qui étoit une des plus sages et vertueuses
femmes que j'aie connues, ayant entièrement porté
M. de Beauregard au mariage à l'épouser, il m'envoya
à Lyon en donner avis à M, Payon, lieutenant de l'ar-
tillerie, son ami intime, lequel, à l'abord, improuva tout
h fait ce mariage pour la même raison de l'inégalité
d(^ r&gc et plusieurs autres, qui n'étoient pas moins
importantes, me faisant connoitre avoir quelque des-
sein de l'engager ailleurs ; et, à ce que j'ai pu remar^
quer, c' étoit un parti avantageux et une pensée digne
do son amitié. Mais, quand je lui eus fait entendre que
M. do Beauregnrd étoit engagé de parole, il changea
do discours et ne parla plus que du désir qu'il avoit de
le servir en cela, comme en autre chose. En suite de
quoi i\it signé le contrat de mariage de M. de Beaure-
gai\l avec M"* Jacquème, fille de M. Ponchon*, qui fiit
mise en pension avec les dames religieuses d'Alix*
pondant qu'il servoit dans les armées du Roi, où il
s*acquil beaucoup de réputation et d'estime particu-
Hèi\> do Sa Majesté, spécialement au siège de Saint-
JiHin-il*Angt^ly, où il fit une action si généreuse que le
Roi le voulut voir et Ta toujours aimé du depuis, aux
is L^ m4Lri9^ est du 17 avril ld22. Vot., à TAppendice da
inM^i^UKC v\%Uitu<^« Tacle extrait des anciens registres parois-
siaux de rXrKresle»
i. Xlix« eant. d\\nse« arr, de Villefrandie, Rlitee, à 10 kilo*
mitres au nord de rXrKresle. U sV trxHiTait on clu^itre noble
de cKan\Mne4^es rff^i^res de Tordre de Saint^Benolt, déptat-
daut de Tabbi^te de Saxtgnv.
1640] MÉMOIRES DB SOUYIGNY. 49
sièges de Royan, Négrepelisse, Saint-Antonin, Som-
mières, Lunel, Montpellier, où il eut une mousquetade
au travers du corps, à l'attaque du Pas-de-Suse, siège
de la citadelle de Suse, de Pignerol, où il se signala
partout.
Étant malade à Pignerol, en Tan 1630, il repassa
les monts avec congé, et, s'étant un peu remis, il alla
trouver le Roi à Lyon, et, après lui avoir rendu compte
de l'état du régiment d'Auvergne, pour lors appelé de
la Rochefoucauld, — dont il étoit lieutenant-colonel, et
[qui] avoit été tellement afToibli à Pignerol par la con-
tagion que, de quatorze cents hommes que nous avions
en entrant, à peine en pouvoit-on en mettre cent cin-
quante sous les armes, y étant mort aussi vingt-neuf
officiers, — le Roi, à la prière de M. de Beauregard,
ordonna des recrues pour le régiment, des armes et des
habits, et lui donna la disposition de toutes les charges
de lieutenant et d'enseigne vacantes. Mais, bien loin
d'en faire son profit, il y fit pourvoir ceux que vou-
lurent les capitaines des compagnies où elles vaquoient,
sans en garder une pour l'un de mes deux frères qui
n'en avoient point. Il fit bien davantage; car il obtint
la compagnie de M. de Moncamp, vacante par cassa-
tion, pour le comte de Béreins, son lieutenant, qu'il
pouvoit faire avoir à mon frère de Ghampfort. Quoi-
qu'il nous aimât bien tous, il préféroit toujours l'intérêt
d'autrui au sien.
Nos recrues ayant été mises en quartiers à Romans,
Crest, Montélimar et Saint-Marcellin, il y fit observer
un tel ordre qu'il n'y eut pas une moindre plainte
entre les gens de guerre et les habitants, excepté d'un
n 4
50 MÉMOIRES DE SOUYIGNY. [1^0
soldat qu'il fit pendre à Montélimar, pour avoir dérobé
en une boutique.
Nos recrues ayant ordre d'aller joindre le corps du
régiment à Pignerol, il partit de Montélimar, une des
fêtes de Noël de l'année 1630, avec celles qui [y]
étoient, pour aller loger à LorioL Ce jour-là, il faisoit
un froid rigoureux. Le vent de bise se leva avec telle
fureur que les soldats, auxquels il frappoit le visage,
ne pouvoient avancer. Il crut que, cheminant où le
sentier étoit élevé, ils seroient plus à l'abri ; mais le
froid étoit si extrême que le vent de bise enlevoit des
gouttes d'eau du Rhône, qui se congeloient en l'air et
donnoient si rudement au visage des soldats qu'elles
leur faisoient baisser la tête, et fallut les faire serrer
les uns aux autres de si près qu'ils se pussent entre-'
tenir. Alors M. de Beauregard, qui pouvoit bien
s'avancer au quartier, ou envoyer des officiers deman-
der quelque secours de chevaux et charrettes pour faire
voiturer ceux qui demeuroient par le chemin, ne*
voulut jamais quitter la troupe. Ces bonnes gens de
Loriol en ayant sauvé plusieurs, il n'y en eut que
quinze ou seize de maltraités, dont il en mourut trois
ou quatre, et quelques-uns les pieds gelés ^.
Ayant joint nos recrues à notre régiment à Pignerol,
M. le maréchal de Villeroy, qui y commandoit en qua-
lité de maréchal de camp, fut bien aise de voir M. de
Beauregard qu'il aimoit. Les habitants de Pignerol, qui
connoissoient sa politique, n'en eurent pas moins de joie .
1. Il y a dans le texte : mais il ne,
2. Cf. p. 253 et 254, t. I, où le même fait est rapporté.
1640] MÉMOIRES DE S0UVI6NT. 51
L'an 1635 que nous assiégeâmes Valence, M. de
Beauregard, qui y servit d'aide de camp, s'y acquit beau-
coup d'honneur. En après il eut commission de com-
mander dans Nice-de-la-Paille, et à toutes les troupes
du Roi qui étoient dans les Langues et pays du Mont-
ferrat, delà le Taner. Les bonnes relations que le feu
Roi eut de ses services, avec l'estime qu'il avoit de
longtemps conçue de sa personne, obligèrent Sa
Majesté à lui donner une charge de maître d'hôtel de
Sa Majesté et de [lui faire] servir un quartier, comme
il fit, et [il] se retira avec grande espérance que le Roi
lui donnât quelque gouvernement à sa commodité,
voyant qu'il étoit fort incommodé de ses blessures.
Mais il ne fut pas plus tôt de retour en sa maison que les
forces [allèrent] défaillant à mesure que ses maux aug-
mentoient, ce qui le fit résoudre à se défaire de sa
charge de lieutenant-colonel, dont il traita avec M. de
Toron.
Quelque temps après son traité, le Roi, passant
à la Bresle^, alla loger au Cygne, et la Reine en sa
maison. Ne se pouvant soutenir, il se fit porter au logis
du Roi, qui lui fit de grandes caresses, comme il avoit
Ëdt toutes les autres fois qu'il avoit passé en Lyon-
nois, afin que l'on sût par toute la province l'estime
que Sa Majesté faisoit de sa personne. Il eut même la
bonté de vouloir voir son fils, mon cousin, qui ne pou-
voit pas avoir pour lors plus de six ans. Cet enfant
1. En septembre-octobre 1639, Louis XIU se rendit à Gre-
noble, où il eut une entrevue avec sa sœur la duchesse de
Savoie. Celle-ci vint Vy visiter depuis Chambéry, où elle
s'était réfugiée après sa fuite de Turin. C*est au cours de
ce voyage qu'il dut s'arrêter à TArbresle.
52 MÉMOIRES DE SOUYIGNT. [1640
plut au Roi, parce qu'il étoit bien fait et bien résolu*.
Sa Majesté ayant favorablement accordé à M. de Beau-
regard de se défaire de sa charge et d'agréer M. de
Toron, il le pria d'avoir agréable que M. le comte de
Launay l'en fit souvenir. Sa Majesté lui dit qu'il n'étoit
pas nécessaire et qu'il ne l'oublieroit pas, disant cda
avec des marques de bonté extrêmes.
Ce fut la dernière fois que M. de Beauregard prit
congé de Sa Majesté : car, après son départ de la Bresle,
il se trouva encore plus mal, et, prévoyant bien (ju'il
ne la feroit pas longue, désira que mon frère de Champ-
fort ou mon frère de la Motte se trouvassent auprès de
lui à son décès, sachant bien que je n'y pouvois pas
être, étant engagé dans Quérasque. Il en eut quelque
consolation par la nouvelle que Dieu m'avoit fait la
grâce de me bien défendre. Parmi ses douleurs, il ne
laissa pas d'aller à Lyon recevoir l'aident que M. de
Toron 2 lui donnoit de sa charge de lieutenant-colonel.
Il en eut la fièvre et, s'étant fait porter en sa maison à
la Bresle, il se disposa, en bon chrétien, à mourir en
Dieu conune il a voit vécu. Il fit son testament, par lequel
il déclara sa femme son héritière universelle, tant de la
baronnie de Belmont^ que d'autres biens, et, de l'arçent
1. Un fils de M. de Beauregard, du nom de Camille,
d'après les registres paroissiaux de TArbresle, naquit le
26 août 1635, ne fut baptisé que le 8 avril 1640 et mourut
ledit jour. Il eut pour parrain Tabbé d'Ainay, à Lyon, Camille
de Neufville. Un autre fils, âgé d'environ quatre ans^ décéda,
d'après les mêmes registres, à l'Arbresle, le 3 mars de la
même année 1640.
2. On trouve deux familles de Toron en Provence : Tune à
Digne et Tautre à Brignoles. Voy. p. 178 et 179, t. I.
3. Belmont, cant. d'Anse, arr. de Villefranche, Rhône. Voy.
i640] MÉMOIRES DE SOUYIGNY. 53
qu'il avoit chez M. Bay à Lyon, il ordonna que je m'en
paierois de la somme de cinq mille francs qu'il me
devoit, et légua le surplus à mon père, auquel je l'ai
baillé.
Il témoigna une grande joie d'avoir mis ordre
à ses affaires temporelles et, après, ne voulut plus
parler que de son salut, disant des paroles de grande
édification, et enfin, comme il s'aperçut que les forces
lui manquoient, il demanda le viatique. Quelque temps
après, il demanda ce que c'étoit d'une clochette qu'il
entendoit, et comme on lui répondit : c C'est qu'on
vous apporte le Saint-Sacrement, > il étoit alors si
foible et inmiobile qu'il falloit plusieurs personnes pour
le remuer, mais, quand il entendit ces paroles, il
rassembla toute la puissance de son àme et de son
corps et s'écria, en disant : « Conmient, mon Dieu,
mon maître, me viendra visiter et je n'irai pas
au-devant? i> Il se jeta en bas de son lit et alla tout
seul à la porte de sa chambre, où il reçut le Saint-
Sacrement avec une admirable dévotion. En après, ses
forces étant entièrement défaillies, l'on eut peine à le
reporter sur son lit.
Il rendit l'esprit à Dieu incontinent après*, le jour
Saint-Médard, S'^juin 1640. Voilà la fin de ce généreux
guerrier et fidèle serviteur de Dieu qui, je m'assure,
lui aura fait miséricorde. J'ai fondé une grand'messe à
perpétuité, en l'église de Saint-Jean de la Bresle, qui
se doit dire, avec diacre et sous-diacre, pour le salut de
l'àme de feu M. de Beauregard, mon très honoré oncle,
la Seigneurie de Belmont-tV AzergueSy en Lyonnais^ par Tabbé
Pagani, Lyon, 1892.
1. En marge : Décès de M, de Beauregard,
54 MÉHOIBSS DS SOUVIGHT. [1640
qui se doit dire tous les ans, le jour de son décès,
ledit jour Saint-Médard, 8* juin^, par contrat passé
avec le curé de la Bresle, ladite fondaticNi hypothéquée
sur un fonds que j*ai acheté audit lieu de la Bresle.
La piété, la valeur, la grandeur, le courage
Se sont joints ensemble au sage Beauregard,
Avec égal pouvoir et semblable avantage
Qu'elles ont régné au cœur du généreux Bajard.
Feu M. de Beauregard ayant adieté la baronnie de
Belmont de H. de la Baume de Bouthéon^ comme terre
substituée', il est dit en termes exprès par son con-
trat d'acquisition qu'en cas que ladite terre sdit évin-
cée, il prendra possession de la terre de Veaudie* qui
n'est pas de la substitution, d'autant que M. de la
1 . Les registres paroissiaux de TArbresle donnent U date
du 4 : c Le 4 da moys de juin 1640 est déceddé noble Pierre
de Gaignières de Beauregard, escuier, premier cappitaine au
régiment d'Auvergne, maistre d*hostel chez le Roy et baron
de Belmont, et a esté enterré en Téglise Saint-Jean de Lar-
brelle. Ainsi le certifie Lepin, curé. » En mai^ est écrit : c De
Beauregard, aetatis sus 72. d
2. Balthazar d'Hostun, dît de Gadagne, marquis de la Baume
d^Hostun, comte de Verdun, baron de Mirabel, Belmont,
Charmes et Ruinât, seigneur de Bouthéon, sénéchal de Lyon,
épousa Françoise de Toumon en 1613. 11 hérita par testament
de son grand-père maternel Guillaume de Gadagne, seigneur de
Bouthéon, Saint-Bonnet-le-Chàteau, Saint-Galmier, Meys, etc.,
en Forez. Il tesU à Bouthéon le 27 octobre 1640.
3. En terme de jurisprudence, une terre substituée est une
terre désignée pour être laissée en héritage à une personne
déterminée après le décès de l'héritier actuel. L'héritière
actuelle était ici Diane de Gadagne, mère de M. de la Baume.
4. Veauche et Bouthéon sont des villages du cant. de Saint-
Galmier, arr. de Montbrison, Loire.
1640] MÉMOIRES DE SOUYIGNY. 55
Baume l'a achetée de M. de Saint-André^, étant si bien
à la bienséance de Bouthéon qu'il n'y a que demi-
lieue de distance, sur le bord de la rivière de Loire, du
même côté que Bouthéon, ce qui fait d'autant plus
croire que les héritiers de M. de la Baume ne la vou-
droient pas changer pour Belmont, qui n'est pas de si
bon revenu. L'an 1652, M"** de Beauregard, ma
tante ^, vendit ladite terre de Belmont à mon frère du
Fresnay-Belmont aux conditions portées par leur con-
trat».
Je devois bien cette digression pour l'honneur que
je dois à la mémoire de M. de Beauregard, de la vertu
duquel ne pouvant assez dignement écrire, je dirai
seulement que je lui suis infiniment obligé.
Et, pour reprendre le discours du siège de Turin,
au commencement du mois de juillet M. le maréchal de
Villeroy* arriva au camp avec quatre mille hommes.
Les ennemis, ayant rassemblé leurs troupes, se cam-
pèrent sur la colline et furent repoussés des attaques
1. Jacques d*Apchon^ marquis de Saint- André, gouverneur
de Roannais, petit-fils, par son père, de Marguerite d'Albon,
sœur du maréchal de Saint- André, épousa, en 1606, Eléonore
de Saulx-Tavannes de Lugny.
2. M™" de Beauregard mourut en 1685 à TArbresle et fut
enterrée en Téglise Saint- Jean. A quelques minutes au nord de
TArbresle se trouvait le fief de Beauregard, dont il ne reste
plus, de Tancienne habitation, que les dépendances.
3. En 1671, Daniel de Gangnières, baron de Belmont, fit
hommage pour la terre et baronnie dudit Belmont (Archives du
Rhôncy C397).
4. Nicolas de Neufville, marquis de Villeroy (1598-1685),
que nous avons vu commander à Pignerol, en 1630, comme
maréchal de camp, ne reçut en réalité le bâton de maréchal
qu'en 1646 ; il devint duc et pair en 1663.
56 MÉMOIRES DE SOUVIGNY. [1640
qu'ils firent au fort, en ayant construit un sur la hau-
teur de la colline. Ils allèrent à Moncalier, où ayant
déjà fait passer le Pô à environ six cents hommes,
M. de Turenne y accourut avec la plupart de la cava-
lerie, et les défit si bien qu'en après ils n'osèrent plus
entreprendre ce passage*, mais bien de passer au-des-
sous, à la faveur de l'île, où ayant mis vingt pièces
de canon, il leur fût facile de mettre pied à terre et se
retrancher de l'autre côté, comme ils firent. Ayant mis
ce quartier en bonne défense, ils en allèrent établir un
à Bénasque^, poste avantageux sur la rivière de San-
gon^, chemin de Turin à Pignerol, et de là ils forti-
fièrent le quartier de ...*, commandé par Charles de
La Guatte^, à un quart de lieue du chemin de Turin à
Rivole.
C'est l'état au conunencement du siège de Turin,
dont je ne sais point les particularités, pour ce que je
n'y fus pas, mais seulement ce que j'en ai appris de
mon frère de Champfort, qui y commandoit l'artillerie,
de ce qui s'y est passé de plus considérable ; en quoi
M. le comte d'Harcourt a fait d'autant plus connoître
sa valeur et sa capacité qu'il avoit à faire à un prince
adoré du peuple de Turin, et [à] cinq ou six mille
honmies de guerre, avec lesquels il faisoit souvent des
1. Le vicomte de Turenne, blessé, dut se rendre à Pignerol.
[Mém. du maréchal du Plessis, p. 183.) On peut consulter
ces Mémoires pour le récit du siège de Turin, dont le
maréchal du Plessis fut nommé gouverneur après la capitu-
lation. Cf. également les Mémoires de Monglat, t. I, p. 289.
2. Benasco, arr. de Turin.
3. Le Sangone se jette dans le Pô à Moncalieri.
4. Le nom est en blanc dans le manuscrit.
5. Don Carlo délia Gatta, général espagnol.
i640] MÉMOIRES DE SOUYIGNY. 57
puissantes sorties. Il étoit investi dans son camp par
l'armée du marquis de Léganès, composée de quatorze
mille ou quinze mille honmies de pied, et de six à sept
mille chevaux, si bien que, compris les habitants de
Turin, il avoit à combattre trente-quatre ou trente-cinq
mille honunes, tant pour garder la circonvallation que
la contrevallation de son camp, avec environ quatorze
mille honunes de pied et cinq mille chevaux; aussi
demeura-t-il dix-sept ou dix-huit jours qu'il n'y pût
rien entrer, quoique les gouverneurs des places du
Piémont fissent plusieurs tentatives pour y passer des
vivres. Il en falloit prendre des magasins de la cita-
delle pour nourrir l'armée, et, lui restant encore deux
brindes de vin, il les fit donner aux soldats et se
réduisit au pain et à l'eau, comme le moindre de son
armée, à qui cette nécessité n'abattit pas le cœur, ainsi
qu'ils firent paroître à la défense des lignes, gardées par
les régiments d'Auvergne et de Nérestang, enfilées de
sept pièces de canon que les ennemis avoient mises en
batterie, au-dessous de la Gassine de Madame, de l'autre
côté du Pô; [ce] qui empêchoit de former aucun
bataillon ni escadron, si bien que, pour défendre la
ligne, il falloit attendre que les ennemis l'eussent passée
en désordre, et les en chasser à coups de piques et
épées. Cette attaque fut d'autant plus opiniâtre qu'elle
étoit conunandée par le marquis de Léganès, lequel,
finalement, fut contraint de se retirer après une grande
perte.
M. de la Motte-Houdancourt, maréchal de camp,
n'acquit pas moins d'honneur de son côté, quoiqu'il ne
pût éviter que la ligne qu'il gardoit ne fût forcée,
parce qu'ayant combattu à la tète de toutes les troupes,
58 MÉMOIRES DE SOUYIGNY. [4640
qui coururent à son secours, d'un courage admirable,
il poussa la cavalerie de Don Carlo Gatta, qui commaD*
doit à son attaque, et, Tayaut contraint à se sauver
dans la ville, il n'eut plus à faire qu'à l'infanterie, dont
il n'échappa aucun de mort ou de prison, quoique
plusieurs se défendirent quelque temps dans les
redoutes qu'ils avoient gagnées.
La sortie que fit H. le prince Thomas en même
temps, du côté du Yalentin, quoiqu'avec beaucoup de
vigueur, ne lui réussit pas mieux que les attaques du
marquis de Léganès et Carlo délia Gatta aux lignes,
ayant été bien repoussé par notre cavalerie et le régi*
ment d'Auvergne, dont un enseigne défendit si géné-
reusement une redoute, que son nom ne doit pas
être oublié, il s'appelle Lestang de Lens^, de la famille
de Lestang de Dauphiné.
A la sortie que M . le prince Thomas fit faire, quelques
jours après, au quartier du Parc, où étoit campée la
noblesse de Dauphiné, il eut quelque avantage à
l'abord, les ayant surpris ; mais il perdit quelques gens
en se retirant, spécialement un capitaine, Capon, officier
de cavalerie, qui faisoit la retraite, dont le corps fut
reconnu parmi les morts par sa servante, qui se disoit
sa garce, laquelle déclara ce qu'elle n'avoit pas voulu
dire pendant sa vie, que c'étoit^ une fenmie qui, depuis
1. Jacques de Murât de Lestang, seigneur de Lens, Marco-
Ion, Lentiol, Maras, épousa, en 1606, Laurette de Grôlëe. Il en
eut quinze enfants, dont plusieurs devinrent officiers, et parmi
lesquels se trouve vraisemblablement cet enseigne. L*atnë,
Antoine, seigneur de Lens, fut maréchal de camp en 1653.
Le marquisat de Lestang fut érigé en sa faveur, en 1643^ pour
ses longs et grands services. (Arch, du château de Terrebasse.)
2. Cest-à-dire : que ce Capon était.
1640] MÉMOIRES DB S0UVI6NT. 59
dix à douze ans, s'étoit déguisée en homme pour cou-
vrir la foiblesse de son sexe. Les officiers, qui la
croyoient homme, dirent qu'elle avoit fait de fort belles
actions dans les troupes, mémement en des combats
particuliers; mais pourtant que, lorsqu'elle se mettoit
en colère, elle pleuroit, quoiqu'en après elle témoignât
beaucoup de résolution et de grandeur de courage.
L'on dit qu'elle étoit chaste et que, hors les factions
militaires, [elle] se trouvoit rarement parmi les honunes
et se retiroit toujours avec sa servante, qui étoit
méchante et la menaçoit de la découvrir, quand elle
ne faisoit pas tout ce qu'elle vouloit.
L'on inventa, au siège de Turin, un moyen d'avoir
conununication d'un camp avec une ville par une inven-
tion qui, jusques alors, nous^ étoit inconnue, y faisant
entrer en plein jour des courriers qui bravoient et mena-
çoient leurs ennemis, en passant, sans qu'on les pût arrê-
ter ni leur faire aucun dommage. S'ils ne rapportpient
point de réponse, les assiégés l'envoyoient* par d'autres,
avec pareille bravoure et facilité. Le courrier étoit une
bombe, où l'on mettoit des lettres, et le canon pointé
justement à l'endroit convenu, au lieu où elles dévoient
tomber, où l'on prenoit la bombe, et, ayant ouvert
l'avis qu'elle renfermoit, on trouvoit les lettres. Par le
même courrier, le marquis de Léganès envoya quelque
sel à M. le prince Thomas. Mais cette invention ne
peut servir que pour une petite place, et non pour
une grande ville comme Turin ^, où il en manquoit
1. Il y a dans le texte : que^ jusques alors y elle nous...
2. C'est-à-dire : envoyoient la réponse.
3. Monglat raconte (t. I, p. 295) que le marquis de Léga-
nès, commandant Tarmée de secours, se servait de bombes.
60 MÉMOIRES DS SOUYIGNT. [1640
aussi bieo qoe plusieurs autres choses, œ qui oUigea
M. le prince Thomas à capitula et se rrtirw. M. le
comte d^Harcourt, ayant ainsi pris Turin, Madame y
vint bientôt après avec les princes ei princesses ses
enfants. Je me trouvai à son triomphe^ par ordre de
M. le comte d'Harcourt, qui me conmianda le lende-
main d'aller à Casai, conférer et résoudre avec M. de
la Tour Tentreprise de Trin, qui Ait tentée. Tannée
d'après, inutilement; je n'en sais pas la raison.
Je fiis bien aise de trouver mon frère du Fresnay-
Belmont à Casai, d'apprendre de M. de la Tour de la
manière qu'il y avoit fait servir l'artillerie, cpi'il com-
mandoit pendant le siège, et s'étoit acquis de l'honneur,
faisant sa diai^e de capitaine et major au régiment de
Courcelles^ à la sortie que fit faire M. de la Tour, en
même temps que M. le comte d'Harcourt attaqua et
força les lignes des ennemis.
Ayant pris congé de M. de la Tour et de mon fi^re,
tirées par des mortiers, pour envoyer des vivres et des rafrat-
chissements aux assiégés, par-dessus la ligne des assiégeants, et
qa'nn Espagnol adressa ainsi à sa maîtresse une bombe, char-
gée de cailles grasses, avec un billet dedans.
1. La capitulation fut signée, le 24 septembre, par le prince
Thomas, qai se retira à Ivrée. c La duchesse, revenue de
Chambéry, fit à Turin une entrée triomphale le 20 novembre.
Ainsi, le comte d'Harcourt couronna la fin de cette campagne
par la prise de Turin, qu'il avait si glorieusement commencée
par le secours de Casai, Tune et l'autre contre toute appa-
rence. » [Monglaty t. I, p. 296.)
2. Le régiment de Courcelles, levé en 1637 par Louis-
Charles de Champlais, baron de Courcelles, qui fut nommé
maréchal de camp en 1639, assista, en Italie, aux affaires de
Verceil, Cengio, Casai, la Route; mais, ayant reçu l'ordre, en
1642, d'aller en Allemagne, il déserta et fut cassé en 1643.
1640] MÉMOIRES DE SOUVIGNY. 61
je partis de Casai pour m'en retourner avec MM. de la
Cassagne, de Florimond et quelques autres officiers.
Nous pouvions avoir en tout vingt-cinq ou trente che-
vaux, quand nous rencontrâmes entre Cas* et Turin,
environ deux heures devant jour, que la nuit étoit fort
obscure, un parti des garnisons d'Ast, Villeneuve-d'Ast
et Verrue, qui emmenoit environ cent charrettes de
vin que Ton menoit à Turin. Le grand bruit que nous
fîmes en allant à eux et l'obscurité de la nuit leur ôtant
la connoissance de notre petit nombre, ils abandon-
nèrent leurs prises pour se sauver, et nous fîmes payer
à ceux qui étoient [restés] le vin, [et] un cheval qui
avoit été pris, en ce rencontre, à un capitaine du régi-
ment d'Huxelles*.
Ayant rendu compte à M. le comte d'Harcourt de
mon voyage de Casai, je m'en retournai à Quérasque,
où je trouvai tout en bon état.
Le 25* décembre de ladite année 1640, je reçus
ordre de M. le comte d'Harcourt de l'aller trouver à
Turin pour chose importante qu'il ne me pouvoit écrire.
Étant arrivé auprès de M. le comte d'Harcourt, il me
dit que c'étoit pour arrêter de la part du Roi M. le
comte Philippe d'Aglié, premier ministre d'État de
Madame Royale, que la chose devoit être exécutée dans
trois ou quatre jours. Je répondis que je tenois à grand
honneur d'être employé pour le service du Roi, en quoi
ce soit, et que je ferois toujours aveuglément toutes les
choses qu'il me conmianderoit à son particulier.
1. Gassino, rive droite du Pô, arr. de Turin.
2. Le régiment d'Huxelles, levé, en 1634, par Louis-Chalon
du Blé, marquis d*Huxelles, devint le 41" régiment d'infanterie
à la Révolution.
Gi MBMOIRK8 DE SOU¥I(»T. [1640
Je confesse pourtant [que], » c'eût été à moi à dioî-
sir, je n'aunns pas pris cette coaunissioa^ parce que
je savois fort bien le d^laisir qu'en auroit Madame,
à laquelle j'avois l'obligation de m'avcHr demandé pour
gouvameur de Quérasque, rt, de plus, que M. le comte
Philippe étoit fort de mes amis. Néanmoins, je ne
balançai point à me résoudre à l'exécuter, préférant
rd[)éissance et la fidélité que je dois, à mes intérêts par-
ticuliers. Mon frère de Ghampfort, avec qui je coudims
deux ou trois nuits, après avoir re^ ces ordres, s'âant
ap^*çu que je ne dormois point et ne faisms que sou-
pirer, m'en ayant demandé la cause, je la lui dis £ran-
diement, étant bien assuré de sa ferm^, ei m'en trou-
vai fort soulagé. Nous arrêtâmes ensemble que j'anrois
avec moi mon firère du Fresnay, de r^our de Gasal,
d&MX capitaines de mon régiment, mon cornette^, mon
maréchal des logis et M . de la Forest *, qui a èbéj dqrais,
capitaine au régiment de Lorraine, demeurant pour
lors avec moi.
Le dimanche, dernier jour de l'année 1640, que
toute la cour se préparoit pour danser un grand ballet,
M. le comte Philippe d'Âglié êLant allé souper avec
M. de Montpezat chez le président ZaCEeunon', — M. le
comte d'Harcourt m'ayant donné mes (M*dres, avec
M. d'Argencourt^, aide de camp, pour m'acccmipagnar,
1. Le cornette de sa compagnie de carabins.
2. n s*agit peut-être là de Balthazar de Charpin, comte de
la Forest-des-Halles, qui devint cousin de Souvigny par alliaiiee
et dont il est question à Tannée 1648.
3. Giovanni-Pietro Zaffarone, chevalier, fîit sjmdic de Turin
(1642-1643) et lieutenant de police de la même ville (1644-1646).
4. 11 pouvait être fils on parent de Pierre de Gontj d*Argen-
courte alors maréchal de camp. Voj. 1. 1, p. 112, acte 4,
1640] MÉMOIBES DE SOUYIGNT. 63
et M. le comte du Plessis sa compagnie des chevau-
légers pour me faire escorte, que je laissai à la porte,
— j'entrai dans le logis avec ledit sieur d'Argencourt,
mon firère et les autres que j'ai nonunés^. Je trouvai
M. le comte d'Aglié entre le marquis de Lullin^ et le
comte de Polonguières^. Je lui dis que j'avois un mot
à lui dire en particulier. En même temps M. d'Ârgen-
court et mon frère entrèrent dans la chambre. Je lui
dis que j'avois bien du déplaisir d'avoir ordre du Roi
de l'arrêter, que je ne pouvois faire du moins, qu'il ne
branlât pas, que j'étois en état de le faire par force, s'il
ne le vouloit de bonne volonté, et, conmie il voulut
dire qu'il n'étoit pas sujet du Roi, [qu']il ne devoit pas
obéir, et intéressoit ces messieurs à le défendre, je lui
fis voir ceux qui m'avoient suivi, en leur disant en peu
de mots ce que je devois, et, à M. d'Aglié, de descendre
promptement, que j'avois un carrosse tout près pour
lui. Il me demanda où je le voulois conduire. Je lui
répondis, en le pressant, que je [le] lui dirois à loisir.
Étant descendu du logis, je me mis auprès de lui au
fond du carrosse et M. d'Argencourt, et mon frère
1. Le Père Griffet [Hist. de Louis Xllî) dit à tort que d*Aglié
fut arrêté chez le comte du Plessis-Praslin. Garetta prétend
que ce fut chez M. de Montpezat, mestre de camp [Storia délia
Reggenza di Cristina di Francia), et donne un récit détaillé de
Tarresution.
2. Albert-Eugène de Genève, dernier représentant d'une
branche bâtarde des comtes de Genève, marquis de Lullin et
de Pancalieri, baron de la Bâtie, chevalier de TAnnonciade en
1638, mourut en 1663.
3. Costa di Polonghera, premier écuyer de la duchesse de
Savoie [Claretta, HI, 282).
64 MÉMOIRES DE S0UVI6NT. [1640
avec quatre autres sur le devant et aux pmiières, la
moitié de la compagnie de M. le marédial du Plessis
devant le carrosse, et l'autre moitié derrière.
Il fiit environ dix heures du soir quand nous arri-
vâmes dans la citadelle, à la porte du secours de laquelle
je devois trouver le baron des Prez^, avec trois cents
chevaux, pour m'escorter à Pignerol. En attendant qu'il
arrivât, [nous] nous allâmes chauffer chez M. le gou-
verneur de la citadelle^, faisant un froid extrême, dont
M. le comte Philippe étoit d'autant plus incommodé
qu'il n'avoit qu'un habit de ballet fort léger. Pendant
que je fis chercher quelque casaque pour le tenir plus
chaudement, il demanda permission d'écrire à Madame.
Je lui dis que je le voulois bien, mais que j'enverrois sa
lettre à M. le comte d'Harcourt toute ouverte. Il la fit
fort belle, en peu de mots, conunençant en ces termes :
€ Le dernier jour de l'année 1 640 et le premier de mes
disgrâces, j'ai été arrêté par M. de Souvigny et conduit
à la citadelle où je suis, > et témoignant beaucoup de
constance en cet accident, d'espérance en la protection
de Madame et en sa fidélité. Ayant envoyé sa lettre à
M. le comte d'Harcourt, M. le cardinal Mazarin^ me fit
tenir deux cents pistoles de la part du Roi pour mon
voyage, et, aussitôt que le baron des Prez parut avec
1. Pierre-Emmanuel de Noblet, baron des Prez, fils de CUade
et de Gaudine de Rébé, fut mestre de camp du régiment d'Au-
vergne du !•' mars 1647 à 1650.
2. M. de Couvonges, Yoy. plus haut, p. 3.
3. Mazarin, qui n*était pas encore cardinal, était pour lors
employé en Italie par Richelieu à différentes missions, notam-
ment à négocier avec les princes de Savoie en vue de les rame-
ner dans le parti de France.
1641] MÉMOIRES DE SOUYIGNY. 65
l'escorte, nous sortîmes de la citadelle et montâmes à
cheval pour Pignerol. J'en baillai un ^ à M. le comte
Philippe, qui avoit les jambes fidèles et alloit fort bien
le pas, sans se précipiter à la course. Je le mis entre
mon frère et moi, et mes officiers devant et derrière,
M. des Prez ayant aussi mis notre escorte en bon
ordre. Je lui laissai son épée et ses éperons, parce que
M. le comte d'Harcourt, à qui je demandai une ins-
truction de ce que j*aurois à faire, ne m'en voulut
jamais donner. Il remettoit tout à ma bonne conduite,
ce qui fut cause qu'après les précautions nécessaires à
ma sûreté, je lui fis toutes les courtoisies qu'il m'étoit
possible, de sorte qu'il ne paroissoit point être pri-
sonnier*.
\&4\.
M. de Maleissye^, gouverneur de Pignerol, nous
1. C'est-à-dire : Je baillai un cheval.
2. A propos de Tarrestation du comte d*Aglié, Monglat
écrit ce qui suit (Mémoires, t. I, p. 338) : « Comme les peuples
étoient naturellement portés au parti de leurs princes, qui
décrioient la conduite de Madame leur belle-sœur, et publioient
tout haut la trop grande privante que le comte d'Aglié avoit
avec elle, le Roi et le Cardinal, voyant que les avis qu'ils lui en
avoient donnés ne servoient de rien..., firent arrêter le comte
Philippe et conduire au château de Vincennes. d Cf. également
Richelieu, Testament politique ou Succincte narration.., du roi
Louis XIII, t. XI, p. 340, coll. Petitot. Il est aussi fréquem-
ment question de M. d'Aglié dans les Lettres, instructions,,, de
Richelieu, éd. Avenel, t. V, p. 877, 904, et VII, 363, 540. Les
instructions pour Tarrestation se trouvent dans la lettre au
comte d'Harcourt, t. VII, p. 823, les détails sur Tarrestation,
p. 840. On y a imprimé à tort Louvigny au lieu de Souvigny,
3. Henri Martin, marquis de Maleissye, fils d'un gouverneur
II 5
66 MÉMOIRES DE SOUVIGNT. [4641
ayant fait bonne chère le 2* [jour] de Tan 1644 *, je
pris la route par la vallée de Pragelas et allai loger à
Fenestrelle, de là à Briançon, à Embrun, Gap, Corps,
Vizille^. Je passai à Grenoble, où M. le duc de Lesdi-
guières^ me fit donner de ses gardes, et allai \og&r à
Moirans, de là à Ârtas^, Lyon, d'où j'écrivis à la Cour
le jour précisément que j'arriverois à Briare avec M. le
comte d'Aglié, afin d'y recevoir les ordres de ce que
j'aurois à faire. M. d'Alincourt me donna de ses gardes
pour passer dans son gouvernement, suivant les ordres
du Roi. J'en avois des semblables pour tous les gou-
verneurs des provinces par où je devois passer ; mais je
ne m'en servis pas, n'en ayant point besoin, parce que
mon escorte étoit assez forte. Je louai des chevaux à
Lyon pour tous et même pour porter les bardes de
M. d'Âglié, et payai tout.
Étant près de la poste de Bel-Air^ par delà Briare,
le courrier que m'envoya M. de Chavigny, secrétaire
d'État^, nous rencontra que nous parlions ensemble,
M. d'Aglié et moi, et me demanda si j'étois M. de Sou-
de la Capelle, gouyemeur des ville et citadelle de Pignerol
en 1633, maréchal de camp en ld37, lieutenant général en
1645, mourat en 1666.
i. Leî^ de tan iôki, addition aatographe.
2. Corps et Vizille, ch.-l. de cant., arr. de Grenoble.
3. Charles de Blanchefort, sire de Créquy, duc de Lesdi-
goières, époux de Madeleine de Bonne, était gendre du conné-
table de Lesdiguières, décédé en 1626.
4. Moirans, cant. de RItcs, arr. de Saint>Marcellin ; Artas,
cant. de Saint- Jean-de-Boumay, arr. de Vienne, Isère.
5. Bel-Air, comm. d'Arablov, cant. de Gien.
6. Léon Bouthillier, comte de Chavigny et de BoBançois,
secrétaire d*Éut et grand trésorier des Ordres do roi (lOOB-
16S2}, époasa Anne Phélypeaux. Il était ils de Claude Boathil-
1644] MÉMOIRES DE SOUVIGNT. 67
vigny. Je lui dis qu'oui et pourquoi il désiroit savoir,
en le tirant à part, m'en doutant bien. Il me dit que
c'étoit pour me remettre des ordres du Roi, avec une
lettre de M. de Chavigny. J'appris, par l'une et l'autre,
que je devois aller, par Fontainebleau, Gorbeil, Ville-
neuve-Saint-Georges* et Gharenton, conduire le comte
Philippe au château de Vincennes* et le remettre à
celui qui commandoit, lequel en ayant fait avertir, il
m'envoya ouvrir la porte du parc du côté de Gharen-
ton, par où je me rendis au château, où je lui remis
le comte Philippe, et m'en allai trouver M. de Ghavi-
gny, qui me présenta à M. le Gardinal, et en après au
Roi, qui fut satisfait de ma conduite. Quelques-uns
disoient que la cause de la détention de M. le comte
Philippe étoit parce qu'il s'étoit opposé, dans le con-
seil de Madame Royale, de remettre Montmélian au
Roi, parce que son frère en étoit gouverneur. D'autres
croyoient que c'étoit pour donner satisfaction à Mes-
sieurs les princes de Savoie, avec lesquels on avoit
commencé un traité qui s'acheva en après.
Quoi qu'il en soit, je fus parfaitement bien reçu du
Roi, de Son Éminence et de tous Messieurs les
ministres, spécialement de M. de Noyers^, qui me dit
qu'il avoit ordre de me bailler un brevet de pension
lier, seigneur de Pont-sur-Seine, secrétaire d'État et surinten-
dant des Finances.
1. Villeneuve-Saint-Georges, cant. de Boissy- Saint-Léger,
arr. de Corbeil, Seine-et-Oise.
2. Le château ou plutôt le donjon de Vincennes, depuis
Louis XI, n'avait pas cessé d'être prison d'État.
3. François Subiet, sieur de Noyers, baron de Dangu, surin-
tendant des bâtiments, intendant des finances, secrétaire d'État
en 1636, mort en 1645.
68 MÉMOIRES DE SOUYIGNT. [1641
de deux mille livres, et une ordonnance de les recevoir
comptant, conmie je fis^. Il me bailla aussi dix-sept
commissions en blanc, pour dix-sept compagnies de
mon régiment, ne m'ayant gardé que trois du régiment
de la Rochette que le Roi m'avoit donné, avec les
ordres de l'argent et des routes pour aller à Quérasque ;
et, parce que je n'étois pas bien assuré que tous les
capitaines fissent leurs compagnies si fortes qu'ils
étoient obligés, je fis faire quatre recrues à mes dépens
pour suppléer au défaut qui pouvoit arriver. Cette pré-
caution ne fut pas inutile, parce que Saint-Vivien,
neveu [de] feu M. de la Rochette, qui étoit en assez
bonne réputation jusques alors, n'a point paru depuis
qu'il reçut l'argent pour lever sa compagnie, et que
Lalanne, quoiqu'estimé honune de service parmi les
troupes de Son Altesse Royale, où il avoit demeuré
longtemps, ne se rendit point à sa compagnie. Il y
envoya seulement un lieutenant, avec dix ou douze
soldats. Je leur fis bien faire le procès à tous deux;
mais, au lieu de m'attacher à le faire exécuter, je ne
pensai qu'au plus pressé pour le service du Roi. Je
donnai donc lesdites deux compagnies à MM. d'Ho-
son et de Gervais, avec les soldats que j'avois
levés à mon particulier, et, comme je vis que
M. Speaute, de Grenoble, avoit une maladie qui l'em-
pêchoit de pouvoir servir, je le disposai à quitter et
baillai sa compagnie à M. de Brunières, que j'avois vu
1. On trouve aux Archives nationales (P2682, Plumitif de la
Chambre des comptes, années 1641-1643) : « De Gaignières;
pension de 2,000 livres pour Jean de Gaignières, sieur de Sou-
vigny, aide de camp es armées du Roy, à prendre à TÉpargne. »
Vérifié en la Chambre des comptes le 26 février 1641.
1641] MÉMOIRES DE SOUVIGNY. 69
servir dans le régiment de Sault avec honneur et
estime. Ce changement me coûta deux cents livres que
je baillai de bon cœur.
Ayant été trouvé le Roi à Chantilly, il me demanda
exactement ce que je savois du comte Philippe,
Sa Majesté disant qu'il me vouloit faire du bien. M. de
Cinq-Mars* étant survenu là-dessus, Sa Majesté parla
plus haut et plus indifféremment, me demanda les par-
ticularités de mon voyage et s'il n'étoit pas vrai que le
comte Philippe jouoit bien du violon. Je répondis que
je l'avois bien remarqué à Tarare 2, où les violons du
lieu nous ayant donné des aubades, pendant qu'ils
allèrent boire le comte Philippe prit un violon, et
Rousseau, valet de chambre de Son Altesse Royale, un
autre, les portes fermées. Les joueurs de violon du lieu
et plusieurs personnes, qui s'étoient assemblées au
bruit, furent étonnées d'entendre si bien jouer : t Eh
bien ! dit^ le Roi à M. de Cinq-Mars, ne vous l'ai-je pas
dit? > Après cela, M. de Cinq-Mars m'amena dîner avec
lui. M. de Vaillac* s'y trouva aussi, et un autre. M. de
1. Henri Coi£Qer, dit Ruzé d'E£Qat, marquis de Cinq-Mars,
deuxième fils d'Antoine Coiffier, dît Ruzé, marquis d'Effîat,
maréchal de France, et de Marie de Fourcy (1620-1642), grand
maître de la garde-robe du Roi, grand écuyer de France, fut
décapité à Lyon Tannée suivante.
2. Tarare, ch.-l. de cant., arr. de Villefranche, Rhône.
3. Il y a dans le texte : ce dit.
4. M. de Vaillac, mestre de camp, fut tué au siège de Lérida
en 1646. Il peut aussi s*agir ici de son fils Jean-Paul Ricard
de Gourdon de Genouillac, comte de Vaillac (1621-1681), mestre
de camp à la mort de son père, maréchal de camp en 1650,
lieutenant général en 1655, premier écuyer de Monsieur en
1656, chevalier des Ordres du roi, chevalier d'honneur de la
duchesse d'Orléans.
70 MÉMOIRES DE SOUVIGNY. [1641
Cinq-Mars nous servit tous trois de tout ce qu'il y eut
sur la table, excepté d'une langue de chevreau que le
Roi lui envoya.
Sa Majesté, m'ayant donné un brevet de maître
d'hôtel*, ne voulut point que je prêtasse le ser^
ment entre les mains de M. le comte de Soissons,
grand maître de France^, qui étoit pour lors à Sedan
et me donna un autre brevet de dispense de serment,
attendu que Sa Majesté me renvoyoit promptement
delà les monts.
Je pris congé du Roi, de Son Éminence et de Mes-
sieurs les ministres environ le 1 5® mars, et allai rendre
mes devoirs à Monsieur mon père et à Madame ma
mère, qui m'en témoignèrent beaucoup de joie, ayant
demeuré plus de cinq ans sans l'honneur de les voir.
J'ai remis à Monsieur mon père la sonune que feu M. de
Beauregard, mon oncle, lui avoit léguée par son tes-
tament que j'avois retirée de M. Bay^, de Lyon, avec
celle qu'il me devoit qu'il lui avoit baillée à garder, et,
après avoir demeuré environ quinze jours avec eux et
reçu la bénédiction de mon père, qui fut pour la der-
nière fois, ils me donnèrent congé de retourner à mon
gouvernement; mais ce ne fut pas sans répandre bien
des larmes à mon départ. J'eus bien de la peine à m'en
1. Voir, à l'Appendice, 3* volume, les détails sur le service
de maître d*hôtel du Roi.
2. Louis de Bourbon, comte de Soissons (1604-1641), fils de
Charles de Bourbon, comte de Soissons, et d'Anne, comtesse
de Montafié, lieutenant général, conspira avec Cinq-Mars et fut
tué au combat de la Marfée, le 6 juillet de la même année,
sans avoir été marié.
3. M. Bay pouvait être le père de Louis Bay de Caris, de
Lyon, écuyer, secrétaire du roi.
1641] MÉMOIRES DB SOUVIGNY. 71
consoler jusques à Lyon, où je reçus l'argent des com-
pagnies de mon régiment et, à Grenoble, les routes de
M. le duc de Lesdiguières pour le Daupbiné.
En ce temps-là, j'étois sollicité par une personne de
qualité et de mérite que j'honorois bien fort, d'épouser
sa nièce, personne de vertu et de beauté. Je l'aurois
tenu à grand bonheur si mon inclination m'y avoit
porté et que Monsieur mon père, qui me vouloit retirer
auprès de lui et avoit en main un parti considérable
pour moi, y eût voulu consentir. Cela n'étant pas, je
dis ma pensée à M. de la Garde du Mas^, mon fidèle
ami, que je priai de m'en débarrasser le plus civilement
qu'il se pourroit faire, m'excusant sur ce que j'étois
pressé et n'avois pas le temps d'avoir le consentement
de Monsieur mon père. La chose étant faite le [moins]
mal qu'il nous fût possible, je ne songeois plus qu'à
faire de bonnes troupes et à passer les monts, lorsque
M. de la Garde du Mas me dit tant de bien des rares
vertus de M"® Anne du ChoP, nièce de M. l'archevêque
de Vienne^, qu'il m'engagea à la rechercher. Si les
1. M. de la Garde, dont la seigneurie de la Garde du Mas
passa par alliance à la maison de Simiane, était, en 1638, capi-
taine au régiment d'Auvergne, et avait alors pour enseigne
Claude de Trocezard, qui devint beau-frère de Souvigny. Voy.
ci-dessous, p. 73.
2. Anne du Chol, baptisée à Longes le 14 août 1622, décédée
à Lyon le 6 mars 1659, fille de Claude, seigneur de la Jurary,
de la Combe et de la maison forte de Longes, écuyer, et de Louise
de Villars.
3. Pierre de Villars, éyêque d'Éphèse, archevêque de Vienne
(1626-1662), frère de Louise de Villars; voir note suivante.
Cf., sur l'origine de la famille de Villars, Histoire et généa-
logie de la famille de Villars, par H. de Terrebasse, manus-
72 MâMOIRES DB SOUYIGNY. [1641
discours de M. de la Garde m'en rendirent amoureux,
je le ftis bien davantage quand je reconnus qu'il ne
Tavoit pas assez dignement louée. Après qu'il eût [fait]
agréer ma recherche, par l'avis de Madame sa mère*,
de M. l'archevêque de Vienne et de M. de Villars*, ses
oncles, dans dix ou douze jours notre mariage fut
conclu avec notre grande satisfaction et [celle] de toute
la famille.
J'ai laissé à M. de la Garde du Mas le soin de faire
dresser les articles de notre contrat de mariage, après
avoir fait entendre que la personne de ma maltresse
m'étoit plus chère que tous les biens du monde, cpie
je n'avois qu'une chose à leur demander, qui étoit de
faire en sorte que notre contrat fût si bien expliqué
qu'il n'y eût aucune matière de procès, que je ne
voulois rien avoir à faire avec toute la parenté que les
servir : t Vous n'aurez rien à craindre pour cela, ce
me dit-on, d'autant que la mère, en faveur du mariage,
donne ses biens à sa fille, se réservant seulement une
pension viagère que tous ses frères et sœurs lui
donnent, aussi tous les biens qu'ils peuvent prétendre
crite, et Tîntroduction aux Mémoires du maréchal de VUlarSy
publiés par le marquis de Vogiié, ainsi que le Tableau généa-
logique, t. VI, p. 168 du même ouvrage.
1. Louise de Villars, fille de Claude IV de Villars et de
Jeanne de Fay-Virieu, épousa : 1^ en 1597, Christophe Harenc,
seigneur de la Condamine et de Trocezard, dont elle eut quatre
fils et trois filles; 2'' Claude du Chol, fils de Claude et de
Gabrielle de la Forest, d'où une fille unique, Anne du Chol,
dame de Souvigny.
2. Claude V de Villars, baron de Masclas, frère de Louise
de Villars, fut grand-père du maréchal de Villars et mourut
en 1662.
i64i] MÉMOIRES DE SOUVIGNT. 73
de l'hoirie de leur père*. > Je ne m'informai pas autre-
ment, sinon que lesdits biens consistoient en la maison
de Trocezard*, rente noble, et neuf domaines en dépen-
dant qui étoient en décret^, et la maison forte de
Longes^, rentes nobles et domaines en dépendant qui
appartenoient à ma maîtresse à son particulier, conune
étant de la succession de feu noble Claude du Ghol,
son père, duquel elle étoit fille unique. Lesdits biens
nous ayant été donnés par notre contrat de mariage à
condition que je paierois vingt-quatre mille livres des
dettes dont ils étoient chargés, M. Melchior Harenc
de la Gondamine, doyen de l'église de Saint-Pierre de
Vienne, et M. Nicolas Harenc de la Gondamine, frères
utérins de ma maîtresse, fils de feu M. de Trocezard,
auquel M"® Louise de Villars, ma belle-mère, avoit été
mariée en premières noces, agréèrent et approuvèrent
ladite donation des biens de leur père et la signèrent.
M. l'archevêque de Vienne fit pareille donation pour
M. Glande de Trocezard, capitaine au régiment d'Au-
vergne, absent, lesquelles donations ils ont tous du
depuis ratifiées. Mondit sieur l'archevêque fit la dona-
tion de la mère, sa sœur, en vertu de sa procuration,
et de plus donna à ma maîtresse la part et portion de
noble Jacques Harenc de la Gondamine, aîné des
enfants de Trocezard, selon le transport qu'il lui en
1. Christophe Harenc, seigneur de la Gondamine et de Tro-
cezard, fils d'André et de Michelle de Fay.
2. Aujourd'hui Trois-Césars, comm. de Marcenod, cant. de
Saint-Galmier, arr. de Saint-Etienne, Loire; c'était alors une
seigneurie de la paroisse de Saint-Christophe-en-Jarrez.
3. C'est-à-dire : qui étaient hypothéqués et devaient être
vendus pour être libérés d'hypothèques.
4. Longes, comm. du cant. de Condrieu, arr. de Lyon.
74 MÉMOIRES DE SOUVIGNY. [1641
avoit passé, et lui donna aussi tous les droits qu^avoient
les filles de TrocezardS auxquelles il avoit baillé de
quoi se faire religieuses, de sorte qu'il sembloit qu'il
n'y avoit rien à dire.
Mais il n'étoit pas raisonnable que je n'eusse quelque
petit déplaisir, pour modérer la paix et le plus grand
bonheur qui me pouvoit arriver au monde d'épouser
une personne d'un mérite et d'une si rare vertu, dont
je ne saurois assez dignement parler. Notre contrat
étant signé, je fus averti du dessein des ennemis d'at-
taquer Quérasque, ce qui m'obligea de faire trouver
bon à ma maîtresse et à toute la parenté de différer
notre mariage, afin de m'en aller jeter promptement
dans Quérasque pour me défendre; ce qui ayant été
approuvé de tous, je fis sur moi-même une violence
extrême en préférant le service du Roi à mon amour,
et, m'étant rendu en diligence à Quérasque, je conver-
tis tous mes soins à mettre la place en bon état et for-
tifier mon régiment, qui étoit resté seul avec ma com-
pagnie de carabins, M. le comte d'Harcourt en ayant
retiré toutes les autres troupes. Il me fit espérer cinq
cents hommes de renfort.
Au lieu de me payer de capitaine de carabins de
mon quartier d'hiver, qui étoit bien étabU en des
terres proches de Quérasque, mon lieutenant me pré-
senta une liste de la dépense qu'il avoit faite pour la
maintenir*, n'ayant eu aucune subsistance des quartiers
que l'on lui avoit donnés à Monbarquier^ et à
1. Louise, religieuse à Feurs; Antoinette; et Gabrielle, qui
épousa Antoine Baronnat, sieur de Soleymieu.
2. C'est-à-dire : maintenir ma compagnie de carabins.
3. MombarcarOy arr. de Mondovi^ prov. de Coni.
1641] MÉMOIBES DE SOUVIGNY. 75
Bagliasque^, dans les Langues, au delà de Mulassan^,
et de Robin^, qui tenoient pour les ennemis; de sorte
qu'au lieu de Targent qui m'étoit dû, il m'en fallut
rendre ce qui avoit été avancé à ma compagnie, et
bailler de l'argent pour la faire subsister, parce qu'elle
étoit fort bonne, composée des sergents et caporaux
qui avoient été réformés à Quérasque. Je crois pour^
tant que ce fut la faute de mon lieutenant, auquel on
auroit maintenu mes quartiers ou donné d'autres,
d'autant que M. le cardinal Mazarin, me donnant des
ordres particuliers de la Cour pour la détention du
comte Philippe, me fit l'honneur de me dire qu'il se
vouloit charger de ce que j'aurois à faire en Piémont,
auquel je répondis que je n'avois point d'autre affaire
que de faire subsister ma compagnie de carabins dans
ses quartiers, ce qu'il me promit [de] faire; mais il ne
me l'a pas obtenu faute d'avoir été averti.
Lorscpie M. le comte d'Harcourt s'achemina pour
aller assiéger Coni, il me promit encore cinq cents
hommes, quand il en auroit fait la circonvallation,
dont mon frère de Champfort, qui y commandoit l'ar-
tillerie, l'ayant ressouvenu et instamment supplié, n'en
put obtenir autre chose sinon qu'il enverroit le marquis
Ville, avec la cavalerie et quelques mousquetaires com-
mandés, au-devant des ennemis qui couvrirent ma
place. Effectivement, il m'envoya deux compagnies de
carabins, savoir celle de Santus et de Rat.
Le i 8 d'août 1 641 , j'eus plusieurs avis, spécialement
1. Bossolasco, arr. d'Albe.
2. Murazzano, arr. de Mondovi.
3. Roddino, arr. d'Albe.
76 MÉMOIRES DB SOUVI6NT. [!64i
du parti envoyé à Céiîsoles^, que M. le prince Thcmias
de Savoie avoit joint son armée et œlle de M. le prince
Maurice, son frère, à celle du roi d'Espagne, dont il avoit
détaché cinq mille cinq cents chevaux et quatre mille
mousquetaires, sans canons ni bagages, mais avec
quantité d'armes de main, pétards et échelles, haches,
pics à roc et autres instruments d'attaque, faisant courre
le bruit que c'étoit pour secourir Coni. Sa feinte marche
m'auroit pu surprendre si je n'avois bien su qu'il
lui étoit impossible de secourir Coni, et [je] fus d'au-
tant plus persuadé qu'il ne pouvoit avoir autre motif
que d'attaquer Quérasque, parce qu'il ne pouvoit faire
prise plus considérable ni qui lui donnât plus de con-
solation de la perte de Coni, qu'il n'y avoit nulle appa-
rence qu'il fit aucune tentative sur Albe, Carmagnole,
Saviglian et Fossan, dont les garnisons étoient extraor-
dinairement fortes.
n n'y avoit dans Quérasque que les deux dites com-
pagnies des carabins et la mienne et mon régiment
d'infanterie, dont il restoit environ quatre cents
honunes sur les armes, le reste étant malade ou en
garde dans les châteaux de Montèche, Pollenzo et
Sainte- Victoire*, la place si grande qu'il y falloit dix-
huit corps de garde, et en si mauvais état que les for-
tifications conunencées étoient autant de logements à
favoriser les attaques des gens de main, les fraises et
palissades pourries et le terrain graveleux. Les bastions
et courtines s'étant écroulés, les couches de fascines
1. Ceresole d*Alba, arr. d*Albe.
2. Monticello, Santa-Vittoria et Pollenzo, villages au nord du
Tanaro, entre Cherasco et Albe, arr. d'Albe, prov. de Coni.
4641] MÉMOmSS DE SOUYIGNY. 77
étoient autant de degrés pour y monter, et, outre* tous
ces manquements, il y avoit à craindre du dedans,
parce que plusieurs habitants, officiers dans les troupes
de M. le prince Thomas, soUicitoient secrètement leurs
parents et amis de soulever le peuple contre la garni-
son de Quérasque, [et de] se rendre maîtres de quelque
poste pour le recevoir dans la ville, à l'exemple de
plusieurs autres lieux où il avoit été bien reçu.
Ces raisons et plusieurs autres m'ayant fait croire
que je n'a vois point de temps à perdre, je départis les
portes aux dix-neuf compagnies de mon régiment
dans la ville et au dehors, la mienne étant dans le
château. Je redonnai les armes aux habitants que
j'avois désarmés par ordre du Roi, et divisai en quatre
compagnies ceux de l'âge depuis quinze ans jusqu'à
soixante, et mis à leur tète les sieurs Secondin, Bocca,
Fogliaco. Je donnai rendez-vous à la noblesse de la
ville au bastion del Garin et, après une belle exhorta-
tion de bien servir le Roi, Son Altesse Royale leur
prince souverain. Madame Royale, sœur de Sa Majesté,
tutrice et régente de l'État, en cette importante occa-
sion où il s'agissoit de la conservation de leurs privi-
lèges, de leurs biens, de leurs vies, de l'honneur de
leurs femmes et filles, et qu'ils m'eurent promis de
bien faire leur devoir, je les envoyai séparément en
divers postes, mêlant partout les habitants avec les
gens de guerre.
Je divisai les trois compagnies des carabins en six
brigades, savoir deux en dehors, deux à la Place
d'armes, dont l'une devoit faire incessanunent
1. Il y a dans le texte : et qu'outre.
78 MÉMOIBES DE SOUVIGNY. [1641
patrouille par les nies pour empèdier qudque secrète
assemblée, l'autre demairant ferme à la Place d'armes
avec les cent hommes de pied divisés en quatre pelo-
tons, pour secourir où il seroit de besoin. Les deux
autres brigades de carabins, avec chacune un trom-
pette, eurent ordre de faire continuellement ronde
croisée entre les murailles et les maisons de la ville, —
où la distance est si grande que Ton y peut marcher en
escadron et mettre pied à terre où les ennemis auroient
fait brèche ou [pu] entrer dans la place par escalade, —
et se servir des armes de main que je fis mettre à cette
intention. Je fis charger toutes les pièces de cartoudies
à balles de mousquet et pointer, de sorte qu'elles
pussent raser et défendre les courtines et faces des
bastions.
Je fis couper la grande allée de mûriers, depuis la
porte Narsole^ jusqu'à la chapelle Saint-Jacques, où
les ennemis se pouvoient mettre à couvert, et des
branches desdits mûriers, qui étoient fortes, je fis faire
une haie dans le fossé pour suppléer au défaut des
mauvaises palissades, prendre toutes les charrettes qui
étoient dans la ville, avec des pièces de bois pour bar-
ricader en dedans. A l'Ëspade *, dont la muraille en plu-
sieurs lieux est bâtie avec des gros cailloux qui ne font
aucune liaison, sans aucun flanc, la tenaille que j'avois
commencée devant n'étant pas en bonne défense, je ne
mis qu'un sergent et dix mousquetaires avec ordre de
se retirer après leur première salve. Je fis condanmer
i. Le village de Narzole est à quinze kilomètres au sud de
Cherasco.
2. Espade semble avoir été mis là pour Esplanade, terrain
vide compris entre la citadelle et les maisons de la ville.
i64i] MÉMOIRES DE S0UVI6NT. 79
et terrasser les portes Saint-Martin et de Cervières*,
mettre trois cents mousquets chargés et trois cents
piques de réserve, et autant de bandoulières garnies,
avec poudre, balles et mèches, tant à la Place d'armes
qu'aux autres postes, pour s'en servir au besoin, fermer
les églises et couvents, et défendre aux supérieurs d'y
recevoir d'autres personnes que les vieux honmies et
vieilles femmes et enfants que j'y avois fait retirer, et,
pour me servir de tout en cette occasion, je disposai
les dames et autres femmes de la ville à faire des bri-
gades entre elles pour porter des pierres aux postes
où étoient leurs parents, et du vin pour les rafraîchir.
[Je] fis mettre du feu, des lumières aux fenêtres, et
observer silence partout, [porter] des pots à feu et gre-
nades aux endroits où la muraille étoit mal flanquée,
donnai ordre à M. de Joux, lieutenant de Roi, de
prendre garde au dedans de la ville, et à M. de Rives,
major, au dehors, et me réservai de me trouver par-
tout où il seroit nécessaire.
Les ordres susdits ayant été promptement et ponc-
tuellement observés, le 20® de ce mois 1 641 , à l'entrée
de la nuit, les sieurs Barthélémy Rat, capitaine de
carabins, et le sieur de la Melue, mon lieutenant, me
rapportèrent qu'ils avoient combattu quelque temps
contre l'avant-garde des ennemis au passage de la
Sture, àCervières, trois milles au-dessus de Quérasque,
dont ils amenèrent quelques prisonniers, entre autres
un garde de M. le prince Thomas, qui dirent tous
qu'ils nous venoient attaquer, et, comme ils se mettoient
1. On trouve, à la Bibliothèque nationale, un plan de Che-
rasco à cette époque, Cabinet des estampes.
80 MÉMOIRES DE S0UVI6NT. [1641
en bataille à la vue et hors de la portée du canon de la
place, je fis mettre le feu à la cassine du médecin
Moret pour les empêcher de s'en prévaloir, et me servir
de la clarté du feu du fourrage dont elle étoit pleine
pour mieux voir dans le fond du vallon, au-dessous du
bastion de Garin. [Je] défendis aux canonniers de ne
point mettre le feu à leurs pièces, et aux mousquetaires
de ne point tirer, que les ennemis ne fussent au pied
des murailles ou attachés aux palissades, ce qui fiit
exécuté de telle sorte qu'il demeura sur la place du
premier salut la plupart de ceux qui commencèrent le
combat. En même temps, je fis faire de grands cris de
Vive le Roi! aux bastions du dehors et aux portes de
toute la ville pour animer davantage les soldats et
habitants.
En suite de quoi, les corps ennemis qui dévoient
soutenir la première [attaque] donnèrent aux bastions
et courtines de Saint-Jacques, de Son Altesse Royale
et de Madame Royale, à une fausse porte du château,
à la courtine d'entre le château et la porte Saint-
Martin, entre la porte Saint-Martin et l'Espade, à TEs-
pade où ils se rendirent maîtres de la tenaille et per-
cèrent la muraille, entre l'Espade et Relvédère, entre
Relvédère et la porte Cervières, à la porte Cervières et
le Vallon, où l'on avoit commencé une demi-lune, et
entre le bastion Sainte-Marguerite et le Garin; et,
ayant posé en divers lieux plus de cinquante échelles,
le combat fut opiniâtre. Plus de trois heures en après,
ils furent finalement repoussés de tous côtés, à quoi
contribua beaucoup la bonne intelligence que j'avois
établie entre la garnison et les habitants, qui combat-
toient conjointement ensemble avec union et génère-
1641] MÉMOIRES DE S0UVI6NT. 81
site, si bien qu'étant secourus par la cavalerie qui met-
toit pied à terre et les corps d'infanterie de réserve,
non seulement ils défendirent les brèches, mais encore
les fermèrent à la présence des ennemis avec des char-
rettes et pièces de bois qui avoient été préparées à
cet effet; et [les assaillants] furent contraints d'aban-
donner le pied de la muraille par les pots à feu et gre-
nades. Il n'en restoit plus que quelques-uns entre
l'Espade et la porte Saint-Martin, qui ne pouvoient être
vus d'aucun flanc. Je fis sortir sur eux vingt-cinq cara-
bins, armés de hallebardes, qui les en délogèrent.
Alors, les ennemis voyant paroître la pointe du jour,
ils se retirèrent à la faveur de leur cavalerie, laissant au
pied de nos murailles et dans nos fossés quantité de
morts et de blessés avec leurs armes, pétards, échelles
et autres instruments d'attaque; et s'étant mis en
bataille à la plaine d'entre Quérasque et Bène, où
M. le prince Thomas tint conseil avec les marquis de
Caracène*, deBagnascoetDon Maurice, [pour] savoir
s'ils dévoient redonner ; et, comme nous étions pré-
parés à les bien recevoir, il vint un trompette qui
demanda à me parler de sa part, auquel je ne fis point
d'autre réponse, sinon qu'il se retirât promptement
ou qu'autrement je lui ferois tirer, estimant que je ne
devois avoir aucune communication avec les ennemis
tant qu'ils seroient en bataille à la vue de la place, et
d'autant plus que cela pouvoit faire un mauvais effet
envers les habitants, qui avoient de leurs parents et
amis parmi eux. C'est pourquoi je renvoyai ce trom-
1. Don Luis de Benavidès, marquis de Caracena, devint gou-
verneur du Milanais en 1648 et des Flandres en 1659, puis
maréchal de Castille et conseiller d'État; il mourut en 1668.
n 6
82 MÉMOIRES DE SOUVIGNY. [1641
pette promptement, et, étant retourné à M. le prince
Thomas, il fit défiler son armée par le même chemin
qu'ils étoient venus, emmenant avec eux soixante-ei-
dix charrettes, qui étoient chargées des corps de plu-
sieurs capitaines, officiers, cavaliers et soldats blessés.
L'on fit état qu'ils ont perdu plus de neuf cents
honmies en cette occasion de morts et blessés, et nous
le sieur Barthélémy Rat, de qui on ne sauroit assez
estimer la valeur*, environ vingt-cinq soldats, trois
habitants, et cinquante de blessés.
Et comme M. le prince Thomas se fut retiré à Bra*
avec son armée, à la réserve de deux mille chevaux
qu'il laissa à la plaine, entre Quérasque et Bène, je
baillai le meilleur de mes chevaux au sieur de Saint-
Orange^, pour passer à travers les deux mille des enne-
mis, et aller avertir M. le comte d'Harcourt, lequel,
ayant été bien informé de ce qui s'étoit passé et de
l'état auquel nous étions, fit détacher incontinent après
trois cents chevaux et cinq cents honmies de pied pour
se jeter dans Quérasque, et en donna la copduite à
M. de la Motte, mon frère, capitaine au régiment d'Au-
vergne, avec M. de Bessèges.
Cependant, je fis chanter le Te Deumy pour rendre
1. a Le sieur Barthélémy Rat, capitaine de carabins, après
avoir fait des merveilles pour la défense de cette place qui
estoit le lieu de sa naissance, fut tué d'une mousquetade par
un trou que les ennemis avoient fait à la muraille, d*où il
les chassa plusieurs fois, Tépée à la main » [G<izette de France^
année 1641, p. 627).
2. Bra, arr. d*Albe, prov. de Coni.
3. Le sieur de Saint-Orange fut blessé, au mois de novembre
de la même année, au siège de Tortone (Gazette de France^
année 1641, p. 1176).
i64i] MÉMOIRES DE SOUVIGNY. 83
grâces à Dieu de notre victoire ; mais je ne m'amusai
pas tant à la cérémonie des feux de joie, qu'après
avoir donné ordre de panser les blessés, je ne fis
promptement réparer les brèches et nous mettre en
état de soutenir d'autres assauts, ne doutant pas que
M. le prince Thomas ne revînt nous attaquer, quand le
reste de son armée l'auroit joint, si nous n'étions
secourus; à quoi je ne voyois point d'apparence,
sachant bien que M. le comte d'Harcourt ne le pouvoit
faire sans lever le siège de Goni, et que les cinq cents
hommes de pied et les trois cents chevaux, comman-
dés par M. de la Motte, mon frère, et M. de Bessèges,
— que j'avois avis que M. le comte d'Harcourt avoit
détachés pour me secourir, — ne pourroient passer.
Ils servirent pourtant utilement lorsqu'ils tentèrent le
passage, parce qu'ils obligèrent les ennemis à mettre
ensemble leurs deux mille chevaux pour s'y opposer
du côté de Bène, [et] lever la garde du côté d'Albe,
d'où M. Renat Royer\ gouverneur de la ville, avoit
conmiandé M. de Morges, capitaine au régiment de la
Tour 2, avec cent hommes guidés par le prieur de Ver-
dun, qui se mit à leur tête pour l'afiFection qu'il avoit
pour moi, lesquels entrèrent dans Quérasque sans dif-
ficulté.
Pendant les quatre jours que M. le prince Thomas
séjourna à Bra et que Quérasque se trouva investi, je
fus averti que ceux de la ville qui étoient dans l'ar-
mée, continuoient à solliciter et séduire leurs parents
1. Le comte Renato Roero.
2. Le régiment de la Tour, levé en 1628 par Philippe de
Torcy, marquis de la Tour, fut donné, en 1652, à Jean de
Schulemberg, comte de Montdejeu, et licencié en 1668.
84 MÉMOIRES DE S0UVI6NY. [1641
et amis pour leur livrer quelque poste, ofib*ant de
grandes récompenses, ou du moins qu'ils se retirassent
dans les églises, parce qu'il n'y auroit point de quar-
tier pour ceux qui seroient trouvés les armes à la main.
Je dissipai bientôt non seulement cette pratique, mais
je persuadai encore par mes discours tout le peuple à
se bien défendre, leur faisant entendre que M. le mar-
quis de Ville* avoit été détaché de l'armée de M. le
comte d'Harcourt avec toute la cavalerie, mais qu'il
ne paroitroit point que celle des ennemis ne fût
derechef engagée à une nouvelle attaque, afin de les
tailler en pièces, si bien que nous n'avions qu'à soute-
nir le premier état pour participer à la gloire de cette
entière victoire. Ainsi il ne fallut pas grands discours
à ce peuple, qui étoit affectionné pour moi, à le per^
suader de bien faire.
M. le prince Thomas, ayant augmenté son armée de
quelques compagnies d'ordonnance de Piémont et des
milices de Bra, Sanfré, Sommarive del Bosque, Gara-
magne, Gavalinesnes et Raconis^, donna ses ordres
pour retourner attaquer Quérasque et fit reprendre à
son armée le même chemin qu'elle avoit fait la pre-
mière fois, savoir de Bra passer le gué de la Sture au
même lieu, laissant néanmoins ceux qui dévoient faire
l'attaque du côté de Bra vers les cassines de la Fresca.
1. Ghiron Francesco Villa, marquis de Ciglione, gouverneur
d'Asti, obtint en France des lettres de naturalité en 1648.
Maréchal de camp la même année, lieutenant général en 1653
au titre français, maréchal de camp général dans Tarmée de
France et de Savoie, il mourut en 1670.
2. Sanfre, Sommariva del Bosco, Garamagna, Cavallerleones,
Racconigi sont des bourgs et villages groupés à une journée de
marche au nord-ouest de Gherasco, arr. d'Albe.
1641] MÉMOIRES DE SOUVIGNY. 85
Pendant ce temps-là, j'employai le temps pour la con-
servation de la place en réparant les brèches qu'ils
avoient faites, raccommoder les fraises et palissades
des bastions, à départir les postes des soldats et habi-
bants, mettre l'artillerie en état, préparer feux d'arti-
fice et toutes les choses qui pouvoient servir à la
défense de ladite place, faisant entendre à un chacun
qu'infailliblement nous serions secourus, quoique nous
n'en avions pas de besoin, que j'avois mis un corps
de réserve des cent hommes venus d'Albe et que nous
étions assez forts sans cela, et fis faire les prières et
crier Vive le Roi! partout.
L'armée se trouvant sur la plaine au côté de Bène
prête à donner, M. le prince Thomas envoya me som-
mer pour la deuxième fois. Je répondis que je tien-
drois à grand honneur qu'il nous voulût encore atta-
quer, étant bien préparés à le recevoir, et, pour faire
connoître ma résolution, je fis mettre le feu à deux
cassines proches de nos murailles pour se servir de la
lumière que donneroit le feu des fourrages dont elles
étoient pleines, comme j'avois fait, à la première
attaque, à celle du médecin Moret, d'autant que la lune
ne devoit [se] lever qu'à deux heures de nuit; ce qui
fut de telle utilité que l'on vit toute la nuit aussi clair
dans la place et dans le vallon qu'en plein midi.
M. le prince Thomas, ayant appris par son trompette
que je ne voulois pas ouïr parler de capitulation, se
résolut de faire un dernier effort pour emporter la
place, espérant y réussir mieux que la première fois,
d'autant plus qu'il avoit rassemblé toutes ses forces.
Ainsi, le S4® août 1 641 , toutes ses troupes ayant ordre
de ce qu'elles avoient à faire, il ne fit que donner le
86 MÉMOIRES DE SOUVIGNY. [i64i
signal de l'attaque générale, qui coramença incontinent
après, savoir aux raêmes lieux et endroits qu'ils avoient
fait la première fois. Avec des pinces et presses de
fer, des pics à roc, [ils] posèrent plus de soixante
échelles, firent sept brèches aux murailles, renver^
sèrent et arrachèrent la plupart des palissades et
fraises, forcèrent la demi-lune de Beaulieu, et, comme
ils se servirent de toutes leurs troupes pour redoubler
leurs efforts et opiniàtrer le combat, je fus aussi con-
traint de me servir de tous les petits corps que j'avois
réservés. Ainsi il n'y avoit pas un officier, cavalier,
soldat et habitant qui ne fût aux mains avec les enne-
mis, en toutes les parties de la place.
Les églises retentissoient des prières du clergé et
des vœux des vieux hommes, vieilles fenmies et enfants
pour le salut conmiun. La victoire demeura presque
deux heures en balance, sans que l'on pût juger de quel
côté elle inclineroit et avec d'autant plus de péril pour
ceux du dedans que si, par malheur, un seul poste eût
été forcé, tout se fût perdu, n'y ayant point de troupes
à les soutenir. Dans cette extrémité, je fis porter les
drapeaux qui étoient en mon logis dans le château, à
l'insu de toute autre personne que de mon valet qui
étoit fidèle, pour ne pas faire perdre courage à la
défense de la ville, afin que, si j'y étois forcé, on les
pût reprendre par le moyen du château où il y a une
porte donnant en dehors. Cette précaution fut aussi
inutile que secrète, parce que, finalement, les ennemis,
se voyant repoussés de tous les côtés avec si grandes
pertes, se rebutèrent, et, dès que le jour conmiença à
paroître et que je voyois qu'ils abandonnoient quelques
attaques, je me servois de ceux qui les défendoient
1641] MÉMOIRES DE SOU VIGNY. 87
pour aider leurs voisins et les chasser des autres
postes, de sorte qu'avant que le soleil fût levé toutes
les attaques furent abandonnées et les ennemis retirés
à la plaine du côté de Bène, après avoir perdu quinze
cents hommes à cette dernière attaque, quantité de
personnes de qualité blessées, entre autres le marquis
de Bagnasque, le comte de la Val d'Isère, M. Pascal,
capitaine des gardes de M. le prince Thomas, qui
ayant fait mettre pied à terre à toute la cavalerie, il
s'est trouvé plus de six cents chevaux qui ont perdu
leurs maîtres.
Il est juste de dire ici la vérité et louer la valeur
de tant de braves gens qui ont dignement servi le
Roi en cette occasion; car outre que M. de Joux,
lieutenant de Roi, s'acquitta dignement de sa charge
dans la ville et M. de Rives, major, au dehors, M. de
Trocezard, mon beau- frère, capitaine au régiment
d'Auvergne, M. de Beaulieu, gentilhomme de M. le
cardinal de Richelieu, ordonné aux fortifications,
M. du Reliée, écuyer de M. le comte d'Harcourt,
MM. d' Aimes, aide de camp, de Bussy, capitaine au
régiment du Plessis, Saint -Aubin, capitaine dans
Marolles, d'Austrain, Ueutenant de la mestre-de-camp
de Nérestang, lesquels se trouvèrent dans les postes
les plus pressés et, en donnant la mort à plusieurs des
ennemis, ont recouvré la santé qu'ils avoient perdue à
l'armée. Le sieur de Morges, qui étoit venu avec les cent
hommes qu'il avoit conduits d'Albe, y témoigna son
courage. Le sieur de la Jaconnière^ conmiandoit au bas-
1. Le sieur de la Jaconnière commanda, Tannée suivante,
dans Buby [Gazette, année 1642, p. 1174).
88 MÉMOIRES DE SOUVIGNY. [!64i
tion Saint-Jacques, assisté du sieur de Félix, son cou-
sin, le sieur de Brunières au bastion de Madame, les
sieurs de Bragard et de Marquet à celui de Son Altesse
Royale, le sieur de la Rivière, lieutenant, au château,
avec le sieur de la Grange, enseigne. Le sieur de
Lumeau conunandoit à la porte de Saint-Martin, le
sieur Moron à l'Espade, le sieur Falavière à la porte
Cervières avec le sieur d'Armanville, et le sieur Ger-
vais au Vallon. Tous, capitaines et officiers de mon
régiment, se sont dignement acquittés de leurs
charges. Les sieurs Santus, de la Melue, mon Ueute-
nant, Saint-Orange, mon cornette, et les officiers des
compagnies du comte Santus et Rat combattirent vail-
lamment à la défense des brèches avec les officiers de
mon régiment. Le colonel Rat avec ses firères Fran-
çois et Vittorio, le sieur Salmatoris, mon hôte, le
chevalier Brisio et autres de leurs famiUes, aflTection-
nés à leur prince, ont bien servi aux bastions de
dehors. Les sieurs Secondin, Bocca, Fogliaco, Bouget
et Guerra, capitaines de la ville, ont agi avec beau-
coup de vigueur en cette occasion et la plupart de la
noblesse, entre autres le colonel Brunasio, les sieurs de
Lunel, Carlo, Aurelio, Paul Rêne, Jouvenal, Gorsin,
TaUan, le médecin Moret, spécialement le sieur Mori-
cio Raquis, premier syndic, ses collègues, le lieute-
nant Motta, dont le fils tua un capitaine allemand sur
le bastion de Madame d'un coup de pique ^.
1. On lit dans les Mémoires de Monglat, 1. 1, p. 334, coll. Peti-
tot : a Durant ce siège, le prince Thomas fit une entreprise sur
Quérasque, qu'il voulut emporter d'emblée, mais il fut si bien
reçu par Souvigny, qui en étoit gouverneur, qu'il fut contraint
de se retirer avec beaucoup de pertes le 21 d'août... H revint
i64i] IfÉMOIRES DE SOUVIGNY. 89
Nous avons d'autant plus de sujet de louer Dieu de
cette dernière victoire que nous n'y avons perdu que
le frère du comte Santus, son lieutenant, qui avoit
beaucoup de mérite, vingt-huit soldats, cinq habitants,
et environ cent de blessés.
Et conrnie nous croyions avoir obtenu cette victoire
de la bonté de Dieu par Tintercession de saint Louis,
dont le jour de la fête comraençoit à paroître lorsque
nous chassions les ennemis des brèches et autres lieux
où ils s'étoient attachés, aussi, en reconnoissance de
cette grâce, la conmiunauté de Quérasque a fait un
vœu particulier à saint Louis d'en célébrer la fête à
perpétuité*, et, pour leur faire paroître à tous, en géné-
ral et en particulier, qu'ils dévoient avoir part aussi
bien au triomphe qu'ils en avoient eu en ce combat et à
la victoire, je pris le bras du premier syndic et lui fis
mettre la main avec moi au flambeau qui alluma le
feu de joie. En suite de quoi, nous allâmes ensemble au
Te Deum, pendant que nos canons firent entendre aux
environs de Quérasque que la valeur de la garnison
et la fidélité de ses habitants la faisoient triompher sur
toutes celles du Piémont, avec d'autant plus d'avan-
ie 24 ; mais, après huit heures, ses gens furent si bien battus,
etc.. D — La Gazette de France, année 1641, p. 625, a donné
huit pages de récit détaillé sur les assauts de Quérasque,
sous le titre : les Entreprises du prince Thomas y faillies sur
les villes de Quérasque et Rosignan, dans t Italie.., On y trouve
un éloge complet de Souvigny. Voy. aussi les Attaques de Qué-
rasque , racontées dans le Mercure français, année 1641, p. 235-
238. L'Appendice, 3^ vol., contiendra également des documents
concernant ce fait de guerre.
1. Souvigny fit ériger en reconnaissance une statue de saint
Louis dans Téglise Saint-Dominique, à Quérasque, le 17 oc-
tobre 1642.
90 MÉMOIRES DE SOUYIGNT. [1641
tage qu'elle est Tunique de toutes celles qui ont été
attaquées sans être prise ; aussi n'ai-je pas manqué à
bien faire valoir leurs services, que Madame Royale a
dignement et libéralement récompensés, en déchar-
geant la conununauté de cent mille livres, gratifiant
les particuliers qui se sont signalés en cette occasion
par des bienfaits extraordinaires. Son Altesse Royale
accorda aussi un don au médecin Moret sur la bar-
rière de Quérasque, pour le dédommager de l'incendie
de sa cassine, et fit un beau présent à celui qui lui porta
cette bonne nouvelle. M. de Trocezard, mon beau-
frère, en auroit eu aussi un considérable si son impa-
tience ne l'eût porté à n'attendre pas la réponse de
Madame Royale.
 la retraite des ennemis, les Espagnols conunen-
cèrent à se plaindre de M. le prince Thomas de leur
avoir fait attaquer Quérasque. La mésintelligence dura
entre eux, de sorte que, l'année d'après, M. le prince
Thomas s'en sépara par le traité qu'il fit avec Madame
Royale. Quant au siège de Goni, que M. le comte
d'Harcourt avoit réduit à l'extrémité, le comte Vivalde,
qui en étoit gouverneur et l'avoit été de Quérasque,
voyant qu'il ne pou voit être secouru, fut contraint de
se rendre^ . Je le vis sortir de Coni avec sa garnison, qui
remit les clefs de la ville à M. le comte d'Harcourt,
lequel m'avoit envoyé quérir pour me trouver à son
triomphe. Quoique M. le comte Vivalde fût gouver^
1. Le 8 septembre. La prise de Coni marqua Téchec définitif
de la révolte des princes de Savoie contre la régente. Ils ces-
sèrent les hostilités et signèrent un accommodement définitif le
14 juin 1642, et le cardinal Maurice épousa sa nièce^ sceur de
Charles-Emmanuel II, le 14 août suivant.
1641] MÉMOIRES DE SOUVIGNY. 91
neur, le comte Brouille * ne laissoit pas d'avoir autant
d'autorité que lui dans la ville, étant plus estimé des
gens de guerre; aussi étoit-il homme de mérite. Je ne
veux pas ternir sa réputation, quoiqu'il soit vrai
qu'après cela M. le cardinal Mazarin l'attira au ser-
vice du Roi, lui donna le régiment de Champagne, le
gouvernement de la Bassée, commission de lieutenant
général, dont il a servi, et a été un grand seigneur.
Ainsi il a fait sa fortune, se faisant connoltre à la
défense de Coni contre son prince souverain. Mais
l'on peut dire pour sa justification que ce n'est pas par
rébellion, qu'étant domestique de M. le prince Maurice
de Savoie, nourri son page et en après capitaine
de ses gardes, il semble qu'[il] ne pou voit faire
autrement que de demeurer dans son parti. L'on peut
dire aussi qu'il a bien et fidèlement servi le Roi, spé-
cialement au siège de Bar^ et à celui de Valence, où il
fut tué.
Après avoir reçu des lettres du Roi, de Son Émi-
nence et de Messieurs les ministres, qui me donnoient
sujet d'espérer un gouvernement plus considérable que
Quérasque, et de la satisfaction qu'avoit la Cour du
service que j'y avois rendu, des lettres de louanges
de M. le comte d'Harcourt et de M. Le Tellier, inten-
dant de l'armée, et des officiers généraux qui y ser-
voient, et, de Madame Royale, des témoignages de ses
bontés de lui avoir conservé Quérasque, et plusieurs
lettres de ses ministres et du premier président de
Turin sur ce sujet^, je ne me trouvai point soulagé,
1. Le comte Broglio, voy. p. 34.
2. En décembre 1652.
3. Voir quelques-unes de ces lettres à TAppendice.
92 MÉMOIRES DE SOUYIGNY. [1641
pour tout cela, de mon a£Qiction de la maladie de Mon-
sieur mon père et du peu d'espérance d'avoir mon
congé pour l'aller trouver et voir en après.
Environ le 1 5* septembre 1 641 , j'appris avec une
douleur indicible le décès de feu Monsieur mon père,
qui étoit certainement l'un des meilleurs pères du
monde, des plus soigneux en l'éducation de ses enfants,
ayant eu la satisfaction de nous avoir tous nourris et
élevés en l'âge d'honmie, et, comme j'étois l'aîné de
sept frères, il m'appeloit toujours : < Mon fils », et mes
autres frères : < Mon fils tel », et pendant sa maladie
demandoit toujours : « Quand sera que mon fils vien-
dra? » Pour le consoler, on lui disoit souvent que
j'étois en chemin, et, conune il étoit à l'agonie, il dit :
< Mon fils n'a garde de venir; il est en danger », et en
après il ajouta que Dieu m'avoit délivré. Je crois que
c'étoit au temps de la dernière attaque de Quérasque
et qu'il l'a sue par révélation. Quoi qu'il en soit, Dieu
l'appela alors. J'ai espérance à sa miséricorde qu'il
est bien heureux, ayant été son fidèle serviteur, bon
chrétien, catholique, apostolique et romain, et aux
besoins du monde des plus charitables et bienfaisants,
des plus heureux de son temps en son mariage, Diai
lui ayant donné une fenmie selon son cœur, douée de
vertus et de mérites extraordinaires, grâce à Dieu,
heureuse en ses enfants et en l'amitié et Testime
qu'avoient pour lui les plus honnêtes gens du pays.
A la fin de ladite année 1 641 , ayant perdu l'espé-
rance d'avoir mon congé pour aller accomplir mon
mariage, j'en donnai avis à Madame ma maltresse et à
ses parents, lesquels, ayant tenu un conseil de famille
sur ce sujet et résolu ensemble qu'elle passeroit les
1642] MÉMOIRES DE SOUYIGNY. 93
monts pour me venir trouver, mon frère de Champ-
fort qui s'y trouva s'offrit de l'accompagner, et M. de
Trocezard, mon beau-frère. M. l'archevêque devienne,
son oncle, [lui prêta son] carrosse jusqu'à Grenoble . .
^642.
[Le gouverneur] de Pignerol, qui nous avoit aussi
voulu traiter, nous prêta sa litière pour ma fenmie et
ma [belle-sœur de la] Motte.
J'avois ma compagnie de carabins pour [escorte], et
quelques cavaliers de la garnison de Villeneuve d'Ast
nous donnèrent l'alarme; mais j'envoyai les [carabins]
faire [en sorte] que nous passâmes en sûreté. A Savil-
lan, où M. de Roqueservière*, gouverneur, fit ce qu'il
put pour nous arrêter, étant mon fidèle ami. Mes-
sieurs les capitaines, officiers françois et suisses et
quantité d'habitants étant venus quelques milles
au-devant de nous, il fut trois heures de nuit quand
nous arrivâmes à Quérasque au bruit du canon et de la
mousqueterie. Il y avoit avec mon régiment trois com-
pagnies suisses des capitaines May, Bisbach et Chance,
qui faisoient pour le moins cinq cents honmies. Je ne
saurois exprimer la joie de tout le peuple de Qué-
rasque à l'arrivée de ma fenune, dont je ne pouvois
assez dignement en louer Dieu. Mais notre bonheur,
quoique béni par le sacrement de mariage, fut bientôt
changé en sensible douleur de la maladie qui nous
1. Dans le manuscrit, le bas de la page 405 est déchiré.
2. Voy. t. I, p. 187, note 12.
94 MÉMOIRES DE SOUVIGNY. [4642
arriva à l'un et à l'autre, et à moi à mon particulier,
qui fut la fièvre continue. Je reçus un ordre de M. le
duc de Longueville [de me rendre] au siège de Nice
de la Paille*
Je me résolus, par le consentement de ma femme,
touchée de compassion de mon anxiété, d'envoyer eu
diligence à mon frère de la Motte à Pignerol que je
croyois y être arrivé, ayant appris qu'après avoir
accompagné M. de Bouillon*, qui avoit été arrêté à
Casai par M. de Couvonges de la part du Roi et con-
duit à Pierre-Encise, mondit frère avoit pris la poste
pour aller passer quelques jours en sa maison avec sa
femme, en attendant le retour des troupes avec les-
quelles il avoit passé les monts. Il ne faisoit que quitter
la poste quand il reçut la lettre et partit le jour même
pour me venir trouver. Parmi mon sanglant déplaisir,
j'eus d'autant plus de consolation que je connus bien
que ma femme en eut beaucoup de son arrivée, si
bien que nous tombâmes d'accord qu'il demeureroit
auprès d'elle pendant que j'irois au siège de Nice de
la Paille.
M. le duc de Longueville témoigna d'être bien aise
de mon arrivée et m'employa dès le lendemain, que
nous allâmes au-devant du secours, que M. de Gaste-
lan avec la cavalerie poursuivit plus de trois milles, la
1. Par suite de la déchirure signalée ci-dessus, il manque
dans le manuscrit environ un tiers de la p. 406.
2. Frédéric-Maurice de la Tour, duc de Bouillon, prince de
Sedan, duc d'Albret et de Château-Thierry (1605-1652), venait
d'être envoyé en Italie pour y prendre le commandement de
l'armée ; il fut arrêté pour avoir pris part à la conspiration de
Cinq-Mars.
i642] MÉMOIRES DE SOUVIGNY. 95
place étant sur le point de capituler à cause de la
grande brèche que mon frère de Ghampfort, coni-
mandant l'artillerie, avoit fait faire, en sorte qu'on y
pouvoit monter à cheval. En ce temps-là, le comte de
la Roue* fut reçu mestre de camp du régiment d'Au-
vergne au lieu du comte de Maugiron, étant mestre de
camp dudit régiment.
Je me trouvai le cœur si serré de douleur, quoique
j'eusse tous les jours des nouvelles de ma femme, et la
plupart du temps deux fois par jour, que je tombai
malade et eus bien de la peine à me retirer. J'arrivai
sous le château de Quérasque environ la minuit et, ayant
répondu au Qui va là? de la sentinelle, ma femme me
connut à la voix et fit un effort pour sortir du lit, vou-
lant venir au-devant de moi. Mon frère de la Motte
l'en empêcha. Sa grande joie fut bien diminuée quand
elle vit que j'étois malade, quoique je fisse mon pos-
sible pour ne le paroître pas à l'abord. Enfin il plut à
Dieu nous visiter d'une maladie populaire, dont il y
avoit peu [de] capitaines, officiers et soldats de la gar-
nison exempts, non plus que des habitants de Qué-
rasque. Nous nous trouvâmes au point d'avoir vingt
domestiques malades dans le château. G'étoit tous des
fièvres chaudes et malignes, dont, par la grâce de Dieu,
il mourut peu de gens. Nous fûmes assez bien servis
des remèdes humains, non par la quantité des méde-
cins, qui étoient souventes fois jusqu'au nombre de
cinq sans prendre une bonne résolution. Finalement,
le mal commença à diminuer au 1 5® de septembre, que
1. Balthazar, comte de la Roue, commanda, du 13 mars
1641 au mois de mars 1645, le régiment d'Auvergne.
96 MÉMOIRES DE SOUVIGNT. [1642
ma femme se trouva sans fièvre dans une grande foi-
blesse, et que, craignant qu'elle retombât à Quérasque,
où je croyois l'air infecté, je lui conseillai d'aller se
remettre à Pignerol, où mon frère de Gbampfort, qui
nous étoit venu trouver, l'accompagna et la fit porter
sur un brancard.
Mon frère et ma sœur de la Motte l'ayant parfai-
tement bien reçue, dans peu de jours elle conmiença
à se remettre; mais elle étoit dans une grande
inquiétude de moi, qui lui mandois fort souvent
que je me portois bien et l'irois trouver au premier
jour, s'étonnant pourquoi je retardois tant. Je ne
voulois pas qu'elle sût que j'étois retombé malade, lui
faisant savoir que je ne retardois à Quérasque qu'en
attendant qu'elle eût assez de force pour entreprendre
à repasser les monts, qu'elle s'accoutumât à prendre
l'air peu à peu, que je l'irois prendre quand je la sau-
rois en cet état. Ayant mon congé du Roi et voyant
que ces vaines espérances ne guérissoient point ses
appréhensions, je n'eus pas la patience d'attendre que
mes forces fussent revenues pour l'aller trouver ; je
me fis porter en chaise. En partant de Quérasque, mes
porteurs, qui n'étoient pas accoutumés à ce travail, n'al-
lant pas si vite que je voulois, je montai à cheval et m'en
allai coucher à Garignan, que j'en partis deux heures
devant jour, qu'il faisoit les brouillards les plus épais
que j'aie jamais vus, et, le même jour, j'eus l'honneur
de voir à Turin et prendre congé de Madame Royale, de
M. l'Ambassadeur ^ et fis toutes les affaires que j'avois
1. Le marquis d'Aiguebonne, voy. t. I, p. 260, fat nommé
ambassadeur en Piémont en 1641 et signa le traité de paix du
1642] MÉMOIRES DE SOUYIGNT. 97
à Turin, et me rendis le lendemain de bonne heure à
Pignerol, où je trouvai ma fenmie étonnée de me voir,
me croyant entièrement guéri. Le bon traitement que
nous fit mon frère de la Motte contribua grandement
à nous remettre; car, en moins de quinze jours que
nous demeurâmes chez lui, nous nous trouvâmes en
état de partir pour repasser les monts, comme nous
fîmes. Après avoir conduit ma fenune en Lyonnois, je
la laissai avec sa mère à Condrieu et m'en allai servir
mon quartier de maître d'hôtel d'octobre 1 642, sui-
vant l'ordre du Roi, qui me fit l'honneur de se sou-
venir de moi, étant à Notre-Dame au Te Deum de la
prise d'ArrasS et dit à M. de Noyers de m'écrire une
lettre de sa part pour cet effet et [qu'il] seroit bien aise
de me voir. Effectivement, Sa Majesté me fit la grâce
de me recevoir avec des bontés tout à fait extraordi-
naires, et Son Éminence aussi et tous Messieurs les
ministres, spécialement M. le cardinal Mazarin, qui me
fit l'honneur de me faire dîner avec lui en particulier,
où il n'y avoit que lui, M. de Noyers, M. de Roque-
servière et moi, M. de Noyers ayant dit à M. le Car-
dinal qu'il étoit bien aise de nous avoir assemblés tous
deux et que nous eussions l'honneur d'être connus de
Son Éminence pour des meilleurs officiers de l'armée
du Roi.
14 juin 1642. Il commanda la citadelle de Turin, fut gouver-
neur de Casai et devint lieutenant général des armées du Roi
en 1648.
1. Il doit y avoir dans le manuscrit une erreur de nom, car
la ville d'Arras, assiégée le 13 juin 1640, s'était rendue par
capitulation le 9 août de la même année. Il s'agit plutôt du
II 7
98 IfÉMOIBES DE S0UVI6NT. [1642
J'eus en même temps deux choses à demander : les
arrérages de ma pension ^ , et l'autre, mes gages de maître
d'hôteP d'un quartier que je n'avois pas servi, quoique
le Roi l'eût fait mettre sur l'état et qu'il y eût un
fonds pour moi, qui ftit diverti, parce que des mous-
quetaires, qui avoient perdu leurs chevaux en quelque
occasion, le demandèrent au Roi, qui leur accorda
et en même temps commanda à H. de Noyers de
m'expédier une ordonnance de pareille sonmie, et
prendre soin de me la faire payer, quand je serois de
retour à la cour. Il me la remit d'abord et me dit d'aller
trouver H. Bouthillier^, son surintendant des finances,
qui refusa de la viser, disant qu'ayant une fois fait le
fonds de la maison du Roi, il n'y pouvoit rien ajouter.
Gonmie je répondis que l'intention de Sa Majesté éUnl
que je serois payé, il me dit qu'il me falloit donc avoir
un acquit-patent, lequel lui ayant rapporté bien scellé,
il dit, pour se défaire de moi, qu'il falloit une ordon-
nance de comptant et que, puisque j'étois si pressé de
m'en retourner à ma charge, je laisse cette affaire4à
à quelqu'un de mes amis pour l'en faire souvenir et me
promettant de me faire payer. Je lui dis : < Je vois
bien. Monsieur, l'estime que vous faites des serviteurs
Te Deum qui fut chanté le 17 septembre 1642^ après la prise
de Perpignan et la conquête du Roussillon.
1. Pension de deux mille livres. Voy. p. 68.
2. D'après un état trouvé dans les papiers de Sonvigny
(voy. Appendice], ses gages de maître d'hôtel s'élevaient à
quatre cents livres par quartier.
3. Claude Bouthillier (voy. t. I, p. 223), seigneur de Pont-
sur-Seine et de Fossigny, épousa, en 1606, Marie de Brage-
longne et mourut en 1655.
1642] MÉMOIRES DE SOUVIGNY. 99
fidèles du Roi comme moi, et que mon malheur, en
ce rencontre, ne procède d'autre chose que de ce que
je n'ai pas l'honneur d'être connu de vous, » et me
retirai assez brusquement.
Après avoir remercié M. de Noyers, je lui ai fait le
récit du refus de M. le Surintendant et il me dit : c Gar-
dez-vous bien de vous en défaire. Vous en serez bien
payé d'une façon ou d'autre. » Je m'en allai trouver
M. de Chavigny, secrétaire d'État, fils de M. le Surin-
tendant, qui étoit fort de mes amis, auquel ayant fait
ma plainte, il me dit : < Je parlerai à mon père de la
bonne manière. » Je lui dis donc : < Monsieur, puisque
vous avez cette bonne volonté pour moi, je vous sup-
plie d'y ajouter aussi un mot pour me faire payer des
arrérages de ma pension ; » ce que m'ayant promis, je
l'attendis au sortir du Conseil, qu'il me dit d'aller voir
Monsieur son père, qu'il feroit mon affaire; lequel me
dit à l'abord : « Vous aviez bien raison de me dire
que je ne vous connoissois pas. Mon fils m'en a assez
dit pour m'obliger à vous servir, » et, après m'avoir
fait l'honneur de me faire dîner avec lui, il me donna
les ordres pour être payé de mon ordonnance de
maître d'hôtel du quartier que j'avois passé, que je
n'avois pas servi, et des trois années d'arrérages de
ma pension, dont je lui fiis d'autant plus redevable
que je ne m'attendois pas d'en être si tôt payé*.
1. Aux termes d'un acquit-patent du 23 décembre 1642, trouvé
dans les papiers de Souvigny, le Roi donna en outre à celui-ci
quinze cents livres en considération de ses services et pour lui
donner moyen de les continuer (voy. Appendice). Cette somme
de quinze cents livres semble être distincte de celles dont il
est ici question.
100 MÉMOIRES DE SOUYIGNY. [1643
4643.
Au mois de février 1 643 S il plut au feu Roi de glo-
rieuse mémoire, en récompense de mes services» me
donner des lettres de noblesse qui furent vérifiées et
registrées à la Chambre des comptes le 5* mars 1 643, et
à la Cour des aides le 9® ensuivant^. A la fin du mois de
février, je pris congé du Roi et de Son Éminence, et
m'en allai à Jargeau demeurer environ quinze jours
auprès de Madame ma chère mère, de laquelle ayant
reçu la bénédiction, je lui dis adieu, qui fut pour la der-
nière fois ; car il plut à Dieu l'appeler la même année.
Je me rendis à Condrieu environ le 25* de mars, où
je trouvai ma femme en assez bonne santé avec Madame
ma belle-mère. De là nous allâmes demeurer à Longes,
dans la maison forte du Ghol, qui étoit l'héritage de ma
femme avec les rentes et domaines en dépendant.
Nous nous occupâmes, incontinent après, à la réparer
d'une belle grande salle où il y avoit autrefois un
manège couvert, avec une belle grande chambre au
bout, attachée au corps de logement d'en haut^, faire
racconmioder les tuyaux d'une belle et abondante fon-
1. Il y a en marge dans le manuscrit : Lettres de noblesse^
février 16^3.
2. On trouvera ces lettres de noblesse à l'Appendice.
3. A cent pas du village de Longes, on trouve encore cette
maison forte dans un état fort délabré. Une cour intérieure
est fermée de bâtiments dont une partie seulement est ancienne.
Une vaste fenêtre à croisillons donne sur la campagne. Une
tour hexagonale, à pans coupés, subsiste encore et a fourni à
cette habitation le nom de Torrepane sous lequel elle est par-
fois dénommée. Voy. Notice historique et statistique sur Longes,
4643] MÉMOIRES DE SOUVIGNY. iOi
taine dont la source étoit à plus de huit cents pas dans
la montagne * , de sorte que ce fut une grande commodité
et un bel ornement à la maison. Je rachetai aussi plu-
sieurs fonds, bois et héritages qui avoient été aliénés,
[fis] refaire les murailles du clos et autres réparations
nécessaires*.
Ainsi nous passâmes le plus heureusement du monde
les mois d'avril, mai et juin, jusqu'au commencement
de juillet, que je fus averti de la Cour qu'il avoit
été résolu de rendre Quérasque à Madame Royale, ce
qui m'obligea de partir le lendemain pour m'y rendre
sans ma femme, qui vouloit venir avec moi, lui faisant
entendre que dans deux mois je serois de retour, et je lui
dis donc adieu avec ma belle-mère. Mon frère de Fres-
nay de Belmont arriva chez nous tout à propos pour
passer les monts avec moi, à son retour de sa prison en
Flandre, où il avoit demeuré quinze mois, ayant été
fait prisonnier dans le commencement de la bataille
d'Honnecourt^, que d'Andelot*, mestre de camp de
par Cochard, dans VAlmanach de la ville de Lyon et du dépar-
tement du Bhône, année 1825, p. xxxu.
1. Les débris de Taqueduc en terre cuite subsistent encore
dans les champs à Tentour.
2. On verra plus loin que Souvigny vendit, en 1656, la terre
de Longes. On trouve la description des fonds de cette pro-
priété dans l'acte d'acquisition, signé le 5 avril de cette année
par Jean Gillibert Chaulvin, prieur de la Chartreuse de Sainte-
Croix, située dans les environs. Voy. la Chartreuse de Sainte-
Croix-en-JarreZy par A. Vacher. Lyon, 1904, p. 289.
3. Le maréchal de Guiche perdit, le 26 mai 1642, la bataille
d'Honnecourt (village sur l'Escaut, à l'entrée du Vermandois,
comm. de Marcoing, arr. de Cambrai) contre le général espa-
gnol Don Francisco de Mello.
4. Gaspard d'Andelot, baron de Chemilly, fils de Charles
102 MÉMOIRES DE SOUYIGNT. [1643
cavalerie, le voyant agir en personne de commande-
ment, faisant escarmoucher les soldats du régiment de
Gowcelles, dont il étoit capitaine et major, paré de force
clinquants sur son collet, de bleu et de grandes plumes,
s'avança [et], ayant fait arrêter son escadron, s'écria :
€ A moi, cavaliers ! » Après s'être blessés tous deux à
coups de pistolet et d'épée, un coup de mousquet tiré
aux gens de notre armée ayant rompu un bras à d'An-
delot, les officiers de son régiment, qui jusqu'alors
n'avoient point bougé, se débandèrent sur mon frère
qu'ils blessèrent à la mort, et auroient achevé de le tuer
si l'on ne les avoit empêchés, mais il (d'Andelot) en
usa si généreusement en ce rencontre et en tous autres
qu'il prit un soin tout particulier de bien faire panser
mon frère et bien nourrir, coucher dans sa tente, et le
faire préférer à plusieurs autres capitaines et offiqers,
quand il fut remis en prison dans les lignes de
Flandre, étant en liberté sur la parole, ce qui lui fut
quelque espèce de consolation en sa prison, et en la
perte qu'il fit de son équipage et de cent chevaux
qu'il avoit à l'artillerie de l'armée de Flandre.
Enfin nous partîmes ensemble de Longes au com-
mencement de juillet 1643. Nous apprîmes en passant
à Turin qu'il étoit vrai que Madame attendoit les ordres*
du Roi pour la restitution de Quérasque, où nous nous
en allâmes. Étant bien avancé sur le chemin, j'envoyai
à M. de Joux, lieutenant de Roi, à l'avance défendre
qu'on me fît aucune cérémonie à mon entrée et sur-
tout qu'on ne tirât point de canon, et, quoiqu'il fût bien
d'Andelot, seignei^ de Hones, premier chevalier du roi catho-
lique en la cour de Mons en Hainaut, et de Jeanne de Bout-
gogne, vicomtesse de Loos.
1643] M^OIRES DE SOUVIGNY. 103
sage et homme d'ordre, [il] ne laissa pas de faire le
contraire, dont je fus fâché, et bien davantage de la
mort de Bernardin Sejon, bon canonnier, que je ne pus
sauver en courant toute ma force à lui. Le voyant son
boute-feu à la main, je lui criai de ne pmnt tirer. Je
ne sais s'il ne m'entendit pas où s'il s'étoit obstiné,
croyant me faire plus d'honneur, tant il y a qu'il mit
le feu à la pièce, qui creva et se sépara en tant de
parties qu'il en fut tué, et plusieurs habitants blessés,
qui s'étoient avancés à la porte de Saint-Martin par
curiosité. Excepté cet accident, j'eus grandissime satis-
faction à mon retour à Quérasque, et reçus des témoi-
gnages d'amitié des habitants indicibles.
Le treizième ou quatorzième jour de mon arrivée,
je reçus ordre de M. le prince Thomas et de M. le comte
du Plessis, qui avoient assiégé Trin avec l'armée du
Roi, d'aller conmiander un camp volant, composé des
troupes que l'on devoit tirer des garnisons de Pigne-
rol. Carmagnole et Quérasque, avec les gardes de Son
Altesse Royale, pour faire diversion dans le Milanois,
spécialement bien pourvoir à nos places d'Aste et de
Nice de la Paille. A cet effet, je me rendis à Gastagnole
délie Sanze* avec l'infanterie et les gardes de Son
Altesse Royale, à Gastiolles et de là à Saint-Martin^ et à
Govon, où je laissai les troupes et m'en allai en hâte
savoir de H. le comte [de] Tavannes, qui en étoit
gouverneur, l'état de sa garnison. Il me pria de la voir
moi-même. Nous montâmes chacun un petit bidet.
Passant à la place d'armes, nous n'y trouvâmes que
1. Gastagnole Sanze, arr. d'Asti, prov. d'Alexandrie.
2. Castiglione d'Asti et San-Martino al Tanaro, arr. d'Asti.
lOi MÉMOIRES DE SOUVIGNT. [4643
nos hommes, et la plupart malades. En entrant dans
la citadelle, qui est un fort carré des plus grands qui
se fussent, nous n'y trouvâmes que trente-cinq
honunes, dont il n'y en avoit pas la moitié qui pût
tirer un coup de mousquet. Étant montés sur les rem-
parts, où il n'y avoit nul chemin de ronde frayé, nos
petits bidets ne se pouvoient tirer des herbes, qui
étoient presque aussi hautes que nous, dont le bruit fit
lever un canard sauvage des fossés, ce qui faisoit
croire que la quantité des soldats n'effarouchoit point
le gibier, les palissades et les fraises rompues en
divers Ueux. Mais ce n'étoit rien à proportion de toute
une face de bastion, qui étoit ébranlée et tombée dans
les fossés, par où l'on pouvoit d'autant plus facilement
monter dans la place que le fossé, en cet endroit, avoit
été mis à sec par le major de la ville. De là nous fûmes
à la porte du côté de Montcalme, aux forts Saint-
Pierre, le Mollinier, le Château, bastion Sainte-Made-
leine et autres postes, où la foiblesse étoit semblable à
celle de la citadelle, vis-à-vis de laquelle M. de
Tavannes faisoit ruiner une grosse tour de la ville.
Lui en ayant demandé la raison, il me dit que c'étoit
parce qu'elle voyoit dans la citadelle. Je lui dis que
cela seroit bon s'il prétendoit garder la citadelle plus
que la ville, mais que je ne voyois point d'apparence
qu'il la pût garder avec toute sa garnison en l'état
qu'elle étoit; [que] j'aimerois mieux n'ouvrir [que] du
côté de la ville, dont les habitants, affectionnés à leur
prince et bien satisfaits d'être sous son commandement,
la pourroient garder avec la garnison non seulement
d'une insulte, mais encore soutenir quelque temps un
siège et donner le temps de les secourir, joint qu'il
1643] MÉMOIRES DE SOUVIGNY. i05
avoit quatre compagnies de carabins qui pouvoient
beaucoup servir au dehors et dans la ville. Après qu'il
eût fait réflexion, il se résolut de cesser la démolition
de la tour, et, m'ayant fait voir les copies des lettres
et mémoires qu'il avoit envoyés à la Cour et les réponses
qui ne lui donnoient aucune espérance, [ajouta] qu'il
s'étoit résolu à n'attendre plus de secours que de Dieu
et de n'en plus écrire. Le voyant en cette extrémité et
que, si j'attendois à le- secourir qu'il fût attaqué, les
ennemis, qui étoient plus proches d'Ast que maintenant
nous, auroient plus tôt pris la citadelle que je n'au-
rois avis de leurs marches, je lui baillai deux cents
hommes de mes troupes et en donnai avis à M. le
prince Thomas et à M. le comte du Plessis, qui, à
l'abord, le trouvèrent fort mauvais; mais, en après,
non seulement ils approuvèrent et en furent bien aises,
mais encore d'y en mettre davantage, si j'estimois à
propos, et pareillement à Nice de la Paille, dont M. de
Breuil* étoit gouverneur, avec lequel j'ai demeuré d'ac-
cord des moyens de le secourir s'il étoit assiégé, étant
en état de s'empêcher de surprise. En après, je m'en
retournai à Castagnole délie Sanze, d'où je donnai
quelque alarme au Milanois du côté de la Rocque et
Gastelnovo*.
C'étoit au conmiencement d'octobre 1643, que je
me promenois dans ma chambre à Castagnole, l'esprit
agité de diverses pensées, dans une profonde mélan-
colie, que je reçus la funeste nouvelle de la mort de
feue Madame ma mère, dont j'eus bien de la peine à me
1. Il s'agit du comte Broglio, nom dont Souvigny varie
rorthographe.
2. Castelnovo Belbo, arr. d'Acqui, prov. d'Alexandrie.
106 MÉMOIRES DE S0UVI6NT. [1643
consoler, ayant été à mon avis la meilleure des mères
que j'aie jamais connue, la plus charitable aux pauvres.
Quelques jours après, M. le prince Thomas m'en-
voya la nouvelle de la prise de Trin et les ordres pour
faire retirer les troupes dans leurs garnisons.
Étant arrivé à Quérasque, j'y trouvai des bonnes
nouvelles de la santé de ma femme, qui me donnèrent
toute la consolation dont je pouvois pour lors être
capable, et que le Roi avoit donné une compagnie à
mon frère de Fresnay au régiment d'Auvergne pen-
dant le siège de Trin, qu'il servoit de conunissaire pro-
vincial de l'artillerie, mon frère de Cbampfort ayant
envoyé à cet effet son fidèle valet rAUégrerie, lequel
fit telle diligence qu'il alla de Trin à Paris en quatre
jours*.
Le 1 5^ novembre 1 643, je partis de Quérasque pour
aller voir mon frère de Ghampfort, qui étoit tombé
malade de travaux et des peines extraordinaires qu'il
avoit eus pendant le siège de Trin, [tandis] qu'il y
commandoit l'artillerie avec tant de satisfaction de
M. le grand maître de l'artillerie et de Messieurs les
généraux des armées du Roi en Italie [qu'ils] me
témoignèrent beaucoup de déplaisir de son indiqfKMÎ-
tion. Quand il conmiença à guérir, je m'en retournai
à Quérasque me préparer d'en sortir, en attendsmt les
ordres du Roi, que je reçus environ le 1 8* décembre
de ladite année, de remettre ladite ville et château à
Madame Royale ou à celui qu'elle enverroit pour en
prendre possession de sa part, avec l'artillerie et muni-
1. Il y a là évidemment dans le texte une erreur de chiffres,
une telle rapidité ne semblant alors pas possible^ surtout à tra-
vers les passages des Alpes.
1643] MÉMOIRES DE SOUYIGNT. 107
lions de Son Altesse Royale, qu'en après je condui-
rois mon régiment et ma compagnie de carabins à Ast,
et les munitions de guerre qui étoient dans Quérasque
appartenant au Roi, avec des lettres particulières du
Roi, de la Reine, de Son Éminence et de M. Le Tellier,
le remerciement de mes services et espérance d'en être
bien récompensé et de l'aller recevoir de Sa Majesté.
Le comte Ardoin de Vallepergue* m'ayant rendu les
ordres et certificats nécessaires à ma décharge, et
[lors]que je fus prêt à partir avec les troupes, il y eut
une désolation générale par toute la ville de notre
départ. Ma discrétion . ne permettant pas d'en dire
davantage, j'ajouterai seulement que la plupart du
peuple de Quérasque nous vint accompagner jusqu'au
bac de la Sture, que, s'ils étoient bien satisfaits de moi,
conmie ils avoient témoigné par leur certificat et le
faisoient encore paroître par leurs larmes à notre sépa-
ration, je n'avois pas moins sujet de me louer de leur
fidélité envers Madame Royale et de l'affection particu-
lière qu'ils avoient pour moi, qui m'obligeoit à les
aimer comme s'ils eussent été mes frères.
Ayant remis mon régiment et ma compagnie de cara-
bins en Ast et les munitions de guerre que j'y fis con-
duire à mes dépens, je fus à Turin en avertir Mes-
sieurs les généraux et M. de Grémonville^, intendant
de l'armée, lesquels écrivirent au Roi, à la Reine et à
1. Ardnino Valperga di Rîvara, des comtes de Valperga et
Rivara, marquis d'Antragues, fut capitaine des gardes de Vic-
tor-Amédée P'.
2. Nicolas Bretel, seigneur de Grémonville (1606-1648),
ambassadeur à Venise de 1644 à 1648, succéda, cette année-là,
à Le Tellier comme intendant en Italie.
108 MÉMOIRES DE S0UVI6NT. [1643
Son ÉmiDence la ponctualité avec laquelle j'avois
observé les ordres de Sa Majesté, en y ajoutant ce qui
leur plût pour obliger la Cour à récompenser mes ser-
vices, et ce avec d'autant plus de justice que j'avois
bien défendu Quérasque et que je n'avois plus de gou-
vernement. Mon régiment fut réformé et incorporé en
celui des Galères ^ y ayant plus de sept cents hommes
sous les armes et d'aussi bons officiers qu'il [y] en eut
en aucun de France sans nul excepter^. Aussi ét(Mt[-ce]
pour gratifier M. le prince Maurice de Savoie à qui
le Roi avoit donné ledit régiment des Galères, qui étoit
réduit à fort peu de chose.
La principale afiiedre qui me restoit en Piémont étoit
de retirer quelques ordres de Madame Royale pour être
payé d'une partie des quartiers d'hiver de ma com-
pagnie des carabins, qui étoit pour lors à Fossan, où
elle me fit l'honneur de me les donner, dont je retirai
quelque chose, mais rien du tout de l'AgneP et Moot-
barquier qu'un présent de rabide^ et qudques
volailles qu'ils me donnèrent quand je commandois les
troupes à Gorseigne^.
1. Voy. p. 14, notes 3 et 4.
2. Bien que Fincorporation eût été ordonnée le il octobre
1643, on trouve dans les papiers de Sonvignj on extrait de U
revue faite de son régiment, à Quérasque, le 28 novembre
1643, faisant ressortir, pour douze compagnies, on effectif de
404 présents. Il est donc probable que le régiment de Sonvi-
gnj fut réformé d'abord à cet effectif avant d*ètre incorporé
dans celui des Galères. Vov. Appendice de notre tome m.
3. >'iella, arr. d'Albe.
4. Rabiole ou rabiolie : variété de chou-rave et de choa-
navet. On dit aussi rabioule.
5. Gonegno, arr. d*Albe.
1644] MÉMOIRES DE SOUVIGNY. 109
^644.
Je me trouvois à FossaD le premier jour de l'an
1644 dans la dépense des étrennes que Ton ne put
refuser à la plupart des bas officiers de la maison de
Savoie. Après m'en être débarrassé et pris congé de
Madame Royale, qui me témoigna une grande recon-
noissance de la manière que j'avois conservé Quérasque,
le marquis de Palavicini * fît quitter à Son Altesse Royale
une partie qu'il avoit au billard pour me donner moyen
d'en prendre congé. Il me dit : c M. de Souvigny, je
sais bien que vous avez maintenu une partie de mes
États, dont je vous suis obligé. Voilà mon épée, que
je vous prie de dire au Roi que je la porte pour son
service. Quand je serai plus grand, j'aurai une pique et
j'irai à l'armée avec lui. » Son Altesse Royale étoitpour
lors dans sa sixième année, prince bien fait. Après que
j'eus pris congé de lui et retiré les lettres que Madame
Royale écrivit à la Cour à ma faveur, je revins à Longes
le 1 6 ou 1 7 du mois de janvier.
J'y trouvai ma femme et Madame ma belle-mère
en bonne santé et bien aises de mon retour; ce
qui ne dura guère : car il me fallut partir au com-
mencement de février pour me rendre à la Cour. Ma
femme se consola pourtant dans l'espérance que je
n'y allois qu'en intention de recevoir les récompenses
de mes services et non pour aller à l'armée. Mais il
arriva tout autrement : car, étant arrivé par delà, M. le
Cardinal me dit qu'il m'avoit destiné pour l'armée de
1. Carlo-Emanuele Pallavicini, des marquis de Ceva, mar-
quis de Frabosa, grand chambellan à la cour de Savoie.
110 MÉMOIRES DE SOUVIGNY. [1644
Flandre, où il désiroit que je fusse aussi bien connu
qu'en Italie ; qu'en après il pourroit mieux faire pour
moi. Je répondis que je ferois toujours ce qu'il me
commanderoit, mais que, n'étant pas préparé pour
cela, n'ayant pas même de quoi me mettre en équi-
page, je le priai de me donner permission d'aller chez
moi mettre ordre à mes affaires, en attendant que l'ar-
mée fût en campagne. Il m'accorda trois semaines,
qui étoit le moins de temps qu'il me falloit pour aller
voir ma femme et retourner à Paris, n'ayant point
d'autre motif de mon voyage que celui-là.
Je lui persuadai facilement à l'abord que je n'irois
point à l'armée; mais, par malheur, deux ou trois
jours après, elle trouva un billet dans mes poches où
j'avois écrit le jour que je devois être de retour
auprès de Son Éminence. Elle en eut le cœur si serré
de douleur qu'elle demeura tout un jour sans boire
ni manger, ni me dire le sujet de son affliction. Â la
fin, elle me déclara qu'elle avoit vu ce malheureux
billet. J'eus bien de la peine à la faire consentir à
mon départ. Enfin elle s'y résolut, sur la croyance
que je n'irois pas à l'armée, et me vint accompagner à
la Bresle, où nous couchâmes chez ma tante de Beau-
regard. Le lendemain que je l'allai conduire jusqu'à
Saint-Pierre d'Éveux*, au-dessus de la Bresle, nous
demeurâmes fort longtemps sans nous pouvoir dire
adieu, comme si c'eût été le dernier. A la fin, nous nous
séparâmes. Elle continua son chemin du côté de Longes
et moi de celui de Paris. Je passai à Jargeau pour
1. Éveux, cant. de l'Arbresle, à un kilomètre au sud de ce
bourg, arr. de Lyon.
1644] MÉMOIRES DE SOUYIGNT. 111
faire prier Dieu pour feu Madame ma mère et voir
mon frère le chanoine^.
Ëtant arrivé à la Cour, M. le Cardinal me dit d'aller
trouver M. Le Tellier, qui me fit entendre que Son Émi-
nence vouloit que je servisse de maréchal de bataille en
l'armée de Flandre, commandée parMonsieur^, et me
fit payer de mes pensions et bailler une charrette d'ar-
tillerie, attelée de quatre chevaux, pour mon bagage.
J'en achetai de forts bons pour moi et un honnête
équipage.
L'armée s'assembla en trois rendez-vous différents :
le premier, à Roye, qui étoit celui de Monsieur; le
second, à Amiens, commandé par M. de la Meilleraye^,
et le troisième à Guise, commandé par M. le maré-
chal de Gassion*. Je me rendis au premier, où com-
1. Dans un Registre des actes capitulaires du chapitre de
l'église collégiale de Saint-Vrain de Jargeau (arch. départ.
d'Orléans), on voit figurer Pierre Gangnières, le 14 février
1632, comme « escolier chanoine ». Il avait alors vingt-deux ans
et poursuivait ses études chez les Jésuites de Bourges. On le
trouve déjà chanoine antérieurement, le 10 novembre 1631,
quand il est reçu en la confrérie de Saint-Vrain.
2. a M. le duc d'Orléans, poussé d'émulation des victoires
du duc d'Enghien, et se voyant lieutenant général de l'État et
généralissime des armées, voulut en faire la fonction et com-
mander la principale, qui étoit celle de Flandre, d [Mém, de
Monglat, t. I, p. 444, coll. Petitot.) Il prit le commandement
de l'armée le 1*' juin.
3. Charles de la Porte, duc de la Meilleraye (1602-1664),
cousin de Richelieu, devint grand maître de l'artillerie en 1634
à la démission du marquis de Rosny. Maréchal de France après
la campagne d'Artois en 1639, il fut surintendant des finances
(1649-1650) et nommé duc et pair en 1663.
4. Jean de Gassion (1609-1647), fils de Jacques, président à
mortier au conseil souverain de Béam, et de Marie d'Esclaus,
112 MÉMOIRES DE SOUYIGNT. [4644
»
mandoit M. de la Ferté-Imbault, maînteDant maréchal
d'Estampes ^ Nous passâmes la Somme à Péronne et
[allâmes] camper à Moîslains^. Monsiem* nous vint
trouver auprès d'Arras, où se joignit M. de Gassion
avec son armée. Nous prîmes notre route par Saintr
Pol, passâmes près de Saint-Omer, à Polincove^, par
Ardres, et nous rendîmes à Saint-Folquin^, près Grave-
lines, sur le bord de la rivière d'Aa^. Le même jour
se présenta de l'autre côté, vis-à-vis de nous, M. le
maréchal de la Meilleraye, qui avoit forcé le passage
de Neuf-Fossé^ (c'est un retranchement par lequel il
entra dans la Flandre) et prit les forts des Bajettes''
par le derrière.
Le lendemain, l'armée fut séparée en trois quartiers :
mestre de camp de cavalerie sous Gustave-Adolphe^ maréchal
de France en 1643, fut blessé mortellement d'un coup de moas-
quet au siège de Lens.
1. Jacques d^Estampes, seigneur de la Ferté-Imbault, mar»
quis de Mauny ( 1588-1668] , fils de Claude, capitaine des gardes
du duc d'Alençon, et de Jeanne de Hautemer, chambellan
d'affaires de Monsieur, capitaine lieutenant de sa compagnie,
devint maréchal de France en 1651.
2. Moislains, cant. et arr. de Péronne, Somme.
3. Polincove, cant. d'Audruicq, arr. de Saint-Omer, Pas-de-
Calais.
4. Saint-Folquin, cant. de Gravelines, arr. de Dankerqae,
Nord.
5. La rivière d'Aa passe à Saint-Omer et se jette dans la mer
au nord de Gravelines, après un cours de quatre-vingts kilo-
mètres. Sur Gravelines et le siège qui suivit, voir Mém, de
Goulas, t. II, p. 29.
6. Le canal de Neuf-Fossé, d'une longueur de dix-huit kilo-
mètres, relie la Lys à TAa. Il commence à Aire et finit à Saint-
Omer.
7. A deux kilomètres au sud de Gravelines, sur TAa.
i644J MÉMOIRES DE SOUVIGNY. 113
Monsieur demeura à Saint-Folquin, M. le maréchal de
la Meilleraye campa avec ses troupes près des Dunes,
sur le chemin de Gra vélines à DunkerqueS et M. le
maréchal de Gassion à Saint-Georges^, entre Grave-
lines et Bourbourg^, qui tenoient pour l'ennemi, à la
portée du canon de l'un et de l'autre. Nos lignes ne
furent pas plus tôt conmiencées que les ennemis
lâchèrent leurs écluses et inondèrent la campagne, de
telle sorte qu'il n'y eût plus de communication entre
les quartiers. L'on travailla quelques jours à faire des
ponts et à mettre des fascines aux endroits les plus
bas; mais ce remède eût été inutile, si un nommé
Régnier Gence ne se fût servi de l'industrie de son art
pour faire écouler les eaux dans la rivière d'Aa et des-
sécher la campagne par le moyen des écluses qu'il fit
à ladite rivière, lesquelles, s' ouvrant facilement aux
descentes des marées, s'écouloient avec le reflux dans
la mer et se fermoient avec la même facilité au mon-
tant du flux, qui montoit droit dans le canal de ladite
rivière quand les eaux se pouvoient répandre en
dehors ; ayant fait plusieurs fossés, qui se rendoient en
de plus grands pour se décharger dans le canal de
ladite rivière, comme on fait communément en ce pays
de delà, bas et maritime, où chacune paroisse a un ou
deux grands canaux qu'on appelle watergangs^y qui
1. Les Dunes de Loon sont à sept kilomètres à Test de Gra-
velines.
2. Saint-Georges, cant. de Gravelines, à trois kilomètres au
sud-est de cette ville et à égale distance de Bourbourg.
3. Bourbourg, ch.-l. de cant., arr. de Dunkerque.
4. Du flamand water, eau, et gang, voie : fossé ou canal bor-
dant un chemin ou un polder, en Flandre et dans les Pays-
Bas. On dit aussi en français : wateringue,
II 8
114 MEMOIRES DE SOUYIGNT. [1644
reçoivent les eaux des particuliers par des petits water-
gangs j pour dessécher les campagnes et décharger à la
mer les eaux qui les incommodent.
Pendant qu'on travailloit aux lignes et à se loger.
Monsieur me commanda d'aller reconnoitre le pays et
remarquer si les ennemis pouvoient secourir Grave-
lines par le côté du fort d'Hallines^ qu'ils tenoient, et
me bailla cinquante mousquetaires du régiment des
Gardes, [que] je fis mettre en cinq petits bateaux. M. de
Courteilles*, lieutenant- colonel du régiment d'Har-
court^, fut aussi conmiandé pour venir avec moi.
J'allai passer à Vieille-Église*, au Fort-Brûlé, à la
redoute de Coupe-Gorge. J'avois un fort bon guide qui
me mena jusqu'auprès du fort d'Hallines, changeant
souvent de canal à mesure que nous trouvions des
digues, par-dessus lesquelles je faisois porter nos petits
bateaux; j'avançai du côté de Romingan^ et passai à
mon retour aux Forts Bâtard* et Rouge ''^j du côté
d'Ardres.
Étant revenu trouver Monsieur, il me demanda si
l'armée des ennemis pouvoit venir par le côté d'Haï-
Unes. Je lui dis qu'il étoit impossible qu'elle y passât
toute ensemble, mais bien un corps de six œnts
hommes avec soixante bateaux, semblables à ceux dont
i. Hallines, cant. de Lumbres, arr. de Saint-Omer.
2. N. de Saint-Contest^ marquis de Courteilles.
3. Le régiment d'Harcourt, levé en 1G37 par Henri de Lor-
raine, comte d*Uarcourt, fut réformé en 1640, rétabli en 1641
et licencié en 1672.
4. Vieille-Église, cant. dAudruicq, arr. de Saint-Omer.
5. Ruminghem, cant. d'Audruicq.
6. Fort-Bâtard, comm. et cant. d'Audruicq.
7. Fort-Rouge, comm. de Guemps, cant. d'Audruicq.
1644] MÉMOIRES DE SOUVIGNY. 115
je m'étois servi, où j'avois mis à chacun dix mous-
quetaires, mais qu'il étoit facile de les empêcher de
passer en faisant bonne garde à Saint-Folquin, [et de]
faire un corps de garde de cavalerie à la Masure et des
redoutes sur la digue d'entre la Bajette et le fort de
l'Écluse*, ce qu'il trouva fort à propos. Mais il ne s'en
fit rien, parce que M. de la Rivière*, qui n'étoit pas
homme de guerre, s'y opposa, et, la garde de Saint-
Folquin ayant été négligée, les ennemis y passèrent
sans donner l'alarme, au nombre de six cents hommes
choisis, pendant la nuit obscure et un brouillard fort
épais, et ne furent aperçus du corps de garde de la
Masure qu'en montant sur la digue que j'ai dite, de
laquelle ils alloient par-dessus une grande digue droit à
la ville, lorsqu'ils furent brusquement chargés par le
capitaine qui commandoit le corps de garde et par la
garde du régiment de Piémont, qui étoit le long de la
rivière d'Aa, qui y accourut, et tout ce secours fut tué
ou fait prisonnier, excepté cinquante-deux qui pas-
sèrent dans la ville à la nage, la marée étant haute. Ce
secours ne se présenta pourtant qu'environ un mois
après que nous eûmes commencé le siège, [alors] que
Monsieur disoit hautement que je devrois avoir été cru,
la plupart des officiers d'armée et les ingénieurs de
M. le prince d'Orange^ ayant été de mon avis.
1. A Touest de Gravelines.
2. Louis Barbier, abbé de la Rivière (1595-1670), aumônier
de Gaston d'Orléans et son favori. Disgracié en 1650, il devint
évêque de Langres (Historiettes de Tallemant des Réaux, t. II,
p. 98-99). Voy. aussi plus loin, année 1659.
3. Henri-Frédéric de Nassau, prince d'Orange (1584-1647),
fils de Guillaume le Taciturne, avait succédé à son frère Mau-
116 MÉMOIRES DE SOUVIGNT. [1644
Gravelines est située sur la rivière d'Aa et fortifiée
de six grands bastions, dont il y en a un tenaillé, revê-
tus de murailles de briques. Ses fossés sont fort larges
et profonds, avec bonnes demi-lunes et chemins cou-
verts. Outre toutes ses fortifications qui la rendent une
des meilleures places de Flandre, il y a, du côté de la
campagne, un fossé d'environ soixante pieds de lai^e,
de dix à douze pieds de profond, au pied du glacis du
chemin couvert. Auparavant que de l'attaquer, il fallut
prendre les forts et redoutes qui sont de l'autre côté
de la rivière, savoir : le fort de l'Écluse, qui est entre
les retranchements des Bajettes, que M. le maréchal de
la Meilleraye avoit pris par derrière, et le fort Philippe*,
ledit fort Philippe, de quatre bastions, [avec] fraises
et palissades [et] avec un grand fossé. Les sept tours
ou redoutes d'entre ledit fort et la ville couvrent un
canal d'environ douze cents pas de long et fort large, où
les Espagnols avoient commencé une œuvre dont Tex-
trémité étoit couverte dudit fort, duquel il y avoit une
forte et double palissade jusqu'à la mer, où il y avoit
une redoute. La distance étoit d'environ six cents pas,
qui étoit inondée en marée haute; mais l'on y pouvoit
aller à pied sec à marée basse.
Le jour même que nous ouvrîmes la tranchée de
l'attaque du fort Philippe [vint] l'amiral Tromp *, qui
rice de Nassau comme stathouder des Provinces -Unies en
1625.
1. Le fort Philippe est à l'embouchure de TAa, à deux kilo-
mètres au nord de Gravelines.
2. Martin Tromp, né en 1597, lieutenant amiral en 1Ô37,
remporta en 1639 la victoire des Dunes sur les Espagnols et
fut tué, en 1653, à Taffaire de Katwik.
1644] MÉMOIRES DE SOUVIGNY. 117
commandoit la flotte hollandoise, composée de vingt-
neuf grands vaisseaux, qui tirèrent plus de cinq cents
coups de canon à ladite redoute, que les ennemis
abandonnèrent. Alors on croyoit qu'ils l'avoient mise
en poussière. Monsieur m'ayant envoyé voir en l'état
qu'elle étoit, je lui rapportai qu'elle étoit si peu endom-
magée, que les ennemis s'y pourroient remettre,
comme [ils] firent sur le soir que les Hollandois furent
retirés.
Le cinquième jour de l'ouverture de la tranchée sur
le bord du fossé du fort Philippe, voyant que les enne-
mis pourroient nous arrêter trop longtemps, tant
qu'ils seroient assurés de se pouvoir retirer quand ils
voudroient, nous résolûmes d'attaquer le fort du côté
de la ville et fermer le chemin de leur retraite. Pour
cet effet, nous coupâmes la double palissade d'entre le
fort et la mer, de la largeur d'environ trente pieds, et,
ayant fait une place d'armes de notre côté et com-
mencé à ouvrir la tranchée, les ennemis abandonnèrent
ledit fort la nuit ensuivant, ayant laissé une traînée de
poudre, qui fit brûler toute celle qui étoit dedans et
crever quelques-unes des sept pièces de canon qu'ils y
laissèrent. Le lendemain. Monsieur, avec toute la Cour,
alla loger au fort Philippe et me commanda d'y loger
aussi.
Tous les forts et redoutes détachés de Gravelines
étant pris, l'on conmiença à ouvrir la tranchée pour
attaquer la place. L'on fit deux attaques à deux bastions
près l'un de l'autre. M. le maréchal de la Meilleraye
commanda la droite avec les régiments des Gardes
françoises et suisses et autres; M. le maréchal de Gas-
sion, la gauche, avec Piémont, Navarre et autres régi-
118 MEMOIRES DE SOUVIGNY. [1644
ments. D'abord nous fîmes une grande diligence,
conune il arrive souvent, de bien avancer la tranchée
de loin; mais, étant parvenus sur le bord du fossé cpii
étoit au pied du glacis du chemin couvert, ce fut la
pierre d'achoppement qui nous arrêta tout court.
D'abord M. de Courteilles commença par son pont de
fascines qu'il conduisoit avec beaucoup d'adresse;
mais ce que le flux et reflux de la marée pouvoient
en porter étoit bientôt consumé par les feux d'artifice
des ennemis; aussi bien, les ponts de bateaux, la
matière plus rare, quoiqu'à l'épreuve des feux d'arti-
fice, n'y furent pas plus utiles que le pont flottant de
M. de Rantzau*. L'on tint plusieurs fois conseil là-des-
sus. L'on tomboit bien d'accord qu'il falloit passer le
fossé et faire un bon logement au delà; mais personne
ne donnoit les moyens de le faire, d'autant que les
ennemis, qui tiroient incessamment du chemin couvert,
en faisoient des sorties en assurance pour rompre et
brûler nos ponts, et tailler en pièces ceux qui conunen-
çoient quelque logement au delà.
En cette conjoncture, le marquis de Lavardin^, ayant
relevé le marquis de la Ferté-Imbault de la tranchée,
à la tête de laquelle le régiment des Gardes étoit en
garde, en y rentrant se brouilla^ avec M. de Mont-
1. Josias, comte de Rantzau (1609-1650), né dans le Hol-
stein, vint en France avec les Suédois et y prit du service en
1635. Fait maréchal de camp par Louis XHI, il devint maré-
chal de France en 1645, après avoir abjuré le protestantisme.
2. Henri de Beaumanoir, marquis de Lavardin (1618-1644),
fils d'Henri de Beaumanoir, marquis de Lavardin, et de Mar-
guerite de la Baume, maréchal de camp le 12 mai 1644. H
avait obtenu une compagnie aux Gardes à dix-sept ans.
3. Il y a dans le texte : il se brouilla.
4644] MÉMOIRES DE SOUVIGNY. 119
mège^ qui le commandoit, sur ce que, ayant voulu
changer quelque chose sans l'en avertir, il s'en offensa,
et, comme j'étois demeuré en garde avec lui, je ména-
geai si bien les choses qu'ils s'en accommodèrent. Mais
pourtant M. de Montmège ne commandoit pas tous les
soldats qu'il désiroit pour le travail, ceux mêmes qui
étoient commandés ne le faisant pas avec vigueur. M. de
Lavardin et moi nous avançant diverses fois pour les
animer, nous y perdîmes quantité de soldats. Lui-même
y reçut une mousquetade au travers du corps, dont il
ne mourut que deux jours après.
Enfin, après avoir perdu deux mille honunes sans
nous pouvoir bien établir au delà du fossé, tant à cause
du flux et du reflux de la marée et des feux d'artifice,
et des sorties des ennemis, qui renversoient nos loge-
ments avant qu'ils fussent achevés, il fut résolu de faire
une digue à travers le fossé, mettre des pièces de canon
à droite et à gauche, avec quantité de mousquetaires
et des bataillons, qui auroient ordre de passer aussitôt
que les ennemis sortiroient de leur contrescarpe, pour
attaquer ceux qui travailleroient au logement au delà
du pont. M. le maréchal de la Meilleraye fit exécuter
cet ordre avec tant* de vigueur que les ennemis,
ayant été bien battus aux deux sorties qu'ils firent en
après, ne s'y hasardèrent plus, si bien qu'en trois ou
1. Montmège était capitaine au régiment des Gardes [Mém,
de Monglaty t. I, p. 447). Jean de Souillac, marquis de Mont-
mège, mestre de camp d'un régiment d'infanterie de son nom
en 1634, maréchal de camp, conseiller d'État, lieutenant géné-
ral en 1652, capitaine colonel de la compagnie des Cent-Suisses
en 1653, mourut en 1655.
2. Il y a autant dans le texte.
120 MÉMOIRES DE S0UVI6NT. [4644
quatre jours ensuivant, nous nous logeâmes sur la
hauteur du chemin couvert que nous leur fîmes aban-
donner entièrement à coups de grenades.
C'étoit à l'attaque de M. le maréchal de la Meilleraye
que j'étois ordonné, et n'allai qu'une fois ou deux, le
jour, à celle de M. le maréchal de Gassion, qui s'éta-
blit presqu'en même temps au delà dudit fossé. Outre
l'émulation d'honneur qui étoit entre eux, il yavoitune
jalousie particulière, fomentée par plusieurs personnes
qui étoient plus propres aux artifices de la Cour qu*à
la sincérité de l'armée, jusqu'à tel point qu'ils ne vou-
loient point faire de communications entre eux.
J'avertis Monsieur que cela étoit cause qu'il avoit été
tué quantité de gens, en allant d'une attaque à l'autre,
et de la difficulté de se pouvoir entr' aider de plusieurs
choses nécessaires. Sur quoi. Son Altesse Royale me
commanda de le faire moi-même, conmie je fis. Quand
je voyois arriver des choses qui excédoient ma petite
portée, j'en donnois avis à M. de Guise*, prince très
débonnaire et bienfaisant, qui avoit la bonté d'accomr
moder celles qui lui étoient possibles, ou faire en sorte
que Monsieur les mît d'accord, — M. de la Rivière, du
depuis Monsieur de Langres, étant tout à fait pour M. le
maréchal de Gassion contre M. le maréchal de la Meille-
raye, lequel, afin qu'on ne lui pût objecter qu'il eût
aucun avantage sur son concurrent, ni pouvoir être
1. Henri II de Lorraine, duc de Guise, quatrième fils de
Charles, duc de Guise (1614-1664), fut archevêque de Reims à
quinze ans, puis quitta l'Eglise et revendiqua plusieurs fois des
droits sur le royaume de Naples en vertu d'anciens titres de
famille. Il servait alors comme volontaire, n'ayant aucun com-
mandement.
4644] MÉMOIRES DE SOUVIGNT. 121
Llâmé ou soupçonné de la dépense d'un si grand siège,
ne voulut point qu'elle en fût faite, ni aucun travail,
par l'ordre de l'artillerie, dont il étoit grand maître, si
Lien que, sur nos certificats, M. de Villemontée*,
intendant de l'armée, faisoit payer les travaux de
chaque jour.
Pour lors, j'y étois seul maréchal de bataille. Sur la
fin du siège, l'on en créa deux, savoir : M. de [Puysé-
gur^], major au régiment de Piémont, duquel il a été
depuis mestre de camp, et M. d'Argen vieux, lieutenant-
colonel du régiment d'Angoulême^.
Monsieur exerça sa libéralité envers la plupart des
officiers blessés, et faisoit tenir une table de cent cou-
verts pour les volontaires, dont il y en avoit quantité,
plusieurs desquels prétendant se rendre considérables
pour espérer par quelque belle action d'avoir abolition
de leurs crimes, bien dorés sur leurs habits, mais
incommodants envers ceux de qui ils vouloient em-
prunter de l'argent.
1. François de Villemontée, maître des requêtes en 1626,
intendant de Poitou, Saintonge et Angoumois en 1631, con-
seiller d'Etat en 1657, évêque de Saint-Malo la même année,
mourut en 1670. Tallemant des Réaux lui a consacré une his-
toriette, t. IV, p. 346-349. Voy. aussi Bull, des arch. hist. de
la Saintonge, t. IV, 1880-1882, p. 145.
2. Le nom est en blanc dans le manuscrit. Jacques de Ghas-
tenet de Puységur, seigneur de Buzancy et de Bernoville (1600-
1682), maréchal de camp en 1651, mestre de camp du régiment
de Piémont en 1655, quitta le service en 1659. Il a raconté le
siège de Gravelines dans ses Mémoires (t. II, p. 19), édit. Tami-
zey de Larroque, 1883.
3. Le régiment d'Angouléme, levé en 1643 par Charles de
Valois, comte d'Auvergne, fut donné, en 1644, au duc d'An-
gouléme, et licencié en 1650.
122 MÉMOIRES DE SOUVIGNT. [1644
Monsieur me fît Thonneur d'ordonner que je man-
gerois tous les jours avec M. du Mont, son premier
maître d'hôtel, duquel j'ai grand sujet de me louer,
[lorsjqu'il nous envoya tous deux trouver l'ami-
ral Tromp à son bord et lui fît un beau présent.
Faute de savoir bien l'humeur de Monsieur, je
demeurai plus d'une heure à lui demander le mot,
parce qu'en jouant il perdoit et étoit fort en colère, ce
me sembloit. J'attendois toujours qu'il eût plus beau
jeu et fût de plus belle humeur. M. de la Frette, son
capitaine des gardes*, s'en aperçut, et, m'ayant dit que
je ne devois pas m'arrêter pour cela, aussitôt que je
m'avançai près de Monsieur, il mit ses cartes sur la
table et me demanda avec beaucoup de bonté ce que
nous ferions cette nuit-là à la tranchée, et me donna
l'ordre, que je portai.
Pour servir d'avis aux officiers d'armée de ne point
monter des chevaux qui ne soient bien assurés, je
dirai qu'en accourant à l'alarme des Ugnes, le cheval
que je montois fut si épouvanté des mousquetades que
l'on y tiroit, qu'il voulut tourner bride et se coucha le
ventre en terre, quand je voulus le presser, si bien
qu'il me fallut lui tourner la tête du côté de mon logis,
où il courut de toute sa force. Par bonne fortune, j'y
trouvai mon palefrenier Etienne qui m'avoit déjà sorti
un autre cheval de l'écurie, se méfiant de celui-là. Je
montai dessus et trouvai que l'attaque des lignes étoit
fausse.
1. Pierre Gruel de la Frette fut nommé maréchal de camp
le 10 mai 1644. Il est cité dans la Gazette de France, p. 405,
comme commandant la tête du travail du maréchal de la Meil«
leraye au siège de Gra vélines. Il mourut en i656w
i644] MEMOIRES DE SOUYIGNY. 1^3
M. le comte de Saint-Aignan*, étant encore si incom-
modé d'un coup de mousquet dans le genou qu'il ne se
pouvoit soutenir qu'à grand'peine, m'ayant prié [de]
supplier Monsieur lui permettre d'entrer le lendemain
en garde à la tranchée, je dis bien à Monsieur qu'il
m'en avoit chargé, et, en même temps, l'état où il
étoit me faisoit le supplier très humblement lui faire
ordre de ne point sortir de sa tente qu'il ne fût guéri,
ce qui fut fait.
Un soir que je sortois de la tranchée, je reçus un
billet par lequel le baron des Prez, qui a été mestre
de camp du régiment d'Auvergne, me prioit de lui
prêter trente pistoles sur le récépissé qu'en feroit
Jacob, son homme. Je lui baillai un billet pour rece-
voir, en mon nom, trois cents livres du trésorier de
l'armée, qui les lui compta, et dont je n'ai jamais rien
eu, quelque instance que j'aie faite envers M"® de
Tulon, sa sœur, demeurant en Beaujolois*, laquelle a
fait sa déclaration qu'il est mort insolvable, quoiqu'il y
ait peu d'apparence.
Je ne pensois, pendant le siège, qu'à faire mon devoir
et nullement la cour, quoique Monsieur me fit l'hon-
neur de me parler toutes les fois que j'avois celui de
le voir. Après cela, je me privois souvent du repos et
1. François de Beauvillier, comte puis duc de Saint- Aignan,
fils d'Honorat de Beauvillier, comte de Saint-Aignan, et de
Jacqueline de la Grange, était capitaine des gardes de Monsieur.
2. Isabeau de Noblet des Prez épousa, en 1621, Philibert
Tbibaud, écuyer, seigneur de Tulon, dans la paroisse de Len-
tigny, en Forez. Son fils, Philibert-Claude, qui fut, en 1650,
mestre de camp du régiment d'Auvergne, hérita de ses deux
oncles, MM. de Noblet des Prez, à charge de porter leurs
nom et armes.
124 MÉMOIRES DE SOUVIGNT. [1644
du sommeil pour écrire à ma chère femme presque
tous les jours, et lire ses lettres que je recevois ponc-
tuellement deux fois la semaine.
Il ne me souvient pas particulièrement de tout ce qui
se passa de considérable en ce siège après le passage
du premier fossé, qui se défendit si longtemps, par le
moyen des fréquentes sorties que les ennemis fai-
soient sûrement de leurs chemins couverts. Les fossés
des demi-lunes et ceux du corps de la place ne pou-
voient être si bien défendus, mais ne donnèrent pas
tant de peine.
MM. les maréchaux de la Meilleraye et de Gassion
agissoient si exactement, qu'ils laissoient peu de chose
à faire à MM. les maréchaux de camp, ni à moi, qui
fus surpris de deux choses : la première, de voir que
M. le maréchal de Gassion, qui n'avoit jamais été dans
l'infanterie, pût si bien entendre un siège ; la seconde,
de son indicible promptitude à repousser les ennemis,
ce que je reconnus particulièrement la nuit que je le
fus visiter à son attaque, lorsque les ennemis firent
une sortie sur le régiment de Navarre et mirent le feu
à une gabionnade. J'étois assis auprès de lui, à la
tranchée, quand nous entendîmes le bruit, qu'il partit
comme un éclair, et, quoiqu'alors je fusse assez dispos,
je ne le pus attraper qu'il ne fût mêlé l'épée à la main
avec les ennemis, qui se retirèrent à l'instant.
Quelques jours après, que je fus visiter la mine au
bastion de son attaque, les ennemis firent rouler une
bombe d'en haut, qui éclata de sorte que le trou de la
mine en fut bouché, et que nous eussions été étouffés
si on ne l'eût promptement ouverte.
Enfin, après avoir fait nos galeries à travers le fossé
1644] MÉMOIRES DE SOUVIGNY. 425
et fait jouer des mines aux deux bastions attaqués,
nous nous logeâmes dessus; en suite de quoi, les enne-
mis ayant demandé à parlementer, l'on fît la capitula-
tion. Monsieur ayant accordé à Ferdinand de Limontis
de sortir le lendemain avec sa garnison, armes et
bagages, tambour battant, etc.*.
Il y eut alors un si furieux démêlé entre MM. les
maréchaux de la Meilleraye et de Gassion, que, sans la
prudence et l'adresse de M. de Lambert*, qui les
empêcha d'en venir aux mains, ayant tous deux l'épée
à la main, le premier à la tête des Gardes et l'autre à
celle de Piémont, ils eussent couru fortune de se cou-
per la gorge, sur ce que M. de Gassion prétendoit
d'entrer aussi tôt dans la place, avec les troupes de son
attaque, que M. de la Meilleraye avec les siennes, de
sorte que ce ne fût pas sans difficulté que leur accom-
modement fut fait de l'avis de Monsieur. En suite de
quoi, Son Altesse Royale me commanda d'accompagner
1. Ce général espagnol est plus souvent désigné, dans les
Gazettes et Mémoires, sous le nom de Don Fernando de Solis :
a Le 29 [juillet], Don Fernando Solis sortit de Gravelines avec
sa garnison, et, ayant baisé la botte à M. le duc d'Orléans, fut
conduit à Dunkerque. » (Mémoires de Monglat, t. II, p. 449.)
Don Fernando de Solis devait défendre Vervins contre les
Français en 1653. Voy. Recueil des Gazettes de Tannée 1653,
p. 147. Les articles de la capitulation sont donnés dans le
Mercure françois, t. XXV, année 1844, p. 45, et aussi dans la
Gazette de France, dont Tannée 1644 fournit près de dix articles
détaillés sur le siège de Gravelines.
2. Jean de Lambert, baron de Chitry, marquis de Saint-
Bris en Auxerrois, page de Henri IV, maréchal de camp en
1635, lieutenant général en 1648, commandeur de Tordre du
Saint-Esprit, fils de Jean, gentilhomme ordinaire de la chambre,
et de Marguerite Robinet de la Serve.
126 MÉMOIRES DE SOUVIGNT. [1644
jusqu'au delà de nos gardes avancées Ferdinand de
Limontis, qui sortoit de la place avec sa garnison.
Chemin faisant, il me pria de lui dire la vérité en quelle
estime il étoit parmi nous. Je lui répondis qu'il ne
pouvoit espérer un plus grand honneur, à la défense
de Gravelines, que d'avoir eu un maréchal de France
logé sur chacun des bastions attaqués, et que nous
avions beaucoup d'estime pour sa personne, de sa
prudente conduite durant le siège. Il me dit là-dessus :
< C'est un plus grand avantage pour moi que vous
autres, Messieurs les François que. j'honore, croyiez
que je me suis bien acquitté de mon devoir ; mais je
vous dirai franchement que je suis averti de l'informa-
tion que quelques officiers, mes ennemis, ont faite
contre moi, disant que le secours seroit entré dans la
ville, si j'avois tenu des bateaux à temps à l'endroit où
ils se présentèrent à l'heure qu'ils dévoient
^ [devant] le fort Philippe. Pour le premier,
il est constant que, si j'avois mis des bateaux de ce
côté-là, je vous aurois montré l'endroit par lequel
j'attendois le secours, et vous l'auriez empêché d'en-
trer, et que, si j'eusse attendu encore deux jours à
abandonner le fort Philippe, j'aurois perdu quatre
cents hommes qui m'ont fait tenir plus de quinze jours
dans Gravelines. J'ai mon journal et les témoignages
des gens de bien pour ma justification. >
Ayant conduit ledit Ferdinand de Limontis, nous
nous séparâmes. Il continua son chemin à Dunkerque,
et moi je retournai trouver Monsieur, qui, le même
jour, donna l'ordre à l'armée de démolir les lignes, et
1. Quelques mots sont rognés sur deux lignes au bas de la
page 437 du manuscrit.
1644] MÉMOIRES DE SOUYIGNY. i27
à M. de Grancey*, qu'il établit gouverneur à Grave-
lines, de réparer les brèches et nettoyer les fossés de
la ville avec sa garnison.
Pendant la capitulation de Gra vélines, M. d'Aumont^,
gouverneur du Boulonnois, se saisit du poste de Wat-
ten^, avec des troupes de son gouvernement, que M. le
maréchal de Gassion fortifia d'une partie de l'armée,
et, sur l'avis qu'eut Monsieur que toutes celles des
ennemis marchoient de ce côté-là, il nous y envoya
encore, M. de la Ferté-Imbault et moi, avec deux mille
honmies de pied et six cents chevaux. Nous prîmes
le fort de Wattendam^ sur la rivière d'Aa, de laquelle
on a tiré un canal qui fait la rivière de Colme^. Après
que notre retranchement fut bien fait à Watten et que
j'eusse été à la guerre du côté de Saint-Omer avec
M. le maréchal de Gassion, je m'en allai à Ardres
trouver Monsieur, lequel je suppliai de me donner mon
congé et de l'accompagner, puisqu'il quittoit l'armée, en
laquelle j'étois venu servir de maréchal de bataille sous
son autorité, et ne désirois point servir sous un autre
général, ce que Son Altesse Royale m'ayant accordé
1. Jacques Rouxel, comte de Grancey et de Médavy (1603-
1680), maréchal de camp en 1636, maréchal de France en 1651,
gouverneur de Gravelines et de Thionville, fils de Pierre, baron
de Médavy, et de Charlotte de Haute mer, comtesse de Grancey.
2. Antoine d'Aumont, marquis de Villequier, puis duc d'Au-
mont, maréchal de France en 1651, second fils de Jacques
d'Aumont, baron de Chappes, et de Charlotte-Marie de Ville-
quier, mourut en 1669.
3. Watten, cant. de Bourbourg, arr. de Dunkerque.
4. Wattendam, comm. de Watten.
5. Le canal de la Colme part de l'Aa^ au sud de Watten-
dam^ passe à Bergues et finit à Fumes en Belgique^ où il se
rattache au canal de Dunkerque à Newport.
i28 MÉMOIRES DE SOUVIGNY. [i644
avec des bontés extrêmes, il donna en même temps
'congé à M. de Roncière, aide de camp. Étant arrivé à
Montreuil, M. le comte de Lannoy * en étant gouverneur,
y faisant voir sa place, dit, pour m'obliger, que je Ty
saurois mieux conduire que lui-même, y ayant bien fait
des rondes, et [je] répondis que je m'y pourrois égarer
à cause de la quantité des beaux ormeaux et ypréaux^
qu'il y avoit fait planter sur les remparts, devenus
admirablement grands depuis vingt ans que j'y avois
été en garnison. [M. de Lannoy] ayant eu beaucoup de
satisfaction de notre régiment, spécialement de M. de
Beauregard, mon oncle, qui le conunandoit, duquel il
étoit ami intime, j'en trouvai beaucoup en renouvelant
mes anciennes connoissances.
Lorsque Monsieur arriva au château de Greil, maison
royale située sur la rivière d'Oise^, il me fit l'honneur,
l'espace de plus de deux heures qu'il se promena, de
s'appuyer toujours sur mon bras, parlant du siège
de Gra vélines et qu'il diroit bien à M. le Cardinal
de la façon dont je servis. Il* eut la bonté d'en
dire bien davantage que je n'en avois fait; car, en
rencontrant M. le Cardinal à la Chevrette, près Saint-
1. Charles de Brouilly, seigneur de Piennes, comte de Lan-
noy, leva en 1641, pour la garnison de Montreuil, un régiment
d'infanterie qu'il donna^ en 1643, à son gendre Roger du
Plessis, comte de la Rocheguyon.
2. V y préau est un des noms vulgaires du peuplier blanc ou
blanc de Hollande.
3. Forteresse élevée au moyen âge contre les Normands, le
château de Creil fut pris une dernière fois par les ligueurs en
1588 et fut souvent habité par Henri IV, à cause du voisinage
de Verneuil. Vendu pour être détruit en 1780, il en reste encore
des vestiges.
4. Il y a qu'il dans le texte.
1644] MÉMOIRES DE SOUVIGNY. 129
Denis, [où] M. de Montozon les traita tous deux avec
leur cour, Monsieur lui dit qu'il lui a voit baillé l'homme '
qu'il y falloit pour prendre Gravelines, quoiqu'effecti-
vement MM. les maréchaux de la Meilleraye et de
Gassion m'y aient laissé peu de chose à faire.
Le même jour, M. le Cardinal, me l'ayant dit, ajouta
qu'il étoit bien aise de cela, afin que je fusse bien connu
en Flandre et qu'il fit plus facilement ma fortune, dont
il faisoit son fait propre. Après m'a voir tenu environ
trois semaines à Paris dans cette espérance et fait
connoître qu'il me désiroit comme domestique, à quoi
je ne voulois point m'engager, quoi[que] plusieurs
personnes de haute qualité et de mérite se soient esti-
mées heureuses de s'être données à Son Éminence, qui
en a fait des grands seigneurs, parce que je ne voulois
point avoir d'autre maître que le Roi, ni demeurer si
longtemps éloigné de ma femme, que j'aimois et esti-
mois plus que tous les biens du monde, je pris congé
de Son Éminence, ayant laissé par son ordre un
mémoire à M. de Lionne* de mon adresse, afin qu'il
me pût faire savoir quand il faudroit que j'allasse le
trouver et être employé pour le service du Roi et de
Son Éminence.
Auparavant partir de Paris, j'obtins un arrêt avec
Messieurs les cinq frères de Sourdis d'Escoubleau,
cohéritiers de M"**' de Montagnac, leur mère^, signé
1. Hugues de Lionne (1611-1671), neveu d'Abel Servien,
venait d'être nommé conseiller d'État. Secrétaire des comman-
dements de la Reine mère de 1646 à 1653, il devint ambassa-
deur, puis ministre d'Etat en 1659 et secrétaire d'Etat des
Affaires étrangères en 1663.
2. Anne de Rostaing, mariée en secondes noces, en 1605,
II 9
i30 MÉMOIRES DE SOUVIGNT. [1644
du 10® août 1644*, par lequel il fut dit que le pro-
cès d'entre elle et demoiselle Louise de Villars, ma
belle-mère, seroit mis au néant et les parties hors des
procès et sans dépens, qu'il seroit fait une quinte et
surabondante criée pour le décret de Trocezard, et que
l'adjudication en seroit faite par les officiers de justice
de Châtelus^
En après, je m'en allai voir mon frère le doyen ^ à
Jargeau, qui me fit la faveur d'aller avec moi en Lyon-
nois. Je trouvai ma femme à Longes, avec Madame ma
belle-mère, en bonne santé, M. l'archevêque de Vienne,
MM. les barons de Virieu*, de Villars^, et toute la
avec Jacques de la Veue de Montagnac, dont elle n'eut pas
d'enfants, avait eu six fils et une fille de son premier mari,
René d'Escoubleau, seigneur de Sourdis, chef de la branche
aînée de la maison d'Escoubleau, dont une branche cadette a
fourni les deux frères archevêques de Bordeaux.
1. Il y a en marge dans le manuscrit : Arrêt pour le décret
de Trocezard^ août ISkk. Le décret était une ordonnance por-
tant saisie ou prise de corps.
2. ChAtelus, cant. de Saint-Galmier, arr. de Montbrison,
Loire. D'après Y Almanach de Lyon et des provinces de Lyon-
noisy Forez et Beaujolois, la justice de Châtelus comprenait la
paroisse de Saint-Denis-sur-Coise et une partie de celle de
Coisc. Elle était assurée par un juge, un châtelain, un procu-
reur fiscal et un greffier.
3. Pierre Gangnières, né en 1610, n'était pas encore doyen.
Dans le Registre des actes capituiaires du chapitre de t église
colUgiale de Saint- l'rain de Jargeau, commençant en 1631
(archives du Loiret', il figure comme « escolier chanoine » en
1632. Il est fait sous-diacre la même année. II devint doyen
du chapitre en 1651.
4. Gabriel de Fay, baron de Virieu, seigneur de Malleral,
fils de François et de Catherine de Morges de la Motte, époast,
en 1031, Marguerite de Murât, sœur de Charles de Munit, sei-
gneur de la S^ne.
5. aaude V de Villars, baron de Masdas, fils de Cbnde lY
1644] MÉMOIRES DE SOUVIGNY. 431
famille de même, et je puis dire que notre satisfaction
étoit fort grande, nous occupant à faire réparer la
maison forte de Longes, planter, et retirer des fonds
aliénés, en acquérir d'autres. J'étois bien séant de
liquider les dettes de Trocezard et faire des échanges et
petites acquisitions ; et, le \ 0^ décembre de ladite année
1644, pour purger les hypothèques et sortir nettement
d'affaires, je fis passer le décret de la maison forte de
Trocezard, rentes et domaines en dépendant, en la juri-
diction de Chàtelus. Conformément à l'arrêt du Parle-
ment, M. Melchior Harenc de la Condamine, doyen de
l'église de Saint-Pierre de Vienne, mon beau-frère*,
qui représentoit l'héritier de la maison^, présent, [fut]
sommé, avec les procureurs des créanciers, de surdire
et enchérir, si bon leur sembloit, de plus que la sonmie
de vingt-sept mille livres que mon procureur en avoit
offerte pour moi; mais, personne n'en voulant rien
faire, d'autant que M™^ de Montagnac avoit désa-
voué son procureur, auquel Trocezard avoit été adjugé
au nom de ladite dame, pour ladite somme de vingt-sept
mille livres, en la même juridiction de Chàtelus, de
laquelle ayant fait infirmer la sentence au bailliage de
Montbrison, ma belle-mère avoit appelé au Parlement
pour lui faire tenir ladite enchère et adjudication de
vingt-sept mille livres, de laquelle ayant pris le fait et
cause en main, j'obtins le susdit arrêt en vertu duquel
et de demoiselle de Fay-Virieu, épousa Charlotte de Nogaret-
Calvisson. Voy. p. 72.
1. Il y a en marge dans le manuscrit : Je fus adjudicateur
de Trocezard du iO^ décembre 16 kk,
2. Le doyen Melchior Harenc de la Condamine représentait
son frère, Claude-Henri, capitaine, que nous avons déjà vu
désigner sous le nom de M. de Trocezard, p. 73 et 87,
132 MÉMOIRES DE SOUVIGNY. [1644
a été faite en mon nom cette dernière adjudication
audit Ghàtelus.
Après quoi, m'étant enquis des praticiens qui
s'y trouvèrent s'il n'y avoit rien à redire audit
décret, ils me répondirent que toutes les solenni-
tés y avoient été observées et ne s'y pourroit rien
ajouter. Il n'y en eut qu'un qui me dit qu'il pourroit
arriver un jour que quelque chicaneur y trouveroit à
redire, parce que ce décret avoit été passé le jour de
Sainte-Luce, fête fériale à la cour de Montbrison d'où
dépend la justice de Ghàtelus, et, quoique tous les autres
fussent d'avis contraire, pour mieux assurer les choses
et n'y laisser aucun ombrage, je fis derechef faire toutes
les formalités requises et, dans quelques jours après,
une nouvelle adjudication, qui fut aussi en mon nom,
parce que Monsieur mon beau-frère ni les procureurs
des créanciers ne voulurent pas enchérir ; et je me serois
bien gardé d'un si haut prix, si [ce] n'eût été pour
assurer plus de vingt-trois mille livres que mondit
sieur le doyen, mon beau-frère, avoit déjà payées de
mon argent à l'acquit des dettes de Trocezard, à mon
absence ; et, comme il en paya plusieurs qui n'étoient
pas si utilement coUoquées que le nonuné Mellier, qui
étoit aussi au cinquième rang de l'ordre de la distri-
bution du prix, et par conséquent premier en ordre
que Madame ma belle-mère et demoiselle Gabrielle de
la Gondamine ^, à laquelle il bailla deux mille trois cents
livres de mon argent, comme aussi, devant trois autres
créanciers qui étoient intervenus au décret sur l'allo-
cation de ma belle-mère, mon beau-frère s'opiniâtra, à
1. Voy. p. 74, note 1.
1645] MÉMOIRES DE SOUVIGNY. i33
mes dépens, de son allocation, disant qu'il ne lui*
étoit rien dû, [il] fut condamné à Montbrison, dont
ayant été à Paris ^, je fus contraint de prendre le fait et
cause en main ; et, ayant soutenu le procès plus de vingt
ans, j'ai finalement été conseillé de m'en accommoder,
comme j'ai fait, ayant payé audit Mellier la somme de
quatre mille quatre cents livres, selon sa quittance
contenue à la transaction que nous avons passée
ensemble, par laquelle nous sonmies demeurés quittes
de toutes choses, le ... 1666.
^645.
Après que Trocezard fut adjugé à mon nom, ainsi
que j'ai dit, je fus retrouver ma fenmie à Longes.
Elle en fut bien aise et ma belle-mère aussi, [que]
j'honorois bien fort et qui m'aimoit d'une tendresse
toute particulière. Je ne fus pas assez heureux pour
demeurer plus longtemps avec elles, jusqu'environ le
15* janvier 1645 que j'en pris congé, sur une lettre
de M. le Cardinal de l'aller trouver. Il me dit à l'abord
qu'il m'avoit destiné pour servir de maréchal de
bataille à l'armée de Catalogne, dans le corps particu-
lier qui assiégeroit Roses, sous le commandement de
M. le comte du Plessis, parce qu'il appréhendoit
quelque brouillerie entre lui et M. le comte d'Harcourt,
qui commandoit l'armée plus avancée dans le pays de
Catalogne^. Sachant bien qu'ils étoient tous deux de
1. C'est-à-dire au sieur Mellier.
2. C'est-à-dire ayant appelé au parlement de Paris.
3. Le comte d'Harcourt venait d'être nommé, en février,
vice-roi de Catalogne à la place du maréchal de la Motte-Hou-
m MÉMOIRES DE SOUYIGNT. [1645
mes amis et qu'il ne pouvoit choisir personne plus
propre à maintenir la bonne intelligence qui étoit
nécessaire entre eux en cette occasion, c'est de cette
façon qu'il récompensa mes services et dora la pilule
pour me faire encore servir de maréchal de bataille
auparavant d'avoir mieux. J'aimai mieux prendre ce
parti où l'honneur m'engageoit, avec l'espérance d'être
récompensé, et, après avoir reçu les arrérages de ma
pension, je pris congé de Son Éminence et m'en revins
trouver ma fenune, Monsieur le bonheur étant, en ce ren-
contre, qu'elle se trouvoit à Longes sur mon chemin de
Catalogne. Je ne lui pus dissimuler que je devois faire ce
voyage, parce qu'il me fallut prendre mon équipage.
Je tâchai seulement à la consoler de l'espérance d'un
prompt retour, et ma belle-mère aussi. Je ne veux pas
dire de regrets de notre séparation, [mais] que je louai
un bateau à Gondrieu pour Beaucaire et m'en allai
coucher chez M. de Villars, qui avoit alors la terre de
SarrasV où il ne se contenta pas de me faire bonne
chère : il fit mettre dans mon bateau quantité de
bons vivres.
Passant à Valence, je rencontrai deux capucins, que
je fis mettre dans mon bateau. Sur le midi, ces bons
pères conunencèrent à manger d'un petit morceau de
pain qu'ils avoient, en sortant une petite bouteille»
disant qu'ils faisoient collation parce qu'il étoit oo
dancourt. Le comte du Plessis commandait on corps particii-
lier, chargé du siège de Roses. Il ambitionnait le bâton de
maréchal, qu'il reçut en effet après la prise de la ville. —
Roses, en espagnol Rosas, dans la province de Girone, petit
port situé à l'extrémité nord d'une baie circulaire.
1. Sarras, sur le Rhône, cant. et arr. de Toumon, iirdèche.
1645] MÉMOIRES DE SOUVIGNY. i35
jour de jeûne. Je leur dis que j'avois de quoi leur
bailler bien à dîner et qu'il valoit mieux remettre à
faire leur collation au soir, et, ayant fait apporter les
provisions de M. de Villars, je pris grand plaisir et
appétit de voir si bien manger ces bons pères. Après
notre dîner, il se leva une furieuse bise, qui est assez
commune sur le Rhône, au mois de février où nous
étions. Plusieurs s'en trouvèrent mal et moi plus que
les autres. Je ne sais si ce fut pour avoir mangé trop
de poisson, il me prit un dévoiement avec douleur et
fièvre qui me continua tout le jour et toute la nuit, que
je logeai au Pont-Saint-Esprit*; et même, en arrivant
à Beaucaire, m'étant fait traiter, je fus guéri le hui-
tième jour, quoique bien foible, et trouvai M. le comte
du Plessis à Perpignan le lendemain qu'il y étoit
arrivé. Il fut bien aise de me voir, sachant bien que je
devois servir dans son armée. Je l'accompagnai à Col-
lioure et au Port-Vendres, oii nous vîmes mettre pied
à terre à la plupart de l'infanterie de notre armée,
avec laquelle nous allâmes loger au Boulou^, passâmes
la montagne au col de Perthus^ et [vînmes] loger à
Figuières*, marchant en bon ordre, sur l'avis que la
garnison de Roses, au nombre de quatre cents officiers
réformés, la plupart montés sur des chevaux castillans,
avoient défait la compagnie de la Reine '^ et fait prison-
1. Pont-Saint-Esprit, ch.-l. de cant., arr. d'Uzès, Gard.
2. Le Boulou, arr. et cant. de Céret, Pyrénées-Orientales.
3. Le Perthus, comm. du cant. de Céret, entre deux talus
formant col, dans une vallée des Albères, sur la frontière
franco-espagnole, est un des principaux passages de la région.
4. Figueras, prov. de Girone, Catalogne, garde la route de
Perthus.
5. Anne d'Autriche avait ajouté, le 18 juin 1663, à sa com-
136 MÉMOIRES DE SOUVIGNY. [1645
nier M. de Fabert, maréchal de camp, auquel elle ser-
voit d'escorte, sur le chemin entre la Jonquière* et
Figuières, et Tavoient conduit à Roses.
Toutes nos troupes étant assemblées à Figuières,
nous en partîmes le premier jour d'avril 1645 et
passâmes par l'Escadirette pour faire les approches de
Roses. Toute la cavalerie de la ville, avec quelques
mousquetaires, vint au-devant de nous jusque sur la
hauteur de la tour de la Garrigue, faisant contenance
de la vouloir défendre ; mais, après quelques légères
escarmouches, [les ennemis] se retirèrent et nous lais-
sèrent librement faire notre campement au vallon cou-
vert de ladite hauteur, depuis la mer jusqu'à la mon-
tagne. Nous étions en peine de fourrages et d'eau ; mais
nous trouvâmes que le grand étang qui se dégorgeoit
à la mer, étoit d'eau douce, mais encore [qu'il y avoit]
de très bonnes fontaines par tous les camps, après y
avoir creusé environ deux pieds, et beaucoup d'herbe
entre la colline et l'étang.
Pendant qu'on travailloit à retrancher et loger, nous
allâmes à diverses fois autour de la ville, M. le comte
du Plessis, M. le marquis d'Huxelles et moi, reconnoltre
par où nous devions faire notre attaque, que [nous]
résolûmes faire au bastion Saint-Georges et à celui
qui en étoit proche, du côté de la mer, pour plusieurs
raisons. La dernière fois que la chose fût résolue, étant
sur une hauteur à la vue des ennemis, ils nous firent
pagnie de gendarmes une compagnie de chevau-légers, com-
mandée par le marquis de Saint-Mégrin, et qui était alors en
Catalogne.
1. La Junquera, premier village d'Espagne, au débouché
sud du col de Perthus.
1645] MÉMOIRES DE SOUVIGNY. 137
couper le chemin par cent chevaux, et nous nous sau-
vâmes à grand'peine aux deux escadrons éloignés de
nous, [donnés] pour escorte.
La ville de Roses est située entre la montagne et la
mer, qui baigne ses murailles, et fortifiée de cinq
bastions, dont il y en a un tenaillé. Les flancs sont
extraordinairement petits et les angles flanqués beau-
coup plus aigus qu'à l'ordinaire. Le fossé est long et
profond, revêtu d'une forte muraille en dehors, peu de
terre aux remparts, point de chemin couvert qu'un
marchepied que Don Diègue Cavalis*, gouverneur de
la place, fit faire suspendre sur les fossés, point d'autre
demi-lune qu'une petite entre les deux bastions de
notre attaque, le glacis médiocrement bon, le terrain
étant soutenu par des fascines en divers endroits pour
le défendre des inondations de la montagne, trente-six
grosses pièces de canon, dont il y en avoit douze qu'on
appeloit les douze apôtres, quatre autres pièces de plus
de soixante livres de boulets qu'ils mirent aux flancs
et [qui] servirent fort peu, plusieurs fauconneaux et
mousquets à chevalet, si grande quantité de poudre
que nous y en trouvâmes plus de cinq cent milliers,
quoique celle qu'ils avoient dans ces grandes tours fût
brûlée, ce qui ne s'est point fait des sièges de notre
temps où il s'est tant tiré de coups de canon. La gar-
nison étoit composée de trois mille six cents hommes
de pied, bonne infanterie espagnole, et d'environ quatre
cents chevahers, la plupart officiers réformés, montés
sur des chevaux castillans. Outre la ville de Roses, les
ennemis tinrent le château de la Trinité, distant d'une
1. Don Diego Cavallero.
138 MiMOIRES DE SOUVIGNT. [1645
portée de canon, situé sur une hauteur à l'extrémité
d'une montagne fort haute, d'une figure triangulaire,
mais assez bon^ Il y avoit soixante hommes dedans et
quatre pièces de canon et environ cinquante milliers
de poudre. Au-dessous dudit château les vaisseaux et
galères peuvent mouiller en sûreté, à moins qu'il fasse
un vent de Ponant extraordinaire.
Notre armée étoit composée de cinq mille quatre
cents hommes de pied et de sept cent soixante chevaux,
savoir, infanterie : Normandie, Sault, Vaubecourt,
Plessis-Praslin, Lyonnois, Huxelles^, Roussillon^,
Guyenne, Tavannes*, Calvières, Saint-PauP, Ghaus-
soy^, Praroman, suisse "'; de cavalerie : les régiments de
Boissac, de Feuquières, de Gault®, et les compagnies de
la Reine et de Schonberg ; pour général : M. le comte
du Plessis, qui fut fait maréchal de France après la
1. Le promontoire de Santa-Trinitad, couronné par un fort,
défend, à Test, la baie circulaire de Rosas.
2. Régiment d'Huxelles, levé en 1634, devenu 41* régiment
d'infanterie en 1794.
3. Régiment de Roussillon, levé en 1635, licencié en 1644.
4. Régiment de Tavannes levé en 1639, licencié en 1648.
5. Régiment de Saint-Paul, levé en 1625 par Balthazar de
Girard de Saint-Paul; donné, en 1637, à son fils; licencié
en 1647.
6. Régiment de Chaussoy, levé en 1645 par M. de Chaussoy,
licencié la même année.
7. Régiment de Praroman, suisse, levé en 1641, devenu
régiment de Reynold, licencié en 1653.
8. Le 24 janvier 1638, on avait enrégimenté la cavalerie en
délivrant des commissions pour trente-huit régiments, compo-
sés de huit compagnies et d'une compagnie de mousquetaires.
Ces régiments s'ajoutèrent aux vingt-cinq régiments de cavalerie
qui venaient de passer des troupes weimariennes au service de
la France.
4645] MÉMOIRES DE SOUVIGNY. 139
prise de la place ; pour maréchaux de camp : MM. de
VaubecourtS d'Huxelles et de Saint-Mégrin*; MM. de
Saintr-PauP, d'Alvimar et moi, maréchaux de bataille.
Nous n'avions pas à craindre que la place fût secou-
rue par terre, parce que M. le comte d'Harcourt étoit
avancé avec son armée bien avant en Catalogne, ni du
côté de la mer, qui étoit gardé par notre armée navale,
composée de dix-sept vaisseaux et dix-neuf galères,
conmiandée par le commandeur des Gouttes.
M. le comte du Plessis m'ayant offert le choix de faire
à mon particulier l'attaque du château de la Trinité,
comme premier maréchal de bataille, ou de demeurer
avec lui à l'attaque de la ville, après l'en avoir remer-
cié, je lui dis qu'il sembloit, sous son meilleur avis, que
ledit château devoit suivre la fortune de la ville, pour
l'attaque de laquelle il n'avoit pas trop de gens et n'en
pouvoit détacher qui ne lui fit faute. Après quoi, il y
envoya M. d'Alvimar, pendant que nous avançâmes
notre tranchée, laquelle se trouva d'environ sept cent
cinquante pas de long, avec quatre redoutes le long du
vallon, entre la hauteur de la campagne et la mer, lors-
1. Nicolas de Nettancourt-Haussonville, comte de Vaube-
court (1603-1678), fils de Jean, lieutenant général, et de
Catherine de Savigny, gouverneur de Landrecies, de Perpi-
gnan et du comté de Roussillon, maréchal de camp en 1642^
lieutenant général en 1651.
2. Jacques de Stuert de Caussade, marquis de Saint-Mégrin,
maréchal de camp en 1643, lieutenant général en 1650, fut tué
au combat de la Porte Saint- Antoine en 1652.
3. François de Girard de Saint -Paul, fils de Balthazar,
lieutenant général, et d'Espérance de la Porte de Boscozel,
mestre de camp, fut tué devant Roses. Son frère Jacques lui
succéda comme mestre de camp et fut tué devant Arras
en 1654.
140 MÉMOIRES DE SOUVIGNT. [1645
qu'il vint un si furieux orage, le mercredi de la semaine
sainte, qu'il inonda ledit vallon et nos redoutes, où étoit
en garde le régiment de Tavannes, commandé par M. de
Montmoyen, lieutenant-colonel; sur quoi, l'ayant été
visiter, je lui demandai la raison pourquoi il ne faisoit
[pas] retirer les soldats qui se noyoient dans la der^
nière [redoute]. Il me dit que c'étoit pour obéir à un
maréchal de camp de jour, auquel il avoit demandé ce
qu'il avoit à faire, qui lui avoit répondu qu'il falloit
mourir là, ce qu'ils sauroient bien faire en gens de bien.
Je leur dis qu'il étoit trop sincère au service du Roi
pour périr si mal à propos, que non seulement il
falloit retirer ses gens de là, mais encore tout le régi-
ment, et que les ennemis n'étoient pas des poissons,
non plus que nous, qu'ils ne pouvoient occuper le poste
sans se noyer : « Enfin je vous déclare à vous, M. de
Montmoyen, et à tous ceux de votre corps, que je
me chargerai et répondrai du conmiandement que je
vous fais de vous retirer avec moi dans le camp, après
que vous aurez fait prendre par vos soldats la munition
de guerre et les outils qui sont ici; > ce qui fut promp-
tement fait. Lres soldats qui les portoient étoient déjà
avancés environ deux cents pas du côté du camp, et nous
commencions à nous y acheminer, quand les ennemis
sortirent sur notre cavalerie et infanterie, sans nous
pouvoir approcher, parce que la campagne étoit si
trempée que les chevaux en avoient jusqu'au ventre et
les hommes n'en pouvoient sortir. Je montois alors un
assez bon cheval, qui fut légèrement blessé d'un édat
de canon, dont il fut si épouvanté, que du depuis il me
fut impossible de lui faire tourner la tête du côté de
la ville de tout le siège. Quand je fus arrivé sur le bord
1645] MÉMOIRES DE SOUVIGNY. 141
du ruisseau, au vallon duquel, dans le commencement
du siège, nous mettions notre garde de cavalerie, je le
trouvai si enflé et si impétueux qu'il me fallut faire
marcher le régiment de Ta vannes en corps de bataillon,
mettant les piquiers au-dessus du courant de l'eau
avec ordre de se tenir bien joints ensemble, et aux
mousquetaires aussi, et, quoique cette masse rompît
l'impétuosité de l'eau, nous eûmes grand'peine à la
passer et ne l'aurions pu faire une heure après.
M. le comte du Plessis fut bien aise de me voir arri-
ver au camp avec ledit régiment de Tavannes, dont
il étoit d'autant plus en peine que le débordement
des eaux dans notredit camp, qui fit abandonner
les huttes pour se sauver sur les hauteurs, en avoit
emporté quantité de bagages à la mer avec des affûts
d'artillerie. L'orage et la pluie qui tomboit à verse
ayant abattu toutes les huttes, tentes et pavillons,
éteignirent aussi tous les feux, de sorte que nous en
fûmes entièrement privés aussi bien que de lumière,
dans tout notre camp, depuis le mercredi au soir jus-
qu'au samedi ensuivant*, veille de Pâques, sur les six
heures de matin que le temps se mit au beau [et] l'air
[à] devenir serein. Par un bonheur et une grâce du ciel
toute particulière, notre armée [navale], sans port,
exposée à l'injure du temps, se tint si ferme sur ses
fers et ancres, qu'il ne se perdit que deux galères, qui
donnèrent bout à terre dans le sable. Encore se per-
dit-il peu des gens d'une d'elles, celle de Saint-Just,
qui eut la prévoyance et la charité de faire détacher
les forçats qui se sauvèrent. L'autre n'ayant pas fait de
1. Effacé : sur le midi que l'orage commença à se calmer.
142 MEMOIRES DE SOUVIGNT. [1645
même, ils se noyèrent tous et leurs corps, flottant sur
les eaux, portaient après leur mort les chaînes de leur
captivité.
Nous nous trouvâmes en tel état qu'il ne restoit pas
cinquante cavaliers dans le camp , ni la moitié des soldats
des régiments d'infanterie, excepté les Suisses de Praro-
man dont il ne se débanda pas un. M. le marédial du
Plessis me commanda, avec tous les majors et plusieurs
officiers de chaque corps, pour ramener dans le camp
les déserteurs. Nous en trouvâmes plus de deux mille
dans la colline, presque demi-morts de froid et de faim,
qui se chauffoient à l'abri des arbres et de quelque
muraille, restée de la démolition générale que Don
Diègue avoit faite de toutes les maisons qui étoient
autour de sa place. Après avoir fait mettre des officiers
à la tète et à la queue de chaque centaine des soldats,
et qu'ils commencèrent à marcher pour retourner au
camp, je m'acheminai du côté de Castillon*, suivant
l'ordre de M. du Plessis de tenter le passage pour m'y
rendre, et allai prier de sa part M. Imbert, intendant de
l'armée^, de faire tous ses efforts pour nous en faire
venir du pain, qui avoit manqué dans notre camp dès
le jour précédent, et ne nous en pouvoit venir d'ailleurs
[que] de Gastillon, où il se faisoit. Il me fut bien néoes-
1. Castellon-de-Ampurias, à mi-chemin entre Rosas et
Figueras.
2. M. Imbert, intendant de justice et finances en Roussillon,
avait envoyé, dès 1644, un mémoire sur Tattaque de Roses,
qui se trouve aux archives du Dépôt de la Guerre, n*' 2S3. On
trouve à la Bibliothèque nationale des lettres de Le Tellier,
secrétaire d'Etat à la Guerre, à l'intendant Imbert, à Tarmée
de Catalogne, années 1645 et 1647, notamment dans le manus-
crit Franc. 4172, fol. 282 et suivants.
1645] MÉMOIRES DE SOUVIGNY. 143
saire d'avoir un bon guide ; car la plupart de la plaine
étoit inondée, et fallut que nos chevaux passassent à
nage en plusieurs endroits plus enfoncés.
En arrivant à Gastillon, je demandai premièrement
du pain pour l'armée à M. Imbert et, en après, qu'il
fit en sorte que le pays fournit promptement cent
mules, et [de] les envoyer à M. le comte du Plessis,
suivant son ordre ; car nous n'avions point de chevaux
d'artillerie, non pour lever le siège, conune on croyoit,
mais pour changer notre poste d'artillerie qui étoit
inondé. Après qu'il m'eut promit qu'il alloit prompte-
ment travailler à l'un et à l'autre, je m'en allai à mon
logis me mettre dans le Ht, pendant que l'on sécha tous
mes habits qui étoient tous mouillés.
Après avoir pris congé de M. Imbert, je fus trouver
M. le comte du Plessis, qui fut bien satisfait de mon
voyage et dit tout haut à la plupart des officiers de
l'armée qui se ti'ouvèrent à mon retour auprès de lui :
< Messieurs, il nous faut demain matin (qui étoit le jour
de Pâques) ressusciter avec Dieu. En après nous ver-
rons ce que nous aurons à faire. > Environ sur les deux
heures après midi, il fut résolu dans le conseil de ne
nous point servir de notre première tranchée ni de nos
redoutes inondées, mais d'aller ouvrir la tranchée sur
la gauche, en un lieu qui étoit presque aussi avancé
que la tète de notre premier travail, — c' étoit un ter-
rain penchant, au derrière duquel il y avoit un rideau
où l'on pouvoit mettre cent chevaux à couvert, — que
nous ferions à travers dudit penchant un retranche-
ment en ligne à peu près parallèle à la place, de cent
pas de longueur, et deux redoutes aux extrémités.
M. Garnier, gouverneur de Toulon, faisant la charge
444 MÉMOIRES DE SOUVIGNT. [1645
de maréchal de bataille, fut ordonné pour la [redoute
de] droite et moi pour celle de la gauche. Je n'ai jamais
vu travailler des soldats et officiers avec tant d'ardeur
et de désir de regagner le temps que l'inondation nous
avoit fait perdre. La ligne fut achevée avant soleil levé
et le retranchement si élevé qu'il y avoit pour mettre
deux mille hommes à couvert. La redoute de M. Gar-
nier le fut aussi, plus basse que la mienne à cause de
sa situation, laquelle étoit vue de trois bastions aupa-
ravant que l'on ait eu le temps d'achever la vidange
du dedans. Elle fut si furieusement battue du canon
pendant deux heures que les ennemis croyoient l'avoir
mise en poussière; l'ayant vigoureusement attaquée,
[elle] fut encore mieux défendue par le régiment Lyon-
nois, qui y étoit en garde et les repoussa brusquement.
Presqu'en même temps Don Diègue fit une rodomon-
tade espagnole; car il vint camper devant nous, au
retranchement qu'il fit faire entre le ruisseau et la
place, avec la plupart de sa garnison, cavalerie et
infanterie ; mais il retira promptement le tout, quand
M. le comte du Plessis conmiença à l'attaquer par
divers endroits.
M. d'Âlvimar ayant attaqué le château de la Trinité
par la hauteur de la montagne, qui alloit toujours en
penchant* vers la place, la roche toute nue, étant con-
traint [de] se porter de quoi se loger, perdoit beaucoup
des gens sans guère avancer ; ce que voyant Messieurs
de l'armée navale, ils députèrent le chevalier de la
Roche-Âllard^ à M. le comte du Plessis, qui lui dit que
1. Effacé : descendant.
2. Le chevalier de la Roche -Allard commandait quatre
navires dans le combat naval que le duc de Brezé livra aux
1645] MÉMOIRES DE SOUVIGNY. 145
ces messieurs Tavoient envoyé lui dire que, quand ils
auroient pris le château de la Trinité, toute leur armée,
vaisseaux et galères mouilleroient au-dessous et répon-
droient de la mer ; sinon qu'ils protestoient, pour leur
décharge, qu'ils ne répondoient de rien, ne pouvant
empêcher de secourir Roses s'ils n'occupoient ce poste.
Ayant le château, ils pourroient combattre par leurs
feux quelque armée qui se pût présenter, et qu'autre-
ment, s'il venoit encore une autre bourrasque comme
celle de la semaine sainte, ils seroient contraints de
lever l'ancre, mettre à la voile et se sauver à la mer.
M. le comte du Plessis, bien informé de la mésintelli-
gence qu'il y avoit eu les années précédentes, en Cata-
logne, entre les généraux des armées de terre et les
commandants des armées navales, spécialement à
TarragoneS où chacun, pour se décharger, avoit
déchargé sur l'autre la faute du mauvais succès qui en
étoit arrivé, il se résolut, selon sa prudence ordinaire,
de conférer lui-même avec tous ces messieurs et, pour
toute réponse, dit qu'il iroit demain dîner à leur bord.
Il voulut que j'eusse l'honneur d'être de la partie
avec quelque autre officier d'armée. Après dîner, il
leur dit : < Messieurs, je suis bien aise de vous faire
moi-même réponse à la proposition que vous m'avez
envoyé faire par le chevalier Allard. Vous avez
grande raison de souhaiter la prise du château de la
Trinité pour mouiller vos vaisseaux et galères au-des-
Espagnols, devant Carthagène, en septembre 1643. (Pièce
publiée par Chéruel, Hist, de France pendant la minorité de
Louis XIV, t. I, p. 402.)
1. Tarragone, chef-lieu d'une province de la Catalogne,
port sur la Méditerranée.
n 10
146 MÉMOIRES DE SOUVIGNT. [1645
SOUS et voyez bien les efforts que je fais pour cela.
Je n'en veux point d'autre témoignage que le vôtre ;
mais, quoi qu'il en arrive, je prends tout sur moi et, dès
à présent, vous déclare de vous décharger envers le
Roi de tout ce qui concerne l'armée navale, [ne] sachant
que votre fidélité au service de Sa Majesté, et que vous
êtes tous gens d'honneur, qui ferez toujours des actions
dignes de gloire et de louanges, étant votre très humble
serviteur. > Ces messieurs se trouvèrent plus satisfaits
de la déclaration de M. du Plessis. Au lieu de parler
de protestations, leur conclusion ne fut que des assu-
rances à M. le comte du Plessis qu'ils tenoient à hon-
neur de servir sous ses commandements et fi^roient au
delà de ce qu'on pouvoit attendre d'eux, desquels il
[se] sépara pour revenir au camp.
De notre grande place d'armes nous ouvrîmes la
tranchée, qu'il fallut toujours soutenir d'un bataillon à
la droite et l'autre à la gauche, sur le ventre, à cause
des fréquentes sorties des ennemis, lesquels en étant
bien rebutés, une nuit que Don Diègue, voyant nos
travaux si avancés et blâmant celui qui les avoit ordon-
nés, pour le divertir disant qu'il falloit sortir sur eux,
on * lui répondit : « Voyez-vous pas ces deux batail-
lons? > A quoi il dit, bravant à l'espagnole, que
c'étoient des corps morts et fit une sortie à Thaire
même sur eux, qui les attendirent à bout portant et,
par leur première salve ayant renversé les premiers,
les piquiers renversèrent les autres dans leurs fossés.
Une nuit que nous visitions la tète de la tranchée,
M. de Vaubecourt et moi, nous vîmes deux grandes
1. Il y a i7 dans le texte.
i645] MÉMOIRES DE SOUVIGNY. 147
flammes et, en même temps, entendîmes le bruit que
fit le feu qui se mit aux poudres des deux grandes tours
de la ville, du côté du château de la Trinité, dont les
ruines écrasèrent environ les deux tiers des maisons
et tuèrent^ beaucoup d'honunes et de chevaux. Nous
nous aperçûmes incontinent après de Taffoiblissement
de leur cavalerie, d'autant que, jusqu'alors, il faut
dire la vérité, elle avoit presque toujours l'avantage
sur la nôtre, qu'elle l'attaquoit hardiment et, après
leurs salves de mousquetons, si un escadron faisoit
ferme, elle s'ouvroit à droite et à gauche par l'inter-
valle pendant que leur canon tiroit au nôtre, et s'alloit
ralher à cent pas de là, à la Cravate*; que si l'esca-
dron venoit à s'ouvrir après ledit salut, ils donnoient
hardiment dedans, étant montés avantageusement et
armés de bonnes cuirasses, et presque tous officiers
réformés. Le lendemain de cet incendie, l'escadron de
Gault, qui étoit en garde avec ce qui arrivoit du camp
sur l'alarme, les repoussa jusque dans leur porte et,
du depuis, leur cavalerie ne fit aucunes sorties consi-
dérables, mais bien l'infanterie, à la première des-
quelles ils furent battus par le régiment de Praroman
qui avoit la tête de la tranchée, près du bastion de la
mer. A la seconde, ils remportèrent grand avantage sur
le régiment de Tavannes, où M. de Montmoyen, lieute-
1. A la Cravate, c'est-à-dire : à la Croate. Dès Louis XIII, il
y eut dans Tarmée française des détachements de cavalerie
légère formés de Croates qui éclairaient l'avant et les flancs
de Tarmée, se dispersant et se ralliant avec rapidité. Louis XIV,
en 1666, en créa un régiment : Royal-Cravates. Par eupho-
nie, on avait fait promptement Cravate de Croate, Dans l'ajus-
tement de ces cavaliers se trouvait d'ailleurs la pièce de vête-
ment qui garda depuis lors le nom de cravate.
148 MÉMOIRES DE SOUVIGNY. [1645
nant-colonel, son fils et plusieurs officiers de leur
corps furent tués par la faute d'un officier que je ne
veux pas nommer, qui empêcha le corps de cavalerie,
destiné pour soutenir la tranchée, d'y aller, comme firent
les cent honmies de Lyonnois qui servirent bien. Je
dois dire ceci pour exemple. Jamais auparavant, ni du
depuis, cette personne fort brave ne s'étoit laissé sur^
prendre à la débauche à laquelle sa complaisance l'en-
gagea cette fois-là.
Enfin nous repoussâmes les ennemis et tirâmes deux
sacs* près la hauteur de la contrescarpe, où nous fîmes
notre logement en plein jour, roulant jusqu'au haut de
grosses fascines, d'environ deux pieds et demi de
long, que nous appelions des rouleaux. Gela se fit avec
facilité, parce que les ennemis n'avoient point de che-
min couvert et avoient abandonné le marchepied sus-
pendu sur le fossé, qui étoit profond et revêtu d'une
bonne muraille. C'étoit vis-à-vis la face du bastion
Saint-Georges. Ensuite de quoi, nous forçâmes un petit
retranchement qu'ils avoient sous une demi-lune,
laquelle ayant abandonnée, nous fûmes maîtres de la
contrescarpe, au droit de la courtine et des deux fos-
sés des deux bastions attaqués ; ensuite de quoi, nous
perçâmes le fossé avec peine, parce qu'il étoit revêtu
d'une muraille bâtie de gros quartiers de rochers qui
y étoient tombés de la montagne, et fîmes facilement
notre pont et pûmes attacher notre mineur à la face du
bastion Saint-Georges.
En ce temps-là, M. de Fabert s'étoit si adroitement
conduit et a voit su si bien flatter l'humeur bravade de
Don Diègue, qu'il lui communiquoit ses desseins et,
1. Galeries en forme de sac.
i645] MÉMOIRES DE SOUVIGNT. 149
parlant de son fossé, lui disoit : < Je ne sais pas s'il
vous est plus avantageux qu'il fût sec ou d'y avoir de
l'eau ; mais je sais bien que vous avez affaire à un homme
bien fin et que le comte du Plessis a avec lui des gens
entendus à vider l'eau d'un fossé*. > Don Diègue lui
répondit qu'il avoit donné si bon ordre aux siens qu'il
l'en empêcheroit bien, M. de Fabert l'ayant porté
adroitement à la résolution de garder l'eau dans son
fossé, comme nous désirions. Lorsque notre première
mine fut prête à jouer, il nous fit encore connoitre que
c'étoit l'appréhension de Don Diègue, qui étoit plus
capable de se battre en campagne que de défendre
une place, en écrivant à M. du Plessis que l'on en
parloit dans Roses et que, si on se portoit à cette
extrémité, il^ en arriveroit un grand malheur. M. du
Plessis, prenant le contre-pied, fit travailler diligem-
ment à la mine. Il faut dire [que] le prétexte que pre-
noit M. de Fabert d'écrire est qu'il envoyoit deux ou
trois fois la semaine quérir quelque habit ou linge au
camp, du consentement de Don Diègue, [et] qu'il ne
marquoit dans ses lettres que des louanges de sa
conduite^.
•1. M. de Fabert était alors prisonnier dans Roses. Voy., au
sujet du siège de cette place, Vie du maréchal de Fabert, par le
lieutenant-colonel Bourelly, livre II, chap, ii. Ci-dessus, p. 136.
2. Il y a dans le texte : quil.
3. Sur le rôle de Fabert en cette occasion, voy. Mémoires
du maréchal du Plessis, où est raconté en détails le siège de
Roses (coll. Petitot, t. LVII, p. 210 à 232). Lire dans le même
volume la Relation du siège de Roses, extraite des Mémoires du
marquis de Chouppes, p. 442, commandant de l'artillerie, et
Mémoires du marquis de Chouppes, 1 vol., 1861, éd. Moreau.
Voy. aussi Monglat, t. II, p. 19.
150 MÉMOIRES DE SOUVIGNT. [1645
Notre première mine, ayant rencontré un éperon ou
arc-boutant, ne fit qu'enlever la chemise de la muraille.
La seconde fit un bon effet; ensuite de quoi on se logea
sur la brèche, où nous perdîmes d'honnêtes gens, entre
autres M. de Saint-Paul, maréchal de bataille et mestre
de camp, qui mourut le lendemain de ses blessures,
après s'être disposé à la mort. Il me pria de prendre
deux beaux chevaux castillans en paiement de trois
cents pistoles qu'il devoit à mon frère de Champ-
fort et que j'acceptai pour mon frère, quoiqu*ils ne
valussent pas plus de deux cents pistoles. Lorsqu'on fit
le logement sur la brèche, je fus commandé, n'étant
pas de jour à la tranchée, avec trois cents chevaux et
cinq cents hommes de pied pour faire diversion du
côté du château de la Trinité.
Enfin, les ennemis, nous voyant logés sur le bas-
tion de Saint -Georges, demandèrent à capituler et
sortirent de la place le dernier jour de mai 1645,
qu'ils s'embarquèrent en des vaisseaux et barques pour
Alicante* en Espagne.
11 fallut toute la constance et l'intrépidité martiale
de notre généi^l pour cueillir cette piquante rose de
mai, n\v en ayant guère qui eussent voulu opiniàtrer
ce siège, après les accidents des inondations arrivés
dans notre camp et dans nos tranchées, naufrage des
deux galène et le danger de toute Tarmée navde, s'fl
fût iUTÎvê encore une pareille tempête, parce que nos
vaisseaux et galères ne pouvoient nM)uiller que sous le
château de la Trinité que les enneoûs tinrent durant
i . Alicânte. port sur la M^itemnèe, proT. de Taloice. —
En marge dans le manuscrit : Prùe de Ro9es le dermier
mai 16 4Ô.
1645] MÉMOIRES DE SOUYIGNY. 151
le siège, et lequel ils rendirent après la prise de Roses,
ainsi que j'avois dit à M. le comte du Plessis qull
arriveroit, lorsqu'il me voulut envoyer Tattaquer.
M. le comte d'Harcourt, ayant envoyé à M. le comte
du Plessis des félicitations de la prise de Roses, m'écri-
vit aussi d'aller en après servir en son armée, et donna
charge à mon frère de Ghampfort, qui m'étoit venu
trouver, de m'en parler ; mais, comme il savoit mon
intention, et, bien mieux que moi, que ma fenmie étoit
malade, il me conseilla de l'aller trouver, conmie je fis,
après avoir travaillé avec M. le marquis d'Huxelles à
la démolition de nos lignes et fait les brigades des
troupes pour retourner en France par étapes*.
Il me prit alors un serrement de cœur, conmie un
présage du déplaisir qui m'arriva après ; mais, conmie
les remèdes que je pris à Figuières me furent inutiles,
je me résolus de faire mes efforts pour me rendre chez
moi ou au moins repasser les monts. Je m'en aUai loger
à la Jonquière et, le lendemain, diner au Boulou, en
intention d'y coucher. Mais, comme je me sentis un
peu plus fort, je me rendis le même jour à Perpignan,
où je séjournai un jour pour me remettre. Étant arrivé
à Narbonne chez M. Cazarey, notre ami, j'y trouvai
Etienne, mon palefrenier, qui étoit demeuré malade et
me dit que La Roche avoit toujours marché avec mon
bagage. Je le trouvai à Montpellier et, ayant rassemblé
tous mes gens, je fis d'assez bonnes journées. Je cou-
chai chez M. le baron de Virieu^, qui ne voulut pas
1. Pour les routes, les troupes étaient fractionnées par bri-
gades de deux ou trois régiments.
2. Au château de Virieu, comm. et cant. de Pélussin, Loire,
à une demi-étape de Longes en venant du sud.
152 MÉMOIRES DE SOUVIGNY. [1645
m'affliger par une mauvaise nouvelle; mais, en arri-
vant à Longes, où j avois envoyé à l'avance un de mes
gens, je ne fus que trop persuadé que l'on s'y portoit
mal ; car je ne vis point venir au-devant de moi ma
belle-mère, ni ma femme, comme elles avoient accou-
tumé. Je trouvai seulement ma fenmie, à l'entrée de la
grande porte du château, qui me parut en bonne dis-
position ; mais le vermillon qu'elle avoit sur les joues,
procédant de son émotion et de la joie de me recevoir,
fut bientôt changé lorsque nous fûmes dans l'apparte-
ment d'en haut et [qu'elle] fût assise. Elle devint incon-
tinent pâle et si oppressée de la poitrine qu'à peine
pouvoit-elle respirer. Elle me dit à grand'peine qu'elle
mourroit contente, ayant toujours compté jusqu'à ce
jour qu'elle avoit cru être celui de mon retour, mais
que sa mère, qui étoit en l'appartement d'en bas sur
le jardin, s'en alloit mourir et qu'elle désiroit bien
avoir sa bénédiction. Nous la trouvâmes encore le
jugement assez bon, et [elle] nous donna sa bénédiction ;
mais, quand nous voulûmes parler de lui faire des
excuses et lui demander pardon, elle dit que c'étoit à
elle et, avec des termes et des bontés qui ne se
peuvent exprimer, nous donna toutes les consola-
tions que nous pouvions avoir en ce rencontre. Le
jour même, Dieu l'appela de cette vie à une meil-
leure, ayant reçu tous ses sacrements avec tous les
sentiments chrétiens, dignes de sa dévote vie*.
Ce fut à moi à penser à la guérison de ma fenmie.
L'on me proposa les eaux de Saint-Antoine de Vien-
i. D'après les registres paroissiaux de Longes^ M"^ da Chol
fut inhumée le 14 juillet 1645.
1645] MÉMOIRES DE SOUVIGNY. 153
nois*. Pour y aller nous fûmes coucher à Vienne, chez
M. le Doyen, mon beau-frère, et, de là, au beau château
de la Sône^, où M""* de la Sône^, parente de ma femme,
nous traita parfaitement bien. Nous demeurâmes
presque trois semaines logés au bourg de Saint- Antoine,
pendant que ma femme alloit prendre les eaux avec
sa cousine, M"* de Villars, qui est présentement
abbesse de l'abbaye de Saint-André à Vienne*. Je ne
1. Saint-Antoine, cant. et arr. de Saint-Marcellin, Isère.
Il y a à Saint-Antoine des eaux ferrugineuses utilisées par les
gens du pays; mais il ne reste aucune trace de source métho-
diquement exploitée. Il a dû cependant en être autrement au
XVII* siècle, d'après la phrase suivante du président de Bois-
sieu : « Cette perte fut suivie, l'an 1645, de celle de M. Déa-
geant, père de ma première femme, à Saint-Antoine, où il
étoit allé prendre les eaux d'une fontaine minérale. » (/îe/a-
tion des principaux événements de la vie de Sahaing de Bois"
sieUj premier président en la Chambre des comptes de Dau"
phiné, publiée par Alfred de Terrebasse, p. 52. Lyon, 1850.)
2. La Sône, comm. de Lens-Lestang, cant. du Grand-Serre,
arr. de Valence, Drôme. Le château, aujourd'hui en ruines, fut
brûlé en 1789.
3. Marguerite de Fay, fille de François de Fay, baron de
Virieu, et de Catherine de Morges de la Motte, épousa Charles
de Murât de Lestang, seigneur de la Sône, veuf d'Antoinette
de Murât, qui devint marquis de Lestang en 1643. Elle mourut
en 1656.
4. Elisabeth ou Isabeau de Villars (1629-1718), fille de
Gaude V de Villars et de Charlotte Louet de Nogaret-Cal vis-
son, fit profession à l'abbaye royale de Saint- André-le-Haut, à
Vienne, le 15 janvier 1645, fut nommée coadjutrice de Tab-
besse Henriette de Villars, sa cousine, par bulle du 21 juin
1659, prit possession de l'abbaye, après la mort de celle-ci,
le 19 avril 1662, et fut bénie, en cette qualité, par Henri de
Villars, son frère, archevêque de Vienne, le 26 avril 1665. Elle
avait élevé auprès d'elle sa nièce, Agnès, fille du maréchal de
154 MÉMOIRES DE SOUVIGNT. [1645
remarquai qu'elles deux à qui lesdites eaux profitèrent
parce qu'elles les prenoient à propos et vivoient de
régime réglé, au contraire des autres dames qui
voulurent danser et faire des excès, dont la plupart
en furent malades à l'extrémité. Nous revînmes donc
bien contents à Longes, avec grand sujet de louer
Dieu.
Le 25® août 1 645, ayant appris que M. d'Épemon
étoit de retour d'Angleterre, que le Roi lui avoit donné
abolition et qu'il étoit rétabli en son gouvernement
de Guyenne*, je me résolus de lui aller rendre mes
respects. Je partis de Longes au commencement de
septembre. Je passai à Trocezard, Saint-Rambert^,
Saint-Bonnet-le-Chàteau^, Lavoûte*, Ghaudeyrac^,
Villars, avec Tintention de lui transmettre son abbaye;
cette dernière mourut le 19 septembre 1707. Une autre de ses
nièces, Claudine Charpin des Halles, lui succéda comme abbesse
de Saint- André. (Histoire et généalogie de la famille de Villon,
manuscrite, par H. de Terrebasse.)
1. En 1639, le duc d'Épernon, alors duc de la Valette^ à la
suite du siège de Fontarabie, avait été^ par un tribunal spé-
cial, « déclaré criminel de lèse-majesté, atteint et conyaincu de
perfidie, trahison, lâcheté et désobéissance ». L'arrêt portait
qu'il aurait la tête tranchée, tous ses biens acquis et confis-
qués et ses terres mouvantes de la couronne réunies à icelle.
L'exécution eut lieu en elfigie en trois endroits : Paris, Bor-
deaux et Bayonne.
2. Saint-Rambert-sur-Loire, ch.-l. de cant., arr. de Mont-
brison, Loire.
3. Saint-Bonnet-le-Château, ch.-l. de cant., arr. de Mont-
brison.
4. Lavoûte-sur- Loire, la Voûte-de-Polignac d'après Cassini,
cant. de Saint-Paulien, arr. du Puy, Haute-Loire.
5. Chaudeyrac, cant. de Châteauneuf-de-Randon, arr. de
Mende, Lozère.
i645] MÉMOIRES DE SOUVIGNY. 155
Chirac*, et entrai dans le gouvernement de Guyenne
àLaguiole*, Espalion, VilIefranche-de-Rouergue, Lhos-
pitalet, Montcuq. Étant à Agen, j'appris que M. d'Éper-
non étoit à Cadillac^. Quand je fus à la plaine entre
Marmande et la Motte-Mongauzy, je m'arrêtai au champ
de bataille où notre armée s'étoit mise, l'an 1620*
que le Roi passa en Béarn et nous laissa sous la con-
duite de M. de Contenant, les régiments de Picardie,
Normandie, le nôtre, qui étoit alors conmiandé par
M. d'Estissac, Chappe, autrement Nérestang, et quatre
compagnies de chevau-légers, pour empêcher que les
huguenots de Guyenne ne pussent secourir ceux de
Béarn, où le Roi se mit en possession de Pau, Navar-
renx et toutes les autres places, sans trouver aucune
résistance, et en partit après avoir rétabli les ecclé-
siastiques en leurs biens, fait bâtir les autels et planter
des croix par tout le pays ; et, pour revenir au champ
de bataille près la Motte-Mongauzy, j'y demeurai
quelque temps à considérer la vicissitude du monde
qu'en vingt-cinq ans je ne connoissois presque plus
personne de tous ceux que j'avois vus là.
En arrivant à Cadillac, je mis pied à terre à la poste
et m'en allai au château. Je rencontrai M. d'Épernon,
qui traversoit la cour pour aller au pavillon du Trésor,
qui ne s'arrêta point autrement pour me remémorer,
ce qui me fit douter qu'il me reconnût. Je l'attendis à
son retour et le saluai sans m'approcher de lui, mais
1. Chirac, cant. de Saint-Germain-du-Teil, arr. de Marvé-
jols, Lozère.
2. Laguiole, ch.-l. de cant., arr. d'Espalion, Aveyron.
3. Cadillac, ch.-l. de cant., arr. de Bordeaux, Gironde.
4. Voy. t. I, p. 64.
156 MÉMOIRES DE SOUVIGNT. ^ix,^^
bien de son capitaine des gardes, auquel je demandai
s'il n'avoit jamais connu un nommé Souvigny. Il me
dit que oui, et qu'il étoit de ses amis. Je lui dis que
c'étoit moi, qu'il ne me pouvoit consoler de la manière
que M. d'Épemon m'avoit reçu, si je ne croyois qu'il
ne m'auroit pas reconnu. 11 ne lui eut pas plus t6t dit
quij'étois qu'il s'en revînt courant à moi, et M. d'Éper-
non me venant au-devant, après m'avoir fait l'honneur
de m'embrasser à plusieurs reprises, avec des bontés
extraordinaires, me dit que j'avois bien raison de
dire qu'il ne m'avoit pas reconnu : c Je vous connois
bien pour un de mes plus chers et meilleurs amis. »
A l'heure même il commanda de faire mettre mes
chevaux dans son écurie et me fit conduire dans l'ap-
partement qu'il me donna par M. de Hautmont^, gou-
verneur du Château-Trompette^, son écuyer et son
maître d'hôtel.
J'étois logé dans une chambre garnie d'une tapis-
serie que Henri IIP a voit donnée à M. d'Épemon le
père, pendant sa faveur. L'on sait assez que Cadillac
est une des plus belles maisons du royaume, [de sorte]
que je n'en ferai pas la description. Mais ce que je
trouve de plus remarquable, c'est que M. d'Épemon
le père le fit bâtir après la mort de Henri III*, dont il
étoit favori, et auparavant qu'il fût gouverneur de
Guyenne^. Il fit venir toute la pierre des belles carrières
1. Le sieur de Hautmont, gentilhomme da second duc
d'Épernon, est cité par Richelieu dans une lettre de 1638 à
M. de la Valette (Lettres, Instructions, édit. Avenel, t. VI,
p. 186).
2. Fort construit en 1454, aux portes de Bordeaux, en Yue
de la défense de la ville contre les Anglais.
3. La construction du château de Cadillac fut commencée
1645] MÉMOIRES DE S0UYI6NY. 157
de Saintonge par la mer et la Garonne, où il fit un canal
jus€[u'à Cadillac, et, quoiqu'il eût aux environs de
Cadillac quantité de terres, il n'en voulut pourtant
exiger aucune corvée. L'on a trouvé, après sa mort,
des mémoires de dix-sept cent à dix-huit cent mille
livres que lui revenoit ledit bâtiment, sans les dedans.
Pendant le jour que j'y séjournai, il y dîna un pré-
sident et quelques conseillers de Bordeaux, à qui il dit
plusieurs choses pour m'obliger, que j'étois de ses
amis fidèles dont il falloit faire état, quoique je ne lui
eusse jamais rendu de service. Aussi crois-je qu'il le
disoit en partie pour reprocher à quelques-uns qui lui
avoient tourné le dos dans son adversité et sa disgrâce,
et arriva au sujet de ce que les ennemis forcèrent le
quartier de Monseigneur le Prince, au siège de Fonta-
rabie, où il ne put arriver assez à temps pour le secou-
rir^, en suite de quoi le siège fut levé; et, comme il ne
faut jamais parler des princes qu'avec respect et véné-
ration, je ne m'étendrai sur ce sujet que pour dire que,
sur l'information qui fut faite alors, il fut prononcé un
arrêt sanglant contre M. d'Épernon, ce qui l'obligea à
se retirer en Angleterre, où Madame sa fenmie* l'alla
en 1599, sous la direction de l'architecte Pierre Souffron et du
sculpteur Girardon. Voy. les Artistes du duc d'Épernon, par
Ch. Braquehaye [Mémoires de la Société archéologique de Bor^
deaux, 1888); voy. aussi une notice sur le château de Cadillac,
dans le Cardinal de la Valette, par le vicomte de Noailles,
p. 545.
1. Consulter sur cet événement Mémoires de Bassompierre,
t. IV, p. 281 ; Mémoires de Richelieu, t. X, p. 276 et suiv.j
Mémoires de Monglat, t. I, p. 214.
2. Marie du Cambout, dite M"® de Pont-Château, sa deuxième
femme, fille de Charles du Cambout, marquis de Coislin, baron
158 MÉMOIRES DE SOUYIGNT. [1645
trouver, d'où il revint après que le Roi lui eut donné
abolition, par laquelle il fut rétabli en ses biens, hon-
neurs et dignités, et au gouvernement de Guyenne.
Quelques-uns ont voulu dire que cela étoit venu en
partie de la haine qu'avoit M. Tarchevêquede Bordeaux^
contre la maison d'Épernon, à cause du coup de canne
que M. d'Épernon le père lui donna à la grand'porte
de l'église Saint-André, à Bordeaux.
Le commencement de leur querelle étoit de ce que
M. l'archevêque avoit fait faire une porte à la muraille
de la ville de Bordeaux, pour aller de l'archevêché aux
Chartreux, sans permission de M. d'Épernon, qui lui
fit en après plusieurs pièces, entre autres une fois
que deux Suisses, portant sa chaise, le suivirent jus-
qu'aux portes des maisons où il entra, toute la mati-
née, dont s'étant aperçu, il envoya son écuyer leur en
demander la raison. Ils répondirent, demi en suisse
et en françois, que Monseigneur leur avoit commandé
de porter sa chaise à la porte de l'église où il prêcheroit;
ne l'ayant encore pu prendre, ils le suivoient là où il
iroit; ce qui étant rapporté à Monsieur de Bordeaux, il
commanda à l'écuyer et à quelques valets de pied de mal-
traiter les Suisses. Ils n'eurent pas plus tôt commencé,
qu'ils eurent sur les bras le lieutenant des gardes de
M. d'Épernon, avec vingt-cinq cavaliers, qui en tuèrent
de Pont-Château, fils lui-même de Louise du Plessîs de Riche-
lieu. Le duc d'Épernon avait épousé en premières noces
Gabrielle, fille légitimée de Henri IV et de la marquise de Ver-
neuil, qui mourut en 1627.
1. Henri d'Escoubleau de Sourdis (1595-1645), intendant de
Tartillerie, eut la direction générale des vivres au siège de la
Rochelle, et succéda, en 1628, à son frère comme archevèqae
de Bordeaux.
1645] MÉMOIRES DE SOUYIGNY. 159
OU blessèrent une partie et firent peur au maître.
Après quoi, sur quelques discours qu'il eut avec
M. d'Épernon, [où] Ton parla même d'un démenti, il
reçut le coup de canne \ ce que le Roi et Mgr le Car-
dinal trouvèrent si mauvais, que M. d'Épernon fut
condanmé à de grandes réparations et à fonder une
chapelle de huit cents livres de rente pour mémoire per-
pétuelle, et fit une satisfaction à Monsieur de Bordeaux
dans le château de Coutras*, où il s'alla présenter à
genoux, au premier degré du marchepied sur le haut
duquel étoit Monsieur de Bordeaux, vêtu de ses habits
sacerdotaux, aux mains brillantes de pierreries, et
accompagné de plusieurs du clergé, de présidents et de
conseillers de Bordeaux et de ses amis. M. d'Épernon
monta trois ou quatre degrés. Monsieur de Bordeaux,
en ayant descendu autant, lui dit : c Que demandez-
vous? > 11 répondit : « L'absolution. > Après quoi Mon-
sieur de Bordeaux, ayant lu quelque chose dans son
bréviaire, lui demanda de rechef ce qu'il demandoit.
Il répondit : « L'absolution. Je vous l'ai déjà dit. >
Sur quoi, lui ayant été donnée, il se retira.
n s'en alla [ensuite] trouver Monsieur de Bordeaux
en son appartement et lui dit qu'il venoit lui faire
ses excuses, ainsi que le Roi l'avoit commandé et
1. La scène eut lieu le !•' novembre 1633. Dans l'informa-
tion qui fut faite, quelques semaines après, il fut déposé par
les témoins que « M. d'Épernon, abordant l'archevêque, lui
donna du poing dans l'estomac et au visage, le poussant rude-
ment, et du bout de son bâton contre sa poitrine par trois ou
quatre fois, lui disant que, sans le respect de son caractère, il
le renverseroit sur le carreau » (Mémoires de Richelieu, t. II,
p. 570, coll. Michaud).
2. Coutras, ch.-l. de cant., arr. de Liboume, Gironde.
160 MÉMOIRES DE SOUVIGNT. [1645
M. le Cardinal avoit voulu, le tout en termes peu
obligeants. Monsieur de Bordeaux l'ayant été visi-
ter à son tour, ainsi qu'il avoit été arrêté, il* l'at-
tendit jusque dans sa chambre, quoiqu'on lui dit de
temps en temps qu'il s'avançoit, qu'il entroit dans
la salle. Il dit seulement conune en colère : c Ce coquin
ne m'apporte pas mon manteau. Je ne voulois pas vous
recevoir en pourpoint. > Après quelques discours indif-
férents, ils se séparèrent sans aucune marque d'amitié.
Ensuite de quoi, M. d'Épernon s'étant allé promener
dans une allée de jardin, plusieurs de ces Messieurs
de Bordeaux, qui avoient accompagné M. l'Archevêque,
l'ayant abordé, il y en eut un qui lui dit éloquenounent
plusieurs belles actions de sa vie et ajouta qu'en cette
dernière il s'étoit surmonté lui-même. Il repartit brus-
quement : « Vous vous trompez, Monsieur; car se sur-
monter soi-même présuppose d'avoir aversion de la
chose que l'on fait, et ceci est tout au contraire; car je
n'eus jamais tant de joie que d'avoir satisfait au désir
du Pape, au commandement du Roi et à la volonté de
M. le Cardinal, ce grand ministre », en disant tout
le bien qu'il en pouvoit dire, sachant fort bien que
c'étoit autant d'espions qui rapporteroient jusqu'à la
moindre de ses paroles. La chose étant accommodée,
M. d'Épernon le père se retira et alla demeurer à
Loches, où il mourut quelque temps après.
M. d'Épernon, son fils, qu'on appeloit auparavant
M. de la Valette, qui lui succéda en ses biens, gouver-
nements de Guyenne, Metz et pays messin et en sa
charge de colonel général de l'infanterie de France, se
1. Le duc d'Épernon.
1645] MÉMOIRES DE SOUVIGNY. 161
souvenant fort bien de la manière que feu Monsieur
son père m'avoit fait perdre la charge d'aide-major au
régiment d'Auvergne, me la donna quand elle fut
vacante par la mort de M. de Saint-Hilaire, tué au
siège de Valence l'an 1656, laquelle je donnai à M. du
Monceau le jeune*. M. d'Épernon me fit aussi cette
faveur à Cadillac, audit an 1645, de me donner des
provisions en blanc de ma charge de major au régi-
ment d'Auvergne que je n'avois point exercée depuis
l'an 1 635, que je conmiençai de servir d'aide de camp
au premier siège de Valence, de laquelle je m'accom-
modai avec M. Benoist, capitaine au régiment, et n'en
eus que cinq mille cinq cents livres et quelques présents
pour ma femme.
Et, pour revenir à M. d'Épernon, étant à Cadillac, il
me dit qu'il s'en iroit le lendemain à Agen, sur des
coureurs anglais, et qu'il vouloit que je m'y rendisse
m petit pas. Quand il fut au droit du château d'Aiguil-
on*, ayant devant lui son écuyer et, derrière, M. de
lautmont au galop, l'on tira deux coups de canon du
château pour les saluer, qui effrayèrent tellement les
îhevaux, que celui de l' écuyer tomba par terre, et le
ien dessus, et celui de M. de Hautmont tomba si rude-
1 . Pierre Piochon, sieur du Monceau, était parent de Souvi-
piy. Né à Jargeau en 1640, il était fils de Jean Piochon et
l*Anne Ribou, et eut pour parrain le chanoine Pierre Gan-
tières. Aide-major au régiment d'Auvergne, puis lieutenant
lans la compagnie de Souvigny, à Monaco, en 1660, il est
[ualifié capitaine au régiment d'Auvergne dans un acte de la
imille Gangnières, reçu par M® Gaucher, notaire à Jargeau, le
2 septembre 1675. Souvigny parle plus loin de son frère,
1. du Monceau Taîné.
2. Aiguillon, ch.-l. de cant., arr. d'Agen, Lot-et-Garonne.
n 11
162 MÉMOIRES DE SOUVIGNY. [1646
ment sur sa personne qu'il lui rompit une épaule. Dans
cet accident, son carrosse se trouva heureusement là
auprès pour le porter à Âgen, où je me rendis le len-
demain. Je trouvai toute sa maison et toute la ville
dans Taffliction de ce qui lui étoit arrivé, et, quoique
personne ne le vit encore que ses domestiques, il me fit
entrer dans sa chambre avec beaucoup de bonté, et [je]
demeurai auprès de lui encore trois ou quatre jours
qu'il commença à se bien porter, et, en ayant pris congé,
je m'en revins par le même chemin. Je trouvai ma
femme qui m'attendoit [et] qui disoit toujours que
je devois arriver ce jour-là. Pendant le reste de Tannée
1645, nous nous occupâmes à quelques réparations et
plants d'arbres avec satisfaction.
^646.
Au conmiencement de l'année 1 646, je reçus une
lettre par laquelle M. de Gouvonges^ me manda, de la
part de M. le Cardinal, de l'aller trouver pour retirer
les commissions du gouvernement de la citadelle de
Turin qu'il me donnoit. Je n'eus pas de peine à disposer
ma femme à ce voyage, tout emploi lui étant bon pour
moi pourvu que nous puissions demeurer ensemble.
Quand j'arrivai auprès de Son Éminence, elle ne me
dit autre chose sinon que d'aller trouver M. Le Tellier,
qui me diroit ce que j'avois à faire.
Je le trouvai prêt à partir pour aller au conseil de
guerre, qui se tenoit pour lors au Luxembourg, où logeoit
M. le duc d'Orléans. 11 me fit mettre dans son carrosse
1. Voy. p. 3.
1646] MÉMOIRES DE SOUYIGNT. 163
et, ayant mis pied à terre auparavant monter le grand
degré, il me dit que M. le Cardinal me donnoit le gou-
vernement de la citadelle de Turin, mais qu'il y auroit
un maréchal de France au-dessus de moi. Cela m'ayant
surpris, il ajouta qu'il croyoit que j'en serois bien aise
quand je saurois qui il est; il me dit : c M. le maréchal
du Plessis >, et que j'aurois pour sous-lieutenant
M. de Varennes, son parent, qui étoit lieutenant de
Roi à Carmagnole sous lui^ Je répondis que, pour
servir sous lui, je le ferois parce que j'étois son servi-
teur, mais que je ne m'engageois point dans la cita-
delle de Turin sans choisir moi-même le lieutenant,
que j'avois mon frère de la Motte, capitaine et major
au régiment d'Auvergne, à qui je la^ baillerois : « Il ne
faut pas penser à celui-là, dit M. du Tellier, il est trop
nécessaire en ce régiment-là. — J'ai mon frère du
Fresnay, qui y est aussi capitaine, qui a été major
au régiment de Courcelles et servi d'aide de camp.
— Enfin, dit M. Le Tellier, vous fâcherez M. le Cardi-
nal par votre difficulté et lui pourriez faire changer la
bonne volonté qu'il a pour vous. Je verrai pourtant ce
que je pourrai faire pour votre satisfaction. > En sor-
tant du Conseil, il me dit que M. le Cardinal m'avoit
accordé de me donner mon frère pour sous-lieutenant
et un régiment de douze compagnies pour la citadelle
de Turin, sous le nom de maréchal du Plessis, dont je
serois lieutenant-colonel et mon frère premier capi-
taine.
Ayant retiré les ordres pour la levée et les routes,
1. Effacé : M, le maréchal du Plessis.
2. C'est-à-dire : la charge de lieutenant.
164 MÉMOIRES DE S0UVI6NY. [1646
je fis ma compagnie et celle de mon frère, qui étoit
lors en Piémont, en Lyonnois, et envoyai à Favance
à M. le maréchal du Plessis, qui étoit à Turin, le jour
que je m'y rendrois avec les troupes. Le même jour,
M. de Méjanes* en sortit avec le régiment d'Aigue-
bonne*, et j'y entrai avec huit compagnies des nôtres,
les quatre autres n'étant pas encore arrivées.
Je trouvai la place en fort mauvais état, n'ayant
point été réparée depuis le siège qu'elle avoit soutenu,
les logements de la garnison la plupart rompus et
découverts, aussi bien que les corps de garde et gué-
rites, plus de fraises ni palissades aux demi-lunes, les
ponts et portes pourris, spécialement celle-là de la
porte du secours que l'on ne pouvoit passer; et, ce
qui est le plus considérable comme le plus périlleux, à
quoi l'on pouvoit avoir ^ remédié avec peu de frais,
c'est que les fausses portes, qui sont deux à chaque
courtine de la place, grandes, spacieuses et bien voûtées,
n'étoient fermées que d'une muraille de briques sèdies
d'environ un pied de large, enduite de chaux par le
dehors. J'avoue franchement que je ne me serois pas
aperçu de ce manquement si des soldats ne se fussent
évadés par ces lieux-là. Je les fis raccommoder prompte-
ment, aussi bien que plusieurs autres choses nécessaires,
sans en avoir de remboursement, ni de la dépense de
1. Les seigneurs de Méjanes formaient une branche de la
maison d'Aiguières en Provence.
2. Le régiment d'Aiguebonne, levé en 1628 par Rostaing-
Antoine d'Urre, marquis d'Aiguebonne , fut plusieurs fois
réformé, et licencié définitivement en 1658, après la mort de
ce mestre de camp.
3. Pouvoit avoir pour auroit pu.
1646J MÉMOIRES DE SOUVIGNY. 165
l'inventaire, où je demandai qu'il assistât un commis-
saire des guerres avec un commissaire de l'artillerie*.
Nous eûmes bientôt fait quant aux vivres : car il n'y en
avoit pas pour huit jours ; mais nous demeurâmes plus
de quinze jours à achever le reste, y ayant quantité
d'artillerie, armes, tant du Roi que du désarmement
des habitants de Turin, munitions de guerre de Sa
Majesté et Son Altesse Royale de Savoie.
Notre commencement fut assez agréable, mais, [vu]
les maladies qui se mirent à la garnison au mois
de septembre, je mandoi à ma femme qui étoit allée
prendre les eaux à Aix en Savoie, chemin faisant pour
me venir trouver, qu'elle s'en retournât à Longes pen-
dant que la maladie fût passée, lui faisant encore le
mal plus grand qu'il n'étoit; mais il me fut impossible
de l'en empêcher. Les eaux d'Aix ne lui ayant pas pro-
fité, elle se remit pourtant peu à peu à la citadelle et
alla rendre ses devoirs à Madame Royale, qui la reçut
dans son cabinet, comme elle auroit fait une ambassa-
drice et lui a toujours témoigné du depuis beaucoup
d'estime et d'amitié, à tel point que, quand il lui sur-
venoit quelque affaire extraordinaire, elle lui faisoit la
faveur de la lui communiquer et prendre son conseil.
Pour cet effet, elle lui donnoit rendez-vous aux Carmé-
lites, où elle entendoit quelquefois cinq messes l'une
après l'autre, les genoux sur le pavé sans carreau, le
visage tout baigné de larmes. Elle faisoit toujours
paroître beaucoup de consolation en sortant de là.
i. On trouvera à TAppendice le mémoire des dépenses que
Souvigny et son frère du Fresnay-Belmont firent personnelle-
ment pour l'entretien de la citadelle de Turin, où ils restèrent
jusqu'en Tannée 1657.
166 MÉMOIRES DE SOUVIGNT. [1647
Toutes les fois qu'elle faisoit tenir le bal, elle envoyoit
toujours demander ma femme, qui n'y alla jamais que
pour lui faire honneur. A la venue de la reine de Suède ^,
quoique M"** la marquise d'Urfé^ lui eût donné avis que
Madame Royale se tenoit offensée contre celles qui,
étant averties, n'alloient pas au bal, elle n'en témoi-
gna pourtant rien à ma femme qui étoit assez bien
avec toutes les dames de la Cour, parce qu'elle n'étoit
de nulle intrigue et ne faisoit que passer à la chambre
de parade sans s'y arrêter, et s'en alloit trouver
Madame, à laquelle ayant un peu fait sa cour, elle se
retiroit, s'excusant sur l'heure qu'on fermeroit la
citadelle.
^647.
Au commencement de mai de l'année 1647, pour
éviter les chaleurs de l'été et le passer au frais', je
conduisis ma femme à Ghaumont en Dauphiné, à une
lieue de Suse, le premier village de France, C'est un
des plus beaux et des mieux situés du royaume, où il
y a de bons vivres et de bonnes eaux. M. Paléologue,
1. Christine (1626-1689), fille de Gustave-Adolphe, abdiqua
en 1654. Elle passa ensuite treize mois dans les Pays-Bas,
qu'elle quitta le 22 septembre 1655, et, s*arrétant à Turin,
se rendit à Rome, où elle reçut la confirmation du pape
Alexandre VII, après son abjuration. De Rome, elle gagna la
France par mer, en juillet 1656.
2. Marguerite d'Alègre, fille de Christophe, marquis d'Alègre,
et de Louise de Flaghac, épousa, en 1633, Charles-Emmanuel
de Lascaris, marquis d^Urfé, bailli du Forez, qui deyint maré-
chal de camp en 1649. Elle mourut en 1683.
3. Au frais en surcharge sur en bon air, effacé.
4647] MÉMOIRES DE 80UVIGNY. 167
munitionnaire général de l'armée du Roi*, qui y est
logé en prince, nous donna un appartement en sa mai-
son. M. le doyen de Saint-Pierre de Vienne, mon
beau-frère, nous y vint trouver, et, après avoir
demeuré environ trois semaines avec nous, nous
dit qu'il avoit en main un parti très considérable pour
M. de Trooezard, son frère, et qu'indubitablement le
mariage se feroit si je lui voulois remettre le château
et les dépendances de Trocezard. Je lui dis que je le
ferois volontiers, sachant bien aussi l'intention de sa
sœur que nous n'y voulions rien gagner, qu'il savoit
mieux ce qu'il nous coûtoit, en ayant fait les paiements
de notre argent, que nous l'en faisions juge lui-même,
et, pour témoigner que nous désirions effectivement
contribuer de notre bien à l'avancement et à la for-
tune de M. de Trocezard, encore qu'il nous coûtât plus
de trente-quatre mille livres, nous [le] lui donnerions
pour vingt-neuf, argent comptant. Après nous avoir
remercié, reconnoissant bien qu'il nous en avoit obli-
gation, il dit qu'il ne pouvoit faire état que de vingt
mille francs comptant. Je lui répondis que cela n'em-
pêcheroit pas que nous ne fissions affaire, que, pour
leur faire plaisir, nous prendrions pour neuf mille livres
de domaines et fonds écartés et leur laisserions pour
leur vingt mille francs le château de Trocezard, rentes
nobles, domaines et fonds adjacents, à leur commo-
dité. Il me dit là-dessus que c'étoit plus qu'il n'osoit
espérer, et qu'il nous avoit beaucoup d'obligation. Je
lui répliquai que ce n'étoit pas le tout que de tomber
1. Voy. t. I, p. 206-207. Paléologue fut manitionnaîre de
Tarmée française en Italie en 1638. (Arch, hist. de la Guerre,
47-162.)
168 ICÉMOIRES DE SOUVIGNT. [4647
d'accord et convenir du prix, qu'il falloit un terme fixe
pour exécuter les choses, qu'il prît quel temps il lui
plairoit, afin que je puisse prendre mes mesures justes
à employer la somme qu'il nous bailleroit : t Nous
sommes déjà au quatrième de juin ; je ne compte pas
le reste de ce mois que vous pourrez employer pour
vous retirer à Vienne et ébaucher vos alTaires. Considé-
rez si vous ne les pouvez pas achever à la fin de sep-
tembre. > Il me dit qu'il y pouvoit avoir quelque dif-
ficulté et me demanda juscju'à la Toussaint. Je lui
répondis que je lui donnois jusqu'à Noël ensuivant et
que, s'il y manquoit, notre pas demeureroit nul et
[qu'il] n'en faudroit plus parler. Il en demeura d'ac-
cord et nous dit adieu avec beaucoup de témoignages
d'être satisfait de nous.
Nous demeurâmes tout le reste de l'été à Ghaumont,
excepté quelques voyages que je fis à la citadelle de
Turin, où mon frère demeuroit en mon absence. Ayant
demandé mon congé au Roi pour repasser les monts,
comme je vis que je ne l'avois pas encore obtenu Od
septembre, je fis mon possible pour faire partir ma
femme, qui s'opiniàtroit d'un jour à lautreàm^attendre.
Je la ri'solus finalement à la fin d'octobre et nous par-
tîmes de Cliaumont le 3* novembre 1 647, en résolu-
tion de ne point passer par la montagne de THostalet^
et ne point loger au village de Monestier* où noos
[nous] étions mal trouvés. Mais, quand nous fûmes à
1. L*IIostalet, aujourd'hui Lautaret. Le col de Lautaret
(2,057 mètres d'altitude- tait communiquer Briançon avec
Grenoble par la vallée de la Romanche.
2. Le Monestier-les-Bain$« ch.>l. de cant., arr. de Briançon,
Hautes-Alpes.
1647] BCÉMOIRES DE SOUVIGNY. 469
Briançon, nous [nous] laissâmes persuader parle beau
temps qu'il faisoit et les gens qui venoient, de sorte qu'au
lieu de prendre le chemin d'Embrun, nous primes celui
de FHostalet, d'autant plus facilement qu'au lieu du logis
du Cheval-Blanc, au Monestier, que nous appréhendions,
il s'en étoit établi un autre où nous serions bien trai-
tés et logés. Nous trouvâmes le contraire. Il fallut
retourner au Cheval-Blanc sans le pouvoir éviter.
Le lendemain, dès que le jour commença à paroltre,
il fit une petite pluie sans vent. M'étant informé s'il ne
feroit point mauvais temps à la montagne, on me dit
que non, mais nous n'eûmes pas fait deux lieues qu'il
tomba une si grande abondance de neige, large comme
des écus blancs, que l'air en fut tout obscurci, avec un
si grand vent, qui nous prenoit par derrière, que nous
avions peine à nous tenir à cheval, et qui qombla tel-
lement les chemins de neige qu'ils ne se connoissoient
plus. Par malheur, mon valet étoit devant avec nos gens
à pied et n'avions avec nous que les deux filles de ma
femme, dont l'une, qui marchoit devant moi, me dit
qu'elle ne pouvoit pas passer plus avant. Alors je me
représentai le chemin que nous avions à faire pour
aller à la Magdeleine^ qui pouvoit être à une bonne
lieue de là, et très périlleux, et si je pouvois tourner
en arrière; mais, ne le pouvant parce qu'en même
temps que nous pensions tourner le vent nous ôtoit la
respiration, je fis un si grand effort en mon imagina-
tion que j'étois tout en feu, et me fallut quitter mon
manteau et mon justaucorps. Mais le bon Dieu ne me
laissa pas sans consolation, en cette extrémité où j'au-
1. La Magdeleine, hameau de la commune du Monestier, sur
la rive gauche de la Guisane, à trois kilomètres du Lautaret.
170 MÉMOIRES DE SOUVIGNT. [1647
rois donné ma vie pour sauver celle de ma femme ;
car, en regardant de tous côtés, j'aperçus deux
hommes à environ deux cents pas de moi qui sor-
toient d'une cabane avec de grands bâtons. Ils ne me
voulurent pourtant point répondre la première fois
que je les appelai; mais, à la fin, comme je leur dis
que je leur baillerois une grande récompense pour me
servir en cette occasion, que j'étois gouverneur de la
citadelle de Turin, auprès de laquelle la plupart de
ces montagnards mettoient leur bétail en hiver, ils
vinrent à moi non sans s'enfoncer plusieurs fois dans
la neige. Je leur dis : c Mes amis, il faut que vous por-
tiez cette dame jusqu'à la Magdeleine en sûreté, et je
vous donnerai tout ce que vous me demanderez. > Ils
me répondirent qu'ils le feroient de bon cœur*, et,
sans aucun danger, ils s'en acquittèrent si bien et avec
tant d'adresse pour nous conduire, qu'ils nous ren-
dirent à la Magdeleine qu'il n'étoit pas plus de midi,
et se contentèrent d'un écu d'or pour leur peine.
La Magdeleine est un hospice où il y a fondation
pour loger et nourrir les pauvres passants l'espace de
vingt-quatre heures et, quoique ce fût une misérable
hôtellerie, j'eus bien de la joie d'y être arrivé^. Ma
femme, qui n'avoit pas connu le péril où elle s'étoit
trouvée et ne s'imaginoit point celui de passer la mon-
tagne de Lautaret^, avoit de l'impatience d'en sortir,
quand il arriva des muletiers, qui me dirent qu'ils
prétendoient la passer et que cela se pourroit facile-
1. Et la porteraient plutôt comme un sac de blé : effacé.
2. L'hospice de la Magdeleine avait été construit au moyen
âge et servait de refuge.
3. Lautaret : en surcharge, addition autographe.
i647] MÉMOIRES DE SOUYIGNT. i7i
ment, si l'hôte, avec ses valets et eux autres, portoH
des pelles pour accommoder le chemin, qu'ils passe-
roient devant pour le bien battre avec leurs mulets et
nous le faire bon.
Voyant le désir de ma femme de sortir de là, je
baillai de l'argent à l'hôte pour nous conduire et faire
le chemin. Avant partir, je le fis convenir du chemin
avec les muletiers, de tenir le chemin d'en haut, étant
sur la montagne, près l'hôtellerie de Lautaret*. Mais
quand nous y fûmes arrivés, l'hôte du lieu nous dit
que les grands vents l'avoient rendu impraticable et
qu'il y avoit de la neige de la hauteur d'une pique, ce
qui nous fit prendre le chemin d'en bas, où nous ne
fîmes pas plus d'un quart de lieue qu'il le fallut quitter.
Les muletiers [étant] étonnés, il nous fallut [nous]
mettre devant pour gagner le haut. Mon mulet s'étant
abattu et tombé dans le penchant, la neige me sauva
si bien que je n'eus point de mal, quoiqu'une de mes
cuisses fût engagée dessous, et je courus de toute ma
force trouver ma femme pour la remettre de la peur
(ju'elle avoit eue, et^ la fis porter jusqu'auprès du
Villar-d'Arène^, où nous fûmes attaqués par un si
grand vent, qui venoit de la Combe du Malna et nous
donnoit au visage, qu'il nous fut impossible de nous
tenir à cheval. Il y a une descente d'environ un quart
de lieue par un chemin fort étroit, où la montagne est
1. L'hôtellerie-refiige du Lautaret, qui datait du moyen âge,
a été reconstruite sous le nom de Refuge Napoléon, devenu
aujourd'hui Refuge National.
2. Il y a qui dans le texte.
3. Villar-d'Arène, cant. de la Grave, arr. de Britnçon,
Hautes- Alpes.
172 ICÉMOIRES DE SOUVIGNY. [1647
d'un côté et le précipice de Tautre. Je pris un paysan
bien fort pour donner la main à ma femme et, ne me
fiant pas à lui, je le fis aller du côté de la montagne et
moi de celui du précipice.
Étant presque au fond du vallon, il se présenta un
homme qui me dit qu'il falloit bien prendre garde au
passage du pont à cause du grand vent qu'il y faisoit,
et, l'ayant passé, prendre à gauche dans la montagne,
parce que les eaux avoient abimé le chemin ordinaire.
Je l'obligeai à nous conduire parle bon chemin, comme
il fit jusqu'à la Grave*, où nous arrivâmes encore de
jour. Après ces accidents. Dieu nous fit la grâce d'être
secourus bien à propos. De là nous allâmes diner au
Mont-de-Lans^, et de là coucher au Bourg-d'Oisans',
où nous eûmes peine à arriver à cause du déborde-
ment de la rivière. Nous eûmes toujours la pluie de là
à Grenoble, où les petits ruisseaux sembloient des
rivières, et y arrivâmes si tard qu'il fallut loger dehors.
Le lendemain, nous allâmes loger dans la ville, chez
Présin, et, y ayant séjourné six jours, je mis ma fenmie
dans une litière et l'accompagnai jusqu'à Voreppe*,
d'où je revins coucher à Grenoble, et en partis le len-
demain pour m'en retourner en diligence à la citadelle
de Turin, d'autant que j'en étois parti sans congé du
Roi, n'ayant pu quitter ma femme qu'elle ne fût deçà
les monts. Je passai dans la vallée de Graisivaudan,
1. La Grave, ch.-l. de cant., arr. de Briançon, Hautes-Alpes.
2. Mont-de-Lans, cant. du Bourg-d'Oisans, arr. de Grenoble,
Isère.
3. Le Bourg-d'Oisans, ch.-l. de cant., arr. de Grenoble, sur
la Romanche.
4. Voreppe, cant. de Voiron, arr. de Grenoble.
1648] MÉMOIRES DE SOUVIGNY. 173
SOUS le fort de Barraux, par Pontcharra, la Rochette*, et
rentrai au grand chemin de Turin à Aiguebelle^. Si
j'avois rencontré de grandes neiges et de grandes eaux
en passant par les montagnes de Dauphiné, je vis bien
d'autres inondations depuis Saint-Jean de Maurienne
jusqu'à Suse, les chemins rompus et plusieurs rochers,
détachés des montagnes, qui étoient tombés dans les
vallons.
L'on ne s'aperçut point à Turin de mon voyage.
Mon frère me fît ouvrir la porte de secours de la cita-
delle quand je m'y présentai à trois heures de nuit.
Incontinent après y être arrivé, j'écrivis de rechef pour
avoir mon congé, et, n'en ayant aucune assurance, j'en
eus un tel déplaisir, que j'en tombai malade d'une
maladie qui me faisoit sécher sur les pieds, sans fièvre
ni douleur, mais seulement dans une mélancolie qui me
faisoit fuir les compagnies et m'empèchoit de dormir.
Je ne trouvai rien de bon. M. Boursier, mon médecin,
voyant que les remèdes étoient inutiles, et mon frère
aussi, consentirent volontiers à mon départ sur l'espé-
rance que j'avois au changement de l'air et au désir de
retourner chez moi.
^648.
M. le maréchal du Plessis, M. l'intendant de l'armée
et tous les officiers de la garnison disoient que je mour-
rois si je me hasardois de me mettre en chemin ; mais
enfin, ayant reçu mon congé le 10* février 1648, qui
1. La Rochette, ch.-l. de cant., arr. de Chambéry, Savoie.
2. Aiguebelle, ch.-l. de cant., arr. de Saint-Jean-de-Mau-
rienne, Savoie.
474 MÉMOIRES DB SOUVIGNT. [4648
portoit aussi ordre d'aller servir mon quartier d'avril
de maître d'hôtel du Roi de la miéme année ^, je pris
congé de Madame Royale, de M. le maréchal du Plessîs
et de tous mes amis, et louai des porteurs pour passer
les monts, quoique je ne pusse souffrir Tair ni entendre
aucun bruit.
Je partis par un beau jour, et, après avoir fait deux
milles, je tins une fenêtre de ma chaise ouverte envi-
ron un quart d'heure, et à diverses reprises environ
une heure, depuis la citadelle jusqu'à Yeillane, où un de
mes amis m'attendoit. J'y dormis environ demi-heure
et, le lendemain, me rendis à Suse, où l'on me dismt
qu'il étoit impossible de passer ma chaise au Mont
Cenis, ni à Aiguebelle, parce qu'elle étoit d'une extraor-
dinaire grandeur et fermée. Pour cela, je ne la vou-
lus point quitter parce que je n'aurois pu subsister au
grand air, et fis résoudre mes porteurs à la passer par-
tout, en payant les honmies qui seraient davantage es
les lieux les plus difficiles.
Dès que j'eus passé le Mont Genis, je commençai à
trouver bon ce que je mangeois et à dormir dans ma
chaise. Je me remis si bien, par le chemin, qu'ayant
quitté ma chaise au Pont-de-Beauvoisin *, je montai à
cheval et. m'en allai coucher à Heyrieux^, à huit grandes
lieues de delà. Le lendemain, je fus dîner à Vienne,
1. Souvigny était maître d'hôtel du roi depuis 1641. Voy.
p. 70.
2. Le Pont-de-Beauvoisin, bourg séparé par le Gaiers en
deux parties, dont l'une forme un ch.-l. de cant. de Tlsère et
l'autre un ch.-l. de cant. de la Savoie, arr. de la Tour-du-Pin
et de Chambéry.
3. Heyrieux, ch.-l. de cant., arr. de Vienne, Isère.
1648] MÉMOIRES DE SOUYIGNY. 175
avec M. l'Archevêque, et couchai à Longes où je trou-
vai ma femme eo bonne santé, mais affligée de me
voir si maigre et si défait et dès que je parlois de m'en
aller servir mon quartier.
Mon beau-frère le Doyen m' étant venu voir, sans
me rien dire de notre traité de Trocezard, je ne voulus
pas le fâcher, ni lui dire qu'il ne m'avoit pas tenu
parole, s' étant passé cinq mois depuis le terme qu'il
avoit pris de me payer vingt mille livres. Ma femme
m'en ayant fait entendre la raison, je lui dis que nous
lui pouvions encore donner quatre mois pour leur
laisser faire leurs affaires à loisir, ne désirant point
rompre avec eux, qu'il me falloit bien ce temps-là
pour aller servir mon quartier et revenir. Je dis donc
adieu à ma femme le 1 5® mars 1 648. M. le Doyen, mon
beau-frère, m'accompagna jusqu'à mon embarquement
à Roanne^ sans me parler de notre traité.
Arrivé à Paris à l'ouverture du quartier d'avril, que
Monsieur le Prince m'avoit donné pour servir en ma
charge de maître d'hôtel du Roi, il fit sa charge de
grand maître de France à la cérémonie de la Cène, et,
comme j'étois premier maître d'hôtel du quartier, j'eus
l'honneur de marcher après lui.
U y parut quantité de personnes avec des bâtons de
maître d'hôtel, dont ils avoientles brevets sans avoir
jamais servi. M. Sanguin, maître d'hôtel ordinaire*,
1. La fin du paragraphe et tout le paragraphe suivant forment
en marge une correction autographe. Effacé : a Monseigneur le
Prince, faisant sa charge de grand maître de France, servit à
la cérémonie de la Cène, et, comme j'étois le premier maître
d'hôtel du quartier, je marchai après lui. »
2. Charles Sanguin, seigneur de Livry, maître d'hôtel et
176 ICÉHOIRES DE SOUVIGNT. [1648
s' étant avancé pour prendre la serviette et la présen-
ter, nous l'en empêchâmes. M. de GuitautS qui étoit
en quartier et de jour, la présenta. M. de Voiture^, qui
étoit le troisième maître d'hôtel en quartier, étant fort
incommodé, ne put se trouver à la fin de la cérémo-
nie, ni aux dix-sept tours que nous fîmes pour faire
servir. Il mourut avant la fin du quartier, regretté
pour son bel esprit, sa poésie et ses belles lettres.
En ce temps-là, la Cour, mal satisfaite du Parlement,
fit venir à pied Messieurs les présidents et conseillers
depuis le Palais jusqu'au Palais-Royal, où logeoit le Roi,
et demeurer en la salle des Ambassadeurs, tous crottés
et mouillés, plus de deux heures sans avoir audience.
Finalement, on les fit monter. Ils étoient cent et qua-
torze. Le Roi ayant dit que M. le Chancelier leur
diroit son intention, iP les menaça de l'indignatioD du
Roi de s'être assemblés sans son ordre, et de punition
s'ils tomboient en de pareilles fautes. Monsieur le Pre-
mier Président ayant commencé à parler, on lui imposa
silence, et [ils] furent ainsi renvoyés. Ils avoient remar-
qué en allant que le peuple leur donnoit mille malé-
dictions, disant qu'ils méritoient bien d'être maltrai-
gentîlhomme ordinaire du roi, fils de Jacques et de Marie
Dumesnil, mourut en 1666.
1. François de Cominges, comte de Guitaut, capitaine des
Gardes de la reine, gouverneur de Saumur en 1650, mounit
en 1663.
2. Vincent Voiture (1598-1648), conseiller du roi en ses con-
seils, maître d^hôtel ordinaire de Sa Majesté, premier commis
du surintendant des finances, gentilhomme à la suite de Mon-
sieur, membre de TAcadémie française à sa formation. Ses
œuvres furent publiées pour la première fois en 1650.
3. Le chancelier.
1648] MÉMOIRES DE SOUVIGNY. 177
tés, après avoir vérifié tants d'édits à la foule* du
peuple; et, connaissant combien il leur étoit impor-
tant de les avoir pour eux, quand la Cour les vou-
drait traiter mal, en s'en retournant au Palais ils
résolurent entre eux de décharger le peuple des nou-
velles impositions qui avoient été établies, tant aux
entrées de la ville de Paris (ju'aux autres lieux, et
[d']en donner avis en Parlement avant que de se sépa-
rer^. Il ne m'appartient pas de dire d'où vient la faute;
mais il est vrai qae cela a été cause des désordres que
nous avons vus dans Paris et presque toute la France,
et c'est une grâce de Dieu toute particulière d'avoir
sauvé l'État au Roi et donné si promptement la paix
à tout son royaume.
Mon quartier étant fini, je pris congé de la Cour,
spécialement de Monseigneur le Prince, qui, en ayant
absolument disposé et fait hautement sa charge de
grand maître, m'y avoit employé pour l'amour de
mon frère de Champfort, qu'il aimoit et estimoit depuis
qu'il avoit conunandé l'artillerie en son armée en
Catalogne.
Je retournai à Longes environ le 20* juillet de
ladite année. Je trouvai ma femme en bonne santé
après le voyage qu'elle avoit fait à Trocezard et [où elle
avoit] augmenté les fermes. M. le Doyen, mon beau-
frère, ne put s'empêcher d'en faire paraître quelque
1. C'est-à-dire : à Toppression.
2. Les démêlés du parlement et de la cour, notamment la
convocation au Palais-Royal, sont racontés dans les Mémoires
de Nicolas Goulas, t. 11^ p. 302, édition de la Société de l'His-
toire de France. Voy., p. 306, les propositions de la chambre
de Saint-Louis pour soulager les misères du peuple.
U 12
178 MÉMOIRES DB SOUVIGNT. [1648
jalousie, soit que cela fût sans son conseil, ou que le motif
de son déplaisir procédât de là ou d'aUleurs. Quoi que
ce soit, il y alla lui-même et en écrivit deux lettres à
ma femme, assez pressantes, pour m'oUiger d'allar
trouver M. de Saint-Ghamond^ incontinent après mon
arrivée, pour acheter quelque terre de lui, qu'il avoit
besoin d'argent pour aller à la Cour et qu'il me pré-
féroit à tout autre. Nous résolûmes, mafenune et moi,
que je Firois voir, sans pourtant me presser, me res-
souvenant d'une demande qu'il m'avoit faite autrefois.
Tant est que je le fus trouver, et, après avoir demeuré
environ trois heures avec lui, sans parier que de
choses indifférentes, j'en pris congé, et, comme je
voulois descendre le degré, il me dit : c Vous savez
que j'ai bien acconmiodé M. de la Forest' en lui ven-
dant le Souzy^. > Je lui dis que j'étois bien aise de sa
satisfaction et de M. de la Forest aussi. < Ne vous
souvient-il point, ce me dit-il, ce qui nous empê-
cha de conclure notre marché pour mettre Trooezard
en justice avec les villages et environs limités par le
grand chemin ? > Je lui dis que non, et que je n'y avois
plus pensé depuis qu'on me fit une demande [de] sa
part qui n'étoit pas raisonnable, cpxe je savois bien
qu'il étoit un grand seigneur qui ne vendoit que par
nécessité, et que je ne pouvois être son marchand, moi
1. Voy. t. I, p. 38.
2. Balthazar de Charpin, comte de la Forest-des-Halles,
baron de la Garde, seigneur de Montellier, fils d'Hector,
épousa, en 1642, Louise de ViUars, fille de Claude V de YiUarf
et de Charlotte de Nogaret-Calvisson.
3. Sonzy-l'Argentière, cant. de Saint-Laurent-de-Chfr*
mousset, arr. de Lyon.
1648] MÉMOQUES DB S0UVI6NY. 479
qui n'avois guère d'argent ni de volonté d'acheter,
ayant assez d'occupations dans les années et dans les
places, < et suis même obligé de me rendre dans
la (âtadelle de Turin dans dix ou douze jours. — £h
quoi ! ne voulez-vous donc pas que nous fassions
quelque chose ensemble et perdre l'occasion du désir
que j'ai de vous servir? > Je lui dis là-dessus que
j'emploierois encore sept ou huit jours de temps pour
écouter les propositions qu'il lui plairoit de faire,
c Bien, ce dit-il, pour n'en point perdre, si vous voulez
demain aller à Trocezard, où vous trouverez M. le
Doyen, j'y enverrai mes oflBciers de justice et mes
fermiers, pour voir avec vous l'étemlue que vous
voulez donner à la justice de Trocezard et la valeur des
rentes cpxe j'y prends. > Je lui dis que je le voulois
bien, c J'ai une pensée, dit-il, de vous accommoder
mieux que cela : c'est de vous vendre Grézieu*. » Je lui
dis que je n'y pouvois pas penser, étant de trop haut
prix pour moi, mais que, s'il étoit vrai (ju'il me voulût
obliger, il me vendroit Ghàtelus d'où dépendoit
1. Gréziea-le-Marché, cant. de Saint-Symphorien-sur-Coise,
arr. de Lyon. Cette terre, qui devait être érigée en baronnie
en 1650, et en comté, sous le nom de Souvigny, en 1656, en
faveur de l'auteur des Mémoires^ avait été acquise, en 1363, par
Pierre Mitte, seigneur de Chevrières, bailli du Forez, ancêtre du
marquis de Saint-Chamond. Le château, dont il reste encore
quatre tours en partie rasées, est une masse informe de bâti-
ments, occupés par des cultivateurs, et semble dater principa-
lement du xvi^ siècle. La description en est donnée, dans l'état
où il se trouvait en 1827, avec des considérations historiques
sur la famille de Souvigny, dans la Notice historique et statis"
tique du canton de Saint' Symphorien''le'' Château y par Gochard;
Lyon, 1827, p. 168-177.
180 MÉMOIRES DE SOUVIGNT. [1648
Trocezard . Il dit qu'il ne pouvoit se défaire de Qiàtelus,
parce qu'il étoit au milieu de ses terres, elj ne me
pouvant persuader à l'acquisition de Grézieu, m'obli-
gea de le voir. Je lui promis de le faire sans autre
intention que de le servir, si je rencontrois quelqu'un
qui le voulût acheter.
Le lendemain, en arrivant à Trocezard, mon beau-
frère le Doyen me dit que les officiers et fermiers de
Saint-Ghamond étoient là de sa part pour ce sujet. Je le
tirai à part et lui demandai son avis, tant pour me ser^
vir de son bon conseil que pour savoir sa volonté, ne
croyant pas qu'il songeât à vouloir effectuer notre
traité, parce qu'il n'avoit pas eu de l'aident dans le
temps, y ayant sept mois que le terme étoit esqiiré, à
quoi il auroit encore plus de difficulté, si j'y avois
ajouté la justice et les rentes dont nous étions en mar-
ché. Il me répondit sommairement qu'il me le oon-
seilloit et que je ne pouvois mieux faire ; ensuite de
quoi, les fermiers donnèrent le dénombrement de la
rente et nous fîmes des limites, confinées par le grand
chemin, de l'étendue de la justice où Trocezard étoit
enclos. Après quoi, il fut question du prix, que mon
beau-frère se chargea de savoir de M. de Saint-Gha-
mond : « Vous lui pourrez dire aussi, [repris-je,] s'il
vous plaît venir avec moi à Grézieu, que j'y aurai été,
ainsi que je lui ai promis. > Ge qu'ayant trouvé bon,
nous V allâmes ensemble.
Le fermier, qui s'y trouva, nous fit voir le contrat de
sa ferme et nous bailla le dénombrement du révéra,
savoir des dîmes, rentes, droits seigneuriaux, fermes de
domaines, coupes de bois et louages de prairies.
D'abord le lieu me fut agréable. Je le trouvai utué en
1648] MÉMOIRES DE SOUVIGNY. 181
bon voisinage, ayant les dames religieuses de l'Argen-
tière* à l'orient, le commandeur de Ghazelles à Tocci-
dent^, MM. les comtes de Sainte Jean, à cause de leurs
terres de Saint-Symphorien-le-Châtel, au midi^, au
septentrion la terre de Meys*, appartenant à M. de la
Baume ^, qui n'y a nulle habitation, le château étant
entièrement démoli. Je trouvai aussi qu'en plusieurs
endroits l'étendue de la justice étoit limitée par les
petites rivières de la Gimond et de la Brevenne^, que
1. L'Argentière, chapitre noble régulier de chanoinesses
comtesses, fondé en 1273 dans la paroisse d'Aveize, en Lyon-
nais. « Ce chapitre noble régulier de Notre-Dame-de-Coise,
en TArgentière, est, par lettres patentes, composé de demoi-
selles faisant preuve de huit degrés de noblesse paternelle et
trois degrés de noblesse maternelle, la présente non com-
prise. » [Almanach du Lyonnais y xviii* siècle. Voy. aussi la
Notice du canton de Saint- Symphorien, par Gochard, p. 141.)
2. Chazelles-sur-Lyon était alors une petite ville murée,
commanderie de Tordre de Malte, dans le Forez, aujourd'hui
cant. de Saint-Galmier, arr. de Montbrison, Loire.
3. Saint-Symphorien-le-Châtel , ou Saint-Symphorien-sur-
Coise, ch.-l. de cant., arr. de Lyon, alors petite ville murée
du Lyonnais, avait pour seigneurs les chanoines de la cathé-
drale Saint-Jean à Lyon, qui portaient le titre de comtes de
Lyon. Voy. Notice de Cochard, p. 39.
4. Meys, cant. de Saint-Symphorien-sur-Coise, arr. de Lyon.
Voy. même Notice, p. 192.
5. Louis d'Hostun, dit de Gadagne, comte de Verdun, baron
de Bouthéon et de Mirabel, seigneur de Meys et de Périgneux,
fils de Balthazar d'Hostun, dit de Gadagne, marquis de la
Baume, et de Françoise de Tournon, recueillit les biens substi-
tués des Gadagne. Voy. p. 54, note 2. Il était en procès, en
1648, avec son frère puîné, Roger, marquis de la Baume
d'Hostun, seigneur de Veauche, sénéchal de Lyon, à propos
de l'héritage des Gadagne en Forez.
6. La Gimond, a£Buent de la Coise, qui se jette dans la
Loire, et la Brevenne, a£Quent de l'Azergue, qui se jette dans
182 MÉMOIRES DE SOUVIGNT. [1648
le château étoit bien logeable, flanqué de bonnes
tours quoique irrégulièrement bâties, et, ce que je
trouvai plus avantageux, c'est qu'il joint à T^lise. La
première fois que mon frère de Ghampfort y fut, il
eut de la joie de nous voir logés si près du tabernacle
du Seigneur, et nous dit que cette conunodité nous
valoit plus de cinq cents livres de rente ^. G'étoit le
temps le plus avantageux pour cette visite; car les
blés, qui y sont conmiunément beaux, Tétoient eztra-
ordinairement cette année-là.
De Grézieu nous allâmes à [la] Forest* voir M. et M" de
la Forest. Leur ayant dit le sujet de notre voyage, après
les avoir félicités de leur acquisition de Souzy, nous
allâmes^ coucher à Trocezard, d'où je m'en retournai^
à Longes, le lendemain, attendre la demande de M. de
Saint-Chamond, laquelle mon [beau-]frère le Doyen
m'ayant fait savoir éloignée de raison, je lui dis qu'il
n'en falloit plus parler, et, comme on nous avoit pro-
posé, à ma femme et moi, d'acheter les terres de la Fay ^,
la Saône. Grëzieu se trouve donc sur la ligne de partage des
eaux, au milieu des montagnes du Lyonnais.
1. De 1 ancienne église, dédiée à saint Barthélémy (yoj.
Notice de Cochard, p. 168), il ne subsiste plus actuellement
que le clocher touchant au château. La nouvelle église, cons-
truite au XIX" siècle, s*élève en face.
2. Le château de la Forest-des-Halles, comm. des Halles,
cant. de Saint-Laurent-de-Chamousset, arr. de Lyon, prit le
nom de Fenoyl en passant dans la famille de Fenoyl, et le
domaine fut érigé en marquisat sous ce dernier nom en 1720.
Aujourd hui il porte le nom de château des Halles.
3. Effacé : retournâmes.
4. Efi'acé : allai.
5. La Fay, comm. de Larajasse, cant. de Saint-Symphori^i-
sur-Coise.
1648] MÉMOIRES DE S0UVI6NY. 183
qui se dévoient vendre à Lyon dans peu de jours, nous
y allâmes exprès et donnâmes trente pistoles à Mes-
sieurs de Saint-Jean, de Coise*, pour quelques frais
du décret. Nous priâmes aussi mon beau-frère le
Doyen de venir, conlme il fit. En ces entrefaites, le
sieur Réroles, agent de M. de Saint-Ghamond, me vint
trouver de sa part me dire qu'il rabattroit quelque
chose de sa demande de Trocezard et que, si je vou-
lois entendre à l'acquisition de Grézieu, qu'il me le
donneroit à un prix raisonnable, me donneroit terme
si je n'avois assez d'argent comptant, et, pour assu-
rance des deniers que je donnerois à la passation du
contrat, que je paierois les plus anciennes hypothèques
de sa maison. Je lui répondis que je remerciois M. de
Saint-Ghamond, mais que je ne voulois point avoir
d'autre affaire avec lui que les occasions de lui rendre
mes services, et le renvoyai comme cela.
La terre de la Fay étant enchérie à un si haut prix
que nous n'y voulûmes point entendre^, nous [nous]
en retournâmes à Longes avec environ vingt mille
firancs que j'avois heureusement retirés du change de
Lyon, où il se fit plusieurs banqueroutes en ce temps-là.
Au bout de cinq ou six jours que nous étions logés à
1. Coise, cant. de Saint-Symphorien-sur-Coise, avait alors
pour seigneurs les chanoines de Saint-Jean, comtes de Lyon.
2. Marguerite Michel, veuve de François Ghappuis, bour-
geois de Lyon, acheta, le 23 septembre 1648, au prix de
32,000 1., les seigneuries de la Fay et de TAubépin, de dame
Anne Manuel de la Fay, veuve de Guillaume de Riverie, sei-
gneur de Coise. Marie-Anne Ghappuîs de la Fay, petite-fille de
Tacquéreur, épousa, en 1689, Camille de Gangnières, comte
de Souvigny, fils de l'auteur des Mémoires,
184 MÉMOIRES DE SOUVIGNY. [1648
la maison de TorrepaneS M. de Saint-Ghamond nous
fit l'honneur de nous y venir voir, en allant à Vienne,
et me dit, à son départ, de prendre créance sur ce que
M. de la Gondamine me diroit sur le sujet de Grézieu.
Ce ne fut autre chose que la proposition que m'avoit
faite Réroles, sinon que nous en pouvions faire échange
avec Trocezard. Je lui dis que je le voulois bien,
pourvu qu'il ne me demandât qu'une sonune raison-
nable de retour. La première demande fiit de an-
quante mille livres et deux cents pistoles d'étrennes.
J'en offris quarante mille et cent pistoles. Sur quoi,
M. de la Gondamine m'ayant mandé que M. de &dnt-
Ghamond devoit partir pour aller à la Gour, je le fus
trouver et, sachant qu'il avoit besoin d'argent, je fis
porter avec moi dix-huit mille francs, pour les lui tmiller
en cas que nous fussions d'accord du prix. J'y trouvai
M. le baron de Virieu, notre fidèle ami, auquel ayant
dit en particulier les raisons qui m'obligeoient à me
défaire de Trocezard, il approuva de changer avec Gré-
zieu, et, après plusieurs discours, la conclusion fut ei
le contrat signé, à condition que je donnerois quarante-
cinq mille francs et cent pistoles d'étrennes de retour
de Trocezard à la terre de Grézieu, située en Lyonnois,
et Viricelles*, en Forez, consistant en haute, moyenne et
basse justice, mère, mixte ^, impôts, droits seigneuriaux,
1. Torrepane, nom sous lequel on désignait la maison forte
de Longes, voy. p. 100, note 3.
2. Viricelles, cant. de Saint-Galmier, arr. de Monthrison,
Loire.
3. Formule venant du droit romain [merum et mixium impe-
rium; voyez Ducange, Glossarium médise et infinue laUnitatU^
au mot Imperium) et qui était encore usitée dans les chartes et
1648] MÉMOIRES DE S0UVI6NY. 185
dîmes, rentes, bois, prairies, domaines et générale-
ment toutes lem*s dépendances, à condition de payer
dix-huit mille francs comptant, dont la quittance fut
insérée au bas du contrat, douze mille francs dans deux
mois après, et les quinze mille livres restant dans
trois mois. Les fermiers de l'une et l'autre terre en
jouiroient jusqu'à la fin de l'année 1 648, notre con-
trat d'échange ayant été signé au mois d'août de ladite
année ^
Je ne saurois dire la joie que ma femme eut de cette
nouvelle, [ainsi que] M. l'archevêque de Vienne et
M. de Villars que j'allai trouver le lendemain, après en
avoir donné avis à mon beau-frère le Doyen, lequel, en
même temps que j'étois à Condrieu, en vint féliciter ma
femme, [disant] qu'il étoit bien content. Il me témoi-
gna le contraire le lendemain, que je le fus voir, de ce
que je l'avois fait sans lui rien dire. Je lui dis que je
ne l'avois pu faire à cause du prompt départ de M. de
Saint-Chamond, et que c'étoit moi qui avois sujet de me
plaindre, et non pas lui ; mais le respect que j'avois
pour sa personne et son amitié m'en avoient empêché,
et qu'il ne tiendroit pas à moi que nous ne fussions
toujours bons amis. Sur quoi, m'ayant prié à dîner, je
remarquai qu'il étoit encore si en colère que j'aimai
mieux me retirer que de m'exposer à une entière rup-
ture. Nous nous séparâmes donc assez froidement,
m'ayant, du depuis, intenté un procès que je dirai en
un autre temps, dont nous nous sonmies acconmiodés
les dénombrements des terres, sans peut-être que ceux qui
l'employaient en comprissent bien la signification.
1. En marge : Échange de Trocezard à Grézieu au mois
d'août 16^8.
186 MÉMOIBES DE SOUVKHIT. [1648
par la transaction que nous avons passée à Vienne.
Incontinent après, je fîis prendre possesûon de Gré-
zieu, où je fis faire une sommaire prise de Fétat des
bâtiments du château et domaines ou dépendances. Je
retirai de M. de Saint-Ghamond les papiers, terriers,
titres et documents des rentes de Grézieu, Viricelles et
Montverdun-en-Ghazelles, et fis remettre à M. de Saint-
Ghamond les papiers, et terriers, et titres, et docu-
ments des rentes de Trocezard, par le sieur Hagdinier,
notaire de Longes, qui m'en a rapporté la quittance
reçue par le sieur Valons, notaire de Saint-Ghamond^.
Je dépossédai le juge de Grézieu et le procureur d'of-
fice pour cause, et pris le désistement du fermier de la
ferme de Grézieu. Je donnai ordre à quelques répara-
tions, et, y ayant fait voiturer des meubles, nous par^
ttmes de Longes, le 8 octobre 1 648, pour aller habiter
à Grézieu, où nous arrivâmes le même jour.
Nous trouvâmes le pauvre peuple accablé de la taille,
et de chicanes fomentées par les précédents ofiBciers,
et la plupart sans bétail pour cultiver les terres. Pour
y remédier, je choisis M. Duxio, juge, non seulement
comme bon justicier, mais encore conmie élu qui
pouvoit contribuer ses suiirages à la dédiarge de la
taille^, et M. Gubian pour procureur d*oflBce, homme
1. La famille Valous a fourni au xvi* siècle des notaires royaux
à Saint-Jean-Bonnefonds, cant. et arr. de Saint-Étienne, Loire,
et un président en l'élection de Forez en 1632. Gabriel Valous,
fils de l'un d'eux^ s'établit à Lyon, fut greffier en chef de la
sénéchaussée de Lyon et mourut en 1651. Il peut s*agir d'un
frère de ce dernier.
2. Les élus, en l'élection de Lyon, formaient un tribunal con-
naissant de toutes les matières de tailles, aides, etc.
1648] MÉMOIRES DE SOUYIGNY. 187
du lieu et pacifique^, et, pour donner moyen au
peuple de cultiver leur terre, nous baillâmes de bétail
en commande aux plus nécessiteux.
Nous ne nous y reconnaissions pas encore, tant un
matin que le jour commençoit à parottre, l'hôte de
Saint-Georges, de Ghazelles, me réveilla en entrant
dans notre chambre, en me disant que le commandeur
de Ghazelles*, avec son frère et un autre, en étoient
sortis pour aller se battre contre trois autres, et me
prioit d'y mettre ordre. « Vous le dites bien tard. Où
sont-ils? — Je crois, dit-il, qu'ils ont pris le chemin de
Lyon. > Je me jetai promptement du lit et, pendant
que je prenois ma botte et que l'on accommodoit mes
chevaux, j'envoyai au bourg faire armer des paysans
pour me suivre en cas de besoin. Il faisoit un brouil-
lard épais quand je rencontrai ces messieurs, au Plat-
Maillard, à cheval, éloignés environ à soixante pas les
uns des autres, qui amorçoient leurs pistolets. Je
n'en connoissois aucun et tâchai de ménager ma
dvilité, en sorte que, en faisant aux uns, les autres
n'en fussent point offensés. J'ignorois leurs querelles
et leur dis : « Messieurs, je m'aperçois bien que vous
n'êtes pas de ce pays et que le brouillard vous aura
1. Les officiers de la justice de Grézieu étaient un juge-châ-
telain, un procureur fiscal et un greffier [Almanach du Lyon-
nois).
2. Louis de la Rivoire, chevalier de Malte, commandeur de
Ghazelles, fils de Fleury, seigneur de la Rivoire et de Ghade-
nac, et de Judith de Fay. (Archives du Rhône, Malte, H. 320 :
État des dépouilles de Louis de la Rivoire^ chevalier de Malte,
5 avril i684.) Il eut trois frères : Ghristophe, baron de Ghade-
nac^ Hector, chevalier de Malte, commandeur de Blodez, et
Gharles, seigneur de Beaumes.
188 MÉMOIRES DE SOUVIGNT. [1648
égarés. Je vous prie de venir chez moi pendant qu'il
se dissipera. Ma maison est proche d'ici, je vous pro-
mets de vous donner des bons guides ou de vous
accompagner moi-même, quand vous en voudrez par-
tir. > Il arriva, comme c'est l'ordinaire en pareille
occasion, que chacun attendoit ce que feroit son com-
pagnon ; mais enfin j'obtins d'eux qu'ils vi^idroient
chez moi, dont ma femme écrivit adroitement deux
billets à M. de Clérimbert* et M. de la Menue ^ pour
me venir aider à les accommoder. A l'abord, je [ne]
leur parlai que de chasser le brouillard avec de fort
bon vin blanc ; mais, quand ces Messieurs furent arrir
vés et que j'eus fait entrer cinq ou six paysans dans
le château, je fis fermer les portes et leur dis : c Mes-
sieurs, vous avez à choisir d'aller trouver Monsieur
notre gouverneur de province à Lyon, accompagnés de
ses gardes, car je ne doute pas qu'il n'en envoie sur
l'avis que je lui donnerai de votre querelle, ne m'en
pouvant dispenser, ou bien. Messieurs, nous faire
l'honneur de nous remettre votre différend à MM. de
Clérimbert, de la Menue et moi. i Après qu'ils eurent
1. Christophe-Girard de Riverie, seigneur des Hormes, Qé-
rimbert, Hurongues, fut baptise à Saint-Symphorien-le-Ghàtel
le 28 décembre 1611 et mourut en 1689. Capitaine au régiment
de Lyonnais, il épousa, en 1644, Françoise, fille de Guillaume
de la Balme, seigneur des Marres. Le château de Clérimbert
est dans la commune de Saint- Symphorien-le-Châtel.
2. Jean-Jacques Jacquemetton, seigneur de la Menue, Mon-
tagny et la Ponchonnière, épousa Antoinette de Saint-Priest-
Fontanès, fille d'Aymar et de Louise Harenc de la Gondamine.
Son père, Pierre, capitaine-châtelain de Saint-Clément-les-
Places, avait acquis, en 1609, la seigneurie de la Menue,
comm. de Souzy-rArgentière. (Archives de Terrebasse.)
1648] MÉMOIRES DE SOUYIGNY. 189
témoigné, les uns et les autres, d'être surpris de cette
proposition et fait des grandes difficultés, finalement
ils me donnèrent leur parole de s'en rapporter à moi,
qui négociai la chose avec facilité, parce que, les ayant
séparés en divers appartements, MM. de Clérimbert et
de la Menue demeuroient toujours avec l'un des par-
tis, pendant que je faisois des allées et venues de l'un
à l'autre. C'étoit une vieille querelle fort embrouillée;
mais enfin nous les mîmes d'accord.
Quelques jours après, un de mes amis m'ayant fait
voir une transaction par laquelle M. le baron de Lugny
de Vougy* avoit une hypothèque spéciale de vingt-
quatre mille livres sur la terre de Grézieu, par l'ac-
conmiodement qu'il avoit fait avec M. de Saint-Cha-
mond, auquel étoient restées les terres de Picquecos^ et
Montpezat^, près de Montauban, j'en fus alarmé à
l'abord ; mais, après avoir appris par son conseil que
nous sommes en pays de discussion et qu'auparavant
qu'il me pût demander ladite sonune de vingt-quatre
mille livres, il falloit qu'il fit discuter toutes les terres
de M. de Saint-Chamond, savoir : la terre de Saint-
Cbamond, Picquecos, Montpezat, Andance, Talancieu,
Anjou*, Septême^, Châtelus, Chevrières^, le Parc''', et
1. Claude de Lé vis, baron de Lugny, seigneur de Vougy, fils
de Jacques, baron de Couzan, seigneur de Lugny, et de Louise
de Rivoire, épousa, en 1638, Anne de Ghanlecy.
2. Picquecos, cant. de Lafrançaise, arr. de Montauban,
Tam-et-Garonne .
3. Montpezat-de-Quercy, ch.-l. de cant., arr. de Montauban.
4. Anjou, cant. de Roussillon, arr. de Vienne, Isère.
5. Septême, cant. et arr. de Vienne.
6. Chevrières, cant. de Saint-Gai mier, arr. de Montbrison.
7. Le Parc, comm. de Bellegarde, cant. de Saint-Galmier.
190 MÉMOIRES DE S0UVI6NT. [1648
deux autres terres qu'il avoit en Bourgogne, cet avis
m'ayant rassuré, je ne laissai pas de payer à mondit
sieur de Saint-Ghamond la somme de douze mille
livres dans le terme, outre les dix-huit mille dont la
quittance est insérée au contrat d'échange de Troee-
zard à Grézieu, ayant néanmoins pris cette précaution
que M. Just Mitte de Saint-Ghamond^, fils aîné de
M. de Saint-Ghamond, ratifiât non seulement la quit-
tance de douze mille livres, mais encore le contrat
d'échange passé avec Monsieur son père, si bien que
voilà la somme de trente mille livres payée avec sûr^.
Quant à la somme de quinze mille livres qu'il falloit
encore, pour faire le supplément de quarante-cinq mille
livres que je devois bailler de retour de Trocezard à
Grézieu, elle me fut saisie entre les mains par divoiBCS
personnes, entre autres M. du Gay, maître des requêtes,
et M. le baron de Lugny. Après avoir soutenu un pro-
cès, l'espace de quatre ou cinq ans, pour [ne] la payer
que valablement et avec mes assurances, j'obtins fina-
lement un arrêt avec les Messieurs susdits, M. Séguier,
garde des sceaux^, M. de Servien, surintendant des
1. Just-Henri Mitte de Chevrières, marquis de Saint-Cha-
mond et de Montpezat, fils de Melchior qui dëcëda en 1649,
et dlsabeau de Toumon» épousa, en 1640, Catherine de Gra-
mont, fut capitaine au régiment des Gardes, lieutenant géné-
ral, et mourut sans enfants en 1664. Il eut k réaliser de nom-
breuses ventes pour acquitter les dettes contractées par son
père dans vingt-trois ambassades, pour lesqneUes la cour
devait 900.000 livres, qui ne furent jamais remb oa r aé es.
Voy. Rcctteil des mémoires et doeumeiUM sur ie PorcM, pnUiés
par la Société la Diana, t. IX, 1888, p. 185 : Généalogie de la
maison do Saint-Chamond.
2. Pierre Séguier ;i588-1672>, garde des scetn en i633|
chancelier de France en 1635.
1648] MÉMOIRES DE S0UVI6NT. 191
finances, l'Hôtel-Dieu de Paris et plusieurs autres
créanciers de M. de Saint- Chamond, par lequel
il fiit dit que je paierois ladite somme de quinze
mille livres audit sieur baron de Lugny, avec les
intérêts, comme j'ai fait, lui ayant payé dix mille
livres, à Ghazelles, suivant sa quittance du S
et six mille livres en sa maison, au château de
Yougy ^, selon sa quittance du 6 mars 1 659, à laquelle
il y a une déclaration de Debilly, notaire royal de
Vougy qui l'a reçue, que la transaction, passée entre
lesdits sieurs de Saint-Chamond, de Vougy et de Lugny ,
d'où procède [la]dite hypothèque, a été déchargée de
ladite somme (je lis la propre cede^ et original), de
sorte que ladite somme de quarante-cinq mille livres
de retour de Trocezard à Grézieu a été payée avec
toutes les sûretés requises. Il n'y a non plus à craindre
de substitution, n'y en ayant eu nulle, ainsi que tous
les testaments de la maison de Saint-Ghamond en font
foi. C'est pourquoi il y a toutes les sûretés imaginables
en l'acquisition de Grézieu, où nous avons les terriers
en fort bonne forme pour faire payer les rentes de
Grézieu, Viricelles et Montverdun-en-Ghazelles, les-
qpielles j'ai fait reconnoître à mon nom, savoir : Gré-
zieu et Viricelles par M. Gubian, et Montverdun-en-
GhazeUes par M. Mantelier, de Ghazelles. Il nous faut
encore un terrier, signé Goudin, de la rente de Mont-
verdun-en-ChazelIes, avec l'échange que M. de Saint-
1. Ce chiffre est en blanc dans le manuscrit.
2. Vougy, cant. de Gharlieu, arr. de Roanne, Loire.
3. Cecle ou sede, mis pour cëdule, synonyme de billet, indi-
quait un engagement sous seing privé et s'appliquait aussi par-
fois à un acte judiciaire. Voy. Dictionnaire de Vameiemne langue
française, par Godefroy, t. II, p. 6.
192 MÉMOIRES DE SOUYIGNT. [1649
Ghamond a fait de ladite rente avec notre prieur de
Montverdun, et quelques transactions passées entre les
anciens seigneurs de Grézieu et Yiricelles avec leurs
sujets, qui doivent être dans les archives de Sainte
Ghamond, lesquels terriers et transactions H. de Saint-
Ghamond me doit fournir, comme il m'a promis par
ses lettres de le faire, quand il les trouvera dans ses
archives de Saint-Ghamond ; c'est de quoi il fi9iut solli-
citer.
Nous passâmes heureusement tout le reste de Thiver
à Grézieu. Au mois de mars 1649, je m'en allai à la
citadelle de Turin, où je trouvai mon frère du Fresnay,
qui y commandoit à mon absence, en des grandes
avances qu'il avoit faites pour faire subsister la gar-
nison, qui n'étoit pas payée et n'avoit pas seulement
de pain de munition. Le retardement des paiements
procédoit en partie de ce que M. de Servien, intendant
de l'armée et des garnisons d'Italie*, ne vouloit point
écrire à M. de Servien, son frère, surintendant des
finances, des nécessités qu'il y avoit, pour ne lui
déplaire. Mais, bien plus, après qu'il eut arrêté le
compte de trois mille huit cent soixante-six livres du
pain de munition que mon frère avoit avancées, je
n'en ai jamais retiré un sou, quoique ledit sieur inten-
dant se fût lui-même payé de ses droits, et que j'aie payé,
1. Ennemond Servien, seigneur de Gossai et de la Balme,
fils puîné d'Antoine Servien et de Diane Bailli, commissaire
général des guerres et contrôleur des fortifications à Pignerol
en 1633, intendant de justice au delà des monts en 1646,
ambassadeur en Savoie de 1648 à 1676.
1649] MÉMOIRES DE S0UVI6NY. 193
à Paris, ceux des gardes et contrôleurs des vivres,
aussi bien que ceux du trésorier de l'Épargne, qui m'en
baiUa son billet ^ Il seroit trop long et ennuyeux de
dire la peine et la dépense que me donna cette affaire,
qui fut le commencement des pertes et des déplaisirs
que nous ont causés les avances de la citadelle de
Turin en ladite année*.
M. le Cardinal, pour réparer l'affront que les armées
du Roi reçurent à Orbitello par la levée du siège,
envoya MM. les maréchaux de la Meilleraye et du
Plessis assiéger Porto - Longone , qu'ils prirent^,
M. Randin, capitaine au régiment d'Auvergne*, m'ayant
apporté à Turin la funeste nouvelle que mon frère de
1. Ci-après, p. 199.
2. On verra à TAppendice, ffl* volume, les requêtes et
démarches faites par Souvigny et son frère pour rentrer dans
leurs avances, qui furent considérables.
3. Orbitello ou Orbetello, arr. et prov. de Grossetto, est
situé sur la côte de Toscane. En mai 1646, le prince Thomas
de Savoie, commandant des troupes françaises, ayant attaqué
Orbitello, défendu par les Espagnols, fut contraint, en juillet,
par une armée de secours, de lever le siège. Mais, dès le mois
de septembre, pour réparer cet échec, la Meilleraye et du Ples-
sis débarquèrent dans l'île d'Elbe et s'emparèrent de Porto-Lon-
gone. C'est par erreur que l'auteur place cette action de guerre
en 1649 au lieu de 1646.
4. M. Randin avait été blessé en 1640, à Turin, étant lieu-
tenant au régiment d'Auvergne. Sa famille semble originaire
des confins de l'Auvergne et du Forez, où Guy Randin, châ-
telain de Saint-Didier-sous-Rochefort, épousa, vers 1610,
Jeanne du Bessey. Il est à remarquer que beaucoup d'offîciers
du régiment d'Auvergne se recrutèrent en Lyonnais, en Forez
et dans les environs de Thiers, en Auvergne, régions où ce
corps avait fréquemment séjourné avant de se rendre en Italie,
en 1629, et où les officiers continuèrent à garder des relations.
n 13
194 MÉMOIRES DB SOUVIGNT. [1649
la Motte y avoit été tué, faisant un logement sur la
brèche, où il s'étoit engagé à faire une garde particu-
lière comme capitaine au régiment d^Auvergne, contre
Tavis de tous ses amis, d'autant qu'il faisoit alors les
charges de major au régiment d'Auvergne et de major
de brigade de l'armée^; mais il étoit tellement zélé pour
le service, que son affection remporta en cette occa-
sion, qui fut la dernière de sa vie; car, après la mous-
quetade qu'il reçut dans la tète, il ne paria plus, fair
sant seulement tous les signes qu'on pouvoit désirer
d'un bon chrétien, conmie il avoit toujours vécu, et
rendit ainsi l'esprit^. Son corps fut porté à l'église
délia Hadonna del Rio, en l'ile d'Ëlbe, et son corps
inhumé devant le grand autel. Il étoit fort dévot à
Notre-Dame, s'étoit confessé et conmiunié avant l'em-
barquement, ce qui me fait espérer que Dieu lui aura
fait miséricorde. Ledit sieur Randin, qui étoit son ami,
s'étoit chargé de ce qui lui restoit à son décès, dont il
m'en rendit fidèle compte.
J'ai estimé commencer ce que j'aurois à faire en ce
rencontre par un service solennel que je fis faire à
Pignerol, où assistèrent M. de Maleissye et tous nos
amis de ce pays-là, ayant été logé chez M. le comte
Falcombel, mon ami, et non chez ma sœur de k Motte,
tant parce qu'elle étoit toute en larmes que [parce que]
nous a\îons des affaires ensemble, que je désirois ter-
miner à Tamiable par l'avis de nos amis, et lui témoi-
gner, en sa personne, l'estime que je fais(Hs de celle
1. Le major de la MoUe fut tué le 23 octobre 1646 d^niie
mousquetado à la tète [Gazeiie de France^ année 1646, p. 1060).
2. En marge : Décès de M. de la Moue sur la brèche de Par-
ielongtic en Î6i9. 1649 est mis ponr 1646.
1649] HÉMOIRES DE SOUVIGNY. 195
de feu mon pauvre frère et de sa fidèle amitié.
Après le service, je payai toutes les dettes de mon
frère et ce qu'il restoit à payer de l'acquisition de la
cassine de Lenne, qui se montèrent à la somme de
^, dont j'ai les quittances, laquelle cassine nous
demeura, et, quoique l'acquisition de celle de
fût faite au nom de mon frère, aussi bien que celle de
Lenne, néanmoins, pour gratifier notre belle-sœur,
nous la lui relâchâmes entièrement, mes frères de
Champfort, le doyen, de Fresnay et moi, qui fis les
choses par leur consentement, par la transaction que
nous passâmes ensemble, lui payant en son particulier
la sonmie de à Pignerol.
La nécessité de la garnison de la citadelle de Turin
s'augmentant tous les jours, pendant que j'étois à la
Cour et dans les armées, j'écrivois souvent à mon frère
de ne rien avancer que ce qu'il voudroit perdre; qu'il
pensât seulement à sa personne et à bien garder la
citadelle de Turin avec ce qu'il plairoit à Dieu et au
Roi qu'il eût de gens, sans s'imaginer que nous y
puissions entretenir une garnison à notre dépense;
qu'après avoir consommé le peu de bien que j'avois et
qui ne dureroit guère, je n'aurois plus de quoi vivre
moi-même; tout cela avec des protestations. Mais je
n'avois pas plus tôt fermé mes lettres que, faisant
réflexion là-dessus, j'y ajoutai une lettre de change
pour faire toucher l'argent à mon frère, m'imaginant
que c'eût été cruauté de l'abandonner à cette occa-.
sion, et manquer à mon devoir envers le Roi, si je
n*employois tout mon bien pour sauver à Sa Majesté
1. La somme est en blanc dans le manuscrit^ ainsi que les
mots manquants des lignes suivantes.
196 MÉMOIRES DE SOUVIGNT. [1M9
rimportante place de la citadelle de Turin pendant le
désordre de France. Et, m'étant entièrement épuisé
d'argent, sans ralentir ma bonne volonté de servir le
Roi et d'assister mon frère, sachant que sa garnison
étoit dans la dernière nécessité, [que] l'intendant ne
vouloit point faire donner d'argent, ni les munition-
naires de pain, et qu'il n'y avoit ni blé, ni farine, ni
autres vivres dans la place, j'envoyai une procuration
à mon frère pour vendre la cassine de Lenne, qu'il
bailla à M. de la Yermenelle pour mille pistoles, quoi-
qu'elle coûtât plus de quinze cents pistoles à mon frère
de la Motte, sans comprendre les réparations qu'il y
avoit fait faire. Effectivement elle vaut plus de dix mille
écus : c'est un clos carré, formé d'une haie vive d'au-
bépine d'une épaisseur et hauteur extraordinaires, envi-
ronné d'un bon fossé, beau logement pour le maître,
séparé de celui du fermier, qui a le sien séparé des
étableries et grandes halles où est le pressoir et les
tonneaux. Il s'y cueille quantité de blé, de vin, de
fruits et de feuilles de mûrier que l'on afferme tous les
ans. Elle est située environ un quart de lieue de
Pignerol, ce qui fut cause que j'eus regret de nous en
défaire.
Quand [je me décidai] à aller trouver la Cour à Gom-
piègne^ je demeurai dix jours sans pouvoir parler à
Son Éminence ; ce qui me fît résoudre de bailler une
lettre au sieur Métayer, son premier valet de chambre,
1. La cour avait passé le commencement de Tannée 1649 à
Saint-Germain, où elle s'était accommodée provisoirement avec
les Frondeurs. Le 13 mars, elle partit pour Compiègne, qu'elle
quitta le 7 juin pour Amiens. Voy. Mémoires de M^de Motte*
ville, t. m, p. 281, éd. Petitot.
1
1649] MÉMOIRES DE SOUVIGNY. 197
qui étoit de mes amis. La lui ayant rendue à propos, il
me fit entrer. Monsieur le Prince étoit dans la chambre
avec M. de Lillebonne^. Quand ils en furent sortis, Son
Éminence me donna tout le loisir de lui faire ma plainte
de Tabandonnement de la garnison de la citadelle de
Turin, où j'avois employé partie de mon bien pour la
faire subsister, n'étant point payé, n'y ayant ni blé, ni
farine, ni autres vivres dans la place, tous les munition-
naires ne fournissant plus de pain. Après qu'il m'eut fait
espérer d'y donner ordre, j'ajoutai, après mon remer-
ciement, que j'avois cela à lui dire pour l'intérêt du
service du Roi, et la nécessité oùj'étois réduit, et que
j'étois obligé de l'avertir qu'il y avoit cinquante ou
soixante mestres de camp, lieutenants-colonels, capi-
taines et officiers d'armée, qui s'impatientoient fort de
ce qu'il ne leur donnoit point d'audience et ne leur
permettoit de le voir; que, pendant qu'ils étoient là,
les troupes, qui étoient en marche pour aller à l'armée,
vivoient en grand désordre et couroient fortune d'y
arriver foiljles par l'absence de leurs chefs, et qu'il y
avoit tel qui ne demandoit qu'à lui faire la révérence ;
qu'en demi-heure il leur pouvoit parler à tous, d'autres
leurs pensions et des ordres importants au service
du Roi et de Son Éminence. Il me témoigna être bien
aise de cet avis et conmianda, à l'heure même, à Balsac
de les faire tous entrer, comme ils firent. Quelques-uns
furent contents de son audience; mais ce n'étoit pas
mes affaires, qui ne s'avancèrent pas pour cela. Quand
je vis les bonnes paroles sans effet, je me résolus
1. François-Marie de Lorraine, fils de Charles de Lorraine,
duc d'Elbeuf, et de Catherine-Henriette, légitimée de France
(1627-1694), comte de Lillebonne, lieutenant général.
198 MÉMOIRES DE SOUVIGNT. [1649
d'aller solliciter quelque affaire que j'avois à Paris, en
attendant que la Cour y fût retournée.
Je partis de Gompîègne avec un mestre de camp de
cavalerie de mes amis et, ayant envoyé nos valets
devant, comme nous en allions au petit galop, nous
aperçûmes d'assez loin, sur la hauteur de Louvres-en-
Parisis*, un carrosse arrêté, et des cavaliers aux por-
tières qui présentoient leurs armes. Nous y courûmes
et trouvâmes dedans M. le duc de Damville^ et M. le
comte d'HosteP avec quelques autres personnes de
qualité, que ces gens-là vouloient voler, leur ayant
fait une querelle d'Allemand et disant qu'ils vouloient
avoir raison de l'injure que leur avoient faite leurs
valets de pied. Je leur dis : c Je vois bien. Messieurs,
que vous ne connoissez pas M. le duc de Damville. Il
vous fera bonne justice, étant bien raisonnable qu'cm
ne souffre pas qu'on attaque de si honnêtes gens que
vous. » Je ne sais si son respect les empêcha d'exé-
cuter leur dessein, ou s'ils appréhendèrent quelques
cavaliers (]ui venoient encore de Gompiègqe ; tant est
qu'ils se retirèrent en grondant.
i.W y A du Louvre dans le manuscrit. Loutres, cant. de
Luzarches, aiT. de Pontoise, Seine-et-Oise.
2. François-Chrysoslome de Lévis-Ventadour, comte de Brion,
gouverneur du Limousin, vice-roi de F Amérique en 1655, neveu
dllenri, duc de Montmorency et de Damville, obtînt de
Louis \111 la seigneurie de Damville et des lettres de duché-
pairie pour cette terre en 1648. Mais elles ne furent point
enregistrées. Il mourut en 1601.
3. Charles de Choiseul du Plessis-Praslin, comte d'Hostel,
mestre de camp d*un régiment d^infanterie depuis 1643, fils du
maréchal du Plessis-Praslin, fut tué au combat de Rethel
(15 décembre 1650).
1649] MÉMOIRES DE SOUVIGNT. 199
Étant arrivé à Paris, j'obtins un billet de l'Épargne
de la somme de trois mille six cent quatre-vingts livres,
pour remboursement de pareille somme du pain de
munition que j'avois fait fournir à la garnison de la
citadelle de Turin, après que M. de Servien, intendant
de l'armée d'Italie, eût été payé de son droit par mon
firère, et que j'eusse aussi payé à Paris les droits du
garde et du contrôleur des livres, comme aussi les
taxations du trésorier de l'Épargne ; mais je n'en fus
pas mieux payé. Après avoir longtemps sollicité M. de
Maisons*, pour lors surintendant des finances, de me
faire justice, je lui proposai d'assigner mon billet sur
la taille de Souvigny^, pour le paiement de laquelle les
consuls du lieu étoient prisonniers depuis longtemps
pour leur impossibilité de payer; [que] je m'en paie-
rois bien peu à peu ; qu'en délivrant ces misérables
prisonniers, il feroit une action de charité et de justice
tout ensemble. Il me dit : c Ne faut plus parler de
charité ni de justice, mais de faire les choses par
nécessité. > Je fus si outré de cette cruelle répartie
que je [ne] me pus retenir ni m'empêcher de lui dire,
en la présence de M. le maréchal du Plessis et de toute
la compagnie, que rien ne m'empêchoit de me faire rai-
1. René de Longueil, marquis de Maisons, fils de Jean et de
Madeleine Luillier, premier président à la Cour des aides en
1630, président à mortier au Parlement en 1642, ministre
d'État, surintendant des finances en 1650, mourut en 1677.
2. La terre de Grézieu, acquise, comme nous l'avons vu, en
1648, fut érigée en baronnie en faveur de l'auteur par lettres
du 3 novembre 1650, puis en comté, sous le nom de Souvigny,
par lettres patentes de décembre 1656. On trouvera à l'Appen-
dice les lettres d'érection.
200 MÉMOIRES DE SOUYIGNT. [1649
son à moi-même que mon inviolable fidélité au service
du Roi, ayant une bonne garnison et cinquante-ôx
pièces de canon montées sur leurs affûts, dans une
des meilleures places de l'Europe. Enfin M. le maré-
chal du Plessis interrompit le discours, [tandis] que
M. Gargan, intendant des finances S que je ne connois-
sois pas, me prit en particulier et me dit que j'étois
bien colère et a vois parlé bien haut devant M. le Surin-
tendant. Je répondis que c'étoit avec raison, et, après
lui avoir fait entendre, il me dit de l'aDer trouver le
lendemain, qu'il me donneroit contentement. Ce fut
une assignation de mon billet sur la recette de Mou-
lins, que j'estimois m' être conunode, parce qu'il m'y
falloit passer pour aller chez moi.
Ainsi, voyant que je n'avois point affaire à la Ciour,
j'en pris congé et, étant arrivé à Moulins, je priai
M. Coiffier, qui y étoit conseiller et fort mon ami, de
ménager mon affaire avec le receveur sur lequel j'étois
assigné. Mais son entremise fut inutile, parce qu'il
lui fit voir un arrêt de révocation contraire à mon
billet, lequel, après avoir plusieurs fois changé de
mains, parvint au sieur de la Guillonnie, l'un des
commis du surintendant, où il est perdu pour moi,
qui ne sais pas s'il en aura profité à mon insu.
Ma consolation fut de trouver ma femme en bonne
santé à Souvigny, où nous passâmes l'hiver, et fîmes
faire quelques réparations au printemps de Tan-
née 1650.
1. Antoine Gargan, intendant des finances depuis 1637,
mourut en février 1657.
1650] MÉMOIRES DE SOUYIGNY. 201
^650.
Au mois d'août, Son Éminence m'envoya ordre pour
aller servir mon quartier de maître d'hôtel du Roi du
quartier d'octobre 1 650 *. Toute la Cour et l'armée du
Roi étoient allées en Guyenne après la révolte de Bor-
deaux^. La garnison de Montrond^ et d'autres troupes
de Monsieur le Prince faisoient alors tant de courses
et de prises dans les provinces d'Auvergne et Limou-
sin, par où je devois passer, que je ne le pouvois faire
sans péril. Néanmoins, je ne laissai pas d'entreprendre,
quoique ma fenune, remplie de bonté, fit son possible
pour m'en divertir ; aussi fis-je un grand effort sur moi-
même en lui disant adieu.
Je m'en allai loger à Boën ^ et, le lendemain, chez M. de
la Verchère^, mon fidèle ami, pour m'accompagner
du messager de Limoges, qui devoit arriver le même
jour à Thiers, à demi-lieue de la Verchère®. Mon parti
1. En mars et avril 1650, Souvigny avait servi en Bourgogne
au premier siège de Bellegarde. Le récit en est donné plus loin.
2. La cour était partie le 4 juillet de Paris pour la Guyenne
après s'être assurée, contre le prince de Condé et les Bordelais,
de l'appui du duc d'Orléans, qui fut chargé du gouvernement
des pays au nord de la Loire.
3. La place de Montrond, aujourd'hui Saint-Amand-Mont-
rond, ch.-l. d'arr. du Cher, avait été vendue par Sully au père
du grand Condé. Le château, pris en 1652 par les armées
royales, perdit alors ses fortifications.
4. Boën-sur-Lignon, ch.-l. de cant., arr. de Montbrison, Loire.
5. Gabriel de Tournebise, seigneur de la Verchère, ancien
capitaine au régiment d'Estissac, fils de Jean et de Jeanne de
Callard, est plusieurs fois cité dans notre premier volume.
6. La Verchère, comm. d'Escoutoux, cant. et arr. de Thiers,
202 MÉMOIRES DE SOUYIGNT. [1650
n'en fut pas plus fort pour cela : car il n'avoit pas un
homme qui pût tirer l'épée qu'un marchand de Lyon.
Je passai à Glermont, Pontgibaud, Pontaumur^, où l'on
nous dit qu'il y avoit des gens de guerre sur notre
droite. C'est pourquoi, à la moitié de la journée, je pris
à la gauche. Le messager me dit qu'il n'osoit changer
sa route, d'autant que son maître le feroit punir s'il
lui arrivoit accident en l'ayant changée, et [je] fus
bien aise d'en être débarrassé, quand j'eus bien pensé
que, s'il y avoit quelques parcoureurs en campagne,
ils sauroient le jour et l'heure des dîners et couchers du
messager, pour le voler et ceux qui seroient avec lui,
sans trouver résistance. Le marchand de Lyon ne vou-
lut pas me quitter. Nous passâmes heureusement par
Crocq^, Felletin^ et Sauviat*. Étant arrivé à Limoges,
j'y rencontrai heureusement le baron de Ludnge^, lieu-
Puy-de-Dôme. La seigneurie de la Verchère passa, au com-
mencement du xviii® siècle, à la famille Brugière de Barante,
dont la seigneurie de Barante était située à peu de distance de
la terre de la Verchère. Jean-François Brugière, fils cadet
d'Antoine, seigneur de Barante (1670-1721), fut procureur au
parlement de Paris et reçut, dans sa part, la seigneurie de
la Verchère, dont il porta le nom ainsi que sa postérité.
1. Pontaumur, ch.-l. de cant., arr. de Riom, Puy-de-Dôme.
2. Crocq, ch.-l. de cant., arr. d'Aubusson^ Creuse.
3. Felletin, ch.-l. de cant., arr. d'Aubusson.
4. Sauviat, cant. de Saint-Léonard, arr. de Limoges, Haute-
Vienne.
5. Melchior, baron^ puis marquis de Lucinge, fils de Phi-
lippe de Lucinge, gentilhomme ordinaire de Charles-Emma-
nuel, duc de Savoie, et de Françoise de Saint-Michel, fîit colo-
nel de la milice du Haut et Bas-Faucigny. Il peut aussi s'agir
ici d'un de ses frères, notamment de Prosper, qui devint bri-
gadier des armées du roi de France et maréchal de camp dans
celles du duc de Savoie.
1650] MÉMOIRES DE SOUYIGNY. 203
tenant de la compagnie de gendarmes de M. le prince
Thomas, mon ami, qui avoit quelques cavaliers de
recrue avec son équipage. Il me témoigna beaucoup
de joie que nous allassions ensemble à la Cour.
Depuis l'an 1 621 que j'étois logé à PierrebuflSère,
où étoit partie de notre régiment*, je devois l'argent
d'un habit que j'avois pris chez une veuve de Limoges,
qui, voyant que j'avois de l'étofiFe pour un habit et que
je comptois mon argent pour la payer, et regardois pour
en avoir un autre d'une autre étofife, m'offrit crédit, en
me disant que sa nièce, chez qui j'étois logé, me con-
noissoit bien. Je n'en fis pas difficulté. Du depuis, je
l'avois toujours écrit sur mon livre, en intention de la
payer. Étant donc à Limoges, je m'informai d'elle. L'on
me dit qu'elle étoit décédée et que son fils avoit une
des charges des plus considérables de la ville, ayant
quitté le négoce. Je lui demandai si mon nom étoit dans
ses livres. Il me dit que non, que cela n'étoit point
écrit, qu'il le remettoit à ma conscience. C'est une
chose merveilleuse qu'ayant incessamment la mémoire
de la personne et de la sonmie que je devois jus-
qu'alors, je n'eus pas plus tôt payé qu'il ne m'est point
du tout souvenu de l'un ni de l'autre.
Nous passâmes par Chalus^, Saint-Pardoux^, et,
quand nous fûmes arrivés à Libourne, qui est située à la
conjonction des rivières de Dordogne et l'Isle, la der-
nière perd son nom; la Dordogne perd le sien dans
1. Tome I, p. 61.
2. Ghalus, ch.-l. de cant., arr. de Saint- Yrieix , Haute-
Vienne.
3. Saint-Pardoux-la-Rivière, ch.-l. de cant.^ arr. deNontron,
t>ordogne.
204 MÉMOIRES DE S0UYI6NY. [1650
la Garonne, au bec d'Ambez, et, jointes ensemble,
s'appellent la Gironde.
Je compare liboume à Quérascpie, par le dedans,
les rues étant spacieuses, parallèles, coupées par
d'autres en angle droit, belle place avec des galeries
sous les maisons à l'entour. Il y a cette différence que
les rivières de Dordogne et de Flsle baignent les
murailles de Libourne, qui est la mer, parce que le
reflux remonte de ^ lieues au-dessus, et que
Quérasque, quoiqu'à Tembouchure du Taner et de la
Sture, en est éloignée des descentes des deux oâtés,
étant située sur la croupe d'une montagne fort élevée
sur ces fleuves. Pour ce qui est des fronts de ces places
opposés à la campagne, ils sont presque égaux.
C'est auprès de Liboume que M. d'Épemon, dernier
décédé, défit l'armée des rebelles en l'année 1 649*.
M. de Lucinge s'en alla de Libourne au quartier de
la compagnie de M. le prince Thomas, et moi, je pris
la marée pour Bourg-sur-Mer^, où étoit la Cour. J'y
arrivai justement, le dernier jour de septembre, relever
M. de Hautmont, gouverneur du Château-Trompette,
et M. du Perray*, frère de M. le président Le Bailleul'^.
1. Le mot est en blanc dans le manuscrit.
2. Au mois de mars 1649, le parlement et la ville de Bor-
deaux se révoltèrent contre le duc d'Épemon, gouvemeor de
Guyenne, qui se retira et se fortifia à Liboume. Il y battit six
mille rebelles et, après un accommodement, rentra le 5 juin à
Bordeaux.
3. Bourg-sur-Mer ou Bourg-sur-Gironde, ch.-l. de cant.,
arr. de Blaye, Gironde.
4. Charles Le Bailleul, seigneur du Perray et du Plessis-
Briart, gentilhomme de la Chambre, grand louvetier de France
de 1643 à 1655, année de sa mort.
5. Nicolas Le Bailleul^ baron de Château-Gontier, seigneur
1650] MÉMOIRES DE S0UYI6NY. 205
Le lendemain, nous entrâmes en quartier, M. de la
Bardouillière^ et moi, M. de Vantelet*, qui étoit le troi-
sième maître d'hôtel du quartier, étant demeuré à
Paris auprès de la reine d'Angleterre, de laquelle il
étoit écuyer.
Je fus bien parfaitement reçu du Roi, de la Reine
et de M. le Cardinal, qui me donnèrent un brevet de
maréchal de camp^. En ce temps-là que Bordeaux
étoit assiégé par l'armée du Roi, l'on travailla si heu-
reusement au traité de paix, qu'en peu de jours après,
il fut conclu que les Bordelois se remettroient dans
l'obéissance de Sa Majesté. M. le maréchal de la Meil-
leraye, partant de Bourg par son ordre, pour lui aller
préparer les choses nécessaires pour son entrée, ren-
contra, presque à moitié chemin. Madame la Princesse*
qui en étoit sortie avec son fils, M. le duc d'Enghien,
qui pouvoit avoir alors sept ou huit ans^, avec M. le
de Vatetot, Soisy, Etioles, conseiller au Parlement (1608),
maître des requêtes, ambassadeur en Savoie, prévôt des mar-
chands, chancelier de la reine Anne, ministre d'État et surin-
tendant des finances (juin 1643), épousa Marie Mallier du
Houssay.
1. Antoine Bardouil de la Bardouillière, reçu dans Tordre
de Malte en 1637, figure dès 1644 sur TÉtat des officiers de la
maison du Roi.
2. Louis de Lux, seigneur de Vantelet, était maître d'hôtel
du Roi depuis 1643 et écuyer ordinaire de la grande écurie ; il
mourut en 1662.
3. Rayé : Dont je ne fis pas alors la charge,
4. Glaire-Clémence de Maillé-Brezé, fille d'Urbain, marquis
de Brezé, maréchal de France, et de Nicole du Plessis-Riche-
Ueu, épousa, le 11 février 1641, Louis II de Bourbon, duc
d'Enghien, qui devint prince de Condé en 1646.
5. Henri-Jules de Bourbon, duc d'Enghien (1643-1709),
206 MÉMOIRES DE S0UVI6NY. [1650
duc de Bouillon^ et M. le duc de la Rochefoucauld^. Il
persuada Madame là Princesse, qui étoit sa parente^,
puisqu'elle passoit si près de Bourg, où étoit la Cour,
de voir le Roi, la Reine et M. le Cardinal, et même de
parler de la liberté de Monsieur le Prince, qu'on ne pou-
voit trouver mauvais qu'elle sollicitât. L'y ayant di^o-
sée, et MM. de Bouillon et de la Rochefoucauld aussi, il
revint en diligence en avertir Leurs Majestés, qui
reçurent bien Madame la Princesse et le petit M. d*En-
ghien, et répondirent à sa demande qu'elle^ se retirftt
en sa maison de ^, sans se mêler d'aucune aflESedre ni
en sortir que par ordre, et, qu'après, la Reine verroit
ce qui se pouvoit faire pour son contentement. Le
maréchal de la Meilleraye la logea dans son logis.
MM. de Bouillon et de la Rochefoucauld fturent traités
par M. le Cardinal dans le sien et, deux jours après,
toute la Cour s'embarqua sur la rivière de Dordogne,
qui passe à Bourg et perd son nom dans la Garonne au
bec d'Ambez, environ une lieue au-dessous de Boui^,
près l'Ile de Cazeau.
épousa, en 1663, Anne de Bavière, princesse palatine, et derint
prince de Condé en 1686, à la mort de son père.
1. Frédéric-Maurice de la Tour, duc de Bonillon, fils de
Henri et d'Elisabeth de Nassau (1605-1652).
2. Le prince de Marsillac (1613-1680) était devenu duc de la
Rochefoucauld cette année-là, le 8 février, à la mort de son père.
3. La tante paternelle du maréchal, Suzanne de la Porte,
avait épousé François du Plessis-Richelieu, père de Nicole,
marquise de Brezé et mère de la princesse de Condé.
4. l\y a et quelle dans le manuscrit.
5. Le nom est en blanc dans le manuscrit. On laissa à la
princesse le choix de sa retraite en Anjou ou à Montrond. Ble
quitta Bordeaux le 4 octobre. Voy. Mémoires de M^ de Mot^'
teuille, t. IV, p. 79, coll. Petitot.
1650] MÉMOIRES DE SOUVIGNY. 207
Le même jour, Leurs Majestés et Son Éminence arri-
vèrent à Bordeaux. L'entrée en fut médiocre, et les
Bordelais, d'un naturel orgueilleux, paroissoient plu-
tôt en posture de vainqueurs que de vaincus. Je ftis
logé chez un homme de qualité, vêtu conmie un
prince, et sa femme, qui étoit fort belle et fort hon-
nête, en reine. Elle désira voir dîner le Roi. Je lui fis
faire sa cour facilement, étant de jour de service. Le
Roi ne l'eût pas désagréable ; car la bonté qu'il avoit
de se laisser si librement voir à ses sujets* augmen-
toit beaucoup le respect et la fidélité qu'ils dévoient
avoir pour Sa Majesté.
Le lendemain de l'entrée du Roi à Bordeaux, il y fit
tenir le bal. La foule [fut] si grande, les fenêtres étant
toutes fermées, sans aucun air dans la salle, que l'on
y auroit étouffé, si promptement on [n'Jeut tout
ouvert. Un nommé^ , habitant de Bordeaux,
ennemi de M. d'Épernon, qui l'avoit insulté auprès du
Palais-Royal à Paris, fut si téméraire que de faire
danser Mademoiselle^. 11 se passa plusieurs autres
choses, où la Cour eut les oreilles closes aux insolents
discours de quelques séditieux Bordelois qui ne se
pouvoient contenir dans le respect ; que, si leurs jurats*
1. Note du manuscrit : // faut prendre la fin du feuillet écrit
de la main de M. Danrotte, à la barre ci-dessus ledit feuillet
1203.
2. Le nom est en blanc dans le manuscrit.
3. M"<> de Montpensier (1627-1693), fille de Gaston d'Or-
léans, avait accompagné la cour à Bordeaux. Voir, sur son
séjour dans cette ville, ses Mémoires^ p. 71, coll. Michaud et
t^oujoulat. Au sujet des événements de Bordeaux, voir les
J^émoires de Lenety année 1650, coll. Michaud.
4. Les jurats étaient les échevins de Bordeaux et compo-
saient la Jurade.
208 MÉMOIRES DE SOUYIGNT. [i6&0
portent encore la marque de la rébellion de Xears pré-
décesseurs par leurs cordons de soie, au lieu de cordes
qu'ils avoient au col en demandant pardon au Roi,
à la personne de M. de Montmorency, qui entra par
la brèche de Bordeaux à la tète de son armée, et fit
abattre le faite de leurs tours et clochers^, Ton en
avoit aussi à présent une trace de leur dernière infi-
délité par les masures du Château-Trompette, qu'ils
ont démoli^, et quantité d'autres maisons, dans la ville,
de ceux qu'ils estimoient serviteurs du Roi, sans faire
exception de la grande et ancienne maison de Puy-
Paulin^, qui donnoit à M. d'Épemon plusieurs dnnts
seigneuriaux dans la ville, spécialement celui de la
pèche, si seigneurial qu'il n'étoit pas permis de vendre
aucun poisson dans la Halle, autrement Gohue^, que
la maison de Puy-Paulin ne fût pourvue.
Après que le Roi eut réduit Bordeaux en son obéis-
sance et rétabli son autorité, la Cour en partit le
[1 S] octobre pour aUer loger à Blaye. Le Roi y étant
1. Le connétable de Montmorency réprima, en 1548, nne
révolte des Bordelais, qui avaient massacré le lieutenant du
gouverneur.
2. Le 18 octobre 1649, les Bordelais, révoltés contre le duc
d'Épemon, prirent le Château-Trompette et le détruisirent. Il
fut rebâti, au rétablissement de la paix, en 1653, et détruit défi-
nitivement de 1785 à 1816. Il était situé sur remplacement
actuel de la promenade des Quinconces. Voir la notice con-
sacrée au Château-Trompette dans V Histoire des imonumemts
anciens et modernes de la ville de Bordeaux y par Bordes,
2 vol., 1845.
3. Le château de Puy-Paulin était une habitation située sur
la place appelée aujourd'hui de ce nom et s'étendait justja'à
la rue du Jardin.
4. Halle, lieu couvert où l'on vend la marchandise, est le
sens primitif de cohue.
1650] MÉMOIRES DE SOUVIGNY. 209
arrivé environ deux heures devant la Reine, il alla se
promener sur le port, en l'attendant, et ce fut là qu'il
nous commença à donner une haute espérance de son
équité, du soin qu'il vouloit prendre de ses fidèles ser-
viteurs et du mépris qu'il faisoit de ceux qui avoient
pris le parti de ses ennemis, d'autant qu'une personne,
que je ne veux pas nommer, raillant avec Le Fouilloux * ,
enseigne des gardes de la Reine, lui dit : « Quand tu
viendras à l'armée, je ne te ferai point part de ma
tente, puisque tu ne me veux pas retirer dans ton
logis. > Le Fouilloux lui ayant répondu qu'il n'iroit
point à l'armée qu'avec la Reine, et qu'alors il
n'a voit que faire de sa tente, en après, l'autre, parlant
plus sérieusement, dit que c'étoit de mauvaise grâce
que les maréchaux des logis n'en voulussent point
marquer à un tel homme que lui, qui avoit servi quinze
campagnes de capitaine de chevau-légers. Le Roi, qui
jusqu'alors tournoit le dos et ne faisoit pas semblant
d'entendre leur dialogue, se tourna tout court vers lui
et lui demanda : c Où est-ce donc que vous avez servi
quinze campagnes? > Le lui ayant dit, le Roi repar-
tit : € N'en avez-vous point fait d'autres? — Non,
Sire, si ce n'est que j'ai été si malheureux que je me
suis trouvé dans Paris quand Votre Majesté en sortit^,
et [ai] servi de mestre de camp dans la ville. — C'est
cette campagne-là qui a effacé le service des autres, >
dit le Roi en lui tournant le dos, en le blâmant et
1. Charles de Meaux du Fouilloux, enseigne des gardes du
Corps d'Anne d'Autriche et favori de Mazarin, fut tué au com-
bat du faubourg Saint- Antoine le 2 juillet 1652.
2. Le 13 septembre 1648, quand la cour, devant les menaces
tle la Fronde, alla s'installer à Rueil.
Il 14
210 MÉMOIRES DE SOUVIGNT. [1650
louant ceux qui avoîent été fidèles à son service.
Blaye est de toute ancienneté une clé de la Guyenne.
Depuis que cette province a été reconquise sur les
Ânglois^, ils sont obligés d'y débarquer et laisser
toute leur grosse artillerie avant que d'aller plus avant,
soit du côté de Bordeaux, par la Garonne, ou de
Libourne, par la Dordogne. Ces deux rivières se ren-
contrent au bec d'Ambez, presque à milieu du die-
min de Bordeaux et de Blaye, dont la ville est peu de
chose ; mais le château, grand, spacieux et fortifié à
l'antique, ne délaisse pas d'être une fort bonne place,
située en Saintonge. Autrefois, tous les vaisseaux qui
tenoient cette route étoient contraints d'en passer à
la portée du mousquet ; mais à présent ils peuvent
passer si loin, du côté de Médoc, que l'artillerie de la
place ne leur sauroit nuire. Je ne sais si les flux et
reflux de la mer y auroient fait un courant ; mais, quoi
qu'il en soit, l'on y a fait échouer des vaisseaux char-
gés de pierres qui n'ont pu rompre ce passage. Il
semble que le meilleur moyen de fermer l'entrée de
la Guyenne aux étrangers et contenir la légèreté des
Bordelois en leur devoir, et le peuple remuant de cette
grande province, où il y a quantité de religionnaires,
ce peuple belliqueux, ce seroit de fortifier TUe de
Gazeau, qui est un peu au-dessous du bec d'Ambez,
où lesdites deux rivières de Garonne et Dordogne
perdent leurs noms et s'appellent Gironde, qui s'en-
goufire dans la mer, dessus Blaye, à la tour de
Cordouan^. J'ose avancer cette proposition comme
1. En 1452.
2. Cette tour fut construite de 1584 à 1610 sur un rocher à
l'entrée du fleuve.
i650] MÉMOIRES DE SOUVIGNY. 2ii
fidèle serviteur de Sa Majesté, sans pourtant présumer
que mon avis doive être suivi.
De Blaye, le Roi, la Reine, Son Éminence et toute la
Cour allèrent loger à Mirambeau^ passant à Pons, où
l'on croyoit que la Cour devoit loger. Elle n'y fit que
passer et alla loger à Saint-Jean-d'Angély. Je vis
l'église où j'avois été à la messe de minuit, pendant
que j'y avois été en garnison*, que le feu roi Louis le
Juste avoit fait rebâtir de ces belles pierres de Sain-
tonge de la démolition d'un bastion que Henri le
Grand, son père, avoit fait édifier de la démolition
de la même église, pendant qu'il n'étoit que roi de
Navarre et faisoit profession de la Religion prétendue
réformée.
De Saint-Jean, la Cour alla loger à Melle, à Lusignan,
à Mirebeau^, à Port-de-Piles, à Amboise, où elle
demeura quelques jours, à Blois, à Saint-Laurent-des-
Eaux^, où je fus de moitié avec M. le comte de Nogent^,
jouant au reversis® avec le Roi, et, environ sur la
minuit, nous allâmes souhaiter le bonjour à la Reine,
qui se trouvoit un peu mal et toute sa Cour fort mal
logée, à Orléans, où nous demeurâmes le jour de la
Toussaint, à Pithiviers, à Fontainebleau, où le Roi,
1. Mirambeau, ch.-l. de cant., arr. de Jonzac, Charente-
Inférieure.
2. Tome I, p. 68 et 74.
3. Mirebeau-en-Poitou , ch.-l. de cant., arr. de Poitiers,
Vienne.
4. Saint-Laurent-des-Eaux, cant. de Bracieux, arr. de Biois,
Loir-et-Cher.
5. Nicolas de Bautru, comte de Nogent, capitaine des gardes
de la porte, mourut ^n 1661.
6. Reversis ou reversi, jeu de cartes où celui qui fait le
moins de points et le moins de mains gagne la partie.
212 MÉMOIRES DE SOUVIGNT. [1650
chassant dans la forêt, se trouva au-devant de H. le
duc d'Orléans. Il y eut une grande brouillerie à la
Cour sur ce que les maréchaux des logis refusèrent le
logement aux gardes de Son Altesse Royale; mais
enfin la chose fut acconunodée. Un ministre d'État
m'employa en ce rencontre selon ma petite p<Hiée.
En ce temps-là, le Roi me donna un brevet d'ap-
pellation dans ma terre de Viricelles, en Forez, et un
brevet de chambellan d'affaires de Monsieur, frère
unique de Sa Majesté S et une ordonnance de trois
cents livres que je reçus à la fin de mon quartier de
maître d'hôtel de Sa Majesté. Le siear Cadeau, tréso-
rier de la maison du Roi, me doit encore deux cent
cinquante livres dudit quartier, dont il dit n'avoir pas
eu entièrement les fonds. J'ai baillé un blanc signé à
M. Martin, sieur de Pinchenne^, contrôleur de la mai-
son du Roi, pour en retirer le paiement.
Environ le 8* janvier 1651 , je m'en revins à Sou-
vigny trouver ma fenune. Et^, ayant appris que le Roi
et toute la Cour étoient allés à Dijon, je m'y en allai
et trouvai mon frère de Ghampfort, qui conunandoit
l'artillerie de l'armée du Roi, et [appris] que le dià-
teau de Dijon avoit été rendu à Sa Majesté. Je logeai
1. Philippe, duc d'Orléans (1640-1701), porU le titre de duc
d'Anjou jusqu'en 1661, année qui suivit la mort de son oncle
Gaston d'Orléans.
2. Dans les Etats des officiers de la maison du Roi, on trouve
un Etienne Martin, clerc d'office des bureaux du contrôle
depuis 1645.
3. Dans ce qui va suivre, l'auteur parlera du voyage de la
cour en Bourgogne et du premier siège de Bellegarde. Ces
faits sont du mois d'avril de l'année 1650 et eussent dû
prendre place avant le voyage de la cour en Guyenne, qui dora
de juillet à octobre 1650.
4650] MÉMOIRES DE SOUVIGNY. 213
au logis de mon frère, chez Monsieur le grand-vicaire,
n m'arriva deux aventures à Dijon : en l'une, j'ai de
l'obligation à MM. de Ta vannes, les trois frères*, et,
en l'autre, je servis M""** de Souvré*, sœur de M. le
maréchal de Villeroy, et qui couroit fortune d'être
étouffée parmi la foule du peuple, si je ne l'en eusse
retirée.
Étant au logis de Son Éminence, j'aperçus de loin
M. le marquis de Tavannes, lieutenant de Roi de Dijon
et de la province, que j'avois vu maréchal de camp,
gouverneur de Casai, en grande estime à la Cour et à
l'armée. Je dis à un de mes amis qui étoit là : c Je
vais voir s'il me reconnoîtra. » Il l'entendit, et en
s'avançant vers moi, me dit : « Je doute que je sois
moi-même reconnu : car je suis si changé, depuis que
j'ai quitté le service pour me retirer en province, que
je ne me connois pas effectivement. » Il étoit si tou-
ché de se voir sans emploi qu'il voulut lui-même
prendre la peine de faire donner des chevaux de son
gouvernement, pour l'artillerie, à mon frère de Champ-
fort, qui lui disoit qu'il suffisoit qu'il en donnât la
charge à quelqu'un de ses officiers. Il lui répondit :
€ Vous ne savez pas. Monsieur, la joie que j'ai de
rendre ce petit service, puisque je n'en puis rendre
1. Il s'agit ici de Henri de Saulx-Ta vannes, marquis de
Mirebeau, que nous avons déjà rencontré, et de ses frères,
fils du vicomte Jean de Saulx-Tavannes, branche cadette de la
maison de Tavannes. La branche aînée était représentée par
Jacques de Saulx, comte de Tavannes, qui suivait alors le parti
de Condé et de la Fronde.
2. Catherine, fille de Charles, marquis de Villeroy, con-
seiller de Henri IV, et de Marguerite de Mandelot, fut dame
d'atour de la reine Anne d'Autriche et épousa, en 1610, Jean
de Souvré, marquis de Courtenvaux.
214 MÉMOIRES DE SOUVIGNT. [t6S0
de plus grands, et me plaindriez si vous saviez que je
n'ai pas un moment de joie depuis que je me suis
retiré du service. >
Je ne m'arrêterai pas à décrire la situation de la
ville de Dijon, ni à faire l'histoire des ducs de Bour-
gogne, qui y faisoient leur séjour, ni à la magnificence
de leurs tombeaux, qui sont au couvent des Chartreux,
à un quart de lieue de la ville ^ où le Roi, la Reine,
Monsieur et la plupart de la Cour demeurèrent pen-
dant que M. le Cardinal s'avançoit avec l'armée pour
aller assiéger Bellegarde*.
Il fit alors de si grandes pluies que, quand nous
fûmes arrivés à Saint^ean de Losne^, la Saône fut
tellement débordée qu'on ne la pouvoit passer, et,
comme son cours est fort doux et lent, il fallut attendre
quelques jours qu'elle fût plus basse. Cela étant, l'ar-
mée la passa, mais son canal étoit encore si plein que
les moulins étoient engorgés, c'est-à-dire que l'eau
passoit par- dessus les roues, qu'ils ne pouvoient
moudre, de sorte que, le munitionnaire général, qui
avoit fait provision de blés pour l'armée, ne pouvant
faire de pain, [il] fallut avoir de la farine. M. de la
Bachelerie, qui a été gouverneur de la Bastille^, fut
envoyé à Saint-Jean de Losne et aux environs pour
1 . Le couvent des Chartreux est devenu un asile d'aliénés, et
les mausolées des trois premiers ducs de la seconde race ont
été transportés au musée de la ville.
2. Scurre, ch.-l. de cant., arr. de Beaune, Côte-d*Or, fut
érigée en duché-pairie, sous le nom de Bellegarde (1619), en
faveur de Roger de Saint-Lary, seigneur de Bellegarde, et
conserva ce dernier nom jusque sous le règne de Louis XIV.
3. Saint-Jean de Losne, ch.-l. de cant., arr. de Beaune.
4. Antoine de Layac, sieur de la Bachelerie, fut gouTemeur
de la Bastille de 1653 à 1657.
1650] MÉMOIRES DE SOUVIGNY. 215
en avoir, et moi à Âuxonne et autres villes de la
Haute-Bourgogne. M. Foucquet*, qui étoit lors inten-
dant de l'armée, fut bien satisfait des efforts que je
fis à surmonter les difficultés que je rencontrai en
mon voyage, et de la quantité de farine que j'envoyai
au siège.
Après quoi, y étant allé, je trouvai la place rendue,
les assiégés ayant demandé à capituler dès le premier
jour de l'ouverture de la tranchée, à cause du désordre
qui arriva entre eux, ainsi qu'il arrive presque tou-
jours à la guerre, quand il y a plusieurs conunandants
avec pouvoir égal. Saint-Micaud*, qui étoit lieutenant
de Monsieur le Prince, se laissa déposséder de son
autorité par MM . de Coligny , du Passage ^ , de Ta vannes * ;
et, pendant le pourparler, la trêve fut rompue, et les
assiégés, ayant reconnu M. le Cardinal, tirèrent sur
lui ; mais, mon frère de Champfort, qui avoit fait poin-
ter toutes les pièces de l'artillerie du Roi bien à pro-
1. Nicolas Foucquet, vicomte de Melun et de Vaux (1615-
1680), devint, en 1650, procureur général au parlement de
Paris, et, en 1653, surintendant des finances.
2. N. Le Royer, seigneur de Saint-Micaud, en Chalonnais,
lieutenant-colonel du régiment de Bourbon, gouverneur de
Bellegarde, avait pris le parti du prince de Gondé.
3. Antoine de Pisieux, marquis du Passage, fut mestre de
camp du régiment du chevalier de Maugiron en 1639, maré-
chal de camp en 1646, combattit à Bléneau, sous Turenne, en
1652, devint lieutenant général la même année et mourut en
1688.
4. Jacques de Saulx, comte de Tavannes (1620-1683), fils de
Claude et de Françoise Brulart, bailli de Dijon, maréchal de
camp en 1645, puis lieutenant général, a écrit des Mémoires
sur les guerres de Paris^ de 1650 à 1653. Sa vie et son rôle
pendant la Fronde sont racontés dans le volume de M. Pin-
gaud, les Saulx" Tavannes , Paris, 1876.
Wf ifÉMOiRES DE sorviG!nr. [1650
\HfH, styHut pn!vu cela, au signal qu'il fit dles tirèrent
UpuUth iA firent grand fracas. Enfin, la capitulation
signée ^ et les ennemis sortis de la place, les troupes
du hoi y eritr(.*rent avec M. de RoncheroUes, qui fiit
éUibli gouverneur*.
M. le (ordinal m'ordonna cent pistoles pour mon
voyage;, qur* mon frère de Ghampfort me fit baiUer
par M. rie (>)lbert^, qui étoit de ses amis, auquel, dans
(;<; terri[)s-là, M. le Cardinal avoit donné la chaîne de
son arg(;nt, qu'il ménageoit fort bien. En après, je pris
(Mingé (lo lu Cour et dis adieu à mon frère de CÎiamp-
fort, (;t m'en revins trouver ma femme à Souvigny.
J(î ne v(^ux omettre qu'après la prise de Bellegarde,
M. <l(î V(UKl6nie, qui commandoit l'armée en Bour-
gognes proposa ù mon frère de Ghampfort de lui faire
1 . 1 1 avril. — On fit paraître alors les brochures suivantes :
/r (\turnt'r tir r armée apportant au duc de Bouillon les
ftU'hvusvs nomu'lltjs de la prise de Bellegarde^ dialogue humo-
ri!4ti(|iio ontro le duc de Bouillon et un gentilhomme, 8 p.', 1650;
/fi ( \tpitutiition de la i'ille de Seurre ou Bellegarde faite entre
iv duc dt! yt'ndoifme et le comte de Tavannes, pour être demain,
?/ de ce moiV, rt'mise entre les mains du Boy, à Paris, au
Hiuvau d'udrosso, 12 p.« du 20 avril 1650; f Entrée des armes
du /ii»y dans l^eifc^arde, ni^nie odit., 12 p., du 28 avril 1650.
2. ISonv. marquis de UoncheroUes, fils de Robert, baron de
Uoiu'lirroUes, et do llélèuo do Courseules, fut mestre de camp
ou 1(kU». uiuroohal do ounip on 164.*), lieutenant général des
druioos du Ki>i ou l(î^2, gouverneur de Landrecies en 1661 et
mourut ou U'»8iV
:i. Joau liaptisto ColU'rt lt>lV)-lt>8;^ venait d*étre distingué
par Masarin. Notnuio oou soi lier d'Klat en 1648, il géra la for-
tuuo pors^nuiollo du i.ai\lît!JLl poudaiit le5 exils de ce dernier
durant la Kivudo ot hii servit d'îutermêdiaire arec la Reine-
ai<>tv. VptVN U dî>^rJloe do Koucquet. il derint contrôleur
<cuoral dos duauoes.
1650] MÉMOIRES DE SOUVIGNY. 217
avoir le gouvernement de Verdun \ qu'il prétendoit
bien fortifier. C'est un beau poste à cet effet, étant
situé à la conjonction de la rivière de Doubs à celle de
Saône. Mon frère l'en remercia et n'en voulut point,
parce que cette terre de Verdun appartient à M. de la
Baume*, qui avoit épousé une nièce de M. le maré-
chal de Villeroy, fille de M. d'Auriac, la mère de
laquelle a été remariée à M. de Courcelles^.
Après avoir demeuré quelque temps à la Cour, à
Dijon, je m'en revins à Souvigny trouver ma femme,
qui avoit été en des inquiétudes étranges, avoit
demeuré presque trois semaines sans avoir de mes
lettres, parce que le passage n'étoit pas libre durant
le temps que j'étois en Haute- Bourgogne. Elles lui
furent toutes rendues deux ou trois jours avant mon
retour ; mais cette affliction ne laissa pas de lui causer
grands maux, entre autres un érysipèle à la jambe,
où la gangrène s'étant mise, ce fut une merveille
conune il plût à Dieu la sauver*.
1. Verdun-sur-le-Doubs, ch.-l. de cant., arr. de Chalon-sur-
Saône, Saône-et-Loire.
2. Roger d'Hostun, marquis de la Baume.
3. Marie de Neufville, fille de Charles, marquis de Villeroy,
épousa, en premières noces, Alexandre de Bonne, vicomte de
X'allard, comte d'Auriac, et, en deuxièmes noces, Louis-Charles
cie Champlais, marquis de Courcelles, lieutenant général de l'ar-
tillerie . Sa fille du premier lit, Catherine de Bonne, avait épousé
e^Xi 1648 M. de la Baume.
4. Effacé : Je ne la voulus pas quitter pour le reste de Vannée
f^^'elle prit les eaux à Vichy. Nous avons vu que Souvigny
C^^itta sa femme pour servir un quartier de maître d'hô-
^ 1, pendant le voyage de la Cour en Guyenne, en octobre
^^50; ci-dessus, p. 201.
218 MÉMOIRES DE SOUVIGNT. [1651
^65^.
Environ le 15"" juin, j'appris que M. d'Épemon,
ayant pris possession du gouvernement de Boui^ogne,
avoit fait son entrée à Dijon S et étoit allé à Bom^-en-
Bresse pour aller faire tenir l'assemblée des trois bail-
liages de cette province. Je lui fus rendre mes res-
pects. Il me fit rhonneur de m'y recevoir avec ses
bontés accoutumées, c'est-à-dire avec des bontés
extrêmes, et, l'ayant accompagné à la visite qo'il fit à
Pierre-Châtel, qui est une forteresse située sur le
Rhône*, douze lieues au-dessus de Lyon, sur une
roche qui n'est accessible que d'un côté, duquel on
ne peut battre que ledit rocher, duquel penchant du
côté du Rhône est tout le contenu de la place, et, sur
le bord du Rhône étant droit comme une muraille,
et de plus de deux cent cinquante pieds de haut, il n'y
a rien à craindre de [ce] côté-là, ni même d'être àS&osé
au dedans de la place par les batteries qu'on pourroit
mettre de l'autre côté, à moms qu'on [n']y tirât des
bombes, par la raison susdite du penchant, qui empêdie
qu'on soit vu de la montagne où l'on pourroit mettre
des pièces.
Il y a fort longtemps que les Chartreux y ont on
1. Le 15 mai 1651, la Reine-mère enleva au duc d*Épemon
son gouvernement de Guyenne, qui fut donné au prince de
Condë, dont le gouvernement de Bourgogne alla en échange au
duc d'Épernon. Les deux gouvernements furent échangés de
nouveau après la paix des Pyrénées.
2. Pierre-Châtel ou Saint-Pierre-Châtel, fort situé dans la
commune de Virignin, cant. et arr. de Belley, Ain.
i65i] MÉMOIRES DE SOUYIGNY. 219
monastère, lesquels, depuis environ trente ans, s'étant
plaints à la Cour du gouverneur qui commandoit pour
lors, de ce qu'il y faisoit entrer des femmes, deman-
dèrent d'en être déchargés, en ofirant de garder eux-
mêmes la place, ce qui leur ayant été accordé, nous
y trouvâmes un lieutenant, un sergent, vingt-cinq ou
trente soldats qu'ils y entretenoient, desquels, sotte-
ment, il y en eut dix armés qui suivoient M. d'Éper-
non partout où il alloit dans la place. Quand je vis
que cela ne lui plaisoit pas, je lui demandai s'il trouvoit
bon que je l'en débarrassasse*, et, l'ayant approuvé,
je leur commandai de s'en venir avec moi au corps de
garde, ce qu'ils firent sans difficulté. J'y trouvai des
misérables qui ne savoient pas tenir un mousquet ou
une pique, ni pas mêmement pourquoi ils étoient là,
ce qui m'obligea à dire à M. d'Épernon que la place '
n'étoit point en sûreté entre les mains de ces gens-là,
et combien elle étoit importante pour sa force et sa
situation, pouvant empêcher la conmiunication par le
Rhône, de Lyon à la Bresse et Savoie, dont la fron-
tière est quarante pas au delà du Rhône, limite qui a
été faite expressément lorsque Henri IV* changea le
marquisat de Saluées au duc de Savoie contre la
Bresse, afin que le Rhône fût tout franc à la France et
que le duc de Savoie n'y pût faire aucune imposition '.
M. d'Épernon ayant exactement considéré l'impor-
tance de la place et me faisant connoitre qu'il eût
bien désiré que j'eusse été gouverneur, je ne fis pomt
de difficulté de m'ofifrir pour cela. Ensuite de quoi,
1. Il y a dans le manuscrit déharrasserois,
2. Traité de Lyon conclu en 1601 avec Charles-Emmanuel !•'.
220 MÉMOIRES DE SOUYIGNT. [1651
m'ayant embrassé, il écrivit à la Cour en ma faveur
avec toute la chaleur imaginable. Je ne me hâtai pour-
tant pas d'y aller, parce que M. le Cardinal étoit au
pays de Liège*. Je l'accompagnai encore à son retour
jusqu'à Bourg, où je pris congé de lui, et allai demra-
rer, avec ma femme, à Souvigny, jusqu'environ le
1 0* octobre, que je me résolus de retourner à la Cour,
sur le bruit que Son Éminence y devoit revenir bien-
tôt, en intention de solliciter le paiement de la garni-
son de la citadelle de Turin, où j'avois envoyé de
bonnes sommes d'argent, par lettres d'échange, à
mon frère de Belmont, pour la faire subsister, tant*
pour l'intérêt du service du Roi qui y étoit engagé.
J'avois aussi à demander mes pensions et rendre les
lettres de M. d'Épernon pour le gouvernement de Pierre-
Châtel. Je pris donc l'occasion de M'"'' la maréchale
de Villeroy^, qui s'en alloit trouver son mari à Paris,
où je l'accompagnai. Elle avoit M. le marquis de Vil-
leroy * et M™* la comtesse d'Armagnac, qui étoient, l'un,
le marquis, en l'âge d'environ douze ans, et sa scrar,
de dix ans^.
1. Le 9 février 1651, après Tunion des deux Frondes, le
Parlement avait porté un arrêt de bannissement contre le Car-
dinal, qui se retira successivement dans le pays de Liège et i
Briihl, près de Cologne, d'où il rentra en France au mois de
décembre de la même année.
2. Tant mis pour autant que.
3. Madeleine de Créquy, fille de Charles, sire de Crëquy, duc
de Lesdiguières, et de Madeleine de Bonne (1609-1675).
4. François de Neufville (1644-1730), maréchal de camp
(1673), lieutenant général (1677), duc de VUleroy (1685), maré-
chal de Franco (1693), gouverneur de Louis XV.
5. Catherine de Neufville (1639-1707) n'épousa qu'en 1660
i65i] MÉMOIRES DE SOUVIGNY. 22i
Nous nous embarquâmes à Roanne. Madame la maré-
diale étoit si diligente qu'elle se mettoit en bateau dès
que le jour commençoit à paroître ; et, après avoir
fait la prière et déjeuné, elle baignoit sa fille et l'ache-
voît d'habiller; et, en après, s'occupoit de prier jus-
qu'environ midi, que le bateau où étoit la cuisine
joignoit le nôtre, et l'on nous servoit les viandes aussi
bien et proprement que si elles avoient été apprê-
tées, pour les servir, d'une cuisine en une salle par
terre.
Le soir que nous mîmes pied à terre à Gien, M. de
la Rivière, capitaine des gardes de M. le maréchal de
Villeroy, y arriva avec deux carrosses, où, nous étant
mis dedans, le lendemain nous allâmes coucher à
Fontainebleau, et de là à Villeroy*, où Madame la maré-
chale, faisant l'honneur de sa maison, eut la bonté de
visiter ma chambre qu'on appelle chambre du Pré-
sident, pour voir si elle étoit bien préparée. Cette
illustre dame, par une action si obligeante envers une
personne qui ne le méritoit pas, apprend bien aux
demoiselles de la campagne la civilité qu'elles doivent
faire, en pareille rencontre, aux amis de leur mari
qui les vont voir.
Le château de Villeroy avoit été conservé par la
garnison que commandoit M. de la Rivière ; mais les
paroisses qui en dépendent, aussi bien que toutes les
autres des environs de Paris, furent également pillées
par les armées du Roi et de celles des ennemis. Les
Louis de Lorraine, comte d'Armagnac, grand écuyer de France.
Elle avait, en réalité, douze ans, et son frère sept ans, en 1651.
1. Villeroy, comm. de Mennecy, arr. et cant. de Corbeil,
Seine-et-Oise.
22^ HÉMOIRES DE S0UVI6NT. [1651
pauvres peuples, qui n'avoient pas aocoulumé d'en
voir, n'avoient pas l'adresse de retirer leurs biens de
devant les gens de guerre; aussi en mourut-il une
grande quantité, et encore plus dans Paris. J*y étois
logé au Galion, devant l'église de Saint-Gcrmain-
l'Âuxerrois, où je vis porter continuellement des
corps à la sépulture.
En ce temps-là, après avoir inutilement sollicité
M. de la Vieuville^, surintendant des finances, je
m'adressai à Monsieur, auquel ayant fait ma plainte
et ma protestation que je ne pouvois plus répondre
de la citadelle de Turin s'il n'étoit pronaptement
pourvu au paiement, après que j'avois employé mon
bien et mon crédit pour la faire subsister, Son Altesse
Royale, m'ayant témoigné me vouloir honorer de sa
protection en ce rencontre, me dit la difficulté qu'il
y avoit de trouver un fonds pour cela. Je répondis
que j'avois un avis à donner pour cela. Le lendemain,
le conseil de guerre se tenoit au Luxembourg. 11 me
fit appeler et me commanda de faire ma propositioD
pour la garnison de la citadelle de Turin. Je conmm-
çai par mes protestations de n'en pouvoir r^[>ondre
s'il n'y étoit pourvu ; que, s'il n'y avoit pas moyen de
le faire, il valoit mieux la rendre au duc de Savoie
que de la laisser tomber aux mains des ennennSy
puisque, aussi bien, on étoit obligé de la rendre à la
majorité du prince, dont le terme étoit échu ; que» si
toutefois on vouloit encore la garder, je m'obligenns
d'en faire subsister la garnison encore six mois à
1. Charles, marquis, puis duc de la VieuTille (1582-*i663),
capitaine des gardes du corps, lieutenant général, grand bu-
connier, surintendant des finances, duc et pair en 1661.
i652] MÉMOIRES DE SOUVIGNY. 223
l'avenir, pourvu cpi'on me baillât les dix mille cinq
cents livres de rente qui n'ont point été aliénées des
cent mille livres de rente que le Roi a sur les gabelles
de Lyonnois, dont il n'a été aliéné que quatre-vingt-
neuf mille cinq cents livres. Cela me fiit à l'heure
même accordé; mais, quand ce fut au point d'en reti-
rer les ordres, Monsieur le Surintendant et ses gens
d'affaires trouvèrent celle-là* si bonne qu'ils la vou-
lurent avoir pour eux, et je n'en ai jamais rien eu.
Je ne laisse pas d'être obligé à M. le président Char-
rier * qui me donna cet avis, étant député du corps des
trésoriers de France de Lyon à Paris, où nous nous
voyions souvent avec M. du Teris^, son collègue.
^652.
Cette affaire ayant manqué, je rendis la lettre que
M. d'Épemon avoit écrite à la Reine, en ma faveur,
pour le gouvernement de Pierre-Châtel. Sa Majesté
me fit connoître qu'elle ne vouloit point disposer des
charges que du consentement de M. le Cardinal,
lequel on disoit être déjà rentré en France avec une
puissante armée, et, qu'en peu de jours, il seroit à
Chàlons^ ce qui me fit résoudre à l'aller trouver,
1. C*est-à-dire : cette délégation,
2. Jean Charrier de la Barge avait succédé dans la même
année 1651 à son père comme trésorier de France à Lyon, et
il conserva cette place jusqu'en 1673 ; voyez V Armoriai gêné--
rai du bureau des finances de Lyon^ 1730, p. 81-85.
3. On trouve, postérieurement, un Joseph Terrisse, qui fut
receveur général des fermes.
4. Après le combat du faubourg Saint-Antoine (2 juillet
1652), Gondé était entré à Paris, et le Cardinal partit une
2U MÉMOIRES DE SOUVIGNT. [1652
quoique fort incommodé d'un grand rhume. Je ren-
contrai heureusement compagnie, parce qu'autre-
ment il y auroit eu du danger. Étant à Lagny^, il me
prit une bénéfice de ventre^, qui me fit passer mon
rhume et me travailla beaucoup aux grandes journées
qu'il me falloit faire.
J'appris, en passant à Vitry-le-Françoîs, que M. le
Cardinal avoit assiégé Bar, capitale du Barrois. Nous
nous y acheminâmes, et, en approchant la ville par le
côté d'en haut, où il n'y avoit point de nos troupes
logées, ni d'attaques, notre guide s*étant échappé
dans les bois, nous allions, au hasard, droit à la ville,
qui est sur une hauteur avec le château ; c'étoit ce que
nous voyions en approchant. La ville basse est au
pied, de l'autre côté que nous ne pouvions pas voir,
si bien qu'en allant droit à la porte de la hauteur, les
assiégés nous tirèrent quelques mousquetades qui
nous obligèrent de prendre à la droite sur la hauteur.
Nous aperçûmes l'armée campée dans le vallon.
Je m'en allai au logis de mon frère de Ghampfort,
qui commandoit l'artillerie. J'eus beaucoup de joie de
le trouver en bonne santé et en grande estime de
Messieurs les généraux, spécialement de H. le maré-
chal de la Ferté^. Il avoit, par leur ordre, fait brèche
seconde fois pour Texil, le 19 août. Mais il n*alla que jusqa*i
Bouillon, d'où il ne cessa de diriger le mouvement. La cour
ayant été reçue avec enthousiasme à Paris le 21 octobre,
Mazarin alla rejoindre, le 17 décembre 1652, Turenne, qui
assiégeait Bar-le-Duc.
1. Lagny, ch.-l. de cant., arr. de Meaux, Seine-et-Mamç.
2. Bénéfice de ventre, terme de médecine : diarrhée spon-
tanée qui soulage (Dict. de Littré, au mot Bibn^ncm).
3. Henri de Senneterre ou de Saint-Nectaire, marquis, puis
1652] MÉMOIRES DE SOUVIGNY. 225
à la muraille de la basse ville, en suite de quoi elle fut
emportée par assaut, où furent tués M. du Tôt^, lieu-
tenant général, un capitaine de Piémont et quelques
soldats. Ensuite de quoi, l'on se porta proche de la
haute ville; mais, conmie il étoit difficile de la battre
de ce côté-là à cause de son extrême hauteur, il fut
résolu de l'attaquer par le côté de la montagne. Mon
frère de Ghampfort fît mettre des pièces en batterie,
qui faisoient un fort bon effet à la muraille de la ville,
au-dessous du château; mais, M. le comte Broglio
ayant fait en sorte de la changer et la mettre vis-à-vis
de la muraille qui est à gauche de la porte d'en haut,
contre l'opinion de mon frère, qui sa voit fort bien que
l'on n'y pouvoit monter à l'assaut à cause de la rapi-
dité de la hauteur, il ne laissa pourtant d'y faire brèche
suffisante, et, des troupes conounandées pour donner
l'assaut s'étant mises en devoir de le faire, il n'y eut
officiers ni soldats qui purent monter. Tout cela se fit
en la présence de M. le Cardinal, qui y étoit allé de
Fains*, château de M. de Florainville^ à une lieue de
Bar, où il étoit logé.
duc de la Ferté (1600-1680), resta fidèle à la cause royale, fut
fait maréchal de France en 1651 et devint gouverneur de Metz
et Verdun après la paix des Pyrénées.
1. Charles-Henri du Tôt, mestre de camp en 1638, servit, en
Allemagne, sous Turenne qu'il accompagna presque constam-
ment; maréchal de camp en 1646, lieutenant général en 1652.
Pinard dans sa Chronologie militaire ^ t. IV, p. 135, termine la
notice sur du Tôt par cette phrase : a Je n'ai pu découvrir le
jour de sa mort », et ne fait pas mention de la prise de Bar-
le-Duc, 17 décembre 1652.
2. Fains, cant. et arr. de Bar-le-Duc, Meuse.
3. Charles de Florainyille, seigneur de Fains, gouverneur de
n 15
226 MÉMOIRES DE SOUVIGNY. [1653
Enfin il fallut revenir à lavis de mon firère de
Gbampfort et rétablir la batterie qu'il avoit fieûte, fai-
sant voir clairement qu'on ne pouvoit prendre la place
que par là, en répondant à Tobjection de ceux qui
disoient [que] ce ne seroit rien faire d'abattre la pre-
mière muraille d'autant que les ennemis se pouvoient
retrancher entre icelle et le château, qu'il n'y avoit
pas d'espace pour cela, et que, s'ils s'y engageoient,
il les enseveliroit sous la ruine de la démolition du
château, qui n'étoit fermé que de simples murailles
de bâtiment. Mais le différend fut bientût décidé ; car
ces ennemis demandèrent à capituler siUVt que cette
batterie fut rétablie. Des Piliers conunandoit dans la
place. Il seroit superflu de dire la capitulation. M. de
Val-Fournèze en prit possession avec le régiment de
Navarre, que commandoit M. le maréchal de la Ferté,
que mon frère de Gbampfort alla voir parce qu'il
étoit blessé, [et qui] lui dit que le gouvernement de
Bar auroit été une aubaine à mon frère de Belmonl
qu'il avoit fait venir, comme il l'en avoit prié, que, s'il
le vouloit faire, il trouveroit encore d'autres occasions
aussi bonnes pour le poster en Lorraine, dont il étoit
gouverneur. Nous en parlâmes ensemble; mais, comme
nous appréhendions son humeur, et que notre frère de
Belmont quittoit son emploi de lieutenant de la cita-
delle de Turin sous assurance de quelque chose de
meilleur, nous en demeurâmes là.
J'eus tout loisir d'entretenir Son Éminence de la
citadelle de Turin et de mes affaires particulières,
Bar^ était fils de René de Florainville, capitaine des gardes du
duc de Lorraine.
1653] MÉMOIRES DE SOUVIGNY. 227
quoique je crusse bien qu'il me remettroit à son
retour à Paris, comme il fit.
L'armée étoit composée des troupes tirées des
garnisons de Picardie, Champagne, Flandre, Sedan, et
des autres places frontières. M. le Cardinal rallioit
pour lieutenants généraux MM. d'Ëlbeuf^, de Tu-
renne, d'Aumont, Broglio et Mondejeu^. Après Bar,
nous primes Ligny-en-Barrois^, d'où M. le maréchal
d'Aumont fut détaché, et se saisit de la ville de Châ-
teau-Porcien^ avec ses troupes. Le reste de l'armée
y étant arrivé, mon frère de Champfort fit une batte-
rie contre le château, qui se rendit le troisième jour.
^655.
Nous croyions que ce seroit la fin de cette rude
campagne, à cause du froid extrême qu'il faisoit, de
la nécessité du fourrage, qui faisoit mourir quantité de
chevaux. Ceux de l'artillerie, étant logés à Pauvres^,
sans couvert, étoient tous écaillés d'un verglas tout à
1. Charles II, duc d'Elbeuf (1596-1657), épousa une fille de
Henri IV et de Gabrielle d'Estrées, et fut gouverneur de
Picardie.
2. Jean de Schulemberg, comte de Mondejeu, d'une famille
d'origine allemande établie en France depuis Louis XI, maré-
chal de camp au siège d'Hesdin, lieutenant général en Flandre
en 1650, gouverneur d'Arras en 1652, maréchal de France en
1658, gouverneur de Berry en 1665, mourut en 1671.
3. Ligny-en-Barrois, ch.-l. de cant., arr. de Bar-le-Duc. La
prise de Ligny est du 22 décembre.
4. Château-Porcien, ch.-l. de cant., arr. de Rethel, Ardennes,
ht pris le 12 janvier 1653.
5. Pauvres, cant. de Machault, arr. de Vouziers, Ardennes.
228 MÉMOIRES DE SOUVIGNY. [1653
fait extraordinaire. Ce village n'étant qu*à une lieue
de Rethel, mon frère demanda des troupes à M. le
Cardinal pour assurer son quartier, où il devoit arri-
ver, le soir même, cent caissons chargés de pain* Il
dit à Messieurs les généraux d'en commandar; mais
chaom s'en excusa, disant que leurs troupes éboieni
si fatiguées qu'elles n'y pouvoient aller. Son Éminence
tourna la chose en raillerie, en donnant sa bénédictioD
à mon frère, qui, étant venu en son quartiw, mit
ensemble tout ce qu'il avoit d'c^ciers de rartillerie,
avec les régiments de Ghappe et de Baudart^ deux
régiments ruinés, où il n'y restoit presque que les
officiers. Je ne sais si le bon ordre qu'y mit non frère
à se bien défendre empêcha les ennemis de l'attaquer :
tant y a qu'il se rendit le lendemain avec l'artiDerie à
Sommepuis^, où étoit le rendez-vous de l'armée.
Après avoir choisi le quartier pour Son Ëminaace,
comme on faisoit toujours, au milieu des autres,
Messieurs les généraux prirent diacun le sien, et, sans
s'arrêter au rendez-vous, continuèrent leur marche
jusqu'à leurs quartiers, aussi bien que l'artillerie, à la
tête de laquelle mon frère envoyoit un guide, et,
après avoir demeuré environ trois heures auprès de
Son Éminence, nous en partîmes pour aller au quar-
tier de l'artillerie. Nous fûmes bien étonnés de n'y
trouver àme vivante. Nous retournâmes au reodei-
1. Le régiment allemand de Baudart, de dix compagnies,
levé en 1647 par le colonel de ce nom, fat donné, en 1666, à
François de Blanchefort, marquis de Gréqny, et licencié
en 1659.
2. Sommepuis ou Sompuis, ch.-l. de cant., arr. de Vitry-le-
François, Marne.
1653] MÉMOIRES DE SOUVIGNY. 229
VOUS, et, ayant généralement traversé toutes les
marches de Tarmée sans en apprendre des nouvelles,
toute la vertu et la constance de mon frère lui furent
bien nécessaires pour se résoudre en cette extrémité.
C'est chose inouïe qu'un si grand corps, conune celui
de l'artillerie, soit parti d'un champ de bataille sans
savoir * la route qu'il avoit tenue. Dans cette perplexité,
comme nous galopions à travers celle ^ des marches de
l'armée, nous rencontrâmes M. le Cardinal, à qui mon
frère ayant dit la chose, il lui répondit qu'il ne se
mettoit point en peine de l'artillerie quand il la com-
manderoit. Finalement, notre affliction fut changée en
joie à notre retour au quartier de l'artillerie, où
nous vîmes qu'elle conmiençoit d'entrer, ayant tourné
presque deux lieues à l'entour d'une grande montagne,
qui nous empêchoit de la voir, pour prendre le meil-
leur chemin.
Le lendemain, notre armée traversa la plaine
où l'armée du Roi, conunandée par M. le maréchal
du Plessis, gagna la bataille contre celle de Mon-
sieur le Prince, conmiandée par M. le [vi]comte
de Turenne^. La difficulté des fourrages s'augmen-
tant aussi bien que la rigueur de la saison, et les
ennemis ayant entièrement abandonné la frontière
de France, à la réserve de Sainte -Menehould et
Rethel, l'armée de Monsieur le Prince bien éloignée,
M. le Cardinal, étant logé à Baalons^, se résolut de
mettre celle du Roi à quartiers et licencier l'artiUerie.
i. Sans qu'on sût.
2. Celle, c'est-à-dire : la route.
3. Il s'agit du combat de Rethel du 15 décembre 1650.
4. Baalons, cant. d'Omont, arr. de Mézières, Ardennes.
230 MÉMOIRES DK SOUVIGNY. [1653
n donna ordre à mon frère de Ghampfort de fidre la
remise des pièces, boulets, poudres, balles et mèches,
et autres équipages d'artillerie, dans la maison de
ville de Reims et congédia tous les officiers : œ
qu'ayant fait, et chargé les échevins de la ville par
l'inventaire qui fut fait, il s'en retourna trouvar M. le
Cardinal, qui a voit ^ été averti que Monsieur le Prinœ
avoit assiégé Vervins et se trouvoit ^ermé entre les
rivières, qui étoient tellement grosses, en trois oa
quatre jours, d'une pluie extraordinaire, qu'il lui estA
été impossible de retirer son armée. Ceux qui don-
nèrent cet avis ne disoient pas que l'armée du Roi
auroit semblable difficulté à passer du càté de celle de
Monsieur le Prince, que la sienne de se retirer.
Quoi qu'il en soit, mon frère étant logé à Romain'
avec deux ou trois officiers qui étoient restés avec lui,
M. le Cardinal lui envoya dire, par M. d'Ârtagnan', de
faire un pont sur la rivière d'Aisne, à Pont^-Verre^, sans
lui envoyer ordre par écrit. Il lui demanda où étoient
les charpentiers pour le faire, M. le Cardinal ayant
licencié tous les officiers de l'artillerie, qui s'en étoient
allés ; et, comme M. d'Artagnan n'eut point de réplique,
ce fut à mon frère à aller trouver M. le Cardinid pour
savoir ce qu'il auroit à faire.
M. le Cardinal, qui n'ignoroit rien de l'état des
1. Il y a ayant dans le manuscrit.
2. Romain, cant. de Fismes, arr. de Reims, Marne.
3. Charles de Baatz, seignear d'Artagnan, fils de Bertrand
de Baatz, seigneur de Castelmoron, et de Françoise de Mon-
tesquiou d'Artagnan, devint capitaine des mousquetaires et
maréchal de camp, et fut tué au siège de Maéstricht en 1673.
4. Pont -à -Verre, sur l'Aisne, cant. de Neafchâtel-sor-
Aisne, arr. de Laon, Aisne.
4653] MÉMOIRBS DE S0UVI6NT. 231
choses et prétendoit que mon (rète surmontât toute
difficulté et [pût] faire le pont, n'en vouloit rien
savoir. Il fut surpris de voir mon frère et tança aigre-
ment M. d'Ârtagnan, qui étoit allé avec lui. Mon frère
lui dit qu'il venoit recevoir ses commandements sur
ce que M. d'Artagnan lui a voit dit de sa part. Il lui
redit la même chose qu'il avoit dite à M. d'Artagnan.
n lui repartit : t Votre Éminence sait qu'elle a congé-
dié l'artillerie et que je n'ai pas un seul charpentier,
et, de plus, que, depuis que les habitants de Pont-à-
Verre ont démoli les arcades des deux bouts de leur
pont, pour se retrancher sur l'arcade du milieu, l'on
[n']a pu trouver de pièce de bois assez longue pour
le refaire. M. de Turenne pourra dire à Votre Émi-
nence que cette raison l'empêcha d'y passer son
armée, > Là-dessus, M. le Cardinal, qui savoit tous les
moyens de persuader avec tout pouvoir de com-
mander, dit, en termes généraux, l'importance du
pont pour la gloire des armées du Roi et sa réputa-
tion en son particulier, y ajoutant des paroles obli-
geantes, et conclut qu'il se déchargeoit sur mon frère
de la constitution du pont. Alors, faisant de nécessité
vertu, il alla trouver le gouverneur à Coucy S qui étoit
de ses amis, et, l'ayant engagé de lui faire chercher
des charpentiers et du bois de longueur pour le pont,
il lui bailla de l'argent pour avancer la besogne.
En ce temps-là, j'étois demeuré à Reims, chez
M. Pélicot, où étoit logé mon frère. Ayant appris ces
nouvelles, j'en partis pour l'aller trouver à Romain,
son quartier. Y arrivant, j'appris qu'il étoit à Pont-à-
1. Il s'agit de Goucy-le-Château^ aujourd'hui ch.-l. de cant.
de Tarr. de Laon.
232 MÉMOIRES DE SOUVIGNT. [165^
Verre, où il faisoit faire un pont. Je m'y en allai et vis
la contestation d'un honune savant en mécanique, à
ce qu'il disoit, et fort ignorant en pratique, que M. le
Cardinal avoit écouté, comme on fait communément en
pareille occasion où on se sert de tout. Cet honmie-là,
qui faisoit des démonstrations en abr^é, vouloit
qu'on mit^ en place le bois qu'on n'a voit pas assemblé
de longtemps. Mon frère, voyant qu'il le faisoit perdre*
à ses ouvriers, le fit 6ter de parmi eux, et, faisant des
efforts extraordinaires à la diligence requise, M. d'Âr-
tagnan lui aUa dire, de la part de M. le Cardinal, le
contentement qu'il en avoit, qu'il s'y agissoit de sa
fortune, et qu'Ô ne devoit pas douter que Son Émi-
nence ne lui en fit donner les récompenses qui lui
étoient dues. Mon frère, qui n'aVoit pas Tàme merce-
naire et qui s'offensoit des discours conrnie inutiles à
son zèle, lui repartit : « Vous pouvez dire à Son Ëmi-
nence ce que vous me voyez faire en intention de servir
le Roi, et que Son Éminence soit satisfaite de mes ser-
vices; que, pour la récompense, je ne l'attends que de
Dieu. > Finalement, mon frère fit achever le pont, dont
Son Éminence eut beaucoup de joie et y fit passer
toute l'armée, prenant la route de Vervins où VLan-
sieur le Prince avoit laissé garnison, et retira la siaane,
sachant que celle du Roi avoit passé la rivière d'Aisne.
Nous voilà donc arrivés devant Vervins, qui est une
jolie petite ville en Thiérache, dont les maisons sont
bâties de briques et les couvertures d'ardoises. Une
partie de la cavalerie qui étoit dedans nous reçut à
1. Il y a qu*on le mit dans le manuscrit.
2. Le temps.
1653J BfÉMOIRES DE SOUYIGNY. 233
un quart de lieue de la place, et, après quelque légère
escarmouche, ils se retirèrent le même jour. Mon firère,
ayant tracé la batterie du côté du jardin de Madame,
les pièces n'y furent pas plus tôt mises que les ennemis
demandèrent à capituler* : ce qui leur ayant été
accordé, ils en sortirent le lendemain que toute l'armée
en partit. Je ne sais pourquoi l'artillerie n'eut point
d'ordre ; mais mon frère, voyant marcher toutes les
troupes, fit aussi acheminer l'artillerie. L'officier qu'il
envoya à M. le Cardinal n'étant point de retour à l'en-
trée de la nuit, et n'ayant point d'ordre, il prit son
logement par nécessité. Ses chevaux ne pouvoient plus
marcher. Pendant de grosses pluies, les terres du pays
de Thiérache étant grasses et fangeuses conune celles
de Beauce, les charrettes en avoient souvent jusqu'au
moyeu.
La reprise de Vervins fut la dernière action de cette
longue et pénible campagne, en laquelle M. le Cardinal
avoit chassé les ennemis du royaume et assuré les
frontières. Nous l'accompagnâmes, mon frère et moi,
avec plusieurs officiers de l'armée, passant à Crécy*,
à Laon, Villers-Cotterets et Danmiartin^, où étant
arrivé, MM. les maréchaux de la Motte et de Villeroy le
vinrent complimenter. Le premier, outré de déplaisir
1. Don Fernando de Solis, maréchal de bataille dans les
armées du roi catholique, accorda la capitulation de Vervins
en janvier 1653. (Prise et reprise de Vervins : Revue des
gazettes y nouvelles ordinaires et extraordinaires de l'année 1653 y
p. 141.)
2. Crécy-au-Mont, cant. de Coucy-le-Ghâteau, arr. de Laon,
Aisne.
3. Dammartin-en-Goele, ch.-l. de cant., arr. de Meaux,
Seine-et-Marne.
234 MÉMOIRES DB SOUVIGHT. [1653
de la perte de la Catalogne, dont il avmt été viœ-roi
et soutenu jusqu'à rextrémité le mànoraUe siège de
Barcelone, où il périt plus de trente nulle EqMgnols,
lui dit avec beaucoup de chaloir que, pour cent mille
francs, on auroit sauvé cette grande province an Roi.
Le second, qui n'est pas moins aflEectîonné au ser-
vice du Roi, lui fit un discours d'un adroit ooortiaan,
comme il étoit effectivement, en lui disant ce qu'il savoit
bien, qu'il n'ignoroit pas qu'il avoit été un de ceux
qui s'étoient le plus opposés à son retour, croyant que
Son Ëminence ne devoit point revenir exï France de
trois mois, pendant lesqueb on auroit ménagé les choses
en sorte qu'il y fût revenu avec satisfoction, mais
qu'il ne savoit pas alors que Son Ëminence eftt été en
état de faire les grandes choses qu'elle a faites, et finit
son discours en louant sa prudente et Iràroïque con-
duite.
M. le Cardinal lui répondit en termes généraux sans
se piquer de rien, lors ne doutant pas que M. le nuré-
cbal de Yilleroy se seroit bien consolé quand il ne fiitt
jamais revenu en France, parce qu'il gouvemoit l'^t
avec M. de Chàteauneuf, son parent, pendant qu'il
étoit hors du royaume* Cela s'entend des affidres
communes : car la Reine ne vouloit rien résoudre
d'important, ni donner des chaînes ni bénéfices qu'à
son retour et de son consentement.
Je pris aussi mon temps pour lui parier, lui disant,
sans comparaison, ce que le bon larron dit à Notre
Seigneur, qu'il se souvienne de moi quand il seroit à
Paris. Il envoya devant M. le maréchal de la Ferté, et
trouva le Roi qui étoit venu au-devant de lui jusqu'au
1653] MÉMOIRES DE SOUYIONY. 235
Bourget^ Depuis ce lieu-là jusqu'à Paris, le chemin
étoit si plein de gens, qu'on eût dit que tout le monde
de Paris y étoit, et les rues tellement remplies, quand
le Roi entra dans la ville, que l'on auroit cru qu'il n'en
fût sorti personne, quoiqu'il fit une fort grosse pluie
qui nous empêcha d'accompagner la Cour, pour nous
retirer au Petit Arsenal, où M. de Ghampfort étoit par-
faitement bien logé.
Au commencement de l'an 1653*, j'employai mon
séjour à Paris à faire vider le procès que j'avois contre
M. de Saint-Ghamond et ses créanciers, qui m avoient
fait saisir entre les mains la somme de quinze mille
livres que je lui restois devoir de quarante-cinq mille
livres de retour de l'échange de Trocezard à Grézieu,
dont j'avois payé trente mille livres en deux fois,
savoir de : dix-huit mille livres, dont la quittance est
insérée par le contrat d'échange, reçu par les notaires
royaux Vachon et Magdinier 1 648 ; et douze
mille livres, suivant la quittance reçue par Valons,
notaire royal à Saint-Ghamond, ratifiée par M. Just
Mitte, seigneur dudit Saint-Ghamond, fils aîné de
M. Melchior avec lequel j'ai échangé^; lequel sieur
1. Le Bourget, cant. de Noisy-le-Sec, Seine.
2. Il y a dans le texte : Î652. D'autre part, Souvigny semble
bien parler ici d'un séjour qu'il fit à Paris en même temps que
Mazarin y rentrait lui-même, le 2 février 1653. Il est possible
aussi que, dans le récit qui va suivre, relatif aux démêlés avec
M. de Saint-Chamond, au séjour à Grézieu et aux envois d'ar-
gent à M. de Belmont, plusieurs faits se rapportent à l'an-
née 1652 et même aux années précédentes.
3. £n marge, de la main de l'auteur : Gresieu. Arrest de
îfjyOOO livres payés à M. le baron de Lugny.
?3^ XEMOniS DC SOCTKKT. [1653
Just a aussi ratifié le contrat d'échange* de soite que,
par arrêt oontradictoîreiiient rendu a^ec lesdits créan-
ciers de M. de Saint-Ghamond. savoir : le baron de
LugnT, M. Séguier, chancelier de France*, M. de Ser-
vien, surintendant des finances, M. du Gué', maître
des requêtes, TAumône générale de Lyon^, l'HAtel-
Dieu de Paris, les sieurs Lambert, Émery et Flenrîau,
conseiflers à la cour des Aides, et plusieurs antres
créanciers, il a été dit que je lui TidntHS mes mains de
ladite somme de quinze mflle livres, et la paierois
audit sieur baron de Lugny de Yougy, ocMume j*ai fiJt
suivant sa quittance, reçue de Billy, notaire royal de
Vougy, outre laquelle quittance ledit sieur de Lugny a
déchargé de ladite sonune de quinze mille livres le
propre original de la transaction passée entre hii et
ledit sieur de Saint-Chamond, par laquelle il avmt
hypothèque spéciale sur la terre de Grézieu, et,
quoique nous soyons en pays de droit écrit et qu'au-
paravant venir à moi, ledit sieur de Lugny devoit fidre
i. Pierre Séguier (1588-1672), conseiller au Parlement en
1612, mattre des requêtes en 1620, intendant de Guyenne,
président à mortier en 1624, garde des sceaux en 1633, était
chancelier de France depuis 1635.
2. François du Gué, conseiller an Parlement en 1636, mattre
des requêtes en 1643, était alors intendant à Lyon et en Dan-
phiné ; il devint conseiller d'État en 1666 et moorut en 1685.
3. L'hôpital général de la Charité et TAumône générale de
Lyon formaient un établissement fondé en 1531, et qui, d'après
des lettres patentes de septembre 1729, a servi de modèle aux
autres hôpitaux du royaume, même à l'Hôpital général de Paris.
Voyez une notice dans VAlmantich de Lyon, année 1778,
p. 61, et V Institution de l'Aumosne générale de Lyon^ enmtmhk
Vœconomie et règlement qui s* observe dans l'kospital de Noêtre*
Dame de la Charité; Lyon, 1639.
1653] MÉMOIRES DE SOUVIGNY. 237
discuter tous les biens du sieur de Saint-Chamond,
néanmoins il est avantageux pour moi qu'il ait été
payé de ladite somme de quinze mille livres en vertu
dudit arrêt contradictoire. Ce n'est pas que Monsieur
fils et héritier de mondit sieur Melchior de Saint-Gha-
mond n'ait beaucoup de biens pour assurer les qua-
rante-cinq mille livres dudit échange, car il possède
encore la grande et belle terre de Saint-Ghamond en
Lyonnais, celles de Picquecos, Montpezat etMontalzat^
en Quercy, et Anjou en Dauphiné, joint que l'échange
que j'ai avec Monsieur son père est antérieur aux
ventes qui ont été faites par lui-même, où ledit sieur
Just, son aîné, est héritier des terres de Septême en
Dauphiné, d'Andance et Talencieu en Vivarois, du
Parc et deux autres terres en Bourgogne, Chevrières
et Châtelus en Forez, qui sont toutes les sûretés qu'on
pouvoit désirer pour les quarante-cinq mille livres de
retour de l'échange de Trocezard à Grézieu, étant
véritable que la substitution de la maison de Saint-
Ghamond est finie en la personne dudit sieur Melchior
de Saint-Ghamond, père de M. de Saint-Ghamond du
présent.
Ayant mis cette affaire en bon état par le moyen de
l'arrêt susdit, je pris congé de la Gour et m'en revins
trouver ma femme à Grézieu. Nous nous occupâmes
à faire quelques réparations et acquisitions de prairies
et terres de Dupré, de Pérols, de Jean Delafay, du
domaine de Laurent Dumoulin que j'ai donné pour la
fondation de messes du jeudi, jour du décès de feu ma
femme, que Dieu absolve ! et aussi pour la fondation
i. Montalzat, cant. de Montpezat-en-Quercy, arr. de Mon->
tauban, Tam-et-Garonne.
^38 HÉMOmiS DE SOUTIGHT. [1653
de messes qoe iHMis avHxis créée à LoDges Unis les mar-
dis, et que yai transférée à Souvignvpar potnissioDde
M. rarcbevéque de Ltod, avant donné les fonds de
trente livres de pension que me devmt Jean Joumanx,
du village de Marlin^, paitMsse de Longes, à M"* de
Marlin, tante de défunte ma femme*, et à ses enbnls
après son décès. Nous adieUmes aussi un fonds, que
nous donnâmes pour la fondation des litanies que M. le
curé de Grézieu-Souvignv est tenu de dire tous les
jours à haute voix, suivant le contrat que nous aivons
passé ensemble pour ladite fondation.
En ce temps-là, j'envoyai plusieurs sonomes à mon
frère de Belmont, par lettre de diange, pour frire
subsister la garnison de la citadelle de Turin, qui n'é-
toit point payée, et n'y avoit dans la place Ué ni
farine, faisant en cela un effort extraordinaire pour la
sauver au Roi. et particulièrement parce que mon
honneur, celui de mon frère et sa personne y étoient
engagés, et [je] ne me serais peut-^repas tant incom-
modé si j'y eusse été moi-même, voyant Inen le peu
d'espérance qu'il y avoit du remboursement pendant
que la guerre cî\île étoit allumée en France, et que la
nécessité y étoit à tel point que, les pourvoyeun de la
maison du Roi n'étant pas payés de leure foumitores,
les tables y étoient renversées, de sorte que, souventes
fois, on avoit peine à maintenir celle du Roi.
Casai, Pîgnerol, Perpignan n'étoient pas mieux
1. Marlin, comm. de Longes, cant. de Gondriea, arr. de
Lyon.
2. M"* de Marlin appartenait à la famille du Qiol. CUnde
du Chol, père de M"^ de Souvigny, était seigneur de Longes.
Voy. p. 72, note 1.
1653] MÉMOIRES DE SOUYIGNY. 239
traités que la citadelle de Turio, quant à Targent;
mais ils avoient du blé dans leurs greniers, qui leur
fournissoit le pain. Quant aux places des nouvelles
conquêtes, savoir : Thionville, Arras, Bapaume^,
Béthune, la Bassée, Gravelines, Hesdin^, Landredes^,
Montmédy, les garnisons y subsistoient si avantageu-
sement des contributions qu'elles tiroient, que l'on
tient pour assuré que le gouverneur de la Bassée avoit
pour le moins huit cent mille livres par an, la garni-
son payée ; ceux de Thionville et d'Arras, pour le
moins chacun deux cent mille, et les places ne laissoient
pas de retirer des sommes inmienses. Enfin, c'étoit
le désordre de la guerre civile qui empéchoit que l'on
ne fit justice.
Je passai donc le reste de l'année 1 652 avec ma
fenmie, à Grézieu-Souvigny, jusqu'au conunencement
de mars 1653*. M. d'Épernon m'envoya ordre pour
aller servir de maréchal de camp au siège de Bellegarde,
où j'eus bien de la peine à résoudre ma fenmie d'y
consentir, ayant un sensible déplaisir de la continuelle
appréhension qu'elle avoit pour moi que je ne reve-
nois point de la campagne, [en sorte,] en quel lieu que je
ne pusse aller, que je ne la trouvasse au pied de l'au-
tel de Notre-Dame de Souvigny, en prières pour ma
conservation, si n'étoit qu'elle fût avertie de ma
venue; auquel cas elle venoit au-devant de moi le
1. Bapaume, ch.-l. de cant., arr. d'Arras, Pas-de-Calais.
2. Hesdin, ch.-l. de cant., arr. de Montreuil, Pas-de-Calais.
3. Landrecies, ch.-l. de cant., arr. d'Avesnes, Nord.
4. Souvigny commet ici une erreur, car nous avons vu pré-
cédemment qu'il fiit employé à l'année, en Lorraine, en
décembre 1652 et en janvier 1653.
240 MÉMOIRES DE SOUVIGNT. [1653
plus loin qu'il lui étoit possible. Mais, enfin, la
partie supérieure ayfint emporté, il fallut que notre
tendresse cédât au service du Roi et à mon honneur.
Je pris congé d'elle pour me rendre à mon devoir.
Je trouvai M. le marquis d'Huxelles à Ghalon-sur^
Saône, dont il étoit gouverneur, logé dans la citadelle,
ce qui m'oblige à une petite digression en disant que,
M. de Varennes, son oncle, en l'année 1635, qu'il
étoit maréchal de camp en l'armée d'Italie, servant
d'aide de camp auprès de lui, au quartier de Candie, il
m'offrit la lieutenance de cette citadelle, avec cinq cents
écus de pension sur les revenus de M. d'Huxelles, dont
il étoit tuteur, outre et par-dessus les gages du Rœ et
les autres avantages attribués à cette chai^; et,
comme j'avois beaucoup de respect et d'obligation à
feu M. de Beauregard, mon oncle, je lui en donnai avis
et lui demandai le sien : il ne le trouva pas à propos,
me disant que j'étois trop jeune pour m'enfermer dans
une place, étant en beau chemin pour faire quelque
chose de meilleur servant à l'armée. Ainsi, je m'en
excusai envers M. de Varennes et le remerciai de sa
bonne volonté, qu'il m'a depuis continuée^.
Et, pour revenir à M, le marquis d'Huxelles, il me
dit que j'étois arrivé tout à propos; que, dans trois
jours, M. d'Épernon faisoit état d'investir Bell^arde
avec les régiments d'infanterie de la Marine*, d'Es-
1. Au sujet de ce fait, voy. t. I, p. 300.
2. Le régiment de la Marine, reste d*un corps de U marine
qui avait péri dans un naufrage [Hist. de la milice framçoÎMef
par le Père Daniel, t. II, p. 388), fut organisé en 1635 et
appartint aux cardinaux de Richelieu et Mazarin. Il prit rang
après les cinq vieux corps, ce qui amena souvent des contes-
1653] MÉMOIRBS DE S0UYI6NY. 24i
trades*, d'Huxelles, d'Épernon^ et Roncherolles^, et
ceux de cavalerie d'Épernon, d'Huxelles et *,
et, m'ayant baillé un ordre adressant au comte de
Sérignan, qui commandoit son régiment de cavalerie,
pour marcher le lendemain, il me dit qu'il nous vien-
droit trouver auprès de Verdun-sur-Saône '^j et je me
retirai à mon logis à la ville, où Messieurs les Échevins
me vinrent faire civilités, en me donnant abondam-
ment de leur bon vin.
Le lendemain donc, j'allai prendre le régiment de
cavalerie d'Huxelles en son quartier, que commandoit
M. de Sérignan^, et le menai camper sur le bord du
Doubs, au delà de Verdun, où se rendit aussi le régi-
ment d'infanterie d'Huxelles. Le jour d'après, nous
allâmes camper près de Bellegarde, au quartier comr
mandé par M. d'Huxelles, où il servoit de lieutenant
général, et moi de maréchal de camp. Le régiment
Utions entre lui et les Petits- Vieux, et devint 11* régiment
d'infanterie à la Révolution.
1. Le régiment d'Estrades, levé en 1640, fut licencié en 1656.
2. Le régiment d'Épernon, levé en 1651 par le duc d'Éper-
non, fut licencié en 1653.
3. Le régiment de Roncherolles, levé en 1636 par Pierre,
marquis de Roncherolles, réformé en 1649, rétabli en 1652,
fut licencié en 1661.
4. Le nom est en blanc dans le manuscrit.
5. On dit aujourd'hui Verdun-sur-le-Doubs, au confluent de
la Saône et du Doubs.
6. Jean de Lort, comte de Sérignan-Valras, fils de Guil-
laume, marquis de Sérignan, et de Marie de Bonnet de Mau-
reilhan, capitaine afti régiment de son père en 1635, puis au
régiment de Richelieu devenu Marine, lieutenant de roi à Metz
en 1641, gouverneur de Nomény en 1645, maréchal de camp
en 1650, mourut après 1668.
Il 16
242 MÉMOIRES DE SOUVIGNT. [i6S3
d'Estrades y campoit aussi avec celui d'Huxdles.
Les régiments d'infanterie de la Marine, d'Épernon
et Roncherolles, avec le régiment de cavalerie d'Éper-
non, avec Tartillerie, campèrent au village de Cham-
blanc^ et s'y retranchèrent.
M. d'Épernon se logea au château de Pagny^, éi fit
ouvrir la tranchée entre le village de Pagny et Belle-
garde, où nous fîmes une place d'armes à mettre cent
chevaux à couvert du canon de la ville, et nous
tirâmes des lignes, l'une à l'extrémité du bastion, sur
le bord de la Saône, et l'autre à celles^ étant à Tex-
trémité de celui ^ du côté de notre quartier. Ayant hieD
avancé nos tranchées, nous faisions de teii^>s en temps
de petites places d'armes, sans tenir personne dans la
tranchée. Nous tirâmes une ligne de Tune à Vautre
pour couvrir la batterie qu'en fit M. de Saint-Hilaire^,
qui la conunandoit, et aussi pour nous servir de oom-
munication pour aller d'un poste à l'autre, sans passer
à la queue de la tranchée.
Nous avions un pont de bateaux sur la Saône, au
château de Pouilly*, à demi-lieue au-dessus de Belle-
garde.
Il y avoit dans la place environ sept cent cinquante
1. Chamblanc, cant. de Seurre, arr. de Beaune, Gôle-d'Or.
2. Pagny-le-Château, cant. de Seurre.
3. A celles j c'est-à-dire : avuc lignes,
4. De celui, c'est-à-dire : du bastion.
5. Pierre de Mormés de Saint-Hilaire, lieutenant général de
Tartillerie, maréchal de camp en 1677, blessé morteHement
auprès de Turenne, à Sasbach, en 1680. Son fils a écrit dss
Mémoires, que M. Léon Lecestre réédite povr la Société de
THistoire de France.
6. Pouilly-sur-Saône, cant. de Seurre.
1653] MÉMOIRES DE SOUVIGNY. 243
hommes de pied, sans les habitants, et trois cent cin-
quante chevaux, commandés par M. de Bouteville,
gouverneur*, qui, ayant le côté de delà la Saône libre,
en tiroit de grands avantages, spécialement pour les
fourrages, ce qui nous obligeoit à une grande garde.
M. d'Épernon résolut de leur en ôter la conmiunica-
tion, et me conmianda de rompre le pont. Je pris de
bons charpentiers et de l'artillerie à cette intention,
et, à rentrée de la nuit, m'étant saisi du bout du pont,
où les ennemis avoient des barrières qu'ils aban-
donnèrent, j'attendis que la lune fût couchée pour me
servir de l'obscurité de la nuit pour faire couper les
poutres du pont, ce qui se fît avec si peu de bruit que
les ennemis ne s'en aperçurent pas que par le bruit
que firent les poutres en tombant dans la rivière.
Ensuite de quoi, ils firent grand feu, et peu de mal,
parce que j'avois déjà retiré la cavalerie et mis l'infan-
terie à couvert.
Pendant que j'étois occupé à faire couper le pont,
je perdis quatre chevaux, parmi lesquels il y çn avoit
un cravate* que mon frère de Ghampfort m'avoit
donné, qui étoit fort beau et bon. Je ne sais si ce fut
par la faute de mon palefrenier, qui les avoit mis à
l'herbe. Tant il y a que plusieurs capitaines de cava-
lerie de mes amis les envoyèrent chercher et me les
renvoyèrent. Je donnai satisfaction à ceux qui me les
1. François-Ëenri de Montmorency, comte de Bouteville
(1628-1695), fils du duelliste décapité en 1627, maréchal de
camp en 1647, suivit la fortune de Condé pendant la Fronde.
Il épousa, en 1661 , M"* de Luxembourg, et devint duc de
Luxembourg et maréchal de France en 1675.
2. C'est-à-dire : croate.
244 MÉMOIRES DE SOUVIGNY. [1653
ramenèrent. M. d'Épemon me témoigna d'être bien
aise que ce pont fût coupé, et d'être bien satisfiJt de
moi en ce rencontre.
U se résolut à convertir les deux attaques en une
seule au bastion sur la Saône. Le fossé étoit plein d'eau
par le moyen d'une muraille de briques, qui l'y rete-
noit. Il la fallut percer, pour en faire couler une par-
tie, ce qui nous donna bien de la peine, car elle étoit
vieille et bâtie de briques avec de bonne chaux qui
a voit fait une liaison extrêmement forte. Par bonheur
pour nous, la Saône se trouvant extrêmement basse,
nous allâmes à couvert, dans son canal, jusqu'à envi-
ron au droit du quart de la courtine du bastion attaqué
et de celui de Saint-Jérôme, ce qui fit résoudre à fisdre
une batterie de l'autre côté de la rivièref, pour battre
la petite courtine, qui n'avoit point de remparts et
étoit mal flanquée de ses deux bastions. Le flanc de
celui de Saint-Jérôme, étant fort petit, fut bientôt hors
de défense, et celui de l'attaque étoit un peu endom-
magé.
Je commandois à la tranchée lorsque M. de Boute-
ville fit sortir un trompette, qui vint à la tête de la
tranchée, dire qu'il avoit ordre de M. de Bouteville de
dire à celui qui conmiandoit qu'il le prioit de faire ea
sorte qu'il pût parler à M. de RoncheroUes : ce qui
m'ayant fait présumer que c'étoit pour quelque aven-
ture de capitulation, j'envoyai le trompette à M. d'Éper-
non, qui conmianda à M. de RoncheroUes d'écouter ce
que M. de Bouteville voudroit dire, et le persuader de
se rendre. M. de RoncheroUes me vint trouver et me
dit qu'il ne pouvoit parler à M. de BouteviUe que je
n'y fusse présent, parce que je commandois la
i653] MÉMOIRES DE SOUVIGNY. 245
tranchée. Après la trêve faite, nous nous avançâmes
avec l'escorte de la cavalerie qui étoit en garde. Nous
ne fûmes pas plus tôt arrivés à quatre cents pas de la
ville, que M. de Bouteville vint au-devant de nous, avec
le major de la place, sans prendre aucune précaution ;
sur quoi je n'ai rien à dire sinon que c'est un eflFet
de sa générosité et de la connoissance des gens à qui
il avoit à faire. Tant il y a que sa proposition fut sem-
blable à celle de plusieurs autres qui veulent capituler,
disant qu'il prioit M. de RoncheroUes, par leur
ancienne amitié, d'obtenir de M. d'Épernon huit jours
de temps pour avertir Monsieur le Prince. M. de
RoncheroUes répondit, en homme d'expérience, qu'il
n'étoit pas en état de le prétendre, et qu'il le serviroit
auprès M. d'Épernon pour sa capitulation; et, durant
qu'ils continuoient leur dialogue, je tirai le major à
part, lequel me fit ingénuement sa confession de foi
qu'ils se vouloient rendre : ce qui me fit un peu parler
plus fortement à M. de Bouteville.
Enfin, après plusieurs discours, il fut résolu qu'il
enverroit des otages à M. d'Épernon, qui lui accorda
de sortir le lendemain de Bellegarde avec armes et
bagages, et escorte pour conduire la garnison. Il n'y
eut difficulté que sur l'article de d'Alègre*, lieutenant
de M. de Bouteville, que M. d'Épernon vouloit abso-
1. Dominique d'Alègre^ ainsi qu'il est désigné plus loin,
pouvait être parent de Claude- Yves, marquis d'Alègre, en
Velay, maréchal de camp, qui mourut en 1664. On trouve
également, à cette époque, Gabriel du Quesnel, marquis
d'Alègre, en Normandie, et aussi Louis, marquis d'Alègre, qui
leva, en 1650, un régiment de cavalerie, cassé pour mutinerie
en 1652, et qui mourut en 1654. [Mémoires du comte Gaspard
de Chavagna^, publiés par Jean de Vileurs, p. 150.)
246 MÉMOIRES DE 80UVIGNT. {1653
lument qu'il lui remit entre les mains pcmr le fiure
mourir, d'autant que ledit d'Alègre s'étoit saisi du
château de Pagny, appartenant à M. d'Elbeuf, à une
lieue de Bellegarde : il y fut assiégé par H. d*Épemon
et M. le marquis d'Huxelles, qui étoit prêt à fidre
jouer une mine ; d' Alègre demanda quartier aux condi-
tions portées par une déclaration signée de sa maio,
où il a écrit : c Moi, Dominique d'Alègre, dédare à
M. d'Épemon de ne jamais porter les armes contre le
service du Roi; que, si je suis pris dans une place ou
bataille, rencontre, escarmouche ou autrement, ccHitre
le service de Sa Majesté, je me soumettrai à perdre la
vie, s'il plaît à M. d'Épemon me l'accorder avec tous
ceux qui sont dans ce château sous ma charge. Fait à
Pagny, le, etc. Signé : d'Âlègre. » Lequel, quelques
jours après, s'en retourna jeter dans Bellegarde, où il
étoit encoi^ lieutenant de M. de Bouteville, lequel
s'opiniâtrant à ne le point rendre, le pourparler Ait
rompu, les otages i^tirés.
Quand je vis que personne n'en vouloit parler à
M. d'Épemon et qu'on alloit rompre la trêve, je pris
la libertt» de lui représenter l'importance de la prise
de Bellegarde, la seule place que les ennemis tenoioit
en son gouvernement de Bourgogne, auquel, par ce
moyen, il donneix)it activement la paix, que ce seroit
tenter Dieu et mettre au hasard choses qui étoient en
sa main, s'il ne se servoit de l'occasion de la bassesse
(le la rivière de Saône pour se rendre maître de Belle-
garde; qu'il ne falloit (|u'une pluie d'un jour pour nous
faire abandonner le logement que nous avions dans
son canal, incommodant la place, et qui contrai-
gnoit les ennemis à se rendre. Il ne me souvint pas
1653] MÉMOIRES DE SOUVIGNY. 247
d'alléguer à M. d'Épernon l'exemple de Tarmée de
Gallas, plus de quatre mille hommes qui fiirent con-
traints d'abandonner le siège de Saint-Jean-de-Losne^,
petite ville à trois lieues de Bellegarde, sur la même
rivière de Saône, dont le débordement lui fit lever le
siège avec précipitation lorsque la place étoit sur le
point de se rendre, et perdre quantité de gens à leur
retraite.
Aussi ne fut-il pas nécessaire de le persuader autre-
ment; car, ayant approuvé mon avis, il signa la capi-
tulation de Bellegarde, sans excepter d'Alègre, par
laquelle il accorda à M. de Bouteville et à sa garnison
qu'ils sortiroient le lendemain, ... juin 1653, de Belle-
garde, à dix heures du matin, avec armes et bagages,
sans faire mention de d'Alègre. Il me conmianda d'y
conduire escorte à la porte. Gomme la garnison sortit,
il ne la vit que d'environ cent pas, et fit prendre pos-
session de la place par M. de Roncherolles avec son
régiment*.
1. Matthias, comte de Gallas, général autrichien (1589-1647),
à la tête des Impériaux et des Espagnols réunis en Franche-
Comté, mit le siège devant Saint-Jean-de-Losne en 1636. La
résistance vigoureuse des habitants valut à cette ville le sur-
nom de Belle-Défense.
2. Voy. la Prise de Bellegarde, avec le journal de ce qui
s'y est passé : Recueil des gazettes, nouvelles ordinaires et
extraordinaires, année 1653, p. 545-560. On y lit notamment :
« Ce marquis (de Roncherolles), accompagné du sieur de Sou-
vigny, maréchal de camp, se transporta donc à la porte Saint-
Georges..., etc. Après ces louanges dues à celui qui lui a
donné la principale pente, on ne peut dénier aux marquis
d'Huxelles et de Roncherolles, lieutenants généraux de notre
armée victorieuse, celle d*y avoir beaucoup contribué par leur
courage, non plus qu'aux sieurs de Comusson, de Saint-Quentin
248 MÉMOIRES DE SOUVIGNY. [1653
Étant dans le château de Bellegarde, j'y vis les
meubles que M. de BouteviUe y avoit laissés, appar-
tenant à Monsieur le Prince, ce qui m'obligea de dire à
M. d'Épernon en particulier : c Monsi^ir, vous savez
que cette guerre ne peut pas durer, que sa fin sera la
paix, et l'ancienne coutume de France de dcnmer
l'anmistie, qu'infailliblement Monsieur le Prince, k
paix faisant, sera rétabli en ses biens et honneurs.
Vous pouvez l'obliger en lui conservant les meubles
qu'il a céans. Je vous supplie très humblement,
Monsieur, de considérer que Bellegarde est son patri-
moine, que ce château est sa maison, et l'avantage
que vous aurez de bien user de cette victoire et vous
acquérir l'amitié d'un si grand prince par le soin de
conserver son bien, puisque c'est chose où le service
du Roi n'est point intéressé et qui dépend entièrement
de votre courtoisie. » Je trouvai M. d'Épemon telle-
ment prévenu de colère de ce que les troupes de
Monsieur le Prince avoient pillé sa maison de Cadillac
et [de ce qu'il] avoit baillé vingt mille écus pour
retirer ses meubles, et de ce qu'on lui avoit fait
entendre que tout cela avoit été fait par le comman-
dement de Monsieur le Prince, [qu']il voulut abso-
lument, par représailles, se saisir de ceux qu'avoit
Monsieur le Prince dans le château de Bellegarde.
Le lendemain, je pris congé de M. d'Épemon, bien
joyeux de la satisfaction qu'il me témoigna avoir des
petits services que j'avois rendus en cette occasion.
Nous nous retirâmes par la Bresse ^ MH. de Saint-
et Souvigny, maréchaux de camp, et autres officiers, de n'avoir
rien oublié du leur en cette occasion pour la faire réussir. »
1. Effacé : le Chalonnois.
i653] MÉMOIRES DE SOUVIGNY. 249
Micaud, de Béreins^ et moi, par Bàgé, Pont-de-Vaux
et Pont-de-Veyle^, que je fus bien aise de voir, esti-
mant d'autant plus l'échange que Henri le Grand fît du
marquisat de Saluées à la Bresse, que cette province
est incomparablement plus grande, s'étendant jus-
qu'aux portes de Lyon et ne cède point à la fertilité
du marquisat de Saluées.
M. le comte de Béreins, avec lequel j'avois eu
autrefois quelque brouillerie, étant pour lors de mes
amis, m'ayant bien traité en sa maison de Baneins^,
je le priai de disposer ma tante de Beauregard à
annuler et à casser le contrat de vente qu'elle m'avoit
passé de la baronnie de Belmont, selon l'avis de mon
frère de Champfort, qui l'avoit vue, passant à la
Bresle, pleurer, souflTrir, comme si elle se ftlit repentie
de l'avoir fait, d'autant que ni lui, ni moi, ni notre
firère, pour lequel je l'avois achetée, ne l'avions désiré
qu'autant qu'elle l'auroit agréable et sur les assurances
qu'elle avoit faites à feu ma fenmie, dans l'église de
la Bresle, qu'elle se contenteroit d'en avoir le revenu
sa vie durant, et qu'elle lui donneroit le principal à
son décès. Outre ces raisons, j'en avois encore une
1. M. de Béreins, voy. t. I, p. 251, est qualifié vicomte de
Béreins et de Baneins, lieutenant-colonel au régiment d'Au-
vergne, bailli de Dombes, aide de camp et maréchal de bataille
es armées de Sa Majesté dans un acte de 1643 [Arch, du
Rhône, suppl. £46, registres paroissiaux d'Anse).
2. Bâgé-le-Châtel, Pont-de-Vaux et Pont-de-Veyle sont trois
chefs-lieux de canton de T arrondissement de^urg, Ain.
3. Baneins, cant. de Saint-Trivier-sur-Moignans, arr. de
Trévoux, Ain. Pierre de Corsant était comte de Béreins et de
Baneins depuis 1649 [Hist, de la Bresse et du Bugey, par Guî-
chenon, p. 11).
^50 MÉMOIRES DE SOUVIGIfT. [1653
secrète, qui étoit de [me] souvenir que feo mon
père m'avoit défendu de penser à Belmont. Je puis
dire avec vérité qu'excepté mes fautes d'enfimt, n'avoir
rien fait que cette action-là qui lui pût être déssr
gréable. H est vrai que c'a été plus de dix ans après
son décès, et ne m'y suis engagé qu'à cause de Vmpé-
rance susdite qui me paroissoit avantageuse pour mon
frère. Tant est que M. le comte de Béreins vint avec
moi à la Bresle, et en fit la proposition à ma tante de
Beauregard, laquelle la refusa nettement, et voulut que
le contrat subsistât, continuant néanmoins à faire
espérer qu'elle tiendroit la parole qu'elle avoit donnée
à ma femme en faveur de mon frère : si bien que nous
primes congé les uns des autres. Je m'en revins à Sou-
vîgny, où je trouvai ma femme en bonne santé et bien
joyeuse de mon retour, qui fut vers la fin de noni.
Environ le 1 5* juin, je reçus ordre du Roi pour
aller trouver le duc de Mantoue de la part de
Sa Majesté, sur l'avis que Son Altesse, outrée et déses-
pérée de la négociation de M. du Plessis de Besançon,
traitoit avec l'Empereur et le roi d'Espagne^. Ma
femme n'eut pas de difficulté de se résoudre à mon
départ. Son Altesse de Mantoue étant à Casai, elle
1. La négociation de M. du Plessis-Besançon est raconlëe
dans ses Mémoires, publiés par la Société de l'Histoire de
France, et aussi dans les Instructions données aux amiasMa-
deurs : Savoie, Sar daigne et Mantoue^ t. H, p. 165, par le
comte Horric de Beaucaire. La mission de M. de Sonvigny
a donné lieu à un certain nombre de lettres, chiffirées on non,
qui lui furent adressées, au cours de l'automne 1853, par
M. de Brienne, secrétaire d'État, et qui, restées jusqu'à pré-
sent dans les archives de famille, seront publiées en appendice
dans le troisième volume.
liB53] MÉMOIRES DE SOUVIGNY. 251
pouvoit m'y venir trouver à rautomne, s'il m'y eût
fallu faire long séjour, ou attendre mon retour à la
citadelle de Turin, où mon frère de Belmont com-
mandoit en mon absence. Je pris donc congé d'elle.
Étant arrivé à Turin, je fis faire des habits, me mis
en équipage, et pris avec moi des officiers de la gar-
nison pour m'accompagner et tenir le rang convenable
à ma commission. Madame Royale en fiit bien aise à
cause du différend de la maison de Savoie avec celle
de Mantoue*. M. de Servien^, ambassadeur de
Sa Majesté auprès de Madame Royale, me témoigna
aussi qu'il en avoit bien de la joie et me bailla un chiffre,
comme avoit fait Madame Royale, pour écrire plus
sûrement.
En allant de Turin à Casai, je trouvai l'armée du
Roi, commandée par M. le comte de Quincé^, logée à
1. Les maisons de Savoie et de Mantoue se contestaient
depuis 1612, l'une à l'autre, la possession du Montferrat. Voy.
t. I, p. 11, note 3. L'ajustement de Quérasque, en 1631, avait
notamment irrité Mantoue en forçant cet État à céder à la
Savoie plusieurs terres du Montferrat.
2. Ennemond Servien (1596-1679), seigneur de Cossai et de
la Balue, fils d'Antoine et de Diane Bailly, fut trésorier en Dau-
phiné en 1623, président de la Chambre des comptes de
Grenoble en 1628, commissaire général des guerres en 1633,
conseiller d'État en 1635, garde des sceaux, intendant de la
justice en 1645, ambassadeur en Savoie (1648-1676).
3. Joachim de Quincé, comte du Saint-Empire, mestre de
camp en 1635, gouverneur de Guise, maréchal de camp en
1642, lieutenant général en 1650, servit en Normandie pendant
la Fronde et passa en Piémont en 1652. Gouverneur de Nar-
bonne, ambassadeur en Espagne en 1659, il mourut à Madrid
la même année. Son fils, Louis, fut maréchal de camp sous ses
ordres en Italie.
25? MÉMOIRES DE SOUVIGNY. [\m
TonquesS au beau milieu du Montferrat, et celle de
Savoie, à Arfrin^, terre impériale, commandée par le
marquis Ville, tous deux résolus d'aller loger à Auxi-
nian, Tizené, Yalmac, Frésinet^, et autres villages de
la plaine de Casai, qui en sont presque sous la couleu-
vrine. Je dis à M. le comte de Quincé qu'il étoit bien
important au service du Roi de ne le pas faire,
parce que cela feroit un effet tout à fait contraire à
l'intention de Sa Majesté et au sujet de mon voyage,
qui étoit de ramener M. de Mantoue, par de favorables,
traitements, à se remettre sous la protection du Roi,
et rompre tous les traités qu'il pouvoit avoir faits avec
les ennemis de Sa Majesté, pour lui donner bonne
espérance qu'à mon arrivée près sa personne, il en
reconnût des effets par le soulagement de son Ëtat, en
portant la guerre dans le Milanois; que, s'il s'y vou-
loit résoudre, je le tiendrois ponctuellement averti de
l'état de l'armée des ennemis, de leur marche, et, sur-
tout, quand ils auroient leurs ponts prêts pour repasser
le Pô. M. le comte de Quincé, ayant entendu mes
raisons, s'y disposa facilement et me promit de faire
son possible pour y faire consentir M. le marquis
Ville, afin que les deux armées ensemble pussent
entreprendre quelque chose de considérable dans le
Milanois, à quoi les deux généraux se disposerait*.
1. Tonco, arr. de Casai, prov. d'Alexandrie.
2. Frinco, an*. d*Asti, prov. d*Alexandrie.
3. Occiniano, Ticîneto, Valmacco, Frassineto-Pô, arr. de
Casai.
4. 11 y a dans le texte : s'étani disposés. Ensaite vient une
page barrée de deux traits croisés où Ton peat lire ce qui
suit : « 11 ne sera mal à propos de dire de la sorte que M. de
Nevers, (nrand-père du duc de Mantoue d*à présent, a hérité
1653] MÉMOIRES DE SOUVIGNY. 253
J'estime à propos de faire un plan de l'état général
des affaires du Mantouan et du Montferrat pour plus
facile intelligence de ma négociation. Je ne m'arrê-
terai pas à décrire le premier siège de Casai, que
soutint le marquis de Rivare contre l'armée d'Espagne,
commandée par Don Gonsalve de Cordoue*, la fidélité
des Montferrains, le secours du Roi, qui défit en
personne l'armée du duc de Savoie et força le Pas-de-
Suse, le deuxième siège de Casai, soutenu par
M. le maréchal de Toiras contre le marquis Spinola,
secouru par l'armée du Roi, le troisième siège de
Casai, que soutint M. le marquis de la Tour contre le
marquis de Leganez, la défaite de l'armée d'Espagne
par M. le comte d'Harcourt, en secourant la place.
Je dirai seulement que, la guerre civile étant allumée
en France, le Roi retiré à Saint-Germain, Paris investi
par son armée, Son Altesse de Mantoue- fit repré-
de ses deux Etats, auparavant faire mention de ma négociation
avec cette Altesse, que le Roi A maintenue puissamment contre
les puissances de TEmpereur, du roi d'Espagne et du duc de
Savoie ; qui, après avoir pris la Rochelle, ayant encore la guerre
en plusieurs provinces de son royaume, passa les monts, en
força les retranchements, gardés par deux armées d'Espagne et
de Savoie, pour secourir Casai et conserver cette place et tout
le pays de Montferrat, avec des dépenses ruineuses, et fait en
sorte, par l'ajustement de Quérasque, que l'Empereur lui ren-
dît Mantoue qu'il a voit pris. Enfin, l'on peut dire avec vérité
qu'il a coûté au Roi plus d'or et d'argent, pour sauver ses deux
Etats à M. de Mantoue, qu'ils ne valent. Mais le Roi n*a eu
autre considération que celle de maintenir M. de Mantoue et
assurer la liberté à tous les potentats d'Italie quand l'Empereur
et le roi d'Espagne les voudroient opprimer. »
1. Voy. t. I, p. 182-183.
2. Le duc de Mantoue et de Montferrat était alors Charles m
(1629-1665), fils de Charles II de Gonzague-Clèves, de la
e54 HÉMOIRES DE SOCVIGNT. [1653
senter par ses agents b néoessîté de la ganûsoD de
Casai, fiaiute de paiement : lesquels les ayant solfiâtes*
Tespace de deux années, et, voyant la continuation de la
guerre en France, après plusieurs protestations qu'il fit
faire à la Reine et à M. le Cardinal sans en pouvoir
rien obtenir, voyant les préparatifs qu'avoient faits les
Espagnols d'assiéger Casai et nulle apparence d'être
secouru de France, il fit son traité avec les Espagnok
à condition qu'il leur livreroit la ville de Casai et fiotût
sortir de la citadelle le régiment montfeirain que le
Roi y entretenoit, commandé par le comte Mercurin,
les Espagnols lui ayant promis respectivement de lui
rendre Tun et Tautre, après qu'ils en saroient ea pos-
session. Quant au château, il se rendit aux Eq>agnols,
le même jour qu'ils entrèrent dans la ville, par la Udi^
et trahison du commandant, quoique fort bon, flanqué
de quatre masses de tours, bon fossé à fond de cuve,
fort large et profond, avec de bonnes demi-lunes. Les
Espagnols, en étant les maîtres, aussi bien que de la
ville, attaquèrent facilement la citadelle par ce o6té-là.
La nouvelle en étant arrivée à la Cour, H. de Quinoé
fut conunandc, avec les troupes du Roi qui étoient
de delà les monts, de tenter pour secourir Casai.
Madame Royale y ayant joint son armée, la place fîit
branche de Nevers, et de Marie de Gonztgue, dernière héri-
tière de la branche aînée de Mantoue. Son père étant mort en
1631, il succéda directement, en 1637, à son grand-père,
Charles P' de Gonzague-Clèves, duc de Nevers et de Rethel, et
épousa, en 1649, Isabelle-Claire d'Autriche, fille de FarcliidQC
Léopold.
1 . lesquels les ayant solUcitéSy c'est-à-dire : Us éigenU ayant
sollicité la Reine et le Cardinal^ dont il va être question.
1653] MÉMOIRES DE SOUVIGNY. 255
rendue auparavant qu'ils l'eussent approchée. M. de
Saint-Ange*, parmi beaucoup de désordre [qui] y
arriva, fit une bonne action : car il ne la voulut point
remettre au marquis de Garacène, mais seulement
aux Montferrains, commandés par uù parent du duc
de Mantoue, dont le marquis de Garacène en fut
disgracié de l'Espagne, au lieu de l'espérance qu'il
avoit d'être fait grand d'Espagne après cette conquête,
encore bien que les Espagnols eussent publié par
toute l'Italie qu'ils ne l'avoient entreprise que pour
les délivrer des François et rendre Casai à Son Altesse
de Mantoue.
Quoi qu'il en soit, sitôt que la Reine et M. le Cardinal
furent avertis de la prise de Casai, ils envoyèrent
M. duPlessis-Besançon, gouverneur d'Âuxonne, à M. de
Mantoue, auquel ayant fait connoître le sentiment de
la Cour de cette dernière action, qu'on accusoit d'ingra-
titude, y ajoutant quelques menaces, Son Altesse de
Bfantoue en fut tellement irritée, qu'après le départ
de M. du Plessis, elle^ commença à négocier fortement
avec les Impériaux et Espagnols pour s'en assurer
contre le Roi. Quelques-uns passoient plus avant en
disant que c'étoit pour remettre Casai au roi d'Es-
pagne. Sur quoi, j'eus ordre du Roi d'aller trouver
le duc de Mantoue, petit-fils de M. de Nevers, et [qui]
avoit hérité des états de Mantoue et Montferrat, qui
ne tombent point en quenouille ; et, pour mieux les
assurer à son fils, il lui fît épouser la fille unique de
1. a N. de Saint-Ange étoit lieutenant de roi à Casai iorsqu*oa
lui accorda le grade de maréchal de camp par brevet du
16 juillet 1650. o (Chronologie militaire de Pinard, t. VI, p. 280.)
2. U y a i7 dans le texte.
256 MÉMOIRES DE SOUVIGNY. [1653
Vincent, dernier duc de Mantoue^ et de leur mariage
est issu le duc d'à présent, qui est aujourd'hui en
paisible possession des deux États de Mantoue et de
Montferrat, à la réserve des villes et terres de partie
du Montferrat dont le duc de Savoie jouît confina
mément au traité et ajustement de Quérasque, con-
firmé à Munster^. Que s'il est des premiers potentats
d'Italie, il est aussi des grands seign^irs de France
par le moyen des duchés de Nevers^, Mayenne et
Aiguillon^, et de quantité d'autres terres considérables.
Pour revenir à mon discours, Son Altesse de
Mantoue m'ayant envoyé un de ses gentilhommes
avec une lettre fort civile du zèle qu'il avoit pour le
Roi, et qu'il m'attendoit avec impatience, je pris congé
de M. de Quincé. MM. du Monceau^ et de la Grange
1. Charles II de Gonzague, fils de Charles I*', épousa Marie
de Gonzague^ fille unique^ non de Vincent U, mais de Fran-
çois IV, duc de Mantoue, et de Marguerite de Savoie. Fran-
çois IV, mort en 1612, eut pour successeurs son firère Ferdi-
nand, et ensuite Vincent II, qui mourut en 1626. Ni Tun ni
Tautre n*eut d*enfants.
2. Traité de Westphalie, qui se composa de deux parties,
rédigées, Tune à Munster, Tautre à Osnabriick, mais qui forent
signées toutes deux^ le même jour, à Miinster, le 24 octobre
1648.
3. Les duchés de Nevers et de Rethel étaient entrés dans la
maison de Gonzague par le mariage d'Henriette de Glèves,
héritière de sa maison, avec Louis, prince de Mantoue, père de
Charles I" de Gonzague.
4. Les duchés de Mayenne et d'Aiguillon étaient venus à
Charles P' de Gonzague par sa femme, Catherine de Lorrainei
fille du duc de Mayenne, qu'il épousa en 1599.
5. N. Piochon, sieur du Monceau, que Souvigny appelle plus
loin du Monceau Tainé et qui était lieutenant dans la compa-
gnie de cavalerie de M. de Quincé, fut tué au siège de
4653] MÉMOIRES DE SOUVIGNY. 257
me voulurent accompagner. Étant près de Moncal[ve],
je rencontrai M. de Bascapel, qui en étoit gouverneur,
qui m'y reçut et traita de la part de Son Altesse, et, le
lendemain, m'accompagna jusqu'à Casai, au logis de
M. le marquis MossoS qui avoit été préparé pour moi
et paré de superbes meubles du duc, qui avoit
envoyé ses officiers pour me traiter, et [ils] avoient
mis un dais à la salle et un autre à la chambre. Environ
une heure après mon arrivée, M. le marquis de la Val*,
premier ministre de Son Altesse, me vint faire civilité
de sa part.
Son Altesse, qui logeoit dans le château de Casai,
m'ayant parfaitement bien reçu, je lui rendis la lettre
du Roi et lui dis sonmiairement le sujet de mon voyage,
sans entrer plus avant en matière pour cette première
audience.
A la seconde, je m'étendis davantage, le sens de
mon discours étant pour lui faire entendre que, s'il
recherchoit les bonnes grâces du Roi après ce qui
s'étoit passé, il les pouvoit espérer, et que l'assuré
moyen de les posséder étoit d'ôter pour jamais l'espé-
rance aux Impériaux et Espagnols d'avoir Casai, et que
Sa Majesté le protégeroit, et tous ses États, envers et
contre tous, conmie elle avoit fait par le passé.
Il me répondit avec beaucoup de respect et de civi-
lité pour le Roi; mais ce fut seulement en termes
Valence. Voy. année 1656. Il était fils de Jean Piochon, de
Jargeau.
1. Le marquis Mosso avait déjà logé du Plessis-Besançon la
même année. (Mémoires de du Plessis-Besançon, p. 347.)
2. François Roland, marquis délia Valle, chevalier de Tordre
du Rédempteur, premier ministre du duc de Mantoue, mourut
en 1663.
U 17
258 BfÉMOIRES DE SOUVIGNT. [1653
généraux, sans me répondre posîtÎYement sur TaChire
de Casai, et, comme j'y avois beaucoup d'amis qui
me donnoient les avis, j'appris que le Padre GoOasson,
un sénateur de Milan, avoit eu de secrètes cooféreDoes
avec M. de Mantoue. Je lui dis que si le Roi savoît
qu'il y eût intelligence avec eux, Sa Majesté serdt fort
offensée. Il me répondit qu'il étoit vrai qu'il avoit eu
quelque pourparler avec eux, mais qu'il avoit entifane-
ment rompu pour ne pas déplaire au Roi. Son Altesse
m'ayant fait l'honneur de me donner le bal, et d'agréer
que je lui pusse parler librement à la promenade à
cheval, et, les soirs, à la conversation diez M** la
comtesse Mercurin*, qu'il aimoit, j'eus tout loisir de
l'entretenir, et avec plus de facilité qu'aux audiraces
réglées. C'est là qu'il s'ouvrit entièrement à moi, se
plaignant de l'armée du Roi, qui avoit ruiné partie du
Montferrat, et du pillage de Nice-de-la-PaiUe^. Je lui
répondis que je savois bien [que], quelque bon ardre
qu'on puisse observer, Ton ne sauroit empêcha* une
grande armée de faire du mal en un pays où elle fait
un long séjour, que le pillage de Nice-de-la-Paille s'est
fait à rinsu de M. de Quincé, qui s'étoit lors logé avec
1. Elle pouvait être nièce ou belle-sceor de Jeanne Mercu-
rino d*Arborio, fille de Charles-Antoine Mercurino, marquis
d'Arborio-Gattinara, qui épousa Emmannel- Philibert -Hya-
cinthe de Simiane, marquis de Pianesse, en 1631.
2. On lit dans le Mémoire historique de la vie iTtui fàntasm
de vingt^inq ans de service^ par Ch. Saverat, officier an ri-
ment de Lyonnois : « En Tannée 1652, nous passâmes ai Pié-
mont, commandés par le marquis Ville, et la campagne se
passa à manger le Montferrat, pays appartenant an duc de
Mantoue, rempli de toutes sortes de vivres, et à fidre saater
une tour à la Roque et piller Ponsson et d*antres boargs oi
nous étions à discrétion » (p. 14).
1653] MÉMOIRES DE SOU VIGNY. 259
l'armée à Castelnove^ Brusa-, et autres terres impé-
riales voisines, pour soulager le Montferrat. G'étoit
des cavaliers et soldats de l'armée qui s'étoient
débandés, lesquels il en avoit fait punir et fait res-
tituer aux habitants de Nice ce qui s'étoit pu trou-
ver dans l'armée qui leur appartenoit.
Cinq ou six jours après mon arrivée à Casai,
j'appris [que], au lieu de suivre la route que l'armée
devoit tenir, quelques troupes s'en étoient détachées
et logées dans le Montferrat. Je fus bien aise de pro-
fiter [de] ces occasions de les en faire déloger, pour
conmiencer à faire paroitre à Son Altesse mon désir
de soulager son pays, m'assurant bien que M. de
Quincé ne me refuseroit pas le délogement. Son Altesse
m'ayant accordé d'y aller, je pris avec moi MM. du
Monceau, de la Grange et Roche, avec deux gardes
et un trompette de Son Altesse, à toutes bonnes fins.
Toutes les troupes étant entièrement hors du Mont-
ferrat, je m'en allai à Quatorze', petit village à
deux milles de Felissan. Nous en partîmes le len-
demain, que toute l'armée passa le Taner à la Roquette,
d'où nous écrivîmes amplement à la Cour.
Je ne veux omettre qu'en chemin faisant, étant par-
tis longtemps après les troupes, nous rencontrâmes
un soldat étendu sur le dos d'un fossé, à qui M. de
Quincé demanda ce qu'il y faisoit : c J'ai le flux de
sang. Je ne puis marcher. J'attends quelque secours,
ou qu'il vienne quelques paysans pour m'emmener
conmie ils ont fait plusieurs de mes camarades. Je
1. Castelnuovo-Bello, arr. d*Acqui.
2. Il s'agit peut-être de Bruno, arr. d^Acqui.
3. Quattordio, arr. et prov. d'Alexandrie.
260 MÉMOIRES DB SOUVIGNT. [16S3
me suis bien préparé à la mort. — Et comment? lui
fit M. de Quincé. — Je me suis confessé moi-même en
m'examinant sur les conmiandements de Dieu. > La
résolution de ce garçon nous ayant fait compassion,
M. de Quincé le fit prendre, tout sale et puant qu*il
étoit, et le fit mettre en croupe derrière lui^ et, quand
nous filmes arrivés au village du Sise^, dépendant du
Montferrat, il le reconmianda au podestat du limi, qui
nous promit d'en avoir soin.
Le même jour, les deux armées passèrent le Taner
à la Roquette, d'où nous écrivîmes amplement à la
Cour, M. de Quincé et moi, qui l'ayant sollidté de
décharger le Montferrat et porter la guerre dans le
pays du Milanois, iP se résolut, avec M. le marquis
Ville, d'attaquer la ville de Serravalle^. Pour cet effet,
les deux armées allèrent loger aux villes environnant
Guiard^ Il en fut détaché un convoi pour aller à
Gourtiselle^ et Montalde^ prendre les vivres et muni-
tions que le convoi d'Âste y devoit conduire. Je me
prévalus de cette occasion pour mon retour à Casai,
et, ayant dit adieu à MM. de Quincé et de Ville, je
m'acheminai à Gourtiselle et surpris le château, dont
le seigneur du lieu, qui étoit Montferrain, étant bien
étonné, je le rassurai bientôt après, et ne voulus pas
qu'il y entrât que deux ou trois oflSciers avec moi.
J'envoyai la cavalerie à Montalde, à la résorve de six
1. Incisa-Beibo, arr. d*Acqui, prov. d* Alexandrie.
2. //, c'est-à-dire : M, de Quincé.
3. Serravalle-d'Asti, arr. d*Asti, prov. d'Alexandrie.
4. Ghiare, aujourd'hui faubourg nord-ouest d'Incisa, sur la
rive droite du Belbo.
5. Corticelle, aujourd'hui Gortiglione, arr. d'Acqai.
6. Montaldo-Scarampi, arr. d'Asti.
4653] MÉMOIRES DE SOUVIGNY. 26i
cavaliers dont je me servois pour m'y accompagner,
après que j'eusse fait convenir le gentilhomme de
Gourtiselle de bailler quelque vin aux soldats, et que
le capitaine qui leur conmiandoit eût promis d'em-
pêcher le désordre.
La cavalerie qui se présenta au château de Montalde,
qui est terre d'Empire, n'y ayant pas été reçue, je
la trouvai dans le village, où le comte Osas de Verrue
étant arrivé avec le convoi d'Aste, que je fis remettre
au commandant de celui qu'il devoit conduire à l'ar-
mée, je m'en allai en Aste dîner à l'Ours, pour éviter
la cérémonie et gagner temps, ne doutant pas que
M. Royer, qui en étoit gouverneur et mon ami intime,
ne m'y voulût traiter. Aussi me vint-il trouver à mon
logis pour m'en prier, et fut si fâché de n'avoir pas été
averti de mon arrivé à temps, qu'il fit metti^e en prison
l'officier de la garde de la porte. Ayant dîné, je pris
congé de M. Royer et envoyai à M. de Mantoue l'un de
ses gardes, le priant me faire attendre à la porte de
Casai, où j'arrivai le même jour sur les trois heures
de nuit, ayant fait une fort grande journée.
Le lendemain, après avoir rendu compte de mon
voyage à Son Altesse, qui fut bien satisfaite de ce que
le Montferrat étoit déchargé des armées, je la suppliai
me débarrasser de la prodigieuse quantité des offi-
ciers auxquels elle avoit ordonné de me servir de tant
de cérémonies, spécialement de ce que les estafiers*
mettoient un genou en terre me donnant à boire, de
faire retrancher la profusion de vivres, et point de
seconde table, qu'il suffisoit d'une pour moi et ceux
1. En Italie, Testafier était un domestique armé et portant
manteau.
262 MÉMOIRES DE SOUVIGNY. [16S3
qui y mangeoient, et d'une pour les soldats. me
répondit que tout cela étoit peu de chose au req>ect
qu'il avoit de bien traiter ceux qui appartenoient au
Roi, et particulièrement la personne qu'il estimcHt
conmie moi. Nous en demeurâmes là pour lors; mais,
deux jours après, je lui dis nettement que je m*en irais
loger à l'hôtellerie s'il n'accordoit ma prière. Sur quoi,
me l'ayant promis, il ne me laissa que sept ou huit offi-
ciers pour me servir, sans pourtant rien diminuer de
l'abondance et politesse de ma table, ni du bon trai-
tement des valets, faisant toujours tenir prêt un car-
rosse à la porte de mon logis, aux heures qu*on pou-
voit avoir de besoin pour l'aller trouver, ou rendre
les visites qui m'avoient été faites par plusieurs de
mes amis de la ville.
Ayant été averti que les Espagnols bailloient tous les
mois, régulièrement, quatre mille écus à Son Altesse
pour lui aider à faire subsister sa garnison, je lui dis
librement que le Roi le trouveroit fort mauvais, que
cela étoit indigne d'un grand prince conune lui, qu'il
pouvoit bien espérer incomparablement d'autres se-
cours de Sa Majesté, qu'il avoit souventes fois envoyé
tout d'un coup des voitures de sept ou huit cent mflle
livres dans Casai, dont les habitants et ses sujets de
la campagne s'étoient enrichis, que les Espagnols ne
le vouloient ni mort ni vif, mais languissant, privé de
l'assistance de France, et en état qu'il ne se puisse
défendre quand ils voudroient attaquer Casai.
Son Altesse, sur ce, répondit qu'elle n'avoit jamais
rien pris des Espagnols et ne le feroit pmnt à l'avenir;
(]u'il étoit vrai qu'elle reçût tous les mois quatre mille
écus, mais que ce n'étoit point l'argent des Espagnds
1653] MÉMOIRES DE SOUYIGNY. 263
ni d'autres personnes que de sa sœur l'Impératrice ^
qui savoit qu'elle en avoit besoin et l'assistoit de son
propre bien, sans même que l'Empereur en eût con-
noissance; qu'elle ne croyoit pas que le Roi en fût
offensé ; que, si cela étoit, elle feroit son possible à se
mettre en état de s'en passer. Par plusieurs fois, elle se
mit sur le discours des vieilles prétentions de M. de
Nevers, son grand-père, pour des vaisseaux qu'il avoit
remis au feu Roi : à quoi je répondois toujours que la
longueur du temps avoit pu prescrire l'hypothèque ;
que toutefois il pouvoit espérer de la bonté et équité
du Roi bonne justice quand il auroit étabU son droit
auprès de Sa Majesté. Mais son plus grand grief, et
qu'il avoit toujours sur le cœur, c'étoit l'aliénation des
villes et terres du Montferrat, qui avoient été adju-
gées au duc de Savoie par le traité de Quérasque,
qu'il prétendoit avoir, disant que cela s'est fait sans
qu'il y eût personne des siens ni ses prédécesseurs,
qui n'y ont jamais consenti ni ratifié ledit traité.
Je répondis qu'alors qu'il fut conclu par les ambas-
sadeurs et plénipotentiaires des princes potentats et
républiques de la chrétienté avec le nonce du Pape,
Son Altesse étoit encore au berceau, l'Empereur en
possession de la ville et pays de Mantoue, le duc de
Savoie maître de Trin, d'Albe et de toutes les autres
terres du Montferrat qu'il avoit prises par une guerre
de plus de quarante ans^ ; et, sur ce qu'il disoit que le
duc de Savoie avoit entrepris cette guerre pour avoir
1. Élëonore de Gonzague, sœur du duc de Mantoue, avait
épousé Terapereur Ferdinand m.
2. Il y a dans le texte : par une guerre rayant de plus de
quarante ans.
264 MÉMOIRES DB SOUVIGNT. [1653
la dot de la princesse Mai^erite^; que, son droit
[n'Jétaiit fondé que pour une somme d'ai^jrat, il
n'étoit pas juste qu'il retint pour cela une partie do
Montferrat; qu'au pis aller on ne le pouvoit doliga^
qu'à le payer : sur quoi je répondois que le l<»ig
temps et la longue guerre avoient changé la nature de
la dette, et qu'enfin, le traité ou ajustement de Qpé-
rasque ayant été confirmé par celui de Mttnstw, il
n'avoit pas raison de venir à l'encontre.
Là-dessus, il touchoit le point essentiel, sadiant fort
bien que le Roi avoit promis au duc de Savoie de le
maintenir, envers et contre tous, en possession des-
dites terres de Montferrat, par le traité particulior ai
vertu duquel le duc remit Pignerol à Sa Majesté. Son
Altesse disoit donc que, toutes les fois qu'elle «ivoya
demander lesdites terres au duc de Savoie, il avwt
répondu que ce n'étoit point son affaire, mais bien
celle du Roi, son garant.
Je répondis : c Quand cela seroit ainsi, le Roi n'au-
roit fait autre chose que confirmer à son égard le
traité de Quérasque, auquel le Pape, l'Empereur, le
roi d'Espagne et les autres potentats de la chrétienté,
dont les plénipotentiaires ont fait ledit traité, y sont
aussi bien obligés que Sa Majesté; qu'il se pratique
même, entre les particuliers qui ont eu affaire
ensemble, d'énoncer dans les actes, transactions, oUi-
gations ou autres instruments qu'ils se font du dqiuis,
d'y énoncer, [dis-je,] les droits qu'ils peuv^it avoir
l'un sur l'autre pour ne pas déroger à leurs andomes
hypothèques. C'est ce que le duc de Savoie a désiré
que le Roi ait pratiqué en ce rencontre, oonune fl a
1. Voy. t. I, p. 11, note 3, et p. 182, note 1.
4653] MÉMOIRES DE SOUVIGNY. 265
fait, sans que Ton puisse dire que Sa Majesté se soit
prévalue, en cette occasion, d'autre chose que de son
argent, ayant chèrement acheté et payé au duc de
Savoie la souveraineté de Pignerol, tasse ^, taille et
tout autre revenu qu'il en tiroit, les nouvelles forti-
fications de la place, l'artillerie, munitions et ce qui
étoit dedans ; et, quand ainsi seroit-ce que non, que
le Roi auroit plus fortement appuyé l'intérêt du duc
de Savoie à lui conserver lesdites terres du Montfer-
rat par le traité de Quérasque que les autres princes.
Son Altesse [doit être] bien loin d'y trouver rien à
redire : je m'assure qu'elle se représentera incessam-
ment l'obligation qu'elle a au Roi d'avoir abandonné
son royaume pendant qu'il y avoit une grande guerre,
passé les Alpes au cœur de l'hiver, défait l'armée du
duc de Savoie, qui s'y étoit opposée, et consommé des
milliers d'hommes, et millions d'or et d'argent, pour
lui sauver les États de Mantoue et Montferrat, sans
autre motif que la satisfaction de protéger son allié. Je
ne doute pas que la plus grande joie de Votre Altesse
ne soit de témoigner à Sa Majesté la reconnoissance
qu'elle en a, et lui persuader qu'elle ne veut avoir
aucune intelUgence avec ses ennemis, afin de l'obliger
à la continuation de sa protection. »
Nous tombions souvent sur ce discours. Le duc
avouoit de bonne grâce les obligations qu'il avoit à la
France, mais qu'elles seroient beaucoup augmentées, si
Sa Majesté lui faisoit rendre ses terres du Montferrat :
à quoi je répondois toujours que le Roi ne pouvoit
contrevenir au traité de Quérasque.
Le duc de Mantoue, qui alors pouvoit avoir vingt-
1. Tasse, de Titalien tassa : taxe, impôt.
266 MÉMOIRES DE SOUVICHCT. [1653
cinq ans, étoit de fort belle taille, plus haute que
moyenne, poils châtains, les traits du visage bien fidts
et le teint délicat, adroit et dispos en ses exatôces. U
entendoit bien l'histoire et la carte, composoit en vers
et en musique, fort honnête et civil en ses discours.
G'étoit dommage qu'il ne fût occupé en affiiires dignes
d'un grand prince, où il auroit fort bien réussi; mais,
étant devenu amoureux, la maîtresse de son cœur
étoit sa plus chère pensée. M*"* la dudiesse, sa feouneS
qui ne le pouvoit ignorer, faisant souventes fois éda-
ter sa jalousie, les mettoit en désordre. Elle est de
la maison des princes d'Autriche. Son menton est un
peu long et avancé, comme sont la plupart de ceux
d'Autriche. A dire la vérité, elle n'est pas des plus
belles, mais fort sage et vertueuse.
Mon assiduité auprès du duc, que je voyois j^u-
sieurs fois par jour, ne m'empêchoitpas de veiller sur
l'état des ennemis et d'en avertir M. de Quineé, spé-
cialement lorsqu'ils eurent fait leurs ponts de bateaux
sur le Pô, à Valence, après la feinte de le vouIcmt éta-
blir à Pont-de-Sture, pour nous ôter la connoissanoe de
leur dessein; mais je ne doutois pas que ce ne fU en
intention de couper le chemin à M. de Quinoé, qui
avoit pris la ville de Serravalle, sur la Scrivia, sans
dessein d'attaquer le château, ne le pouvant fidre. Il
reçut mes avis si à propos, qu'il eut tout loisir de se
retirer, et son année d'emporter son butin de Serra-
valle. Je n'épai^nai pas l'argent pour ces cboses-li.
Je me servois d'un Juif, et quelquefois d*un habitant
de Casai, sans qu'ils sussent en rien l'un de Tautre, et
1. Voy. p. 253, note 2.
1653] MÉMOIRES DE SOUVIGNY. 267
je les faisois secrètement partir de Gasal, où les enne-
mis ne manquoient point d'espionner.
Je remarquai une chose fort considérable : c'est que
le Pô étoit tellement retiré de l'autre côté de Casai,
qu'il laissoit un grand espace entre la ville, qui avoit
été négligemment fortifiée par cet endroit, qu'on esti-
moit être en sûreté par le moyen du Pô. La muraille
n'étant flanquée que de petits tourillons, et le fossé
mauvais, l'on pouvoit facilement s'y avancer en tirant
une ligne au-dessus de Casai, à l'extrémité de la ville,
près l'angle flanqué du bastion des Quatre-Vents. Cet
endroit enfoncé, étant couvert du château, ne peut
être vu de la citadelle, ni d'aucune autre partie de la
ville, que de ce qui est contenu entre ledit château et
ledit bastion des Quatre-Vents, qui est à l'extrémité de
la ville, du côté du Pô, et par conséquent vu du châ-
teau. Outre le danger qu'il y a pour la ville, elle reçoit
une grande inconmiodité de cet éloignement, le com-
merce en étant plus difficile. L'on y pourroit faire
repasser le Pô aussi facilement qu'il en a été détourné
par la petite réparation que M. Le Camus, l'un des
meilleurs ingénieurs de notre temps, y fit faire après
un grand débordement du Pô, qui fit un grand dom-
mage à la ville, au bastion des Quatre-Vents.
Cette réparation se fit avec de grands gabions remplis
de cailloux, qu'il fit poser, environ demi-mille au-des-
sus de Casai, de la même manière que l'on fait en Dau-
phiné [et] en Savoie pour détourner les torrents qui
se précipitent dans les vallons, sans s'opposer au fil
de l'eau, et la détourner de loin peu à peu. Quand les
gabions sont bien posés et tiennent bien, les pre-
mières crues, qui en arrivent en après, remplissent de
268 MÉMOIRES DE SOUVIONT. [1653
sable, de cailloux ou de limon Tintarvalle qui reste
entre les gabions et la terre ferme. Bref, si Ton ne
fait retourner le Pô le long des murailles de Casai ou
une meilleure fortification, la ville sera toujours mau-
vaise de ce côté-là.
Je ne manquois d'ordinaire d'avertir la Cour de
ma négociation, dont l'on me faisoit connottre d'être
satisfait, de sorte que j'aurois eu sujet d'être bien cûd-
tent, si l'on m'eût envoyé de l'aident qu'on m'avoit feit
espérer pour mon voyage.
En ce temps-là, je fus averti que le duc faisoit état
de bientôt partir de Casai pour Hantoue, dont j'aver-
tis la Cour et demandai ce que j'avois à faire, savoir
si on m'ordonneroit de le suivre ou demeurer à Casai,
en cas qu'il l'eût agréable, ou prendre congé de lui et
me retirer à la citadelle de Turin. Il me fut r^[>ondu
de ne pas aller à Mantoue, de pressentir si le duc me
voudroit souffrir à Casai, sinon de me retirer, ayant
pourtant un pont pour repasser vers lui, s'il en ^it
besoin.
J'avois déjà reçu mon ordre, quand le duc me dit
lui-même son dessein, et, sans lui faire connoltre celui
de la Cour, je lui demandai ce qu'il me voudroit ordon-
ner en ce rencontre. H me dit qu'il seroit marri de
me donner la peine d'aller à Mantoue, n'y ayant pcMnt
d'affaire qui m'y pût obliger, et, sur ce que je lui pro-
posai de demeurer à Casai, il s'émut un peu, en me
disant pourtant civilement qu'il n'y avoit pas appa-
rence qu'un oflBcier d'armée conmie moi y demeurât
en son absence : si bien que je me pr^[>arai à prendre
congé de Son Altesse quand il partiroit pour Mantoue.
Cependant, je ménageai le temps le mieux qu'il me
i653] MÉMOIRES DE SOUVIGNT. 269
fut possible pour insinuer la bonne volonté du Roi en
son endroit, et qu'il fit connoltre par ses actions à
Sa Majesté qu'il n'auroit aucune correspondance ni
traité avec les Espagnols, et le persuadai fort d'aller
lui-même à la Cour, croyant qu'il y recevroit beau-
coup de satisfaction. Il me le promit et l'effectua l'an-
née d'après, ainsi que je dirai en son lieu, et nous
accorda ses villes et bourgades pour entrepôt de nos
vivres, artillerie et munitions de guerre, et des bateaux
pour passer les fleuves et rivières de ses États, savoir :
le Pô, le Taner, le Belbe*, la Bormida et la Sesia, qui
sépare le Montferrat entre la Motte et la Viilatte*. Je
ne parle point des petites rivières de Stura, Verse,
Grana, Ourba^, qui sont presque toujours guéables^.
Méditant mon départ, j'aurois désiré faire des pré-
sents aux officiers de M. de Mantoue, qui m'avoient si
1. Le Belbo^ a£Buent de droite du Tanaro, se jette dans cette
rivière en amont d'Alexandrie.
2. Motta-de-Conti et Villata, arr. de Verceil, prov. de
Novare.
3. La Stura se jette dans le Pô, rive droite, à Pontestura; la
Versa dans le Tanaro, rive gauche, en aval d'Asti; la Grana
dans le Pô, rive droite, en amont de Valence; TOrba dans la
Bormida, rive droite, en amont d'Alexandrie.
4. Dans les Instructions données aux ambassadeurs, il est dit
(t. II, p. 186) que, succédant à la mission de M. du Plessis-
Besançon, qui prit fin au milieu de Tannée 1653, une nouvelle
mission, confiée en 1654 à Simon Arnauld, futur marquis de
Pomponne, produisit d'heureux résultats, et qu'un traité fut
conclu à Casai le 3 juin 1655. Il convient de restituer à la mis-
sion de M. de Souvigny la place qu'elle comporte : c'est-à-dire
la deuxième partie de l'année 1653 et le commencement de
1654, entre les missions de du Plessis-Besançon et de Simon
Arnauld.
270 MÉMOIRES DE SOUYIGNT. [1653
bien traité; mais, n'ayant eu aucune assistance de la
Cour, je mesurai mon petit pouvoir sur ce qu'il me fal-
loit pour la dépense de mon retour, et leur donnai le
surplus.
Je pris donc congé du duc de Blantoue, le jour
même qu'il partît de Casai, et m'en allai loger à Mon-
calve, où je fus traité de sa part. De là, je pris la
route de Turin avec M. de Roche et mes gens. MM. du
Monceau et de la Grange, qui m'avoient acconqfMigné
à Casai, s'en retournèrent à leur chaîne à l'armée.
Étant arrivé à la citadelle de Turin, j'y trouvai
presque tous les officiers et soldats malades de fièvres
malignes qui en faisoient mourir quantité, œ qui
m'obligea d'avertir promptement ma fenune de n'y
point venir, étant pour lors à Aix-en-Savoie, où elle
prenoit les bains; mais, quelque instance que je lui
puisse faire, ajoutant même des défenses à mes prières,
il me fut impossible de l'empêcher de venir. J'en fiis
pourtant consolé quand elle fut arrivée, dans l'espé-
rance qu'elle seroit mieux servie avec moi, dans la cita-
delle, qu'en tout autre lieu, du mauvais effet de ses
bains dont elle étoit fort incommodée. Elle fui gué-
rie et entièrement remise en quinze ou seize jours.
J'avois une recrue, à Longes, des fils des plus riches
de la paroisse, qui nous aimoient, aussi bien que leurs
pères avoient de toute ancienneté grand respect pour
MM. du Chol, prédécesseurs de ma femme, qui les
protégeoient en tout rencontre. C'est pourquoi je bail-
lai congé à plusieurs pour les sauver en cette maladie
populaire. Il me semble qu'il y en eut un qui fut si sur-
pris de la joie d'avoir son congé, qu'il en mourut.
Le lendemain que je fus arrivé à la citadelle, j'écri-
i653] MÉMOIRES DE SOUVIGNY. 27i
vis à la Cour ce qui s'étoit passé en ma retraite d'au-
près le duc de Mantoue. Son Éminence me fit réponse
qu'elle étoit bien contente de ma conduite, avec de
belles espérances de récompenser mes services, et
point d'argent de mon voyage, dont je n'ai jamais
rien eu.
Madame Royale, qui me traita fort honorablement
à mon retour, ayant, à son ordinaire, parfaitement
bien reçu ma fenune, lui envoyoit toujours quelques-
uns des siens la prier à tous les bals et ballets qu'elle
donnoit. Elle ne trouvoit pas mauvais qu'elle s'en
excusât, quoique Madame eût reproché à une dame
de haute qualité qui en avoit voulu faire de même,
qu'elle lui avoit fait trop d'honneur, laquelle en aver-
tit ma femme pour éviter pareils inconvénients. Elle
l'en remercia bien, sans changer sa conduite, qui ne
fut pas blâmée par Madame Royale, laquelle lui don-
noit rendez-vous aux Carmélites, toutes les fois qu'il
lui arrivoit quelque affliction extraordinaire, pour s'en
consoler avec elle comme une personne prudente en
qui elle avoit grande confiance*. Il est vrai que je ne
crois pas qu'il y ait eu au monde personne plus
capable qu'elle d'en consoler une autre dans son afflic-
tion, étant toute remplie de bonté, de complaisance
et de sentiments de dévotion et de générosité. Elle
m'a dit que, quelquefois. Madame Royale entendoit
aux Carmélites jusqu'à quatre ou cinq messes les unes
après les autres, les genoux sur le pavé sans carreaux,
fondant en larmes.
M. de Servien, ambassadeur près de Madame
1. Voyez ci-dessus, p. 165.
272 MÉMOmBS DB SOUVIGNT. [i654
Royale, fut aussi bien aise de mou retour. Peut-^re
faisoit-il plus que je ne croyois envers M. de Servien,
surintendaDt des Fioanœs, son frère, oomme inten-
dant de k justice, police et finances de Tamiée d'Italie.
Quoi qu'il en soit, la gamis<m n'étoit point payée, ni
moi remboursé de mes avances, non plus que nx»
frère de Belmont de celles qu'il avoit faites à la garni-
son en mon absence, ni de remboursements d'avoir
fait remonter sur leurs affûts la plupart de l'artillerie
et fortifié la garnison à ses dépens, lorsque l'armée
d'Espagne vint à Moncalier, sans que l'on sftt si
c'étoit pour attaquer la citadelle de Turin ou Pigne-
rol, que M. le prince Thomas couvrit, par le logemrat
qu'il fit à Vinove^ avec les troupes qu'il put rassem-
bler. Il est à croire que le bon ordre qu'avoit mis
mon frère à la citadelle de Turin l'empêdia aussi de
faire aucune tentative. La maladie y ayant cessé à la
fin de l'automne, nous y passâmes l'hiver assez agréa-
blement. Les impressaires' qui foumissoient les usten-
siles à la garnison, par ordre de Madame Royale, s'en
acquittant mieux, sur la plainte que je lui en fis, que
par le passé, les officiers et soldats s'en trouvèrent
mieux aussi.
Nous conunençàmes heureusement l'année 465i.
Lorsque nous revenions de la messe de Notre-Dame,
\P s'approcha de notre carrosse un honmie de man-
1. Vinovo, arr. et prov. de Turin.
2. Soavigny francise ici le mot italien impreêano, entre-
prenear.
3. Il y a quil dans le texte.
i654] MÉMOIRES DE SOUVIGNY. 273
vaise figure et mal vêtu, [qui], s'avançant, me pré-
senta une lettre. Ma femme, qui a voit accoutumé de
lire toutes celles qu'on m'adressoit, pour ne point faire
voir ce qui me pouvoit fâcher, prit la lettre et,
n'ayant lu que le commencement, ne put s'empêcher de
soupirer en la fermant, et, comme je la voulus voir,
elle s'en défendit et me dit, à la fin, qu'elle me prioit
d'attendre à la lire que nous fussions dans une église.
Après avoir fait notre prière étant en celle de Notre-
Dame-de-Piasse^ je reconnus le caractère de M. de
Baudran, qui me donnoit avis de la mort de mon
frère de Champfort, tué au siège de Stenay^, en faisant
faire une batterie sur le bord du fossé, avec des efforts
extraordinaires pour donner contentement au Roi de
la voir tirer le lendemain^.
Je ne saurois exprimer la douleur que j'en eus. Ma
femme, qui se contraignoil [et] se faisoit une grande
1. Santa-Maria-della-Piazza, paroisse de Tarin.
2. 8 juillet 1654. Voy. t. I, p. 6, note 1. Stenay, ch.-l. de
cant., arr. de Montmédy, Meuse.
3. Stenay, qui était alors une des places détenues parle prince
de Condé révolté, fut assiégée par Fabert et prise le 6 août. Le
Roi, arrivant par Sedan, le 28 juin, était venu visiter les lignes
des assiégeants. Voy. le Maréchal Fabert, par J. Bourelly, t. II,
p. 45. On lit dans la Gazette, année 1654, p. 717 : « ... Qu*une
batterie d'onze grosses pièces avoit commencé le matin de ce
jour-là (9 juillet) et continué à jouer très rudement contre la
citadelle; mais que le sieur de Champfort, lieutenant général
de Tartillerie et qui commandoit l'équipage, avoit été tué, la
nuit précédente, d'une mousquetade dans Tœil, en faisant dres-
ser cette batterie sur la contrescarpe du fossé : d'autant plus
regretté de Leurs Majestés qu'il avoit rendu de grands services
au Roi en trente-six sièges, où il s'étoit trouvé pendant trente-
sept campagnes. »
II 18
274 MÉMOIRKS DE SOUVIGNY. [1654
violence pour me consoler, faiDit en mourir. Huit ou
dix jours après, que nous fîmes faire les obsèques de
feu notre frère à Notre-Dame-de-Piasse de Turin, et que
nous commendons à nous remettre et résoudre de
notre perte, il nous arriva un surcroît d'aSlictîoo, le
plus grand et le plus surprenant qui nous pouvait sur-
venir : ce fut la funeste nouvelle du décès de ma soeur
de Ghampfort, le même jour que naquit sod fils, qui
ne vécut que trois heures après avoir été baptisé,
son pauvre petit corps exténué, faute de nourri-
ture, par la langueur de sa mère, à laqudle il fiit
impossible d*en faire prendre depuis qu'dUe sut la
mort de mon frère, son mari, qu'elle ne survécut que
quinze ou seize jours, et mourut comme une sainte.
Il y avoit plus de sept ou huit ans que nous sollici-
tions mon frère de Ghampfort, ma fenome et moi, de
se marier. Elle auroit bien désiré que ce fitt été en
Lyonnois pour le voir plus souvent, ayant une ten-
dresse toute particulière pour lui, tant à cause de son
mérite [que parce] que je Faimois uniquement. Quoi-
qu'elle ni moi ne manquassions pas d'amitié pour mes
autres frères, celui-là étoit toujours prière et tenoit le
premier rang d'amitié parmi nous, à qui il avoit prtté
à plusieurs fois jusqu'à la somme de trente-neuf miUe
livres, que je lui ai rendue conformément à sa quitr
tance générale et comme il avoit reconnu.
Pendant l'espace de six ou sept ans qu*il voyoit
souvent M"® Anne de la Guierche, fille de M. de h
Guierche, chez M. Sanson^, trésorier des parties
1. Robert Sanson, secrétaire du roi, reçu le 13 juillet
1658 receveur général des consignations du Parlement, do
Châtelet et autres juridictions^ mourut en 1098. Il était Bb
i654] MÉMOIRES DE SOUVIGNY. 275
casuellesS son beau- frère, [et] qu'elle étoit per-
sonne de vertu et de mérite, il en devint amou-
reux et résolut de l'épouser, selon l'avis que je lui
en donnai, après qu'il m'eut fait connoltre son des-
sein, ayant une estime très grande pour son mérite et
l'affection qu'elle m'avoit témoigné avoir pour mon
frère, ayant refusé, pour l'amour de lui, un gentil-
honmie de Touraine qui avoit environ huit mille livres
de rente. J'étois à Paris lorsque cela arriva, ce qui obli-
gea d'autant plus mon frère à l'aimer. C'étoit une
demoiselle retirée, sage et honnête, qui s'occupoit
incessamment à des ouvrages dignes de sa qualité, ou à
la lecture, fort propre, complaisante et d'une bonté
extrême.
Enfin mon frère de Ghampfort nous écrivit l'agréable
nouvelle qu'il l'avoit épousée au mois de septembre
1653, dont nous eûmes grande joie, ma femme et
moi. D'abord elles contractèrent grande amitié par
leurs lettres, et l'on pouvoit dire par sympathie de leur
nom, toutes deux Anne, et par leurs inclinations natu-
relles, n'ayant jamais vu de personnes dont les humeurs
fussent si semblables en honnêteté, bonté et complai-
d'Antoine Sanson, marchand bourgeois, et de Marie Bordier,
et épousa en secondes noces Philippine Marchais, fille de Mar-
tin Marchais, écuyer, secrétaire du roi. On ne trouve pas le
nom de la Guierche dans les alliances des familles ci-dessus,
données au Cabinet des titres (Bibliothèque nationale). Il semble
que M. de la Guierche ait été plutôt parent de la première
femme de Robert Sanson, dont le nom n'est pas indiqué. [Dos-
sier bleu Sanson, n** 598.)
1. Les parties casuelles étaient des droits revenant au Roi
pour les charges de judicature ou de finances changeant de
titulaire. Maître Robert Sanson est aussi qualifié parfois tréso-
rier des requêtes, fermes et finances.
270 MÉMOIRES DE S0UVI6NY. [i654
sance. Mon frère, ayant retiré ma belle-sœur à son
beau logis du Petit Arsenal de Paris ^, le meubla par-
faitement bien, et, comme il avoit beaucoup d'amis en
ce quartier^là, et pour voisin M. Glapisson, contrôleur
général de l'artillerie^, il fut fort visité et félicité de
son mariage, et pouvoit vivre content et heureux de ce
que Dieu lui avoit donné une si bonne personne, s'il
eût voulu s'empêcher de retourner à l'armée, ou au
moins de ne pas s'exposer à toute heure, conune il
faisoit, et se conserver avec plus de soin ; mais Dieu,
disposant les choses, en ordonne à sa volonté. C'est à
nous à suivre ses inspirations et nous laisser conduire
à sa Providence.
1. L'Arsenal de Paris, construit au xvi* siècle derrière le cou-
vent des CélestinSy sur la rive droite de la Seine et en ùtce de
l'île Saint-Louis, destiné primitivement à la fonte des canons
et à la fabrication de la poudre, fut notablement augmenté sous
Henri IV et embelli sous Louis XIU et Louis XIV. L'établisse-
ment était divisé en deux parties : le Grand et le Petit Arsenal.
Le premier avait cinq cours, le second deux, et ik commoni-
quaient entre eux. Le grand maître avait ses appartements dans
le grand, le contrôleur général dans le petit. Voy. Tableau kU-
torique et pittoresque de Parisy par M*^, 1809, t. II, p. 525.
On trouve au Cabinet des titres de la Bibliothèque nationale
(Pièces orig., 1257, n® 28695) une quittance concernant Champ-
fort, résidant au Petit Arsenal, qui sera publiée à l'Appendice
dans notre troisième volume.
2. Pierre Clapisson (1601-1670), conseiller du roi, trésorier
général et contrôleur général de Tartillerie, fils de Pierre,
conseiller au Chàtelet, et de Marie Catin [Cabinet de» titrée,
dossiers bleus et carrés d'Hozier). Sauvai, qui mourat en 1670,
raconte que Clapisson, contrôleur général de l'artillerie^ avait
réuni une collection montant jusqu'à dix-huit cents jetons
d'argent, tous différents (Hist. des recherches et aiuiqmtés
de la iUle de Paris, t. II, p. 345).
1654] MÉMOIRES DE SOUVIGNY. 277
Il étoit assurément l'un* des hommes du monde de
la plus haute estime pour sa piété, sa valeur, sa capa-
cité en sa charge de lieutenant de l'artillerie, qu'il avoit
commandée en chef durant quinze campagnes. Il n'y
avoit point d'officiers d'armée plus entendus en leur
charge. Il avoit le jugement soUde, l'esprit pénétrant,
hardi à entreprendre de grandes choses et à les exé-
cuter généreusement ; et, comme il avoit si longtemps
assisté dans les conseils de guerre, il étoit parfaite-
ment instruit des fonctions d'officier d'armée et des
maximes générales et particulières, si bien que Mes-
sieurs les généraux n'entreprenoient guère de choses
d'importance sans lui communiquer.
Dès l'âge de six ans, il donna des marques de sa
résolution en se jouant avec d'autres enfants, qui furent
bien étonnés d'un coup de flèche qui lui donna au tra-
vers du corps. Il la tira lui-même, sans s'émouvoir ni
faire aucun semblant d'appréhension. Il apprit ses
premières lettres de M. le curé de Tigy*, qui étoit
capable d'instruire le fils d'un roi, aussi bien pour les
mœurs que pour la science, où mon père l'avoit mis en
pension et le voyoit souvent. Étant en âge de porter
les armes, il se mit au régiment des Gardes, en 16S2,
jusqu'à la fin du siège de Montpellier, qu'il se mit en la
compagnie de M. de Beauregard, notre oncle, dont
j'étois enseigne. Nous fîmes ensemble le voyage à Pont-
Sainte-Maxence, le reste de l'année 1 62Sl, et, au mois de
mars 1 623, on nous mit en garnison à Montreuil ^. 11 en
partit avec mon fi:'ère du Fresnay, que j'avois pris en
1. // estoit assurément fun : correction autographe.
2. Tigy, cant. de Jargeau, arr. d'Orléans, Loiret. $
3. Voy. t. I, p. 124.
278 MÉMOIRES DE SOUVIONT. [1654
passant chez feu Monsieur notre père pour tUer
apprendre à servir le Roi en Hollande dans la compa-
gnie de M. de Besque-Salvabery, qui étoit de nos
amis.
n n'y avoit guère plus d'un an qu'Us étoiaot par
delà, quand M. d'Estissac, notre mestre de camp, me
persuada de les faire revenir, par l'avis de M. le
cardinal de la Rochefoucauld S son oncle, qui disent
qu'ils ne pouvoient faire leur salut quand fls so^
viroient les Hollandois hérétiques contre le nn
d'Espagne catholique. Je les fis donc revenir, ei
trouvai qu'ils avoient grandement profité en leur
voyage. J'ai écrit ailleurs^ ce qui nous advint à Mon-
treuil, notre voyage au Pont-de-l'Ardie, et de là à
Péronne et à Brest, en Basse-Bretagne, d'où mon
frère de Ghampfort partit pour aller servir au nège de
la Rochelle en sa charge de conunissaire, que notre
oncle lui avoit fait avoir.
M. le marquis de Rosny, qui y faisoit sa charge de
grand maître de l'artillerie, auquel il s'adressa pour
lui donner de l'emploi, lui dit que l'état des officiers
étoit fait, qu'il étoit bien marri de ne le pouvoir
ajouter. Mon frère lui repartit qu'il le remerdoit très
humblement de sa bonne volonté, qu'il le supplioit à
lui continuer, qu'il prendroit patience en attendant
ses commandements ; et, après l'avoir fait jouer avec lui
par plusieurs fois, il lui donna une conunisaion, de
1. François de la Rochefoucauld (1558-1645), fils de Charles,
colonel de l'infanterie française, et de Fulvie Pic de la Mirtn-
dole, cardinal en 1607, grand aumônier de France en 1618,
abbé de Toumus et de Sainte*Genevièye de Paris.
2. Voy. t. I, années 1623 à 1627.
1654] MÉMOIRES DE 80UVIGNY. 279
laquelle s'étant acquitté à son contentement, le fit
mettre sur l'état, et, incontinent après, le préféra à
plusieurs anciens commissaires, lui donnant à com-
mander la batterie qu'il fit faire sur la digue.
Après le siège de la Rochelle fini, il eut d'autres
emplois dans l'artillerie, quand nous eûmes forcé le
Pas-de-Suse et pris Pignerol, où il fut fait lieutenant
de la compagnie de M. de Beauregard, notre oncle, au
régiment d'Auvergne, et ensuite capitaine, sans pour-
tant quitter sa charge de l'artillerie, ayant été établi
commissaire provincial de Pignerol ; et, conmie on fit
connoitre au Roi et à M. le Grand Maître de l'artillerie
combien il importoit qu'il y servit actuellement, il
eut ordre de s'y attacher définitivement. Pour récom-
pense de sa compagnie, il en eut une à disposer avec
M. de NestierS qui étoit aussi capitaine audit régiment,
que le Roi vouloit faire servir de maréchal de camp.
Ils en eurent chacun deux ou trois cents pistoles.
Du depuis ce temps-là, mon frère de Ghampfort
n'a pas quitté l'artillerie. Il a commandé fort long-
temps en Italie^, sous MM. les maréchaux de Créquy,
1. On lit dans la Gazette de France (année 1641, p. 1176)
que, le 12 novembre, au siège de Tortone, en Italie, le sieur de
Ghampfort, ayant fort bien fait à Tartillerie et étant venu visi-
ter le logement, fut renversé d'un coup de brique dans Testo-
mac. Le sieur de Nestier, aide de camp, y fut également
blessé. Le même de Nestier s'était déjà distingué et avait été
blessé en septembre au siège de Goni, la même année (p. 646
et 683). François-Paul de Nestier, lieutenant-colonel du régi-
ment d'Auvergne, sergent de bataille en 1640, devint maréchal
de camp en 1646.
2. La Gazette cite fréquemment les frères Gangnières parmi
les officiers qui se distinguaient à cette époque. Notons,
année 1641, p. 682, au siège de Ck)ni, 12 septembre : « Une bat-
280 MÉMOIRES DE SOUVIGNY. [1654
SOUS le commandement duquel il souffiit, avec une
constance non pareille et une patience de Job, la
brûlure, contusion et cicatrice qu'il avoit depuis la
plante des pieds jusqu'au sonmiet de la tète, ainsi que
j'ai dit plus amplement ailleurs^, de l'incendie des
poudres de Buby, de MM. de Toiras, de Yilleroy,
du Plessis, de Son Altesse Royale Virtor-Amédée
de Savoie, M. de Longueville, M. le cardinal la
Valette, M. de Caudale, M. le comte d'Haroourt,
M. le maréchal de Grancey, et autres généraux, qui
avoient beaucoup d'estime pour lui.
Il servit aussi plusieurs campagnes en Catalogne :
premièrement, sous M. le maréchal de la Hotte, où fl
perdit tout son bagage et tous ses chevaux de l'artille-
rie à la bataille de Lerida^; en après, sous M. le marédial
de Schônberg^, — [lorsjqu'il fit cette grande action,
dont il a été tant parlé, de l'ouverture que l'artillerie
fit aux murailles de Tortose^, que les ennemis qui
terie fut achevée par les soins de M. de Champfort, commis-
saire provincial, et des sieurs de la Mothe, son frère, de Mon-
dreville et de la Garde, aussi commissaires. La Mothe y reçut
une mousquetade. »
1. T. I, p. 346.
2. Le 7 octobre 1642, le maréchal de la Motte-Houdancoort,
vice-roi de Catalogne, remporta près de Lerida une victoire
sur le marquis de Leganez et délivra la ville alors assiégée.
3. Charles de Schônberg (1599-1656), maréchal de Fnnce
en 1642, fils de Henri de Schônberg, maréchal de France, et
de Françoise d'Espinay, fut colonel général des Suisses et gou-
verneur des Trois-Évêchés.
4. La place fut battue par quatorze pièces, divisées en deux
batteries, « lesquelles deux batteries on été merveilleusement
bien servies par l'assiduité de ces deux lieutenants, IIM. du
Bourdet et de Champfort, lieutenants de Tartillerie. » (La Priie
1654] MÉMOIRES DE SOUVIGNY. 281
gardoient les dehors en furent surpris et n'eurent
pas le temps de se préparer à défendre leur brèche,
par laquelle notre armée prit la ville, — sous M. le
cardinal de Sainte-Cécile *, M. le comte d'Harcourt, sous
M, le duc de Mercœur, et ensuite Monsieur le Prince,
lequel, aussi bien que tous ces autres Messieurs, fut
satisfait de sa personne et de la manière qu'il servoit.
Ce fut en sa considération que Monsieur le Prince me fit
servir un quartier de maître d'hôtel. Il auroit employé
son sang et sa vie pour le servir envers et contre
tout autre que le Roi, pour le service duquel il ne se
put empêcher d'arrêter sur le cul, à coups de canon,
son armée à un défilé, pendant que M. de Turenne
eut le temps de prendre un champ de bataille avan-
tageux, qui fut cause de la victoire de Bléneau*.
par force de la ville et chasteau de TortosOy en Catalogne^ sur
le roy d'Espagne, par le m<^ de Schomherg, Gazette, année
1648, p. 967.) On lit aussi dans la Gazette (année 1645, 16 juin),
que a le sieur de Champfort dispose le canon au passage de la
rivière la Sègre de manière qu'il tue plus de cinq cents
Espagnols qui se rangeoient de l'autre côté », et que, le 17 juil-
let suivant, il sert utilement à la bataille de Lhorens.
1. Michel Mazarin (1607-1648), frère cadet du cardinal
Mazarin, fut général de l'ordre de Saint-Dominique, arche-
vêque d'Aix en 1645, cardinal du titre de Sainte-Cécile, le
7 octobre 1647, et, en février 1648, vice-roi de Catalogne,
qu'il abandonna quatre mois après pour aller mourir à Rome
le 31 août suivant.
2. L'armée royale avait passé la Loire à Gien, le 6 avril 1652.
Turenne s'était posté à Briare et d'Hocquincourt à Bléneau.
Condé, qui commandait les Frondeurs vers Montargis, surprît
le lendemain les troupes de d'Hocquincourt à Bléneau; puis,
continue le prince de Condé dans une lettre à M"* de Montpen-
sier, citée par Bazin, Histoire de Louis XIII, t. VI, p. 242,
« nous les suivîmes trois heures, après lesquelle$ nous allâmes
282 MÉMOIRES DB SOUVIOMT. [16S4
Je ne m'étendrai pas particulièrement sur le service
qu'il rendit au Roi pendant les guerres civiles, aux
environs de Pairis, où il commandoit rartillene,
quoiqu'il se soit signalé au Faubourg Saint-Antoine^.
Je dirai seulement que, sans lui, Farmée du Roi, qui
étoit campée à Yilleneuve-Saint-Georges, se senMt
débandée, faute de fourrage, si, par ses soins extrar
ordinaires et de la dépense immense de son argent
propre, n'en ayant point au Roi, il n'eût fait cons-
truire un pont sur la Seine, par le moyen duqudi on
ne manqua plus de fourrage, ayant fait prendre tous
les bateaux qu'il put faire trouver à force d'argent,
qui étoient enfoncés dans la rivière depuis Villeneuve-
Saint-Georges jusqu'à GorbeiK II est certain que, pour
faire subsister les officiers de l'artillerie et tout l'équi-
page, je lui envoyai à diverses fois ou lui portai moir
même près de vingt mille livres en déducticm de ce
que je lui devois. MM. de Turenne et de la Ferté
furent témoins des signalés services qu'il rendit,
conunandant l'artillerie aux sièges de Bar, ligny,
Vervins, Chàteau-Porcien et autres, l'an 4658 ; après
quoi, il fut envoyé rétablir les magasins de Pignerol,
dont les poudres avoient été brûlées par la foudre.
M. le maréchal de la Meilleraye faisoit une teOe
estime de sa personne, qu'il voulut qu'à la première
campagne que fit M. le marquis de la MeDleraye, son
à M. de Turenne; mais nous le trouvâmes posté si âTantagea-
sement, et nos gens si las de la grande traite et si chargés do botiii
qu'ils avoient fait, que nous ne crûmes pas le devoir attaquer;
cela se passa en coups de canon, et enfin il se retira. » On voit,
d'après ceci, que les deux partis s'attribuèrent la victoire.
1. Le combat du Faubourg Saint- Antoine est dn 2 juillet
1652.
i654] MÉMOIRES DE SOUVIGNY. 283
fils S en qualité de grand maître de rartillerie, mon
frère de Ghampfort servit seul de lieutenant sous lui,
et Ta, depuis, honoré d'une bienveillance toute parti-
culière. Il témoigna l'estime qu'il faisoit de sa géné-
rosité quand il dit qu'il avoit bien cru qu'il n'accep-
teroit pas les trois cents pistoles qu'il lui avoit
envoyées pour un des plus beaux et des meilleurs
chevaux sortis d'Espagne de notre temps, qu'il avoit
amené de Catalogne à Nantes, où il avoit accoutumé
d'aller tous les ans le voir, aussitôt que l'armée étoit à
quartiers ; et, après avoir reçu ses ordres particuliers,
il alloit à la Cour recevoir ceux de ce que l'artillerie
auroit à faire en Catalogne, la campagne suivante,
passant ainsi tout l'hiver en voyage, pendant que les
autres officiers d'armée étoient au repos.
Il avoit accoutumé de prendre des lettres de change ;
mais, ne s'étant pu empêcher une fois de porter avec
lui cinq ou six cents pistoles pour quelque chose de
pressé qu'il voulut acheter, passant en Bourgogne, il
fut volé par le chemin, et son valet qui étoit un hardi
soldat, et, dans ce mauvais rencontre, il fit une action
héroïque qui lui sauva la vie et une partie de son
argent ^. Étant encore fort jeune, il fit une action bien
1 . Armand-Charles de la Porte, duc Mazarin, de Mayenne et
de la Meilleraye (1632-1713), grand maître de rartillerie, fils de
Charles et de Marie Ruzé d'Effiat, épousa, en 1661, Hortense
Mancini, nièce du cardinal Mazarin, et hérita de ce dernier à
charge de porter son nom et les armes pleines de Mazarini.
2. Il semble s*agir là d*une aventure qui se passa, non en
Bourgogne, mais en Dauphiné, et à la suite de laquelle Champ-
fort donna procuration à son frère Souvigny de poursuivre les
coupables, par acte passé devant un notaire de Condrieu le
23 mai 1643. [Archives de Terrebasse.)
284 MÉMOIRKS DB SOUVIONT. [1654
charitable et bien hardie d'ôter à des soldats du
régiment des Gardes une pauvre fille qu'ils avoient
sortie de Toulouse, laquelle il ramena à ses paraits.
Il étoit bienfaisant à un chacun, spédalemrat à ses
hôtes, ce qui fit dire à celui chez lequd il éUÀi 1(^,
à Ligny, qu'il regrettoit la mort de son fib, de ce
qu'il n'avoit pas vu, auparavant son décès, le bon
traitement qu'il lui faisoit au lieu de la cruauté
qu avoit exercée un capitaine qui étoit logé avant lui.
Aussitôt qu'il savoit un officier blessé ou malade, il
l'alloit visiter et assister. Il est vrai qu'il en a été mal
satisfait des honunes ; mais il ne faut pas doutar que
Dieu ne l'en ait bien récompensé, aussi bien que pour
avoir procuré la liberté des pauvres prisonniers.
Après tant d'actions charitables pour le prodiain
l'on peut juger de sa piété envers Di«i, de la sorte
qu'il a honoré notre père et notre mère, de son amitié
envers mes frères et de [celle envers] ma fomne, sa
belle-sœur, et de l'ardente affection aussi doot^ [nous]
lui avions beaucoup d'obligation. Je prie Ûea le
récompenser, en son saint paradis, de la fidélité qu'il
avoit à son service, étant un véritable chrâien.
Quelque temps après son décès, mes frères TaU^é
et de Belmont traitèrent avec les héritiws de feu ma
belle-soeur, qui avoit survécu à son fils, notre neveu,
et par ce moyen en avoit hérité, des diSSêrends que
nous pouvions avoir ensemble, le tout à l'amiable, par
le moyen de nos amis.
En ce temps-là, l'année du Roi, conuDandée par
M. le maréchal de Grancey, rempwtaun grandavanfaige
1. 11 y a que dans le texte.
1654] MÉMOIRES DE SOUVIGNY. 285
sur celle des ennemis proche la Roquette S du temps
où fut tué le colonel Monts*.
Sur l'avis que le duc de Mantoue étoit parti de
Casai pour la Cour, nous allâmes au-devant de lui,
M. l'Ambassadeur^, M"* TAmbassadrice *, ma fenune
et moi, et, l'ayant rencontré auprès de la Stura, il
nous fit mille civilités ; après quoi, nous allâmes dîner
avec lui à* la cassine du Saint-Majalis, qui l'attendoit
et nous traita fort bien. Gomme il monta à cheval et
[alloit] continuer son voyage à la Cour*^, nous primes
congé de lui pour nous en retourner.
1. La victoire de la Roquette (Rochetta-Tanaro) remportée
sur les Espagnols commandés par le marquis de Caracène,
23 septembre 1653^ livra aux Français l'entrée de l*Aiexandrin
d'où ils se portèrent vers le Tessin. Elle est donc antérieure de
près d'une année au voyage du duc de Mantoue dont il va être
question. Dans la relation du combat de la Roquette, donnée
par la Gazette, ou trouve ce passage sur du Fresnay-Belmont,
frère cadet de Souvigny : « Du Fresnay, maréchal de bataille,
y a glorieusement servi » (année 1653, p. 1059).
2. Alexandre de Monti de Farigliano, marquis de Monti,
général de la cavalerie du duc de Savoie, a fut tué en se signa-
lant, » dit la Gazette. Il était maréchal de camp au titre fran-
çais depuis 1647.
3. Ennemond Servien (p. 192) fut ambassadeur en Savoie,
de 1648 à 1676. Voy. Instructions données aux ambassadeurs.
Savoie, Sardaigne et Mantoue, par le comte Horric de Beau-
caire, t. I.
4. Justine de Bressac, fille de Henri de Bressac, bailli
de Valence, en Dauphiné, et de Justine de Cossaing de Pusi-
gnan.
5. Le duc de Mantoue rejoignit la cour à Chantilly au com-
mencement de septembre 1654 et signa, le 18 du même mois,
un traité par lequel il mettait ses troupes à la disposition de la
France, qui reprenait la garde de Casai. Un traité définitif fut
signé à Casai le 3 juin 1655.
286 MÉMOIRES DE SOUYIGNT. [1655
Après que les grandes chaleurs fiirent diminuées,
il ne se passoit guère de jours que nous n'allassions
aux églises dédiées à Notre-Dame, au PiUon, al Mont
de Lusin, de Campagne et autres ^, nous pnHuener m
Yalentin, au Parc et à Moncalier, où noua vîmes la
sépulture de Pierre de Yillars, archevêque de Vienne,
décédé en Fan 1592».
Nous passâmes assez heuraisement le reste de
Tannée 1654 en la citadelle de Turin, quoique la
garnison fût toujours mal payée.
1655.
Le commencement de l'année 1 655 se passa assez
bien pour nous, qui n'allions point au bal ni à la
comédie, encore bien que Madame Royale en envoyât
prier ma femme ; elle n'y fut qu'une seule fois pour
lui faire la cour à l'entrée de la reine de Suède ^.
Les Pères Jésuites me donnoient une loge pour
entendre la prédication à l'église. Je fus si hetrôiix
d'y rencontrer M. l'évèque de Saint-Jean-de-Hau-
1. On trouve une description de Turin à cette époque dans
la Relation de lestât présent de la maison royale et de ia cour
de Savoy e^ par le sieur Ghapuzeau, Paris, 1673.
2. Pierre IV de Villars, né à Gondrieu en 1517, attaché as
cardinal de Toumon qu'il suivit en Italie dans ses missions
diplomatiques et aux conclaves, évèque de Mirepoiz en IBOO»
archevêque de Vienne en 1576, se démit de son «rchevêeké
en 1587 et se retira à Moncalieri, où il moumt le 14 novembre
1592. Souvigny avait écrit à tort comme date de son décès
Tannée 1576, qui est celle de sa nomination au siège de Vienne.
3. Voy. p. 166.
4655] MÉMOIRBS DE S0UVI6NY. 287
rienne*, avec lequel je fis amitié, dont j'ai eu bien
de la joie, qui étoit un grand prélat, qui avoit une
grande douceur en ses paroles et en ses actions, se
réservoit peu de choses pour son entretien et donnoit
tout le reste aux pauvres, visitoit les malades et
alloit partout où il pouvoit administrer les saints
sacrements : aussi voyoit-on, parmi le peuple de son
diocèse, les fruits salutaires de ses peines par leur
extraordinaire dévotion et ardente charité.
En avril, l'armée du Roi, commandée par M. le duc
de Modène^ et M. le prince Thomas de Savoie,
assiégea Pavie, contre l'intention du dernier, qui
vouloit que ce fut Novare, disant la difficulté qu'il y
avoit de faire passer à travers le Milanois les convois
qui dévoient aller du Kémont à l'armée ; que, depuis
qu'il avoit passé proche de Pavie pour joindre le duc
de Modène, l'on avoit renforcé la garnison, et qu'il n'y
falloit point penser qu'en cas que M. de Modène fit
porter au camp des vivres et des munitions de son
État pour tout le temps que dureroit le siège. Us en
demeurèrent d'accord, et, sur ces assurances, ils réso-
lurent d'attaquer Pavie : mais il fut impossible au duc
de Modène de l'effectuer, parce que les ennemis
prirent le château qui servoit d'entrepôt pour les
vivres et munitions qui dévoient aller au camp, et
ferme le passage de ce côté-là. Sur quoi, M. le prince
1 . Paul Millet de Châles prit possession de son siège épisco-
pal le 17 septembre 1642 et mourut le 30 décembre i6S6.
2. François P^ d*£ste, duc de Modène et de Reggio (1610-
1658), fils d'Alphonse III et d'Isabelle de Savoie, régnait depuis
1629. Il maria son fils à Laure Martinozzi, nièce de Mazarîn.
288 MÉMOIRES DE SOUVIGNT. [1655
Thomas fit encore la proposition d'assiéger Novare,
après que les lignes de circonvallatioD furent presque
achevées, parce, disoit-il, que les enneniis, nous
voyant attachés à Pavie, auront dégarni les autres
places, spécialement Novare, qui est à l'autre extrémité
du Milanois. Le duc de Modène, au contraire, voyant
qu'il étoit passé assez heureusement quelques convois
du Piémont, dit qu'il iroit de l'honneur des armes du
Roi, et du leur en leur particulier, s'ils levoient le
siège de Pavie qui avoit un si bon conmiencement,
qu'apparemment on en devoit espérer un bon succès;
et, comme il arrive presque toujours dans les armées,
là où il y a deux généraux avec même autorité, l'évé-
nement du siège ne fut pas bon, et toutes les tenta-
tives qui se firent avec beaucoup de vigueur n'ayant
pas réussi, on prenoit des demi-lunes qu'on ne
pouvoit garder parce que Ton perdoit trop d'hommes
pour les prendre, et que l'on ne se donnoit pas patience
de faire des places d'armes pour soutenir ceux qui
les a voient prises. L'armée diminuant par les nialadieSf
les gelées blanches se faisant sentir, [il] fallut néces-
sairement lever le siège, conune firent MM. les
généraux, lesquels firent leur retraite avec tant
d'ordre que les ennemis n'osoient les attaquer. M. le
prince Thomas tomba malade alors, se fit porter à
Turin, où M°® la princesse de Garignan, sa femmeS
1. Le prince Thomas de Savoie-Carignan avait épouséy le
10 octobre 1624, Marie de Bourbon (1606-1692), fiUe de
Charles de Bourbon, comte de Soissons, et d'Anne de Montaflé.
Ce fut Torigine de la branche cadette de la maison de Savoie,
régnant aujourd'hui en Italie, et qui monta sur le trône de Sar-
daigne en 1831.
46b MÉMOIRES DE SOUVIGNY. 289
l'alla trouver et le fit servir avec un extrême soin,
passant quelquefois toutes les nuits entières à le veiller.
La plupart des médecins disoient que son mal pro-
cédoit d'une grande mélancolie que l'on attribuoit au
déplaisir du siège de Pavie.
Madame Royale fit envoyer une obédience du nonce
au Père Bonaventure, Récollet, qui étoit pour lors à
la mission de Briqueras, pour aller voir M. le prince
Thomas, croyant qu'il en seroit bien consolé. C'étoit
un religieux âgé de près de quatre-vingts ans, fort
beau de visage, le corps tout estropié de diverses
blessures qu'il avoit reçues des infidèles. Prêchant en
Dalmatie, [il] avoit été jeté au fond de la mer et s'étoit
échappé par permission divine et la protection du Bassa,
à la prière de sa femme, [qui,] auparavant n'ayant
fait que de mauvaises couches et étant encore prête
d'accoucher, demanda au Père Bonaventure une des
images de Notre-Dame qu'il faisoit lui-même, quoi-
qu'il n'eût jamais appris la peinture, desquelles il en
avoit baillé à plusieurs femmes de ces pays-là, qui les
ayant sur elles du temps de leur accouchement, elles
étoient heureusement délivrées, ainsi que fut ladite
femme du Bassa, qui lui donna moyen de se retirer
en la chrétienté. Je l'avois vu, il y avoit vingt-cinq ans,
qu'il étoit au couvent des Récollets de Pignerol. L'on
disoit, dans ce temps-là, que c'étoit un honmie de
sainte vie. On lui demanda, un jour qu'il revenoit de
Briqueras à Pignerol, ce qu'il croyoit du siège de
Casai, parce qu'il étoit Montferrain, natif de Palasolle.
Il dit librement que les Espagnols ne le prendroient
pas, qu'il lui sembloit avoir vu en songe que les
Espagnols avoient été repoussés de plusieurs assauts.
II 19
290 MÉMOIRES DE SOUVIGNT. [1655
M. de Toulongeon, gouverneur de PigneroK qui le
voyoit souvent, l'ayant interrogé, lui dit : c DitesHMHis
la vérité, Père Bonaventure, avez-vous vu reDdhnt
Jésus entre vos mains au lieu de Thostie, lors de la
consécration? » Il s'excusa fort et pria avec beaucoup
d'humilité M. de Toulongeon de ne point parier de
cela, et, comme il vit que Ton pressoit davantage, il
répondit civilement, quoiqu'il sembloit qu'il fiOrt à demi
en colère : c Eh bien ! Monsieur, n'est-il pas vrai que
les Juifs ont vu Notre-Seigneur. Je fus choisi, ét^ quand
Dieu m'auroit fait cette grâce, seroit-ce à dire que je
fusse plus homme de bien pour cela? » Et [il] rompit
le discours. Pendant la grande peste, que la plupart
des religieux abandonnèrent le couvent de Pignerol,
il y demeura pour servir les malades et il prit le mal,
lequel voulant percer, il se coupa la veine cave^, et
pourtant ne laissa pas de guérir.
Je crus devoir cette petite digression au mérite de
ce grand personnage, lequel, étant arrivé auprès de
M. le prince Thomas, ne lui tint pas long discours,
parce qu'il étoit foible, avoit peine à parier, et
qu'aussi il ne vouloit pas l'iTnportuner. Il lui dit
seulement qu'il ne de voit plus penser à la guerre ni à la
paix, qu'il mit son épée au croc, payât ses dettes et
qu'il espérât en la miséricorde de Dieu, à laquelle il
auroit tant d'obligation s'il échappoit de cette maladie.
Mais, le Seigneur en ayant autrement disposé, il décéda
deux ou trois jours après ^, son second fils, le grince
1. Veine cave : nom des deux troncs veineux qui rapportent
à Toreillette droite du cœur le sang veineux du système circo-
latoire.
2. 22 janvier 1656.
1655} MÉMOIRES DE SOUYIGNT. i91
[Joseph], étant mort de la petite vérole huit ou dix
jours auparavant ^ .
M. le prince Thomas étoit certainement un des
meilleurs capitaines de notre temps et des plus mal-
heureux. L'inimitié d'entre Madame Royale et M"** la
princesse de Garignan, sa fenmie, fut cause qu'il quitta
la Savoie, de laquelle il étoit gouverneur sous l'auto-
rité de Victor-Amédée, duc de Savoie, son frère, et à
son insu, pour aller servir le roi d'Espagne en Flandre,
en quaUté de lieutenant général sous le Cardinal
Infant^, prit Gorbie^ et eut quelques autres avan-
tages : mais il perdit partie de ses troupes au combat
du passage de Watte^, défait par M. le maréchal de
la Force, pendant que Piccolomini^ prit le fort du
Bac^ et secourut Saint-Omer, la fortune balançant
ainsi ses avantages avec ses pertes.
Il étoit fort estimé du Cardinal Infant, qui lui laissoit
tout le pouvoir des armées, lorsqu'il apprit la nouvelle
1. Joseph-Emmanuel-Jean (1631-1656) moorut le 12 janvier.
2. Ferdinand d'Autriche (1609-1641), cardinal-archevêque
de Tolède, fils de Philippe III, roi d'Espagne, était gouverneur
des Pays-Bas depuis 1633.
3. 15 août 1636.
4. Watten, cant. de Bourbourg, arr. de Dunkerque, Nord.
Les opérations autour de Saint-Omer sont du mois de juil-
let 1638.
5. Octave Piccolomini (1599-1656), d'une famille d'origine
italienne, servit tour à tour dans les troupes impériales et
espagnoles. Général en chef des Espagnols dans les Pays-Bas
en 1643, il fut nommé par l'Empereur feld-maréchal en 1648,
puis prince de l'Empire et reçut du roi d'Espagne le duché
d'Anhalt.
6. Le fort du Bac, élevé par les Français sur le canal de
Saint-Omer à Gravelines, était comme la defde leurs positions.
292 MÉMOIRES DE SOUVIGNT. [1655
du décès du duc, son frère, que Madame Royale, sa
belle-soeur, avoit été déclarée régente de l'État et tutrice
de leurs enfants, et que son finère, le cardinal de
Savoie, qui étoit parti de Rome pour aller à Tarin,
n'avoit pu seulem^it entrer en Piémont à cause de la
défense aux villes frontières de le recevcHr. Sur quoi,
il se résolut d'y aller. Le Cardinal Infant fit ce qu*fl
put pour Ten dissuader, lui disant le malheur qui en
arriveroit à son neveu, qui couroit fortune de p^'dre
ses États, s'il étoit vrai que la plupart des villes du
pays lui ouvrissent leurs portes, parce que Madame
de Savoie en bailleroit autant aux François, et que, le
marquis de Leganez en prenant de son oftté, les
bataillons des deux nations, venant aux mains au
milieu du Piémont, se rendroient maîtres dbacun de
son côté. Enfin, M. le prince Thomas, persistant en sa
résolution, alla en Piémont, où il éprouva à diverses
fois la bonne et mauvaise fortune et, finalement, fit
la paix, et son frère le cardinal aussi, avec Madame
Royale, sa belle-sœur; je laisse à écrire à d'autres à
quelles conditions, aussi bien que le détail [de] ce qui
s'est passé durant les guerres civiles du Piémont, et
dirai seulement que leur réconciliation fut bien avanta-
geuse pour le pays ^ .
En ce temps-là, comme nous nous promaûons en
carrosse par les remparts de la ville neuve de Turin,
qui est le cours ordinaire du dedans de la ville, ayant
1 . La réconciliation entre Madame Royale et ses deux beaux-
frères eut lieu le 14 juin 1642 et fut scellée par le mariage^ le
14 août suivant, du cardinal Maurice avec sa nièce, fille de
Madame Royale. Les deux princes joignirent leurs troupes à
celles des Français pour chasser les Espagnols.
1655] MÉMOIRES DE SOUVIGNT. 293
passé SOUS la voûte de la ville neuve, à la descente
d'icelle du côté du bastion, un de nos chevaux, qui
étoit extrêmement vif et fougueux, se sentant Vibre
parce qu'il ne tiroit plus, s'étant débridé, se prit à
courir de toute sa force, et l'autre par conséquent.
Le cocher, faisant ses efforts pour les arrêter, s'en-
gagea une jambe [dans les roues]. Dans cette extré-
mité, je dis à ma femme qu'elle se tint bien, que
j'allois arrêter le carrosse. En disant cela, je me jetai
à terre à sept ou huit pas, et, en ayant couru environ
quarante, comme je fus au droit de la tête des chevaux,
pensant en prendre un par la bride, ils se détour-
nèrent eux-mêmes dans le bastion, où, les ayant entiè-
rement arrêtés, le cocher les vint prendre, et je
remontai en carrosse trouver ma fenune, dont j'étois
bien en peine, croyant c[ue la peur lui avoit fait grand
mal. Je fus agréablement surpris de voir son visage
qui n'avoit point changé de couleur, et la gaieté qu'elle
avoit, en me disant qu'elle n'avoit nullement douté
que Dieu nous auroit gardé par l'intercession de la
Vierge, et qu'elle avoit prié aussitôt qu'elle avoit vu
le clocher de Notre-Dame-des-Ânges S où nous allions
souvent à la messe. Ce fïit une grâce de Dieu que le
cocher ne se fût rompu la jambe qu'il avoit engagée
entre les roues, [que] je ne [me] fis point de mal en
me jetant du carrosse, [et] qu'il ne se renversa pas du
rempart, qui a plus de cinquante pieds de haut, et le
glacis fort peu de talus.
Nous ne manquâmes pas de rendre grâces à Dieu
de nous avoir préservés dans ce péril et passâmes
1. Santa-Maria-degli-Angeli, cooTent de Turin.
294 MÉMOIRES DE SOUVIGNT. [1656
assez heureusement le reste de Tannée 4655, ayant
logé dans la ville de Turin pendant les grandes
chaleurs, à la maison de M. le comte Léon, qui nous
la remit bien meublée et parée pour aller passer Tété
à la campagne avec sa famille.
<656.
Environ le SS"" mars 1656, M. le duc de Modène
étant arrivé à Quiers, où nous Tallàmes voir,
M. l'Ambassadeur et moi, quelques jours après. Ton
tint conseil à la cassine de Turinetti, à la colline
de Turin, où le siège de Valence ayant été résolu, la
place fut promptement investie et les lignes o<mi-
mencées^ Lorsque MM. les ducs de Modène et de
Mercœur m'écrivirent d'y aller, je leur fis réponse
qu'il ne seroit pas juste que je servisse sous M. le
comte Broglio ^, lieutenant général sous Leurs Altesses,
ayant été mestre de camp d'un régiment de vingt
compagnies, gouverneur d'une ville et province, qu*il
n'étoit que capitaine de chevau-légers. Je n'en dis
pas davantage. Ces Messieurs, ayant trouvé noon excuse
légitime, en furent satisfaits; mais le comte de Bro^o
ayant été tué quelques jours après, ils me récrivirent,
que, par ce moyen, l'obstacle étant levé, il n'y avoît
plus de difficultés de les aller trouver pour servir en
ma charge de maréchal de camp ; à cpioi ma femme
m'ayant vu résolu fit toutes les choses imaginables
pour m'en divertir, par l'appréhension qu'elle avmt
1. On était en juillet.
2. BrogUo, correction autographe de : BroUle.
1656] MÉMOIRES DI SOUVIGNT. 295
pour moi, jusqu'à se servir adroitement de l'entremise
du Père Bonaventure, en qui elle savoit que j'avois
beaucoup de croyance, pour m'en divertir, l'ayant fait
venir à la citadelle, à ce qu'elle m'a avoué du depuis,
sous prétexte de se confesser à lui [et] qu'dle ne
pouvoit [le] voir ailleurs, pour l'instruire de ce qu'il
auroit à me dire. J'avoue que, d'abord qu'il me refiisa
sa bénédiction, il me fit penser à moi, en me disant
plusieurs choses et même quelques mauvais présages,
si j'allois au siège de Valence, qui, pourtant, ne me
touchèrent pas si fort que le déplaisir de laisser ma
fenrnie inconsolable de mon d^art, qui me vint
accompagner jusqu'à Notre-Dame-du-Pillon, où nous
entendîmes la messe, et, après, je pris congé d'elle
avec un serrement de coeur qui me dura quelques jours,
ne trouvant aucun soulagement à mon aflSiction que
de la laisser en la compagnie de mon frère de Belmont
et de ma belle-sœur^, ne doutant pas qu'ils ne prissent
grand soin d'elle.
MM. les ducs de Modène et de Mercœur m'ayant
fait l'honneur de me bien recevoir, le premier voulut
c[ue je demeurasse à son quartier, oonmie je fis, et me
loger assez près de son logis. Je trouvai la ligne de
circonvallation presque en défense, l'armée liratée',
et que l'on étoit sur le point d'ouvrir la tranchée.
Valence est une petite ville sur le Pô, à dix milles
au-dessous de Casai, du même c6té, d'autant plus
1. Du Fresnay-Belmont, le cadet des frères Gangnlères,
avait épousé, le 4 avril 1655, en Téglise de Sainte-Croix, à
Lyon, Marguerite Vanshore, fille de noble Joachim, banquier
et bourgeois de Lyon, et de Marie Mazenod.
2. Lieutée pour placée.
296 MÉMOIRES DE SOUVIGNT. [1656
importante que c'est la seule place des Espagnols sur
ce fleuve, qui sépare les provinces d'Alexandrie et de
Tortone du reste du Milanois. C'est un passage impor-
tant pour aller du Piémont en Montferrat, par le Pô,
aux États de Parme, Modène, Mantoue, Ferrarois,
et États de la république de Venise et autres d'Italie.
Sa situation est presque incurve d'un demiroerde,
dont le Pô fait la base, d'une plaine d'un bon quart de
lieue, à l'extrémité de laquelle sont des prairies, cou-
ronnées de fertiles collines qui ferment le demi-cercle,
près des logis de MM. lés ducs de Modène et de
Mercœur, où sont nos ponts de bateaux. Ladite petite
plaine est fort élevée sur le Pô, et par conséquent la
ville qu'on ne sauroit attaquer de ce côté-là, qui fait
un des carrés dont elle est composée. Deux des autres
côtés, savoir : l'un devers Casai, l'autre vers Bassi-
gnane, ne sont guère plus accessibles que celui du
Pô, à cause des grands et profonds ravins qui s'ét^ident
jusqu'aux deux extrémités. Du côté d'Alexandrie,
n'y a point de ravin, ni d'élévation de la ville sur la
campagne, aussi a-t-on réparé par l'art le défaut de
cet endroit, où l'on a fait des bastions, remparts, fossés,
demi-lunes, bons chemins couverts, bien palissades,
parce que le fossé est sec. L'ingénieur y avoit fait une
galerie dans la lunette, en forme de caponnière, et rasé
le grand couvent des Capucins, où nous nous logeâmes
le même jour que nous en fîmes l'approche au premier
siège, 1 635 ^ Son Altesse de Modène se logea où étmt
logé M. le maréchal de Villeroy^ et Son Altesse de
Mercœur où logeoit alors le duc de Parme, tous deux
1. Voy. t. I, p. 291à296.
1656] MÉMOIRES DE SOUVIGNT. 297
vers les deux extrémités de la ligne de ciroonvallation
du côté d'Alexandrie.
Le long de ladite ligne étoient campés :
L'Infanterie^, savoir : les régiments de Navarre,
Auvergne, Lyonnois, Ferron, Suisse^, Irlandois',
l'Altesse*, Navailles^, Carignan^, Grancey'', Aiguë-
bonne, infanterie des Grisons®, Perrault-infanterie*,
1. En 1656, il y avait cent six régiments d*infanterie fran-
çais comprenant trente compagnies à deux cents hommes et
deux mille soixante-dix-neuf compagnies à trente hommes. Il y
avait, en outre, quarante régiments étrangers comprenant
vingt compagnies à deux cents hommes, quatre cent vingt-trois
compagnies à cent hommes et quatre-vingt-dix compagnies à
trente hommes; en tout : cent trente-six mille cinq cents
hommes, en y comprenant dix-neuf mille hommes des compa-
gnies franches. On était loin de Teffectif des sept régiments fran-
çais dont parle Souvigny au début de sa carrière (t. I, p. 12,
année 1613), effectif auquel on ne pouvait alors ajouter, comme
étranger, que le régiment des Gardes suisses.
2. Il n'y avait, cette année-là, qu'un régiment suisse au ser-
vice de la France en dehors des Gardes.
3. C'était le régiment de Preston, levé et amené, en 1647,
par Jacques Preston de Turat, licencié en 1662. Il y avait alors
treize régiments irlandais dans les armées firançaises.
4. Le régiment de T Altesse-Roy aie, levé en 1644 par Gaston
d'Orléans, fut incorporé, en 1660, dans le régiment Royal.
5. Était commandé, depuis 1645 (voy. p. 18, note 2), par H^iri
de Montant, marquis deNavailles-Saint-Geniez; cassé en 1673.
6. Carignan, piémontais, levé en 1644 par le prince de
Savoie-Carignan, devint régiment du comte de Boissons en
1676, Perche en 1690 et Lorraine en 1766.
7. Levé, en 1630, par Jacques Rouxel de Médavy, comte de
Grancey, devint Soissonnais en 1762.
8. Les Grisons, comme les Suisses, fournissaient des régi-
ments en nombre variable.
9. Levé, en 1647, par César de Fay, baron de Perrault, fat
licencié après la campagne.
398 MÉMOIRIS DE SOUVIOlfT. [1656
Normandie, Ville-infanterie^, GouTernetpJnfanterie ^
le Parc de l'artillerie ;
Régiments de cavalerie^ : Mazarin^, Ganillac^,
Saint- André ®, Ferron'', Épemon', Saint-lliienry,
Mossé, Saint -Cierge^, Prince -Maurice*®, Guise ^S
Gouveniet", Anlezy*^, Ville**, Mercœur**, Bro-
1. Ville, piémontais, levé, en 1645, par le marquis Ville,
avec les débris du régiment de Valençay, de l'armée dn Pape,
fut licencié en 1660.
2. Il y a cavalerie dans le texte, peut-être par erreur.
3. Tout ce paragraphe a été ajouté de la main de Son^gny.
4. Il y avait à cette époque, en Italie, le régiment de Maa-
rin français, qui tenait garnison à Pignerol, et le régiment de
Mazarin étranger, dont il s'agit ici, levé, en 1644, par le
comte Broglio, donné, en 1656, au prince Alméric d'Bste,
licencié en 1666.
5. Levé, en 1635, par Guillaume de Montboissier-BeaufiHty
marquis de Canillac, licencié en 1661.
6. Formé, en 1635, par Alexandre du Puy, marquis de
Saint-André-Montbrun, Ait licencié en 1661.
7. Levé, en 1635, par le chevalier de Treillis, fut donné, en
1644, à Charles-Claude Le Ferron et licencié en 16B7.
8. Levé, en 1650, par Bernard de^ogaret, duc d'Épemon,*
licencié en 1660.
9. Levé, en 1653, par M. de Saint-Cierge pour l'expédition
de Naples; licencié en 1668.
10. Le régiment du prince Maurice, levé en 1645, passa an
service du prince de Condé, en Guyenne, et fut liceneië en
1652. Il doit s'agir ici d'un autre régiment de ce nom.
11. Levé, en 1653, par Henri de Lorraine, doc de Guise,
pour son expédition de Naples, fut licencié en 1668.
12. Levé, en 1656, pour l'Italie par M. de la Tour du Pin-
Gouvernet, fut licencié la même année.
13. Commandé par N. de Damas, chevalier d'Anlesy.
14. Levé en 1651 par François, marquis Ville, licencié en 1661.
15. Levé, en 1649, par Louis de Vendôme, duc de Merecenr,
fut licencié en 1659.
1656] MÉMOIRES DE SOUVIGNT. 299
gUoS Gonzague*, FoUeville', Gastelan^, Brégy*,
trois compagnies franches ;
Trois compagnies de cavalerie franche, les Gardes
de Son Altesse Royale de Savoie, et toute sa cavalerie,
commandée par le marquis Ville, et les Gardes de
Leurs Altesses de Modène et de Merooeur.
Au delà du Pô étoit toute la cavalerie du Roi, campée
en deux corps, avec quelcjue distance entre eux : Tun,
commandé par M. de Ferron^, et l'autre par M. de
Saint-Cierge', quoique le premier commandât tout en
qualité de lieutenant général. Les lignes de leurs
retranchements étoient assez bonnes, dans une belle
plaine où le terrain étoit facile.
Après avoir mis les lignes en défense de leur c6té,
l'on remarqua deux hauteurs qui pouvoient incom-
moder le camp. Le régiment de l'Altesse en fortifia une,
1. Broglio, étranger, levé, en 1652, par le comte Broglio,
passa, en 1656, à un autre Broglio; licencié en 1661.
2. Levé, en 1653, par M. de Gonzagae pour l'expédition de
Naples ; licencié après le siège de Valence.
3. Levé, en 1650, par Guillaume Le Sens, marquis de Fol-
leville; licencié après le siège de Valence.
4. Levé, en 1635, par Olivier de Gastelan pour le doc de
Savoie, puis admis à la solde de France, appartenait alors à
M. de la Marcousse.
5. Levé, en 1652, par René Potier, duc de Tresmes; donné,
en 1653, à N. de Flesselles, comte de Brégy; licencié en 1661.
Voy., pour les détails concernant ces régiments, VHUtoire de
la cavalerie française y par le général Basane.
6. M. de Ferron ne mourut qu'en 1658; 1655 est donné par
erreur comme date de sa mort au 1. 1, p. 318, note.
7. Gabriel de Saint-Cierge, seigneur de la Tourrette» était
mestre de camp d'un régiment de cavalerie en mai 1667 (Bibl.
nat., Cabinet des titres ^ pièces orig. 2747)*
300 MÉMOIRES DE SOUVIGNT. [1656
et le maréchal des logis de Taniiée odie du o6té
d'Alexandrie, et, comme on vit la fedlité avec laquelle
les ennemis pouvoient forcer le quartier des Irlandois
et l'importance de ce poste, je fus ordonné pour le
fortifier. Je le fis conunencer par eux-mêmes et
achever par les Suisses.
La tranchée fut ouverte pour attaquer les bestimis
de l'Annonciade et de Garacène : la brigade de Son
Altesse de Modène le premier, et celle de Son AUesse
de Mercoeur l'autre, qui abandonna qudque petit
ouvrage avancé, à la faveur d'une petite ravine f(Hi
étroite, tant parce qu'elle se remplissoit d'eau, [que
parce] qu'elle étoit vue à revers d'une grande demi-
lune détachée, revêtue de briques. Ainsi les deux
tranchées furent tirées du même point aux extrémités
des deux dits bastions. Ghacfue brigade conduisit la
sienne avec beaucoup de vigueur et d'émulation. Nous
avions, à l'attaque de Modène, un nonuné Paracbe,
ingénieur si brave qu'étant tout percé de coups, une
jambe rompue, [il] ne laissoit pas de venir à la
tranchée.
A la garde que j'y fis avec le régiment Lyonnois,
nous chassâmes les ennemis du retranchement palis-
sades et nous logeâmes à la moitié du glacis du
chemin couvert. Quelques jours après, que je
conimandois la tranchée à la garde des Iriandois, nous
attacfuâmes les ennemis qui étoient au chemin couvert
et le défendirent près de deux heures à coups de
mousquets, de grenades, de piques et d'^ées; mais,
1. Chassâmes les ennemis du retranchement paUêModé : cor-
rection autographe. D'autres mots, dans ce passage, sont cor-
rigés de la main de Souvigny.
1656] MÉMOIRES DE SOUVIGNT. 301
finalement, nous les en chassâmes et nous logeâmes
sur le haut d'icelui, que nous mimes en bon état. Je
dois rendre ce témoignage à la vérité et à la valeur
des capitaines, officiers et soldats de ce régiment-là^ :
je n'ai jamais vu agir avec tant de courage et de
chaleur, ni avec plus d'ordre. Je fus ravi de voir de
la sorte que s'y prit le liaitenant-colonel qui les
commandoit; auquel après avoir montré* ce que nous
avions à faire, avec le major et deux capitaine», il
assembla tous les officiers en cercle à Tentour de lui,
et, leur ayant sommairement dit ce qu'ils avoiait à
faire et leur dit, chacun en particulier', de la manière
qu'ils le dévoient exécuter, quand il eut fini sa
harangue, il n'y en eut pas un qui dit un seul mot.
Chacun se retira, lui faisant la révérence, et se saluant
entre eux. Ce fut avec une promptitude surprenante
et bien réglée qu'ils firent leurs détachements de
l'attaque et de ceux qui la dévoient soutenir, de l^irs
corps de réserve, des travailleurs, porteurs de gabions
et fascines.
Je fis commencer l'attaque dès qu'il fit nuit pour
avoir plus de loisir à nous bien loger. Tant que dura
le combat, les capitaines et officiers combattirent avec
une fermeté^ admirable, et, aussitôt que les enn^nis
eurent lâché le pied, ils posèrent leurs armes de main
et couroient de toutes leurs forces pr^idre des gainons,
1. On lit dans la Ckuette, année 1656, p. 764 : « Le sienrde
Souvigny, avec les régiments de Guise et de Preston^ iidt le
logement en haut de la contrescarpe » (11 juillet).
2. C'est-à-dire : auquel après que J'eusse montré.
3. Mis pour : et dit y chacun en leur particulier.
4. Fermeté : correction autographe de constanee.
302 MÉMOIRES DE SOUVIGNY. [1656
fascines et sacs à terre, pour le logement qui fïit adievé
au point du jour, non sans grandes pertes, d'autant
qu'il y fut tué le major, deux capitaines, plusieurs
officiers et quantité de soldats : mais la plus consi-
dérable fut de la personne à laquelle j'avois fait
préparer [Fattaque], du lieutenant-colonel, qui mou-
rut le lendemain d'une blessure à travers le corps.
Il fut extrêmement regretté de tous les honnêtes
gens, qui connoissoient sa valeur. Je ne dois pas
oublier M. du Monceau, qui servit d'aide de camp
auprès de moi [et] agit, en cette occasion, avec beau-
coup d'ardeur et de courage.
Sur l'avis que les ennemis avoient fait leur pont
pour passer le Pô entre Monte et Pomasse^, M. le duc
de Modène m'envoya, avec deux cents chevaux et cinq
cents bonmies de pied, fortifier un poste, fort éminent
et avantageux, entre notre camp et Monte. La nuit
ensuivant, je le mis en défense, et l'adievai le troi-
sième jour, avec un petit chemin sur la rive du Pô,
tant pour avoir communication de mon fort à mon dit
pont de bateau, que pour y poster des mousquetaires,
en cas que les ennemis entreprissent de le rompre ou
brûler ; ce qui réussit assez bien, parce que deux ou
trois jours après, qu'ils lâchèrent deux brûlots sur le
Pô, les ayant aperçus, je fis descendre cinq mousque-
taires sur la rive, qui tirèrent sur eux si à propos
qu'ils n'osèrent pas s'engager plus avant. Ayant rais le
feu à leurs brûlots, à quatre cents pas de notre pcmt,
auquel m'étant promptement rendu, et voyant que
ces brûlots n'étoient point suivis d'autres bateaux
1. Pomaro-Monferrato. Voy. t. I, p. 296.
1656] MÉMOIRES DE S0UVI6NT. 303
pour introduire un secours par là, en cas qu'ils eussent
fait un avant-pont, je crus que ce n'étoit qu'une
simple diversion et m'en allai promptement trouver
M. de Modène.
En entrant à son logis, un oflBcier des Gardes de
Madame Royale me dit que les ennemis étoient en
bataille, vis-à-vis de leur quartier, pour l'attaquer.
J'en avertis Son Altesse de Modène, qui m'cHrdonna
de prendre le bataillon des Suisses pour les aller
secourir. Quoique nous courusûons de toutes nos forces,
eux et moi, nous ne pûmes arriver à tenais, les
ennemis n'ayant trouvé aucune résistance à la ligne,
passant à travers du camp des Gardes de Son Altesse
Royale, dont la plupart s'étoient avancés pour soutenir
une sortie de la ville, et par le camp du régiment
d'infanterie de Ferron, qui, ayant ea ordre d'aller de
delà le Pô, n'avoit laissé qu'un sergent avec des
mousquetaires, avec des malades et blessés ; et, par
malheur, les maréchaux de logis, qui dévoient battre
l'estrade toute la nuit sur les hauteurs, du côté
d'Alexandrie, ainsi que je le faisois cbserver exacte-
ment, étant dans le camp, n'y furent point cette nuitrlà
que j'étois à mon fort, de sorte qu'il est à croire que
les ennemis, n'ayant trouvé personne ddiors, passèrent
plus tôt les lignes que l'officier des Gardes ne m'eût
averti. Quoi qu'il en soit, il entra dans la place environ
cent cinquante chevaux et près de cinq cents hommes
de pied, et, le lendemain, à deux hrares de nuit,
l'armée des ennemis se posta sur la colline.
Les choses étant en cet état, nous tînmes conseil.
La plus grande partie des officiers d'armée forent
d'avis de lever le siège, voyant le secours cantré ; que
304 MÉMOIRBS DE SOUVIGNT. [1656
nous n'avions pas eu les deux mille hommes de pied
de Madame Royale ; que les ennemis avoient défait à
Fontaine-Sainte les trois mille hommes de pied et cent
chevaux des troupes qui venoient de Modène fortifier
notre armée, sous la conduite de IL de BiroD ^ ; qu'il
ne nous restoit en état de servir qu'environ cinq mille
hommes de pied pour garder nos lignes, qui étoieot
d'une grande étendue, nos ponts de bateaux, quatre
forts détachés des Ugnes, et nous n'en étions que sur
le chemin couvert ; que notre cavalerie, étant déjà bien
fatiguée, auroit désormais peine à subsister, faute de
fourrage, et à fournir des convois suffisants pour les
vivres et munitions qu'il falloit aller prendre à Casai ;
que, si Ton avoit une mine prête à jouer, et quelque
espérance de prendre Valence dans sept ou huit jours,
on pourroit continuer le siège, mais qu'en l'état où
nous étions, il ne se pouvoit pas ; que, si les ennemis
forçoient nos lignes du côté de la colline, ils parta-
geroient notre armée en deux, et, après avoir battu
celle qu'ils voudroient attaquer la première, ils
déferoient facilement l'autre ; que, si ce malheur nous
arrivoit, les États de M. de Modène couroient risque
d'être pris, auparavant qu'on eût fait repasser les
monts à une autre armée pour le sedourir ; et plusieurs
autres raisons tendant à faire lever le siège. Mais il
faut avouer la vérité : que le duc de Modène préféra la
gloire des armées du Roi à son intérêt particulier et
1. François de Gontaut, marquis de Biron, baron de Saint»
Blancard (1629-1700), fils de Jean, baron de Biron, et de
Marthe-Françoise de Noailles, mestre de camp du régiment
des Galères en 1648, maréchal de camp en 16499 gouveniear
du Périgord en 1651, lieutenant général en 1655.
1656] MÉMOIRES DE SOUVIGNY. 305
à la conservation de ses États, demeura ferme avec
une résolution intrépide de continuer le siège, et que,
M. le duc de Mercœur étant de cet avis, il ne fut plus
question que de trouver moyen de suppléer à notre
foiblesse et de faire contre fortune bon cœur. C'est
pourquoi, au lieu de garder nos lignes avec l'infanterie,
nous laissions seulement quelques mousquetaires aux
flancs et redans, et mettions des escadrons de cavale-
rie en des distances proportionnées selon les besoins
pour défendre les lignes, pendant que l'infanterie étoit
en dehors, aux collines, pour s'opposer aux ennemis
qui en occupoient les hauteurs et attaquoient le fort de
l'Altesse, qui n'étoit pas encore achevé. Il fut si géné-
reusement défendu par le régiment de l'Altesse, qui le
gardoit, celui d'Auvergne et quelque autre qui s'y
jetèrent, que les ennemis furent contraints de se
retirer, après avoir perdu cinq ou six cents honmies.
Et, comme M. de Modène vit les ennemis opiniâtres
à tenter le secours, à force ouverte, par l'endroit de
la colline, il alla se loger vis-à-vis d'eux pour s'y
opposer, et y demeura tant qu'ils furent sur la colline,
sans que leur canon, qui donnoit dans ses tentes et
barraques et tua plusieurs de ses gens, l'en pût faire
déloger, non plus que celui de la ville, dont il n'étoit
guère moins inconunodé. En ce temps-là, il me fit la
faveur de me faire bailler un de ses carrosses pour
me reposer, ainsi que je faisois quelquefois avec son
capitaine des Gardes.
Quand les ennemis eurent abandonné la colline, le
duc de Modène retourna à son premier logement, et
moi au mien, auprès de lui, où je me rendois à toute
heure qu'il m'envoyoit demander, étant le seul officier
II 20
306 XÉMOmES DB SOUVIGNT. [1656
d'armée près Son Altesse. Il avoît oompasaioD de oioî
de me voir travailler tout le jour près sa peraomie, la
nuit en garde à la tranchée, où à dieval le long des
lignes, et défendoit expressément à ceux qu'il m'en-
voyoit de m'éveiller si j'étois endormi; ce qu*ajuit
appris, j'avois toujours quelqu'un en garde pour
m'éveiller sitôt qu'il verroit venir qndqa*im <fe sa
part, afin qu'il ne me trouvât prâit endwmi.
Quand j'avois le loisir, j'écrivois trois lettres par
jour à ma fenmie, les envoyant par diflEârentes voies,
les unes datées du matin, pes autres] de midi et du
soir, pour la relever de la peine où ses fréquentes
lettres me faisoient connoltre qu'dle ét«t d'iq^reiidre
de mes nouvelles. Sur l'avis qu'on me donna que sa
curiosité la portoit de parler à tous ceux qui alloient
du siège à Turin, et [que,] conune ce n'âiMt que des
blessés ou malades qui se retiroient pour se faire tni-
ter, leur mauvois état ne faisoit qu'augmenter son
inquiétude, c'est pourquoi j'écrivis à mon firère de
Belmont de l'empêcher, et ne lui laisser voir des gais
de l'armée que ceux qui se pmiMent bien et [pour-
roient] l'entretenir des choses agréables.
M. de Saint-Hilaire, aide-major du régiment d'Au-
vergne, ayant été tué au siège, je demandai la diarge
à M. d'Épernon, qui me fit l'honneur de m'envoyer
les conunissions en blanc. Je les remplis du nom de
M. du Monceau, qui est à présent capitaine audit
régiments auquel je la^ donnai, M. le marquis de
Janson^, mestre de camp, m'ayant fait le plaisir de le
1. Voy. p. 161, note 1.
2. C'est-à-dire : la charge.
3. Laurent de Forbin, marquis de Janson, fils de Gaspard
1656J MÉMOIRES DE SOUVIGlfT. 307
faire recevoir en cette charge. Quoiqull fût jeune,
n'ayant pas encore dix-sept ans, il n'a pas laissé de
s'en acquitter avec honneur.
Le duc de Modène m'avoit accordé une charge
d'aide de camp pour son aîné, conune pour son seccmd
frère qui l'exerçoit. Il s'excusa d'y servir, aima mieux
rester en sa charge de lieutenant de cavalerie de la
compagnie de M. le comte de Quincé, à la prière de
M. de Mossé, mestre de camp, qui l'aimoit fort. Le
pauvre garçon y fut tué, après qu'il eCtt conduit le
convoi de Casai, faisant une des plus bdlles actions de
notre temps, et fut extrêmement r^retté de toute
l'armée, étant l'un des plus adroits et hardis cavaliers
qu'il y eût, et en grande estime, mon frère de Bdmont
lui ayant fait apprendre cet exercice avec les fils de
M. le prince Thomas.
Je n'écrirai pas les particularités du passage du
fossé, de l'attachement du minau*, ni du logement
sur le bastion de notre attaque, parce que je n'y eas
point de part, ces dioses s'étant faites aux jours et
aux gardes des autres maréchaux de camp, et n'eus
qu'à agrandir ledit logement, où nous mimes des
pièces en batterie, les ennemis étant rrtrandiés à la
gorge dudit bastion ; et, comme <m vit que la mine de
l'attaque de M. le duc de MercoNU*, au bastion de
Garacène, n'avoit pas bien réussi, et que, nécessai-
rement, il falloit pr^Didre Valence par celui de notre
attaque, l'on n'en fit qu'une des deux pour agir avec
et de Claire de LiberUt, fot mestre de camp en id52, ligoier
de Marseille, mestre de camp da régiment d'Anvergne en 1865,
goaverneur d'Antibes et Grasse, et mourut en 1603.
308 MÉMOIRES DE SOUYIGNY. [16&6
plus de vigueur, d'autant que notre infantane étoit
extrêmement fatiguée et le courage fort abattu.
En ce temps-là que toute Tannée des ennemis étoit
campée à Girolle^ pour couper le chraûn au convoi
qui venoit de Casai, commandé par H. du Monceau
Tainé, et qu'il ne nous restoit que fort pai de vivres
et munitions de guerre dans le camp. Messieurs les
généraux se résolurent à donnar plutôt bataille que
de la perdre, parce qu'autrement fl auroit fidlu
lever le siège. C'est pourquoi M. le duc de Modène
me laissa le soin de son quartier de la tranchée, et des
troupes qui étoient delà le Pô. M. le duc de Mercoeur
ayant aussi laissé ordre à M. de Baitz* pour le ûai,
ils partirent du camp à deux heures de nuit et, à
soleil levant, mirent l'armée en bataille entre Girolle,
où étoient les ennemis, et le chemin que tenoit le convoi,
pour le couvrir ; lequel ayant passé sans difficulté, nos
Messieurs, voyant que les ennemis ne vouloient peint
combattre, se retirèrent dans le camp. En leur absence,
je ne manquai pas d'exerdser', quelques troiqpes des
ennemis ayant paru sur les collines du oftté d'Alexan-
drie et du côté de là le Pô. En même temps, ceux de
la ville firent une sortie qui fut vigoureusement
repoussée, si bien que Messieurs nos généraux trou-
1. Giarole, arr. de Casai.
2. André de Baitz de Colombiers servit dès Tannée 1830 dans
le régiment de Lyonnais, dont il devint Ueatenant-coloneli fiit
nommé maréchal de camp en 1649 et lieatenant général le
8 octobre 1656, le même jour qae Souvigny, et mourut
en 1657.
3. Souvigny francise ici les mots italiens : exereiMw^ exer-
cice; exercitare, exercer, occuper.
1656] MÉMOIRES DE SOUYIGNY. 309
vèrent les choses en Tétat qu'ils les avoient laissées à
leur départ du camp.
Trois jours après notre convoi arrivé, les ennemis
envoyèrent trois grands partis de cavalerie à Monte,
Lazzarone et sur le chemin de Girolle à notre camp.
Sur quoi, M. le duc de Modène, qui ne savoit pas
leur dessein, me conmianda avec quatre cents chevaux
pour aller à eux. D'abord que j'en fiis près, ils se
retirèrent à Girolle, où leur armée étoit en bataille.
Leur artillerie et leurs bagages commençoient à défiler,
ce qui me fit croire qu'ils n'avoient envoyé ces partis
que pour nous ôter la connoissance de leur départ.
J'en donnai avis à M. de Modène et demeurai à
leur vue jusqu'à ce que leur arrière-garde fÙt au delà
de Girolle, et m'en retournai au camp.
Il y eut un brigadier de la compagnie de M. de la
Grange qui fit une action bien hardie en ce temps-là.
L'armée des ennemis ayant repassé le P6 et s'étant
contentée de reprendre par composition le diàteau
de Sartirana, où conmiandoit M. de ..•^, sans entre-
prendre aucune tentative pour secourir Valence,* les
assiégés se résolurent de. se rendre. La capitulation
faite, ils sortirent de la place, tambours battants,
enseignes déployées, mèche allumée, et escortés jus-
qu'en Alexandrie.
MM. les ducs de Modène et de Mercosur, ayant
fait leur entrée dans Valence*, donnèrent le oonunan-
dement des troupes qu'ils y établirent en garnison à
1 . Le nom est en blanc dans le manuscrit.
2. Voy. la Prise de Valence par l'armée du Roy y avec leê
articles de sa capitulation, dans la G<ue^, année 1666,
p. 1065.
310 MÉMOIRES DB SOUYIGlfT. [1656
M. de ValavoireS lequel en eut le gouvernemeot, que
j'avois demandé à M. le Cardinal, lequd aie fit une
honnête réponse que mes services seroient récompen-
sés, mais que, pour le gouvernement de Valence, le
Roi n'en disposeroit que du consentement du duc de
Modène. Je crois qu'ils étoient convenus oisemble de
le donner à M. de Valavoire sur le conmieno^nent du
siège : aussi ne le demandai-je que pour faire voir que
j'avois raison de le prétendre, afin que cela me servit
en une autre occasion.
Après la prise de Valence, on travailla diligasment
à abattre les lignes et forts, combler la tranchée,
nettoyer les fossés et réparer les brèches, sans pouvoir
entreprendre d'autres choses de cette can^pagne; et,
voyant qu'il n'y avoit rien à faire pour moi, je priai
M. de Modène me permettre de me retirer à la citadelle
de Turin, comme il fit ; et, ayant pris congé de lui et de
M. le duc de Mercœur, je m'y adieminai et n'eus pas
fait trois milles qu'il tomba une pluie si extraordinaire,
qu'en arrivant à la porte de Casai, nous éticHis mouillés
comme si nous iussions sortis d'une rivière. Celui qui
commandoit à la garde avoit défense d'ouvrir la porte
et de laisser entrer personne. Néanmoins, il me fit
entrer tout seul. Je dis à mes gens l'hôtellerie où ils
dévoient aller loger et m'en allai chez H. Gonsan,
mon ancien ami, qui les fit entrer dans la ville et,
après que j'eus changé d'habits, me traita splendi-
dement. Il étoit intime ami de feu mon frère de
1. François-Auguste de Valavoire, marquis de ValaToire en
1652, fils de Pierre, viguier de Marseille, et de Gabrielle de
Forbin-Soliers, devint maréchal de camp en 1650, Uentenant
général en 1656, gouverneur de Sisteron, et moamt en 1694.
i656] MSMOIRBS DE S0UYI6NT. 311
Ghampfort, et avoit eu la pensée de lui donner sa
nièce en mariage, n'ayant point d'enfant. U ^it extrê-
mement riche et logé conmie un prince. U fit son
possible pour me traiter quelques jours diez lui, spécia-
lement ce jour^là qu'il pleuvoit à verse : mais cela ne
m'empêcha pas d'aller coucher à Moncalve, ni la conti-
nuation du mauvais temps de me r^nidre, le laidemain,
à la citadelle de Turin, dans l'impatience où j'étois de
consoler ma fenmie par mon retour, sachant qu'elle
se trouvoit mal de l'inquiétude qu'elle en avoit eue.
Effectivement, je la trouvai fort abattue. E31e se remit
au bout de sept où huit jours après. Quant à mon
frère et à ma sœur et leur enfant S je trouvai tous
en bonne santé.
Madame Royale me fît l'honneur de me recevoir
avec ses bontés ordinaires à mon endroit, et me fit
connoitre qu'elle étoit bien aise de la manière que
j'avois parlé et écrit des Gardes de Son Altesse Royale*,
1. Joachim de Gangnières, chevalier, baron de Belmont,
ondoyé à Lyon le 8 janvier 1656^ devint capitaine an régiment
des gardes du duc de Savoie. Il reçut^ le 22 octobre 1672, une
pension annuelle de cinq cents livres en reconnaissance des
bons et fidèles services de son père, qui venait d'être tné à
Ovada^ dans une guerre contre Gènes, où le fils donna égale-
ment des preuves de son courage et de sa valeur. (Arch, de
Turin,) Il fit hommage de Belmont en 1703. Sa veuve, Fran-
çoise Hindret, fille de noble Gaspard Hindret, seigneur de
Beaulieu, en Lyonnais, et de Catherine Boyer, épousa, en
1724, François de Wicardel, ou WiUecardel, marquis de
Fleury et de Beaufort, du diocèse de Turin, chevalier de
TAigle blanc, ministre du cabinet du roi de Pologne.
2. La compagnie des Gardes du corps, troupe d'élite com-
posée en majeure partie de gentilshommes savoyards, avait
été créée, en 1607, par Charles-Emmanuel I*' sons le nom de
312 MÉMOIRES DB S0UV16NY. [1656
auxquels quelques-uns avoient voulu imputer la faute
d'avoir laissé entrer le secours dans Valence ^
Après mon arrivée à la citaddle, nous eûmes avis
que les grandes pluies avoient tellement grossi le Pô,
qu'il avoit emporté nos ponts de bateaux après la
prise de Valence, et, par ainsi, ôté la communication
à notre cavalerie, campée de l'autre côté du Pô, au
reste de l'armée qui étoit de celui de Val^ice. M. de
Ferron, qui la conmiandoit, la sauva par sa diligence à
passer la Sesia; car, s'il eût tardé seulement daix ou
trois heures, il lui eût été impossible et [il] n*auroit pu
résister à l'armée des ennemis qui étoit en corps près
de lui, dans leur pays, désavantageux pour la cava-
lerie, parce que c'est une plaine fort couverte d'arbres,
coupée par quantité de canaux, larges et profonds,
qu'on appelle en Lombardie Roggia^ tirés des rivières
de Sesia, Gogna et Tessin, pour arroser des prairies.
M. de Ferron se retira donc de cet embarras et rejoignit
heureusement l'armée avec toute notre cavalerie.
Messieurs nos généraux, ayant joint leurs troupes,
logèrent celles du Roi à GostioUe^ et autres terres, sur
Gentilshommes archers de la garde. Le nombre des compa-
gnies fut porté à trois vers la fin da xvii* siècle. Il peut aussi
s*agir là du régiment des Gardes, bien que la création oflBcieUe
n*en date que du 18 avril 1659, après la réforme des anciens
colonelats temporaires. Régiment permanent, faisant partie de
la maison du duc, il forma la 1*^^ brigade légère d'infanterie
piémontaise quand, en 1798, les troupes sardes furent incor-
porées dans Tarmée française. SurTarmée de Savoie et sur les
opérations militaires de cette époque, voy. Histoire militaire
du Piémont^ par le comte de Saluées.
1. Ci-dessus, p. 303.
2. Costigliole, arr. d'Asti, prov. d'Alexandrie.
1656] MÉMOIRES DE SOUVIGNY. 313
les frontières de Piémont et de Montferrat, et ceUes
de Son Altesse Royale en Piémont. Il courut un bruit
d'entreprendre encore quelque chose dans le Milanois,
qui m'obligea de retourner à l'armée. M'étant rendu
auprès de M. le duc de Modène, il me fit loger dans
son logis, au château de CostioUe, et, le lendemain, me
fit prendre jour de lieutenant général, selon la patente
du Roi qu'il me donna*.
Quelques jours après, il fut résolu de mettre les
troupes à quartiers sur les frontières de Montferrat,
des Langues et Terres impériales. En attendant les
ordres de la Cour pour les troupes qui dévoient aller
en quartiers d'hiver en France, M. de Saint-André*
alla commander le quartier de Cossan^, M. de Ferron
celui de Cravansanne^, M. de Preston^ celui de San-
Stefano de Belbo^, les autres lieutenants généraux et
maréchaux de camp ayant aussi chacun leur quartier.
M. le duc de Modène m'envoya à Gorzegne'^ avec les
1 . Souvigny fut nommé lieutenant général des armées du roi
le 8 octobre 1656.
2. Alexandre du Puy, marquis de Saint- André-Montbrun,
maréchal de camp dans les armées protestantes du duc de
Rohan en 1621, servit Venise et la Suède, fut maréchal de
camp dans les armées royales en 1641, lieutenant général en
1651 et mourut en 1673.
3. Cossano, arr. d'Albe, prov. de Coni.
4. Gravanzana, arr. d'Albe.
5. Jacques Preston, vicomte de Turat et de Preston, colonel
d'un régiment d'infanterie irlandais, maréchal de camp en
1647, fut nommé lieutenant général le 8 octobre 1656, le même
jour que Souvigny.
6. San-Stefano-Belbo, arr. d'Albe.
7. Gorzegno, arr. d*Albe. — Gorzegne, correction auto-
graphe de Gorseille.
314 MÉMOIRBS DS SOUVIGNT. [1656
régiments de cavalerie de Hazarin, ...^ éi Ânlezy et les
r^iments d'infanterie de Dauphiné et de Lyonnob. Je
n'y pus arriver qu'il ne fÙt bien tard. M. le marquis
de Gorzegno, qui étoit de mes amis, vint au-devant
de moi me prier de loger dans son château. Je lui
demandai si, autrefois, les conmiandants des troupes
y avoient logé. Il me dit que non, mais qu'il tiendroit
à honneur de m'y recevoir conune son ami particulier.
Je lui représentai l'importance que, si j'y avois 1<^,
les autres conmiandants des troupes de France ou
d'Espagne, ou même de l'Empire, dont son marquisat
relevoit, y prétendroient aussi logar. Enfin je l'en
remerciai et, m'en étant ainsi excusé, je logeai dans le
bourg chez l'archiprétre. Nous y trouvâmes assez de
vin et des châtaignes, de foin et de paille, et, comme
ce quartier étoit le plus avancé dans les Langues, nous
escarmouchàmes plusieurs fois avec les paysans qui
nous approchoient, à la faveur des hauteurs et détroits
de montagnes, sans nous faire grand mal les uns les
autres.
MM. les ducs de Modène et de Mercoeur, ayant
reçu les ordres des quartiers d'hiver, firent ceux de la
marche des troupes pour repasser les monts par les
étapes. Je fus ordonné pour la conduite du r^^iment
d'Auvergne, lequel, en partant de Gossan, alla loger à
Isola ^. Je m'étois résolu d'aller coucher en Aste et l'y
attendre au passage; mais, étant près du port de
Béranger^, l'on me dit que les ennemis avoirât voulu
1. £n blanc dans le manuscrit.
2. Isola-d'Asti, arr. d'Asti^ prov. d'Alexandrie.
3. Peut-être Baldichieri^ à Touest d*Asti.
1656] MÉMOIRES DB SOUVIGNY. 315
attaquer de nos troupes au passage du Taner*, ce qui
me fit résoudre à ne quitter point ledit régiment
d'Auvergne qu'il n'eût passé. Je m'en allai le trouver
à Isola, où ces Messieurs furent bien aises de me voir,
et, comme nous avions le Taner à passer et une grande
journée à faire, nous partîmes près de trois heures
devant jour. Durant qu'on se préparoit au départ, je
mis la tête à la fenêtre et remarquai deux choses : la
première, la joie qu'avoient les soldats, en cercle à
Tentour d'un grand feu, d'aller en quartiers d'hiver;
la seconde, que, quandje pris les armes audit régiment,
je n'étois que simple soldat conune eux, qui faisoient
alors avec des officiers garde de lieutenant général
à mon logis^, ce qui me donna plus grand sujet d'en
louer Dieu.
N'ayant rencontré aucune difficulté en notre route,
je dis adieu à ces Messieurs entre Turin et Suse, et
m'en allai trouver M. le duc de Modène à Pignerol,
où après avoir demeuré trois ou quatre jours, je pris
congé de lui pour aller à Moncalier dire à Madame
Royale ce dont il m'avoit chargé dès lors. Madame
Royale me fit connoltre, ainsi qu'elle a dit à ma femme
par plusieurs fois du depuis, le dessein qu'elle avoit
1. Taner : correction autographe de Tanner,
2. Voy. t. I, p. 10, le passage où Souvigny raconte son
entrée comme simple soldat au régiment du Bourg-FEspinasse,
futur régiment d'Auvergne, le 10 mai 1613. Il avait alors quinze
ans et demi. En automne 1656, au moment où il venait d'être
nommé lieutenant général, il avait cinquante-neuf ans d'âge
et quarante- trois ans et demi de service. Il conserva tou-
jours un souvenir au régiment d'Auvergne, aux soldats
malades et blessés duquel il légua par testament, en 1672, la
somme de trois cents livres. Voy. l'Appendice du tome III.
316 MÉMOIRES DE SOUVIGNT. [1656
de me donner un gouvernement considérable dans les
États de Son Âltessse Royale, son fils, s*il étoit yrai,
conmie Ton disoit, que le Roi lui rendroit la dtadeDe
de Turin. Je la remerciai très humblement en termes
généraux, sans m'engager en rien.
Étant de retour à la citadelle, j'y trouvai ma femme
en assez bonne santé, et mon frère et ma sœur, qui
me dirent que Madame Royale avoit assurance du Roi
de la lui remettre.
Environ le 15"" novembre que Madame Royale se
retira à Turin, [elle] donna rendez-vous à ma femme
aux Carmélites, lui déclara qu'elle ne doutoit pas
qu'on ne lui remit la citadelle, qu'en q>rès nous
devions penser à m'établir en Piémont. Sur quoi, elle
répondit des civilités, se réservant à savoir mes
sentiments. Nous y avions tous deux assez d'incli-
nation ; mais il y eut deux raisons qui nous en empê-
chèrent : la première, que cela pourroit faire tort à
mon frère de Belmont, n'y ayant pas d'apparence que
l'on nous baillât à chacun un gouvernement ; la seconde,
que je croyois d'être obligé d'aller rendre compte au
Roi et à Son Éminence de la sorte que j'avois agi dans
le commandement de la citadelle de Turin, quand
même je n'aurois pas sujet d'espérer la récompense
de mes services, ainsi que M. le Cardinal me Favoit
tant de fois promis verbalement et par écrit, depuis
[que] je rendis Quérasque à Madame Royale, suivant
les ordres du Roi et les siens, et servis dans les
armées avec la satisfaction que Son Éminence a dite
tout haut à plusieurs personnes, n'ayant rien au monde
de si cher que d'obéir fidèlement et ponctudlemeat
aux ordres du Roi et de ses ministres.
1657] MÉMOIRES DE SOUVIGNY. 317
Nous passâmes tout le mois de décembre 1 656 en
attendant, d'un ordinaire à l'autre, les ordres de la
restitution de la citadelle, que Madame Royale, ses
ministres et tout le peuple de Turin attendoient avec
grande impatience, quoiqu'ils ne parlassent de notre
garnison qu'en louant notre politique de n'avoir
jamais souffert, mon frère ni moi, que les soldats
prissent rien à la campagne, ni quoi que ce soit dans
la ville sans le payer, ni le moindre linge de ceux que
le peuple lavoit dans les fossés de la citadelle et
resséchoit à l'esplanade en toute sûreté, quoique
la garnison fût la plupart du temps sans paiement,
ni pain de munition, ni autre assistance que de notre
argent, ayant baillé la cassine de Lenne, qui coû-
toit quinze cents pistoles à mon frère de la Motte*,
pour mille pistoles à M. de la Vermenelle, et employé
bien d'autres sommes pour faire subsister la garnison,
au même temps que nous n'étions pas payés de nos
appointements, mon frère et moi, ni reml)oursés de la
dépense qu'il avoit faite à faire remonter l'artillerie
qui étoit sur le ventre.
^657.
Ayant reçu les ordres de la Cour de faire remettre
la citadelle de Turin à Madame Royale, le 20* janvier
1657*, elle en témoigna beaucoup de joie, et toute sa
1. Ce membre de phrase, depuis qui coûtait^ est une addition
autographe. Voy. ci-dessus, p. 195 et 196.
2. Les lettres de la Cour pour cette remise sont^ en réalité,
des 29 et 30 janvier; la remise effective eut lieu le 10 février,
Voy. l'Appendice du tome III.
318 MÉMOIRES DB 80UVIGNT. [1657
oour, et se résolut, pour faire oonDottre à toute Tltalie
que c'étoit à elle à qui le Roi le remettoit, d*y venir en
personne recevoir les clefs de mes mains, et, en m£me
temps, les bailler à Son Altesse Royale, son fils. Mais
la maladie qui lui survint modéra Tallégresse publique,
lui faisant différer de jour en jour cette céréoMmie,
dans Te^rance qu'elle se portermt mieux. A la fin,
les médecins lui ayant fait entendre que le grand air
lui étoit contraire, elle m'envoya M. le marquis de
Pianesse avec les ordres pour lui rem^tre la dtaddie,
accompagnés d'une lettre digne d'une si grande prin-
cesse et de ses bontés ordinaires envers noon firère
et moi.
Je fis connottre à M. le marquis de Pianesse que je
m'estimois heureux d'avoir eu un commandemrat du
Roi si agréable à Madame Royale, que nous étions
tout prêts à exécuter, mon frère et moi, incontinent
après qu'il nous auroit donné nos décharges de Fétat
où étoit la place, à laquelle nous avions fiiit plusieurs
réparations, spécialement aux corps de garde, ponts,
portes, casernes et parapets, avec des réo^issés de
l'artillerie, armes, munitions de guerre, qui appar-
tenoient à Son Altesse Royale, et des ustensiles que
Madame Royale avoit fait distribuer aux soldats ; qu*au
reste, je tenois à grand honneur de remettre les dés
de la citadelle en si dignes mains que les siennes,
auxquelles Madame avoit confié toutes celles des places
de Piémont, avec le commandement général de tout
l'État, lorsqu'elle se retira en Savoie, et qu'il avoit
généreusement contribué de sa valeur et prudente
conduite, avec les armes et puissants secours du Rd,
pour en chasser les ennemis et y rétablir Tautorité de
4657] MÉMOIRES DE 80UVIGNY. 319
Madame Royale. Après m'avoir r^ndu fort obli-
geamment, je lui fis voir sommairement oe qui q>par-
tenoit à Son Altesse Royale. Mon frère se chargea de
le faire voir en détail à son secr^ire, pendant qu'il
s'en alloit à la ville. Étant retourné à la citadelle le
lendemain matin, il signa les certificats nécessaires à
notre décharge des choses qui appartenoient à Son
Altesse Royale.
Le commissaire qui commandoit rartillerie du Roi
nous ayant aussi donné nos décharges de TartiDerie et
munitions de guerre, qui étoient dans la citadelle, appar^
tenant au Roi, M. Brachet, intendant de l'armée d'Italie,
me fit voir un ordre du Roi de lui remettre les soldats
de la citadelle, pour les envoyer en garnison à Valence ;
ce qu'ayant fait à l'heure même, nous sortîmes de la
citadelle, mon frère et moi, après que les troupes de
Madame Royale en eussent pris possession.
Étant sorti de la citadelle, je fus trouver Madame
Royale l'avertir de la sorte que je TavcMS remise et
recevoir ses conunandements pour aller à la CkHU*.
Madame Royale me remercia de la manière que j'avois
usée, me dit qu'elle n'avoit pas oublié le service que
j'avois rendu à Monsieur son fils en lui conservant la
ville de Quérasque, qu'elle croyoit bien que le Boi
récompenseroit ceux que je lui avois rendus, mais,
pourtant, s'il y avoit quelque emploi dans les États de
Monsieur son fils qui m'accommodât, qu'elle me le feroit
bailler; que, si, néanmoins, j'avois tout à fait résolu
de me retirer en France, je lui laissasse mon frère,
qu'elle le posteroit bien et en auroit un smn particulier
de sa fortune.
Après l'avoir très humblenimt remercié de ses
320 MÉMOIRES DE 80UVI6NY. [1657
bontés, j'en donnai avis à mon frère et le persuadai
de demeurer au service de cette grande princesse,
conune il fit. Madame Royale, qui fit des caresses extrar
ordinaires à ma fenune, lui dit presque la même diose
et, en après, nous envoya un présent que j*ai estimé
ne devoir pas refuser de la main d'une si grande
princesse, sœur du feu Roi, mon bon maître, tante
du Roi régnant glorieusement, et d'autant plus
volontiers que nous étions hors de la citadelle, et que
j'avois été averti qu'à la Cour Ton avoit trouvé fort
mauvais le refus qu'avoit fait M"^ la maréchale
de Grancey^ d'un présent qui lui fîit envoyé par
Madame Royale, laquelle en fut extrêmement oSimsée,
[et] elle ne la voulut plus voir en après.
Ayant pris congé de Madame Royale, elle nous
envoya offrir de ses carrosses, pour nous et nos gens,
jusqu'à Suse. Nous la remerciâmes très humblement
et, ayant aussi pris congé de Son Altesse Royale son
fils, de Monsieur l'Ambassadeur et sa femme, ei de
tous nos amis, aussi bien que de mon frère et de ma
sœur, après avoir entièrement payé les sieurs Tenin,
Cailla et Touse, et autres qui nous avoient prêté de
l'argent pour assister la garnison, nous partîmes de
Turin, le 15* février 1657, pour aller loger à Saint-
Ambroise. Le lendemain, étant arrivés à la Novaleza',
il nous vint trouver un homme, envoyé de la part de
1. Charlotte de Mornay-Villarceaux, gouyemante de M"*" de
Valois, fille de Pierre et d'Anne Olivier de Leuville, épousa,
en 1648, Jacques Rouxel, comte de Grancey et de MédaTy, qui
devint maréchal de France en 1651 et était veof de Catherine
de Monchy-Hocquincourt.
2. Novalesa., arr. de Suse, prov. de Turin.
1657] MÉMOIRES DE SOUVIGNY. 321
M. le contrôleur général * Verdine, qui étoit fort de
mes amis, lequel nous fit présent d'un régal de quan-
tité de volailles, des perdrix, et de tant d'autres sortes
de vivres qu'il y en eut assez pour tout notre voyage.
Cette abondance de bonnes choses me fit pré^mier
que cela ne pouvoit venir que de Madame Royale,
n'ayant pas obligé M. Verdine de faire une dépense
pour nous. Je fus confirmé en cette opinion quand je
vis l'ordre de ce qu'on me donna, aux habitants^ de
la Novaleza, de nous bien fournir ce qui nous étoit
nécessaire pour passer le Mont-Genis et de nous bien
servir, et qu'en arrivant à la Novaleza, le fermier
général de Savoie nous fit civilité, nous fit présent de
quelques bouteilles de vin et nous accompagna jusqu'à
Ghambéry, nous demandant souvent si nous avions de
besoin de quelque chose. Mais, comme nous avions
notre équipage suffisant pour nous et nos domestiques,
et que nous ne voulions rien prendre sans payer, il
nous fut pourtant impossible de refiiser les bouteilles
de vin qu'il nous donna.
M. de Guirieu^, cousin germain de ma fenune, nous
voulut loger en sa belle maison^, près de la Tour-du-
Pin. Mais, comme nous avions grand train, je m'en
excusai, aussi bien que des cérémonies que de nos
amis nous vouloient faire en entrant à Lyon, avec
1. Gnal : addition autographe.
2. C'est-à-dire : pour les habitants.
3. Charles de Boissat, seigneor de Gairieu, fils de Pierre,
qui avait épousé, le 24 juin 1612, Charlotte de ViUars, scBor de
Louise de Villars, dame du Chol. (Généalogie de la famiUe de
Villarsy par M. de Terrebasse.)
4. Cuirieu, hameau de la commune de Saint-Jean-de-Soudin,
à deux kilomètres de la Tour-du-Pin, Isère.
II 21
322 MÉMOIRES DE SOUVIONY. [4658
plusieurs carrosses, et nous loger, ayant envoyé à
Tavance le nommé La Marguerite, valet de M. de la
Grange, pour les avertir ponctuellement de notre
marche. Je Tempèchai d'y arriver plus tbt que nous,
faisant effort, partant de la Tour-du-Pin, pour aller
loger le même jour au faubourg de la GuiUotière; et,
comme nous apprîmes, en arrivant, que la porte de la
ville étoit encore ouverte, quoiqu'il ftA déjà bien tard,
nous y entrâmes et allâmes loger au Cheval de brome,
à la rue du Boeuf. Nous demeurâmes trois jours à
recevoir les visites de nos amis, sans avoir le tanps de
pouvoir sortir du logis, ni faire aucune aflhire. ^rès
avoir rendu mes civilités à M. TÂrchevèque^ et nous
être débarrassés de Lyon, nous nous retirâmes à Sou-
vigny, d'où je partis pour la Cour.
4658.
Pendant mon voyage de la Gour, ma fenune acheta
la rente de Vaudragon', qui prend es paroisses de
Mcys, Saint-Denis, Ghâtelus, Grammond', Fontanès*,
1. Camille de Neufville (1606-1698), archevêque et comte de
Lyon, commandeur de Tordre du Saint-Esprit, lieatenant
général au gouvernement de Lyon et da Lyomiaii, Fores et
Beaujolais, fils de Charles de Neufville, marquis d'Alincourt,
seigneur de Villeroy, et de Jacqueline de Harlay.
2. Vaudragon, ou la Chapelle-en-Vaudragon, comm. de la
Chapelle-sur-Coise, cant. de Saint-Symphorien-iur-Goise, trr.
de Lyon. Voy., sur la seigneurie de Yaudragon, la Notice du
canton de Saint- Symphorien-le-Château, par Cochard, p. 166.
Il subsiste encore deux tours en ruines de Tancien châtetii.
3. Saint-Denis-sur-Coise, Châtelus et Grammond, commîmes
du cant. de Saint-Galmier, arr. de Montbrisoiiy Loire.
4. Fontanès, cant. de Saint-Héand, arr. de Saint*Étiemie|
1658] MÉMOIRES DE SOU VIGNY. 323
Saint-Romain-en- Jarrets M. de Sarron*, qui la lui
vendit, lui remit trois terriers de ladite rente, savoir :
Faure, Fayade et Noyer, et fit ratifier à Madame sa
femme le contrat de vente avec la quittance qu'il en
passa.
Je ne pouvois désirer de meilleur accueil que celui
que me firent le Roi, la Reine et M. le Cardinal. Mais
cela n'étant pas suivi par eux du remboursement de
mes avances et appointements de la citadelle de Turin,
ni d'autre récompense que de vaines espérances de
mes services, je me résolus d'attendre une autre occa-
sion et pris congé de la Cour pour m'en retourner
chez nous^.
Après avoir donné ordre à nos affaires à Souvigny,
nous allâmes passer l'été à Belmont et donner ordre
à celles de mon frère de Belmont, en son absence,
ayant baillé des rentes à renouveler au sieur de
Saint-Michel. L'agréable situation de Belmont, la bonté
de l'air et des h*uits délicieux qui s'y recueillent nous
y firent demeurer jusqu'au mois d'octobre de l'an 1 658
que nous allâmes loger à Lyon chez M"* Bay, où nous
étions parfaitement bien logés.
Le Roi et toute la Cour s'étant rendus à Lyon,
quelques jours auparavant que Madame Royale de
Savoie y vint avec Son Altesse Royale son fils et
1. Saint-Romain-en- Jarret, cant. de Rive-de-Gier, arr. de
Saint-Étienne.
2. Louis de Sarron, baron des Forges, seigneur des Four-
neaux, Sacconay, Civrieu, Vaudragon, la Rajasse, la Chapelle,
fils de Jean, chevalier de l'ordre du Roi, et d'Anne de Fay,
épousa, en 1655, Hélène de Rougemont.
3. Ce paragraphe a été ajouté en marge de la main de Sou-
vigny.
324 MÉMOIRES DE S013V1GNT. [1658
M""* Marguerite de Savoie, sa fille*. Sa Majesté ayant
été au-devant d'eux à une lieue dans le Dauphiné
et traité fort civilement la princesse, l'on fut quelques
jours dans l'opinion que le mariage proposé entre eux
s'accompliroit. La suite fit voir le contraire : la diffi-
culté, à ce que l'on dit, étant provenue de Madame
Royale, qui ne voulut pas consentir à celui qui avoit
été proposé de son fils à une nièce de M. le Cardinal;
mais il y a bien plus d'apparence que ce soit la Reine
mère qui ait rompu ce mariage pour faire celui du
Roi avec l'infante d'Espagne, sa nièce, comme elle
le désiroit ardemment, et qui s'est accompli à Saint-
Jean-de-Luz l'année ensuivante.
Nous ne nous flattions pas de vaines espérances,
si M""* Marguerite de Savoie eût été reine de France,
ayant une estime et amitié toute particulière pour ma
femme, parce que nous n'y voyions point d'appa-
rence, quoique l'abbé Morety^, qui avoit engagé
Madame Royale d'aller voir la Cour à Lyon, fit des
assurances de M. le Cardinal pour dire que le mariage
du Roi avec cette princesse s'accompliroit, d'autant
que je savois de bonne part que, lorsque M. le Cardi-
nal fit proposer à Madame Royale de faire épouser
Son Altesse Royale son fils avec une de ses nièces, die
dit qu'elle le vouloit bien, pourvu qu'il lui fit rendre
1. Marguerite de Savoie devint duchesse de Parme. Voy.
t. I, p. 337, note 3.
2. L'abbé Amoretti, agent secret de Mazarin, eut, en cette
circonstance, le rôle principal qui fut enlevé à l'ambassadeur
Servien. Voy. Ifis tractions données aux €tmbasMadeunf Savoie,
t. I, p. 7. Le même abbé avait été précédemment envoyé à
Paris, en 1657, par la cour de Savoie pour négoâerla restitu-
tion do la citadelle de Turin.
1658] MÉMOIRES DE SOUVIGNY. 325
Pignerol. Sur quoi, M. le Cardinal répondit qu'il
n'étoit pas en son pouvoir de la lui faire bailler, et qu'à
cette condition elle se contenteroit bien de la fille du
bourreau de Paris. Cela nous fit présumer que, Son
Altesse Royale n'épousant pas une nièce de M. le Car-
dinal, il ne consentiroit point le mariage de M"^ la
princesse Marguerite avec le Roi, joint que la Reine sa
mère désiroit qu'il épousât M"* la princesse d'Es-
pagne, sa nièce. Néanmoins, nous ne laissâmes pas
d'aller au-devant de Madame Royale jusqu'à Cham-
béry, dans un carrosse à six chevaux, passant par Gre-
noble, la vallée de Graisivaudan, le fort de Barraux,
et Notre-Dame de Myans ^ . Étant arrivés à Chambéry,
Madame Royale nous reçut avec des bontés extraordi-
naires, et, après avoir demeuré huit jours et pris congé
d'elle, nous retournâmes à Lyoi>par le même chemin.
Leurs Majestés, M. le Cardinal et toute la Cour
allèrent au-devant de Madame Royale et de la sienne
jusqu'auprès de Bron^. Le bon accueil de Sa Majesté^
à M""^ la princesse Marguerite de Savoie, et les ca-
resses qu'il lui fit tous les jours firent croire à plu-
sieurs que le mariage se feroit; mais la Reine mère
voulant absolument qu'il épousât sa nièce la princesse,
il y eut bien du changement, ce qui obligea à Madame
Royale de se retirer avec Son Altesse Royale son fils,
et sa fille et toute la Cour.
1. Myans, cant. de Montmélian, arr. de Chambéry, Savoie.
Notrc-Dame-de-Myans est un lieu de pèlerinage où se trouve
une madone noire d'une haute antiquité. La fête en est célébrée
le 8 septembre.
2. Bron, cant. de Villeurbanne, arr. de Lyon.
3. Il s'agit du Roi.
:m MÉMOIRES DE SOUYIGNT. [ifô9
La cour de France demeura à Lyon envinm trcHS
semaines après que celle de Savoie en fut partie.
Durant ce séjour, je ne perdis point de temps à sollici-
ter M. le Cardinal : mais je n'en eus que de vaines espé-
rances, sur quoi je ne Taisois aucun fondement.
^659.
L(^ Roi étant parti de Lyon au commencement de
Tannée 1659, nous y demeurâmes avec grande satis-
laction. Ma femme s'occupoit fort à la dévotion et
semhloit que rien ne manquoit à notre bonheur, après
les grandes aiïaires que nous avions eues que de payor
la soninie de six mille livres que je devoisàM. le baron
(le Lngiiy de Vougy pour l'entretien et parfiùt paiement
de (irt^/.iou. (Vost pourquoi nous résolûmes ensemble
(|ue j*iiH>is fniiv cette affiiire, et de vcnr Monsieur notre
aix'JiovtV^ue à Vimy^ pour servir M. de Tlsle, qui
avoit (|uelque affaire auprès de lui. Je partis donc de
Lvou on iH.'tte intention le [4] mars 1659, et, en
disant ailieu à ma tVimne, je remarquai en son visage
un ohangemont qui me donnoit de Tapprâiension, y
tixMivant la txnileiu' extrémemait mauvaise et les yeux
enfouivs. Je lui dis que je ne la voulois pas kisser
en (Vt etat« cnn*ant qu'elle ètoit malade. Elle me
ivptuuiit qu\'lle ne sotoit jamais mieux portée et éloit
plus ivntente qu*une iviiK\ et n'avoit autre déplaisir
que de uh' voir partir par un mauvais tenqia. Sa
I . \ i*.it\ t^si rjiuotfru nom «ii^ NeufrUI^^-ssr-SaAne, ek.-l. et
oAut , Arr de l >..'» C^oiille de ><NitTni<'. arckevèqae et Ljroii,
\ (Kv<s<siAit u chitejitt d OnbreTal. oè il re^a^ ca 1681^
l\H5i* \l\ et U ivur de IVâttCif.
1659] MÉMOIRES DE SOUVIGNY. 327
réponse m'ayant un peu remis, quoique mon cœur fût
outré de douleur et saisi de crainte qu'elle fût plus
malade qu'elle ne pensoit, je me résolus finalement au
départ, dans l'espérance de faire diligence et d'être de
retour auprès d'elle le quatrième jour. Je lui dis donc
adieu. Â peine nous pouvions nous séparer, conune
s'il se fût été un présage que ce fût pour la dernière
fois. Ma seule consolation étoit en l'affection et amitié
qu'a voit M"^ du Monceau* pour elle et au soin qu'elle en
prendroit en mon absence, sachant aussi la confiance
qu'elle avoit en elle.
Ayant dîné avec M. l'Archevêque à Vimy et fait l'af-
faire de M. de l'Isle, nous allâmes coucher à Belmont,
d'où je partis, le lendemain, avec M. du Monceau. Je
vis M"® [de Chevriers] à la Flachère*, dînai à Thizy, et
arrivai le même jour à Vougy, château de M. le baron
de Lugny. M'ayant civilement reçu le lendemain matin,
que je lui comptai la partie de six mille livres, il me
bailla quittance générale, reçue par Debilly, notaire
royal, et déchargea de mes paiements l'original de la
1. Anne Piochon, fille de Jean Piochon^ marchand, et d'Anne
Ribou, baptisée, le 19 novembre 1637, à Jargeau, eut pour
parrain François Gangnières, père de Souvigny, et pour mar-
raine Jacquette Gaucher. Elle était sœur des frères du Mon-
ceau, dont parle Souvigny, notamment p. 307. On la trouve
sept fois marraine dans les registres paroissiaux de Jargeau de
1656 à 1675. £n 1668, elle est qualifiée dame Anne du Monceau.
2. La Flachère, comm. de Saint- Vérand, cant. du Bois-
d'Oingt, arr. de Villefranchey Rhône. Château possédé, en
1659, par François de Chevriers, ancien mestre de camp du
régiment de la Motte-Houdancourt. Il doit s'agir ici de sa
femme, dont le nom est en blanc dans le manuscrit, Claudine
de Varennes, qu'il épousa en 1629, fille d'Antoine, seigneur de
Rappetour et d'Antoinette de Rancé-Gletteins.
328 MÉMOIRES DE 80UVI6NT. [1659
transaction qu'il a passée avec messire Heldiior de
Saint-Ghamond, en vertu de laquelle il avoit hypo-
thèque spéciale sur la terre de Grézieu. Gela fait, je pris
congé de lui et m'en allai loger à Tarare^, où je n*étois
pas encore bien endormi que M. du Monceau me vint
dire qu'il avoit des nouvelles à me donner de ma
femme, et qu'il avoit fait préparer des chevaux de poste.
Je lui demandai s'il y avoit quelque chose de pressé.
Il me dît que oui, que M"* Bay* avoit envoyé en poste
un de ses gens pour m'avertir que ma fenrnie étoit
extrêmement malade, ce qui m'ayant grandement sur-
pris et mis en grande peine, je montai à cheval, et,
étant arrivé sur le haut de Fleurieu^, près de la Bresle,
environ deux heures devant jour, je remarquai une
étoile d'une effroyable manière qui me donna grande
appréhension pour ma femme. Le jour commençoit
à paroître quand j'arrivai à la porte de Vaise^. Le
commis dit à celui que j'envoyai qu'il avoit eu ordre
de m'attendra toute la nuit, les clés à la main, pcnir
me l'ouvrir à mon arrivée, ce qui me donna encore
plus mauvaise opinion.
En mettant pied à terre, je trouvai à la porte de
notre logis M. Beaux, qui me dit que ma femme étoit
décédée le jour d'auparavant, jeudi 6* mars 4669.
Dieu sait combien funeste me fut cette nouvelle. Je cou-
rus de toute ma force dans notre chambre où je trou-
1. Tarare^ ch.-l. de cant., arr. de Villefranche, RhAne.
2. On trouve^ quelques années plus tard, dans V Armoriai
(général : Lyonnais, une Marianne Bay, femme de Jean de la
Praye, trésorier général au bureau des finances de Lyon.
3. Fleurieu-sur-rArbresle, cant. de TArbresle, arr. de Lyon.
4. y aise, faubourg de Lyon, sur la route de Tartre.
1659] MÉMOIRES DE SOUVIGNY. 329
vai son corps, le visage blanc comme la neige et ver-
meil comme des roses. Après l'avoir baisée et fondu en
larmes et en sanglots, l'on me retira dans ma chambre
qui est sur la rivière de Saône. Étant un peu revenu
à moi, j'envoyai prier M. le président Sève*, qui
et oit parent de feu ma femme, que Dieu absolve! et
mon ami intime, de venir me voir. Je lui demandai son
conseil et son assistance en cette triste occasion, et le
priai de faire avec Messieurs les curés et chanoines de
Saint-Paul ^ qu'il me fût permis de faire porter le corps
de ma femme pour être inhumé en l'église de Souvi-
gny, m'étant ressouvenu qu'elle avoit une particulière
dévotion à Notre-Dame, la trouvant toujours au pied
de l'autel qui lui avoit été dédié, en prières, toutes les
fois que je la surprenois au retour de mes voyages,
sans pourtant savoir ce que j'ai appris environ quinze
jours après, à l'ouverture de son testament, par lequel
elle avoit ordonné que son corps fût inhumé au
pied dudit autel de Notre-Dame en l'église de Sou-
vigny.
Pendant que M. le président Sève alla trouver
Messieurs de Saint-Paul, auxquels il offrit de ma part
1. Guillaume de Sève, seigneur de Laval, succéda à son
père, comme premier président au parlement de Dombes, par
lettres de provisions du 22 mars 1653. Sa mère, Hélène de
Villars, était fille de Balthazar, président en la sénéchaussée
et siège présidial de Lyon, puis premier président au parle-
ment de Dombes (Généalogie de la famille de VUlars, par
H. de Terrebasse).
2. Saint -Paul, église collégiale et paroissiale à laquelle
l'église Saint-Laurent était annexée. Le chapitre était composé
de dix-huit chanoines, dont trois possédaient les dignités de
chamarier, de chantre et de sacristain-curé.
330 MÉMOIRES DI SOUVIGHCr. [1659
leur payer leur droit, comme si le corps y etA été eûse-
veli, et qu'il en eût obtenu ma demande, j'envoyai en
poste à M. l'archevêque de Vienne et à M. de Yillars,
oncles de feu ma femme, et à MM. de la Forest,
pour les avertir de son décès, donnai ordre d'avoir
toutes les choses pour les funérailles, un drap de
velours noir avec une croix de satin blanc sur le cer-
cueil, fis porter le corps dans une salle du logis, tapi^
sée de noir avec flambeaux, bénitier, et des prêtres
dont il y en avoit ordinairement deux auprès du
corps.
Plusieurs de mes amis, qui m'étoient venus visiter
et prendre part à mon affliction, s'étant retirés à
l'entrée de la nuit, j'eus loisir de faire r^exion sur ma
perte indicible, et, ignorant la cause de cette inopiné
malheur, n'ayant été que quatre jours à mon voyage,
je m'informai de M"** Bay et du Monceau, qui me
dirent que ma pauvre femme étoit morte d'un médi-
cament qu'une maudite créature lui avoit donné, lui
disant que c'étoit un remède pour avoir des enfants,
qu'elle s'étoit cachée d'elles pour le prendre, et a'étoit
seulement servie d'une de nos servantes. U falloit bien
qu'elle s'imaginât qu'il y eût du péril à s'y exposer,
puisqu'auparavant elle voulut faire sa confession géné-
rale et se communier. M. ***^, qui a une dignité à
Sainte-Croix^, m'a dit qu'elle fit l'un et l'autre avec
une dévotion admirable.
1. Le nom est en blanc dans le texte.
2. Sainte-Croix, première paroisse de Lyon, était unie à
l'église primatiale dont elle faisait partie, et était desservie
par deux curés, qualifiés custodes-curés de Sainte-Croix en
Téglise de Lyon^ et par quatre vicaires.
1659] MÉMOIRES DE SOUVIGNY. 331
A son retour au logis, ayant pris cette nialheureuse
boisson, elle fut attaquée au cœur et d*un dévoiement
continuel qui lui ôta entièrement ses forces, sans se
plaindre autrement, sinon qu'elle dit, à ce que M"* Bay
m'a rapporté, qu'elle avoit fait une grande faute, ce
qui lui fit présumer que c'étoit de l'avoir pris sans
l'avis du médecin ni autre personne en qui elle pût
avoir confiance, mais seulement sur le bruit commun
que cette détestable fenmie avoit donné de bons
remèdes à plusieurs autres femmes pour avoir des
enfants, ce qu'elle désiroit passionnément, plutôt pour
ma satisfaction que pour la sienne. Néanmoins, elle se
gardoit bien de se hasarder aux remèdes qu'en mon
absence, pour ne me fâcher, d'autant que n'y voulois
pas consentir, craignant de la perdre, et ne l'ai su que
deux ans après, qu'elle me l'avoua, qu'elle avoit fait
venir un médecin de Piémont à Souvigny pour ces
intentions, lorsque j'étois à Paris. Ceux que nous avions
consultés ensemble avoient conclu qu'elle s'étoit gâté
les reins par les efforts qu'elle avoit faits, en soutenant
feu M. du Ghol, son père, dans une grande maladie,
sans souffrir qu'autre personne le servît.
Ainsi, je n'a vois d'autre motif que la conservation
de sa santé. Je trouvois en sa personne tout ce que je
pouvois souhaiter au monde, ne croyant pas y pouvoir
être plus heureux et content, quand bien nous eus-
sions eu des enfants, et, pour lui ôter tout soupçon d'en
avoir la pensée, lorsque j'en rencontrois quelqu'un en
sa présence, je m'en détournois la vue, afin qu'elle ne
crût pas que j'y eusse intention, croyant que cela pou-
voit augmenter son déplaisir d'en être peinée. Aussi
étois-je bien obligé d'avoir de la complaisance pour
332 MÉMOIRES DE SOUVIGNY. [1659
une si vertueuse, si bonne et si aimable personne, [qui]
faisoit son plaisir à me plaire ; et, bien loin de me OMitre-
dire en la moindre chose, elle avoit cette obligeante
coutume de présenter adroitement si j'avois agréable
quelque proposition qu'elle m'eût voulu faire, aupara-
vant que s'en déclarer ; de lire toutes mes lettres qui
lui tomboient entre les mains pour me faire voir ce qui
me pouvoit contenter, et donner promptement ordre
aux autres choses, ainsi qu'il étoit nécessaire, sans
m'en faire rien connoltre qu'après que la diose étoit
faite. Cette fidèle servante de Dieu, zélée au service de
Notre-Dame, qui se confessoit et communioit presque
tous les huit jours fort dévotement, étoit si charitable
que je ne lui ai pas vu perdre une seule occasion d'ex-
cuser les fautes d'autrui, s'il lui étoit loisible et qu'elle
eût raison de le faire. Jamais ouïe médire de personne,
prudente et diligente aussi bien que prévoyante aux
affaires, sans emportement, l'esprit pressant et mod^,
peu de paroles et beaucoup d'édification, il m^est
impossible d'exprimer les effets de sa fidèle amitié. Je
dirai seulement qu'elle ne pouvoit souffiîr personne
entre nous deux, ni s'éloigner de moi non plus que
l'ombre fait le corps.
Dans le plus sensible de ses déplaisirs de me voir
partir à l'armée, elle m'a souhaité la goutte par plu-
sieurs fois, et à elle une jambe rompue, pour demeurer
tous deux ensemble, et proposé souventes fois de
vendre notre bien pour nous acheter quelque diarge
sédentaire, puisque je ne pouvois vivre content sans
emploi, toute occupation et climats lui étant indi£B6-
rents, pourvu que nous ne fussions pas séparés. Il
est souventes fois arrivé qu'après nous être pronaenés
1659] MÉMOIRES DE SOUVIGNY. 333
trois ou quatre heures dans la salle de Souvigny et
qu'on nous venoit dire qu'on avoit servi, que la
soupe étoit froide, nous disions : « Faisons encore un
tour, » et, en après, passions quelques heures sans
s'en apercevoir, ne pouvant finir nos discours qui
n'étoient pas d'affaires domestiques, un quart d'heure
par jour pouvant suffire pour notre famille^ ni des
nouvelles du grand monde, ni de notre voisinage, car
nous parlions peu du prochain. Semblables entretiens
ne sauroient être imaginés que par des personnes qui
aiment fidèlement et sincèrement, comme nous fai-
sions.
Je n'étois guère moins obligé à feu ma pauvre
femme, que Dieu absolve ! de sa bonté envers mes
frères qu'elle aimoit autant ou plus que les siens
propres, spécialement mon frère de Ghampfort, qui
abandonna ses affaires d'importance pour l'accompa-
gner en Piémont, et, à son retour, de Quérasque à
Pignerol, et qui avoit pour elle une tendresse toute
particulière. Sa vie est un exemplaire de vertu et de
bonté envers un chacun. Ses réprimandes à ses ser-
vantes en particulier, sans leur rien dire devant le
monde, sembloient aux remontrances d'une bonne
mère à ses filles : aussi en étoit-elle servie avec res-
pect et fidélité. Il y avoit peu d'avocats plus propres
à terminer de petits dififérends, son inclination à la paix
et sa capacité dans les affaires la faisant heureusement
réussir en celles de nos sujets de Souvigny et de Viri-
celles, les empêchant de se chicaner. Ils louoient Dieu
d'avoir une dame si charitable.
Madame Royale de Savoie l'avoit toujours bien
traitée et reçu dans son cabinet, conune elle eût pu
334 MÉMOIRES DE SOUVIGIIT. [1659
faire une ambassadrice, lui ayant souventes fois fait
l'honneur de prendre son avis en des oocasioiis
importantes, lui donnant rende:&-vous pour la voir à
cette intention dans le monastère des Carmélites, à
Turin, pendant que j'étois dans la citadelle, et, quoi-
qu'elle la fit prier souvent au bal et qu*dle sût
bien danser, elle n'y voulut aller qu'une fois qu*dk
crut faire plaisir à Madame Royale, qui domioit le bal
à la reine de Suède ^. Aussi n'étoit-dle point mâée
parmi les brouilleries des dames de la Cour. Elle n'y
paroissoit que pour contribuer sa bonne volonté et
entremise aux acconmiodements.
Ces tristes pensées et plusieurs autres que je ne puis
écrire, qui étoient souvent interrompues par mes sou-
pirs et sanglots, ayant occupé mon e^rit toute la
nuit sans me permettre autre consolation que le sou-
venir de la bonne vie de feu ma dière défiuite
fenmie, ce qui me fait croire que sa fin aura été
agréable à Dieu et par conséquent qu'elle est bio-
heureuse, au point du jour, qui étoit le samedi
8*" mars, je commençai à me préparer pour faire por-
ter le corps de feu ma chère femme, que Dieu
absolve ! à Souvigny , et le fis mettre sur un brancard,
couvert de drap noir, et les chevaux aussi. M. le
doyen de Saint-Pierre, mon beau-frère', m'ayant
joint à ma sortie de Lyon, voulut aussi acocMopagiier
le corps de sa sœur, lequel je fis mettre dans
l'église d'Yseron^, et fis faire les prières durant la
1. Voy. p. 286.
2. Melchior Harenc de la Condamîne : voy. p. 131.
3. Yseron, cant. de Vaugneray, arr. de Lyon, et àTingt*hiiit
kilomètres de cette ville.
1659] MÉMOIRES DE SOUVIGNY. 335
dtnée de nos gens. Je fis faire aussi une station au
droit de l'église d'Aveize*, dont le curé fit les prières,
et je trouvai celui de Souvigny à l'entrée de sa
paroisse avec la croix, son vicaire et tous ses parois-
siens, qui vinrent recevoir le corps qui fut porté en
l'église de Souvigny, où se fit le service solennelle-
ment le lendemain, y ayant assisté la plupart du
clergé des environs, mondit sieur le Doyen, M. de
Trocezard, son frère, M. de Bournat*, MM. de Clérim-
bert et de la Menue et plusieurs autres de nos amis.
Le corps de feu ma femme fut inhumé en la sépul-
ture au pied dudit autel de Notre-Dame, à Souvigny,
ainsi qu'elle avoit ordonné.
Après ces derniers devoirs, je ne pensai plus qu'à
prier Dieu, donner l'aumône pour elle et donner des
marques de mon amitié à sa mémoire. Je fondai une
messe à ladite chapelle Notre-Dame tous les jeudis,
jour de son décès, à son intention; et, pour la messe
que nous avions fondée tous les mardis à Longes,
j'obtins ordre de Monsieur notre Archevêque, et con-
sentement du curé de Longes, de la transférer à Souvi-
gny, où je la fondai, baillant le domaine qui fut de
Laurent Dumoulin pour l'entretien de ladite fonda-
1. Aveize, cant. de Saint-Symphorien-sur-Coise, à quarante
et un kilomètres de Lyon et à six kilomètres de Grézieu-Sou-
vigny. L'église, dédiée à saint Pierre, fut reconstruite plus
lard, sauf le clocher. Voy. Notice du canton de Saint-Sympho'^
rien-lc- Château, par Cochard, p. 141.
2. André Tricaud, seigneur de Sury-le-Bois, Boumat et le
Piney, conseiller du roi, lieutenant criminel au bailliage et
sénéchaussée de Forez, épousa Françoise de Vinolz et mourut
en 1672. Sa petite-fille, Jeanne-Françoise deLaurencin, épousa,
en 1689, le deuxième fils de Souvigny, Jean-Louis-Alexandre.
336 MÉMOIRES DE SOUVIGNT. [1659
tion du mardi et celle du jeudi, et, quant à la pension de
trente livres que me devoit Jean Journaux, du village
de Marlin, paroisse de Longes, que j'avois hypothé-
quée pour l'entretien de ladite fondation du mardi à
Longes, je la donnai à M"^ de Marlin^, tante de feu
ma femme, que Dieu absolve ! et retirai et mis en pen-
sion chez M. le curé de Souvigny le fils aîné de sa fille
et de M. de Curnieu^, pour lui faire apprendre à liçe et
à écrire aussi bien que les bonnes mo^irs, étant
homme de piété et de vertu auprès duquel il pouvoit
profiter beaucoup.
Je fis marché avec le sieur Mimerel, sculpteur de
la maison de ville de Lyon, de répitapfaté en lettres
d'or qu'il a posée en ladite chapelle. Je fis aussi
marché avec le sieur Acquin du retable et autres
ornements de ladite chapelle, avec Maître Brasier des
barreaux de fer qui la ferment, et avec * du
lambris. Je fis mettre un dais de velours noir aurdessus
de l'autel et le parement de même éto£Fe, aussi bien
que la chasuble, avec des croix de satin blanc, avec
nos armoiries, donnai une lampe et des burettes
d'argent, et autres ornements dont je diai^eai Jean
Gauthier, autrement dit Matillon, pour lors consul dudit
lieu. M. Julien Escot m'ayant transporté le droit de
nomination de la prébende du depuis, qui lui avoit
1. Marie du Chol, dite M"* de Marlin, du nom d'un hameau
de Longes, fille de Claude P' du Ghol et de GabrieUe de la
Forest, épousa Pierre de Saint-Priest de Fontanès, seigneur
d'Albuzy, qui testa le 7 juillet 1625. Voy. p. 238.
2. Hélène de Saint-Priest, fille de Marie du Chol, était mariée
à Pierre Dalmais, écuyer, seigneur de Cumieu.
3. Le nom est en blanc dans le manuscrit.
1659] MtiMOIRBS DB SOUYIGNT. 337
été cédée par M. Jean DeroIIe, je la lui conférai à lui-
même, et le nommai en même temps pour desservir
lesdites fondations.
Mon frère l'Âbbé et M"' du Monceau, qui m'avoient
toujours assisté, s'en étant retournés au pays^, je restai
tout seul et me résolus à établir mes afihires de sorte
qu'elles ne puissent dépérir ^i mon absence, et, ayant
mis tout l'ordre dont j'étois capable dans mon
extrême afiOiction, je partis de Souvigny, le SI9* juin
1 659, pour aller au rencontre de M. le cardinal Maza-
rin, qui étoit parti de Paris pour se ra^lre aux fron-
tières d'Espagne et de France, et traiter la paix entre
les deux couronnes. Par l'avis que M. de Ghamarande^
m'avoit donné de sa marche, je pris mes mesures ^i
intention de le joindre à Poitiers. Je passai à Boën,
l'Hôpital, la Pauze, couchai chez M. de la Yardière
d'à présent^, feu Monsieur son père, mon très dier
ami, étant décédé, de là à Glermont, Pontgibaud,
Pontaumur, Saint-Victor, la Chapelle -Taillefert^, la
Souterraine ^ Montmorillon. M. du Monceau étoH aussi
avec moi, et un valet à cheval avec un laquais.
^n arrivant à Poitiers, j'appris que M. le Cardinal
en étoit délogé pour aller loger à Couhé^. Je pris cette
route et m'en allai loger à un demi quart de lieue de
1. C'est-à-dire à Jargeau.
2. Clair-Gilbert d'Omaison, comte de Chamarande, gouver-
neur de Phalsbourg et Sarreguemines, premier mattre d'hd*
tel de M''^ la Dauphine, mourut en 1091.
3. Charles de Toumebise, seigneur de la Yerclière, fils de
Gabriel (voy. p. 201), décéda avant le 28 décembre 1005.
4. Saint-Victor et la Chapelle-TaiUefert, cant.'de Guéret.
5. La Souterraine, ch.-l. de cant., arr. de Guéret, Creuse.
6. Couhé, ch.-l. de cant., arr. de Qmjf ^bone.
II »
338 MÉMOIRES DB SOUYIONT. [I6S9
Gouhé, dans une maison d'un ami du oomte de
Yivonne^ où j'avois dtné, sachant la difficulté qu'il y
a de trouver logement à la Cour quand on arrive
tard.
Le lendemain, je me rendis de bonne heure à Ville-
fagnan^, en Saintonge, où H. le Cardinal étant arrivé
me fit l'honneur de me bien recevoir, MM. le marédial
de yilleroy et Tarchevéque de Lyon étant dans sa
chambre avec Don Antoine Pimentel', envoyé du roi
d'Espagne.
Les maréchaux des logis me logèrent tout seul,
pour ce jour^Ià, et me comptèrent le laklemain, que
nous allâmes loger à Barbezieux, avec M. de la GuiÛo-
tière^, maréchal de camp, mon ami, continuant ainsi
le long de la route à Guitres^, Cadillac, Captieux*,
Montr-de-Marsan, Dax, où il y a une fontaine d*eau
bien chaude, [et] dont M. de Poyanne^ est gouvernrar,
1. Louis -Victor de Rochechouart, comte, pni» duc de
Vivonne (1636-1688), fils de Gabriel, duc de Mortemart, et de
Diane de Grandseigne, maréchal et général des galères de
France, devint duc de Mortemart à la mort de son père,
en 1675.
2. Villefagnan, ch.-l. de cant., arr. de Ruffec, Qiarente.
3. Don Antonio-Alonso Pimentel de Herrera j QuinmieSy
comte de Benavente, négocia la paix des Pyrénées pour le roi
d'Espagne, avec Don Luis de Haro^ et monmt à Bruxelles
en 1671.
4. Michel d*Aits de la Guillotière, maréchal de camp en
1646, mourut en 1664. Il commanda dans Landredes en 1655.
5. Guttres, ch.-l. de cant., arr. de Liboome, Gironde.
6. Captieux, ch.-l. de cant., arr. de Bazas, Gironde.
7. Henri de Baylens, marquis de Poyannei sénéchal des
Landes de Bordeaux, gouverneur de Navarrdns et de Daz^ et
lieutenant général en la principauté de Béam, chevalier des
1659] MÉMOIRES DE SOUVIGNY. 339
à Bayonne, où étant logé chez M. Daguerre, M. de Mon-
ségur, de Ciboure, près de Saint-Jean-de-Luz, qui
étoit son ami, me pria de loger chez lui, quand Son
Éminence iroit à Saint-Jean-de-Luz. J'y trouvai de la
difficulté, parce que sa maison étoit une des plus con-
sidérables du lieu. Mais, néanmoins, les maréchaux
des logis me layant marquée pour moi seul, nous
fûmes ainsi séparés, M. de la Guillotière et moi, non
d'affection, qui a toujours continué entre nous jusqu'à
son voyage de Gigeri*, d'où se retirant avec l'armée,
de laquelle il étoit maréchal de camp, dans un vaisseau
nonmié la Lune, avec quelques compagnies de
Picardie, comme il vit que le vaisseau alloit être sub-
mergé, ne sachant pas nager, il dit : c S'il y a quel-
qu'un de vous autres. Messieurs, qui se puisse sauver,
il pourra dire que la Guillotière a su bien mourir i, et,
s'étant enveloppé dans son manteau, il se jeta en la
mer. Voilà la tragique fin dont je suis bien marri. Le
vaisseau s'étant enfoncé, tous ceux qui étoient dedans
furent noyés, excepté dix-huit soldats qui se sauvèrent
à la nage.
J'estimerois superflu de faire la description de
Bayonne, clé de France du côté des monts Pyrénées,
étant connue pour l'un des meilleurs ports de mer.
ordres du roi, fils de Bernard et d'Anne de Bassabat de Bordéac,
mourut en 1667.
1. Djidjelli, ville maritime d'Algérie, arr. de Bougie, dép.
de Constantine, fut prise par le duc de Beaufort en 1664, dans
le but d'y créer un établissement français. La garnison de
quatre cents hommes, qui y fut laissée sous les ordres du
comte de Gadagne^ fut massacrée par les indigènes, redevenus
maîtres de la ville.
340 HÉMOIRES DE SOUVIGNY. [4659
M. le maréchal de GramontS qui en est gouvameur,
a bien fortifié le château. Il seroit à désirer de réparer
la ville, où il y a quelques défauts. Les bourgeois sont
en grand nombre et bien armés. En cas d'alarme, les
conununes du pays y doivent jeter mille hommes d'élite.
M. le maréchal de Gramont me fit l'honneur de m'y
bien recevoir, nous ayant toujours fait celui d'aimer
toute notre famille, spécialement mon frère de
Champfort.
Durant les sept ou huit jours que nous demeurâmes
à Bayonne, il fut résolu que Son Éminence iroit â Saint-
Jean-de-Luz, et Don Louis d'Haro^, plénipotentiaire
d'Espagne, à Fontarabie. Y étant arrivé, M. de Hon-
ségur me mena en son logis qu'il avoit fait marquer
pour moi, bien plus commode et plus spacieux qu'il
ne m'appartenoit. J'avois encore plus d'avantage de
sa conversation ; car c'étoit un fort honnête honmie.
Saint-Jean-de-Luz est un grand village ouvert,
environ de la grandeur de Roanne, séparé de Giboure,
autre bourgade opposée à Saint-Jean-de-Luz de l'autre
côté du canal ou port de mer, par le canal qui leur
sert de bon port, d'environ deux cents pas de large,
sur lequel l'on a bâti un fort beau et solide pont, au
lieu de celui qui étoit plus bas que les pèlerins appe-
loient Pont -qui -tremble. Au-dessus dudit pont et
milieu du canal on a bâti un couvent de Récollets, avec
1. Voy. t. I, p. 352.
2. Don Luis de Haro (1599-1661), ministre espagnol, neveu
du comte d'Olivarès, lui succéda en 1643. Le marquisat de
Carpio fut érigé, en sa faveur, en duché-grandesse. Le comte
de Souvigny fut reçu à dîner par don Luis de Haro à Fonta«
rabie. (Gazette, année 1659, p. 842.)
1659] MÉMOIRES DE SOUVIGNY. 341
une belle église dédiée à Notre-Dame de la Paix, pour
la faire et maintenir entre ces deux grandes bour-
gades, où l'émulation et l'inimitié étoient en règne à
cause de leur trafic si grand qu'elles ont eu jusqu'à près
décent vaisseaux, d'environ vingt pièces de canon cha-
cun, avant la guerre, et leur en restoit encore environ
vingt. Celui de l'hôte de M. le maréchal de Villeroy
lui donna trente-cinq mille francs de profit de son
voyage; le mien eut dix-huit mille francs du sien.
Leur grand commerce est en Terre-Neuve, dont ils
apportent des morues et merluches, et aux pêches de
baleines, pour lesquelles ils vont quelquefois vers les
mers glaciales, et en tirent beaucoup [plus] d'utilité
qu'auparavant, depuis l'invention qu'a trouvée un
Basque de faire fondre les graisses des baleines dans
leurs vaisseaux, ce que jusqu'alors Ton avoit estimé
impossible, et qu'ils ne pouvoient fondre à terre
depuis que les Anglois et Hollandois les avoient chas-
sés des habitations qu'ils avoient faites en ce pay&-là*,
étant contraints d'apporter les graisses, qui se fon-
doient en partie en leur longue route. Ce Basque fai-
soit^ suspendre les grandes chaudières en l'air, de
telle façon qu'encore bien que les vaisseaux, agités
des vents, penchassent d'un côté ou d'autre, elles
demeuroient néanmoins droites, en ligne perpendicu-
laire, et, pour empêcher les grands feux et les bri-
1. Verazzano avait déclaré Terre-Neuve possession française
en J524. Les Anglais s'emparèrent de Tîle en 1583 et les Fran-
çais ne la reprirent qu'en 1701. Ce fut la paix d'Utrecht, en
1713, qui limita définitivement le droit de pèche des Français
au rivage appelé le French Shore,
2. Il y a faisant dans le texte.
342 XÉMOIBES DE SOUVIGNT. [1659
quels échauffés de mettre le feu aux vaiaseaaz, il
modéroit leur chaleur, les arrosant quand il étoit
nécessaire.
L'évident pro6t de cette nourdle inventiiMi ayant
été connu à la Cour, l'on fit un parti avec pouvoir aux
partisans d'empêcher qu'il n'entrât aucune hnfle de
baleine en France sans sa permission; sur qum, il
voulut traiter avec les Basques, à condition qu'ils lui
foumiroient une certaine quantité de tonneaux de
ladite huile dans les ports de Bayonne, Bordeaux,
Nantes, Saint-Malo, Rouen, Galab, Agde, Arles, Mar-
seille et Toulon, à vil prix, ce que n'ayant pas voulu
faire, disant qu'ils n'étoient pas assurés des vents pour
conduire leurs vaisseaux auxdits lieux et qu'ils ne
pouvoient vivre, baillant leurs huiles à si bcm marché,
sur quoi M. de Monségur, mon hMe, ayant harangué
M. le Cardinal, lui présentant une requête de la partie
de Basque, il les renvoya au retour de la Cour à
Paris.
Puisque nous sommes sur le discours des baleines,
je dirai comme on les prend aux cAtes de Basque, envi-
ron le mois de septembre, qu'elles se viennent finottn*
la tête contre les rochers, pour en 6ter de petites bêtes
qui les incommodent. L'on met des sentinelles sur les
pointes de terre ou caps plus haut avancés dans la
mer. Lorsqu'ils^ crient : < Baleine! >, sitAt qu'As les
aperçoivent à la pluie qu'elles jettent en haut, alors
les chaloupes préparées vont après. La plus avancée
n'est point empêchée par ceux qui la suivent. L'ayant
approchée, on lui donne un coup de dard, dont le
1 . Ils mis pour e//es, les sentinelles.
1659] MÉMOIRES DE SOUVIGNY. 343
bout est fait comme celui d'une flècbe à la turque,
attaché à une corde. Il pénètre facilement dans le
corps de la baleine, dont la peau est fort mince, et
n'en peut sortir. Quand elle se sent blessée, elle fait
un effort de la queue, qui coupe quelquefois des cha-
loupes, va au fond et, s'étant relevée, va à la terre la
plus proche, où étant achevée de tuer, la graisse est
séparée dans la chair que Ton donne à de pauvres gens,
et [on] fond la graisse en huile.
L'on en prit une, du temps que nous étions à
Saint-Jean-de-Luz, qui étoit fort grande, quoiqu'on
dit qu'elle n'avoit pas plus de dix ou onze mois.
Pendant les allées et venues des envoyés de M. le Car-
dinal à Don Louis d'Haro, et de lui à Son Éminence,
pour convenir d'un lieu de se voir, je priois à dîner,
dans mon logis, M. le président de GhamoussetS
envoyé de la part de Son Altesse Royale de Savoie
à M. le Cardinal, et M. le comte de Sannazare*, de
Son Altesse de Mantoue. Étant hors de table, je leur
dis qu'étant serviteur de leurs maîtres et le leur, j'avois
eu la pensée de les mettre ensemble, afin qu'ils se
puissent aboucher et peut-être convenir ensemble de
leurs faits en particulier, sachant bien l'intention de
leurs maîtres, afin d'en demeurer d'accord par la
1. Claude-François de Bertrand, seigneur de Ghamousset,
baron de Gilly, gouverneur de Chieri, fils d'Amédée et de
Charlotte de Chevron, fut président du conseil de Madame
Royale, ministre d'État, deuxième président au sénat de Savoie,
ambassadeur en France et plénipotentiaire au traité des Pjrré-
nées. Il testa en 1667.
2. Le comte San-Nazaro fut ministre résident du duc de
Mantoue en France en 1658 (Histoire généalogique de la mai"
son royale de Savoie, par Guichenon, t. 111, p. 164).
344 MÉMOIRES DB SOUVIOIIT. [1619
médiation de M. le Cardinal, que je n'étois pas à
téméraire de croire que j*y puisse contribuer autre
chose que ma bonne volonté et mes désirs de voir la
paix bien établie entre leurs États, où j'ai longtemps
servi le Roi à la satisfaction des dmx pièces, et me
retirai en fermant la porte, pour empêcher que leurs
entretiens ne fussent interrompus, et les revins trouver
environ quatre heures après. Je reconnus qu'ils étiHent
convenus de quelque chose et non de tout. Après cda,
ils se virent et se parlèrent toujours fort dvil^n^it.
Nous nous voyions souvent M. le président de Gba-
mousset et moi, mon logis joignant le sien.
M. le Cardinal et Don Louis d'Haro étant convenus
de s'assembler dans l'Ile que les Basques appebient
Béhobie, et les Espagnols l'Ile des Faisans, en la
rivière de Bidassoa^, qui sépare la France de l'Es-
pagne, pour faire la paix entre les deux couronnes.
Son Éminence nous ordonna, M. de Ghouppes' et moi,
1. Le lit de la Bidassoa s'élargit au hameau de Béhobie et
forme plusieurs îles^ dont Tîle des Faisans ou de la Conférence.
Presque à fleur d'eau, cette île est maintenue par des pik>tis,
réparés notamment en 1861 par les soins de Napoléon III et de
la reine Isabelle, ainsi qu'en témoigne une plaque commémo-
rative. Le hameau de Béhobie, sur la rive droite de la Kdas-
soa, à l'extrémité du pont international, appartient à la eomm.
d'Urrugue, cant. de Saint-Jean-de-Luz, arr. de Bayonne,
Basses-Pyrénées. La description de Ttle de la Bidassoa est don-
née dans la Gazette , année 1659, p. 847.
2. Aymar de Chouppes, baron du Fau, chevalier de Tordre
du roi, conseiller d'État d'épée, mestre de camp de deux régi-
ments, lieutenant général des armées du roi, lieutenant de roi
en Roussillon, gouverneur de Belle-Isle, fils de René et de
Catherine Goyer, naquit vers 1612 et mourut vers 1673. fl
écrivit des Mémoires (1625-1660), qui ont été publiés en 1753,
1659] MÉMOIRES DE SOUVIGNY. 345
d'en aller partager le terrain avec MM. de Batteville*
et Pimentel, que Don Louis y envoya. Nous y fîmes
faire les bâtiments de la conférence et ponts de
bateaux. La longueur de cette lie est de quatre cent qua-
rante-huit pieds et de quarante-six en sa plus grande
largeur. Les bâtiments [furent] de semblable hauteur,
longueur, largeur, pour observer l'égalité entre les
couronnes, savoir : pour chaque plénipotentiaire, une
salle de trente-six pieds de long, chambre de vingt-
quatre, antichambre de dix-huit, sur quinze pieds de
large, avec une galerie pour aller à la chambre de la
conférence, qui est de vingt-quatre pieds carrés , et
une cour de semblable grandeur, pour empêcher d'en-
tendre ce qui se disoit à la conférence. Personne n*y
pouvoit entrer, non plus que dans les galeries par
lesquelles ces Messieurs alloient à couvert dans la
chambre de la conférence, partagée par la moitié, où
chacun avoit sa porte, tapisserie, marchepied, siège,
table et fenêtre, le tout d'égale grandeur, et [ils]
prenoient si justement leurs mesures qu'ils y entroient
tous deux en même temps.
Il n'y avoit point de fenêtre entre les autres bâti-
ments et la distance d'entre eux étoit faite à dessein
et réimprimés avec ceux du maréchal de Navailles, par Moreau,
en 1861.
1. Don Carlos, comte de Côrvierre, appelé le baron de Bat-
teville par les historiens, fils de Nicolas de Watteville, marquis
de Versoix, et d'Anne de Grammont, d'une famille franc-com-
toise, fut gouverneur de Bourg, en Guyenne, pour les Espa-
gnols, en 1652, maréchal de camp dans la révolution de Naples,
capitaine général de la Catalogne, gouverneur du Guipuzcoa
et de Saint-Sébastien, ambassadeur de Sa Majesté Catholique
en Angleterre en 1661.
346 HÉMOIRIS DB SOUVIGIIT. [1689
de n'avoir point de oommunication, aiiflfli bien que la
clâture qui sépare la distance d'entre les deux ponts de
bateaux, où l'on mettoit le pied à terre, afin de pouvoir
aller chacun dans son appartement, sans se voir ni
entendre, pour éviter les accidents qui sont arrivés
autrefois, en ce pays, aux entrevues des rois de France
et d'Espagne, à cause de l'antipathie des deux nations^ ;
et, pour empêcher le désordre, nous n'entrftmes que
soixante François et soixante Ei^Mignols dans TAe, à la
première conférence, nonunés par les plénipoten-
tiaires.
Pendant la seconde conférence, plusieurs Espagnfds
eurent la curiosité de nous voir à notre appartement
et, après avoir monté sur la clôture de séparation à
cette intention, ils vinrent en chaloupe aborder notre
pont de bateaux, sans que pas un de nous s'avançât,
parce que M. le Cardinal avoit défendu de leur pœnt
parler ; mais, à la fin, nous crûmes qu'il étoit de la
civilité de les aller recevoir, comme nous fîmes, et,
les ayant conduits à l'appartement de Son Éminenoe,
et leur fait faire collation, ils se retirèrent fort satis-
faits de nous, qui leur ayant rendu la visite incontinent
après, ils nous reçurent avec beaucoup d'honnêteté.
Nous nous mêlâmes si bien les uns parmi les autres que
Messieurs les plénipotentiaires, ayant informé de oe
1. Il y eut sur la Bidassoa, en 1463, entre Louis XI, Henri IV,
roi de Castille, et la reine d'Aragon une entreTue où le haiu
excessif du roi de Gastille et la simplicité afiectée du roi de
France furent pris, de part et d'autre, en mauvaise part. Bn
1526 eut lieu, sur une barque, près du même liea, rechange
du roi François I*' et ses deux fils. Bnfln, en 1616, se fit
l'échange d'Elisabeth, fille de Henri IV, destinée à Philippe IV,
et d'Anne d*Autriche, destinée à Louis XIII. Voy. 1. 1, p. 29.
1659] MÉMOIRES DE 80UVIGNY. 347
qui s'étoit passé en ce premier rencontre, [et pensant]
que la suite en seroit de même, firent abattre les clô-
tures de séparation et entrer dans Tlle tous ceux qui
s'y présenteroient. Alors, on connut bien que Tesprit
de paix étoit parmi nous, car il n'y eut de sorte de
gracieux traitement que les deux nations ne se fissent
l'une à l'autre.
M. de Ghouppes fit faire notre pont de bateaux pen-
dant que je dessinai et fis faire les bâtiments, les
sieurs de Batteville et Pimentel s'en étant rapportés à
moi quant au dessin. Après quoi, chacun fit son
ouvrage séparément. Nous commençâmes le 4® d'août
1659 et achevâmes le 12* en suivant*.
Son Éminence et Don Louis y ont tenu vingt-cinq con-
férences, d'environ cinq heures chacune. La vingt-qua-
trième fut le T novembre. Le traité de paix ayant été
signé par Son Éminence et Don Louis, ils firent entrer
1. « Cependant (4 août), le comte de Souvigny et le sieur de
Chouppes, lieutenant général de Tartillerie, qui avoient ordre
d'elle (Son Éminence) de faire dresser plusieurs ponts de
batteaux pour faciliter l'entrée de llle de THôpital et des
cabanes qui s'y dressoient pour la conférence, s'en acquittoient
avec une diligence extraordinaire, comme faisoient aussi le
baron de Batteville et le gouverneur de Fontarabie de leur
côté de la part de Don Louis d'Aro. » (Journal contenant la
relation véritable et fidelle du voyage du Roy et de Son Éminence
pour le traitté du mariage de Sa Majesté et de la paix générale ;
Paris, Loyson, MDCLIX, p. 9.) Il est dit plus loin, dans ce
journal, que les comtes de Guiche et de Souvigny furent trai-
tés avec un superbe appareil, dans Fontarabie, par le duc de
Nocarc, le 17 août. Dans une autre relation, on lit également à
la date du 4 août : « Ce matin, on a envoyé Ghouppes et Souvi-
gny visiter l'île et prendre les mesures. » [Histoire du traité de
la paix conclue sur la frontière d^ Espagne et de France entre
les deux couronnes en Van 1659 ; Cologne, 1665, p. 134.)
348 MtMOIRES DE SOUVIGHT. [1659
dans la chambre de la œnf éremse œ qoi se tixmva de Fi«^
çois et d'Espagnols de condition dans File, pour ouïr lire
le contrat du mariage du Roi avec Tinfante d'Espagne ^ .
Don Pedro Goloma^, secrétaire d'Ëtat du Roi Catho-
lique, en ayant fait la lecture, [il] fîit signé en même
temps par les plénipotentiaires. Les Espagnols en
donnèrent la bonne œuvre à Son Ëminenoe, et nous
en fîmes nos civilités à Don Louis. Il est vrai que les
Espagnols témoignèrent plus de joie de la paix que
nous, qui étions presque tous officiers d'armée auprès
de Son Éminence, et Don Louis d'Haro n'avoit auprès
de lui que des provinciaux^, excepté les sieurs de
Batteville, Pimentel et peu d'autres. La dernière con-
férence, qui se fit le lundi 10* novembre 1659, (iit
seulement pour se donner des présents et se dire
adieu.
Il est à remarquer qu'en l'an 1 61 5 se firent les deux
changes des deux reines, sur un pont qui fut fait envi-
ron cinq cents pas au-dessus de ladite lie, savoir de
l'infante d'Espagne Anne d'Autriche, qui fut mariée au
1. Marie-Thérèse d'Autriche (1638-1683), fille de Philippe IV
et d'Elisabeth de France. Le mariage aurait été décidé en
novembre 1658, à Lyon, entre Mazarin et un envoyé d'Espagne,
alors que le Cardinal feignait de travailler au mariage de
Louis XIV avec Marguerite de Savoie. Voy. p. 324.
2. Le contrat de mariage du 7 novembre 1659 fat passé
<c par-devant moi, Pedro Coloma, chevalier de l'ordre de
Saint- Jacques, seigneur des villes de Chozaz, de Cavales et de
Yiinclillers, du conseil des Indes, secrétaire d'État, écrivain
et notaire de la Catholique Royale Majesté ». {Histoire des trai-
tés de paix ^ année 1659.)
3. C'est-à-dire : gens du pays ou de la province.
1659] MÉMOIRES DE SOUVIGNY. 349
roi Louis XIII% et de Madame Elisabeth de France, qui
fut mariée à Philippe, roi d'Espagne^.
Étant en la bibliothèque du couvent des Récollets,
entre Saint-Jean-de-Luz et Ciboure, le 3* octobre 1 659,
j'ai remarqué dans un livre, intitulé de la Croix du
Maine ^, [que] Guillaume du Ghoul, bailU des montagnes
du Dauphiné, maître des requêtes, gentilhomme lyon-
nois, a composé quantité de beaux livres, imprimés à
Lyon, l'an 1555^, et que Jean du Ghoul, son frère, en
a aussi imprimé à Lyon 1565*.
M. l'abbé d'Aurillac^ me donna place dans son car-
rosse depuis Saint-Jean-de-Luz jusqu'à Toulouse, où
1. Voy. t. I, p. 29.
2. François Grudë, sieur de la Croix du Maine^ bibliographe,
(1552-1592), publia la Bibliothèque du sieur de la Croix du
Maine, qui est un catalogue général de toute sorte d^auteurs qui
ont escrit en françois depuis cinq cents ans et plus jusqu 'à ce
jour d'huy, avec un Discours des Vies des plus illustres entre
les trois mille qui sont compris en cette œuvre ; Paris, 1584.
3. GuillaurSe du Choul ou du Ghol, fils de Pierre Ghol^ fut
étudiant à Valence, en 1516, et mourut en 1560. Il écrivit le
Discours sur la castramétation et discipline des anciens Romains;
Lyon, 1555, et le Discours de la religion des anciens Romains;
Lyon, 1556.
4. Jean, fils du précédent, et non son frère, et de Glaire
Faure, seigneur de la Jurary, bailli des montagnes du Dau-
phiné par résignation de son père, en 1560. On a de lui :
De varia quercus historia. Pylati mentis descriptio, authore
Jo. du Ghoul G. -F. Lugdunensi. Lugd., Rouville, 1555; Dia-
logus formicas, muscx, aramsei et papilionis, 1556; Dialogue
de la vie des champs, 1565. Il testa en 1578 et 1598 et fut
arrière-grand-père de M™* de Souvigny.
5. Saint-Géraud d'Aurillac était une abbaye de Tordre de
Saint-Benoît, fondée au ix« siècle. Louis Barbier de la Rivière^
3M) MÉMOIRES DE SOUVIGNT. [1659
nous arrivâmes deux jours avant M. le Cardinal. Le
Roi, qui les attendoit, m'ayant fait Thonneur de me
traiter favorablement, M. le comte de Nogent^, qui me
faisoit Thonneur de m*aimer, prit son temps de dire
des choses à mon avantage, qui furent agréables à Sa
Majesté, et, pour m'obliger encore plus, quand M. le
Cardinal fut arrivé à Toulouse et que j'étois auprès
de lui, il lui demanda si j'avois été à la conférence.
Son Éminence lui répondit : c Eh! ne savez-vous pas
bien que c'est lui qui Fa fait faire? » avec d'autres
paroles obligeantes de l'estime qu'il avoit pour moi,
qui désirant profiter du séjour de la Cour à Toulouse
pour faire payer à M. le trésorier général de Gonse-
rans les arrérages de la pension qu'il devoit à mon
beau-frère l'Abbé, je quittai mon bon logis, où je lais-
sai M. du Monceau, pour me loger en un médiocre
vis-à-vis du sien, où il étoit avec son frère dans celui
qui lui avoit été donné au lieu de sa maison, où étoit
logé M. le Cardinal. Je fis tant que j'en arrachai une
partie, et laissai M. du Monceau, qui sollicita si vigou-
reusement l'autre, qu'il me l'apporta à Castelnaudary.
abbé de Fleury- sur-Loire, de Saint-Père-en- Vallée, de Notre-
Dame-de-Lire et de la Sauve-Majeure, en était abbé depuis
1648. (Gall. christ., t. II, p. 447.) Voy. t. O, p. 115.
1. Armand de Bautru, comte de Nogent, capitaine des gardes
de la Porte en 1651 sur la démission de son père Nicolas (voy.
p. 211), fut tué, en 1672, au passage du Rhin. II avait épousé
Diane-Charlotte de Caumont-Lauzun.
SOMMAIRES
DU TOMB muntiis.
AmtL 1039.
Siège du Chenche (Gengio), p. 1. — Le cardinal de la Valette
appelé à Turin par Bladame Royale, p. 2. — Combats
autour de Turin; levée du aiège, p. 3. — SouTÎgnj nommé
gouverneur de Quérasque poor le duc de Savoie, p. 4. —
Voyage de Turin à Qnérasque, p. 5. — Aasemblée dn con-
seil de ville de Quérasqne, p. 7. — Ruse pour s'emparer du
château, p. 8. — Départ du comte l^valde, ancien gouver-
neur, p. 9. — État de la défense et dispositions des habi-
tants, p. 10. — Situation de la région avoisinante, p. 12.
— Massacre de la garnison de Bème, p. 13. — Soovigny
nommé gouverneur pour le roi de France, p. 14. — Le duc
de Longueville amène des secours, p. 15. — Prise de la
ville de Turin par le fuince Thomas et finte de la régente
dans la citadelle, p. 16. — Attaque infiructoeuse des géné-
raux français contre la ville, p. 17. — Mort dn cardinal de
la Valette; le comte d'Harcourt lui succède dans le com-
mandement de Tannée, p. 19. -*- Trêve dn 15 aoftt an
15 octobre, p. 20. — Victoire de la Route (la Rotta), p. 21.
— Occupation des places du Haut-Piémont, p. 22. —
Désarmement des habitants de Quérasque, p. 23. — Obser-
vations de Souvigny à ce sujet, p. 24. — Rentorcement de
la garnison, p. 25. — Ron esprit des habitants, p. 26. —
Mesures d'ordre, p. 27.
Amrtb 1640.
Incursion de M. O'Reilly, mestre de ca^p, dans le marqpûsaft
de Novello, p. 28. — Sa retraite, p. 30. — Force de la gar^
35? SOMMAIRES DU TOME DEUXIËMB.
nison de Qaérasque, p. 31. — Visite de Soutî^j an comte
d'Harcourt à Poirino, p. 32. Prépantifo de défense à
Quérasque, p. 33. — Avis des gouTemears de SaTÎgliano et
de Bène, p. 34. — Rassemblement et marche des ennemis,
p. 35. — Attaque infructaense des princes de Savoie contre
Quérasque, le 5 mai, p. 36. — Pertes de la garnison, p. 37.
— Exécution d'un bandit, p. 38. — Victoire du comte
d'Harcourt devant Casai, p. 40. — Il assiège Turin, p. 41.
— Manque d'entente entre le prince Thomas et le marquis
de Leganez; défense de Casai par M. de la Tour, p. 42. —
Mort de M. de Beauregard, oncle de Sonyigny, p. 43. —
Ses débuts dans la carrière des armes; entreprise contre
Genève en 1602, p. 44. — Conduite exemplaire de M. de
Beauregard, p. 45. — Il devient successivement enseigne,
lieutenant, capitaine et lieutenant-colonel au régiment du
Bourg-de-rEspinasse, p. 46. — Son mariage avec M"* Pon-
chon, à TArbresle, p. 47. — Ses campagnes jusqu'en 1630,
p. 48. — Bienveillance que lui témoigne le Roi, p. 49. —
M. de Beauregard conduit des recrues en Piémont en 1630,
p. 50. — Il commande les troupes royales dans les Langues
en 1635, p. 51. — Nommé maître d'hôtel du Roi, Louis XIII
le visite à son passage à l'Arbresle en 1639; son testa-
ment, p. 52. — Sa mort, p. 53. — Continuation du siège
de Turin, p. 55. — Succès du comte d'Harcourt, à la fois
assiégeant et assiégé dans son camp et la citadelle, p. 56. —
Mort d'une femme, capitaine de cavalerie dans l'armée
ennemie, p. 58. — Emploi des bombes comme courriers,
p. 59. — Capitulation de Turin et retraite du prince Tho-
mas; voyage de Souvigny à Casai, p. 60. — Il reçoit Tordre
d'arrêter le comte Philippe d'Aglié, p. 61. — Dispositions
prises, p. 62. — Il le conduit à la citadelle de Turin et à
Pignerol, p. 64-65.
Ann^e 1641.
Souvigny conduit le comte d'Aglié à Lyon, puis au château de
Vinccnnes, p. 66-67. — Il reçoit un brevet de pension de
deux mille livres; constitution du régiment de Souvigny,
p. 68. _ Visite au Roi à Chantilly; M. de Cinq*lfan»
p. 69. — Souvigny est nommé maître dliAtel da Roi;
SOMMAIRES DU TOME DEUXIÈME. 353
voyage à Jargeau, p. 70. — Il recherche en mariage
M"® Anne du Chol, nièce de Pierre de Viiiars, archevêque
de Vienne, p. 71. — Contrat de mariage, p. 72. — Souvi-
gny reçoit l'ordre inopiné de regagner Quérasque, p. 74. —
Sa compagnie de carabins, p. 75. — Menaces du prince
Thomas contre Quérasque, p. 76. — Préparatifs de défense,
p. 77. — Fortifications et approvisionnements, p. 78. —
Derniers ordres, p. 79. — Assaut infructueux dans la nuit
du 20 au 21 août, p. 80. — Pertes de part et d'autre; Te
Deum^ p. 82. — Nouvelles attaques, p. 83. — Préparatifs
de défense, p. 84. — Sommation du prince Thomas, p. 85.
— Assaut du 24 août, combat acharné et échec des enne-
mis, p. 86. — Leurs pertes ; bravoure des défenseurs, p. 87.
— Te Deum, p. 89. — Retraite du prince Thomas, p. 90. —
Le comte Broglio; félicitations adressées à Souvigny, p. 91.
— Mort de François Gangnières, son père; son éloge, p. 92.
— M"® du Chol, fiancée de Souvigny, passe les monts pour
le rejoindre, p. 93.
Année 1642.
Mariage de M. et de M"* de Souvigny; leur arrivée à Qué-
rasque, p. 93. — Ils tombent malades et se rendent à Pigne-
rol, puis en France, p. 94-96. — Souvigny sert un quartier
de maître d'hôtel en octobre, p. 97. — Dîner chez Mazarin;
démarches de Souvigny pour être payé des arrérages de sa
pension; obligeance de M. de Chavigny, p. 98.
Année 1643.
Souvigny reçoit des lettres de noblesse, p. 100. — Séjour à
Longes, en Lyonnais, p. 101. — Du Fresnay-Belmont
revient de Flandre, p. 102. — Retour de Souvigny à Qué-
rasque, p. 103. — Il reçoit le commandement d'nn camp
volant et visite le comte de Tavannes, gouverneur d'Asti,
p. 104. — Il donne Talarme du côté du Milanais, p. 105. —
Remise de Quérasque au due de Savoie, p. 106. — Témoi-
gnages d'affection des habitants envers Souvigny, p. 107. —
Son régiment est réformé et incorporé dans celui des Galères,
p. 108.
II 23
354 SOMMAIRES DU TOME DEUXIÈME.
ÀNNiE 1644.
Souvigny prend congé de la duchesse de Savoie et de son fils
et quitte Turin, p. 109. — U est nommé maréchal de
bataille à Tarmée de Flandre, p. 110. — Ses adieux à sa
femme; marche de Tarmée en trois corps, sous le comman-
dement du duc d*Orléans, p. 111. — Quartiers de Monsieur
et des maréchaux de la Meilleraye et de Gassion, p. 112. —
Siège de Gravelines; inondations, p. 113. — Souvigny opère
une reconnaissance dans les environs, p. 114. — Descrip-
tion de la place, p. 116. — Prise du fort Philippe et des
ouvrages détachés, p. 117. — Attaques meurtrières, p. 118.
— Mort du marquis de Lavardin, p. 119. — Rivalité entre
les maréchaux de la Meilleraye et de Gassion, p. 120. —
Libéralité et bienveillance de Monsieur, p. 121. — Le baron
des Prez, p. 123. — Valeur du maréchal de Gassion, p. 124.
— Capitulation, p. 125. — Souvigny accompagne le gou-
verneur espagnol, p. 126. — Opérations de Tarmée après la
prise de Gravelines, p. 127. — Souvigny reçoit un congé et
revient avec Monsieur, p. 128. — Celui-ci le recommande à
Mazarin, p. 129. — Retour à Longes, p. 130. — Souvigny
devient adjudicataire de la seigneurie de Trocesard, p. 131.
— Règlement des affaires qui la concernent, p. 132.
Année 1645.
Souvigny est nommé maréchal de bataille à Tannée de Cata-
logne, p. 133. — Instructions de Mazarin; Souvigny se met
en route par la vallée du Rhône et trouve à Perpignan le
comte du Plessis, commandant de l'armée, p. 134-135. —
Investissement et siège de Roses, p. 136. — Description de
la place et de ses abords, p. 137. — Composition des deux
armées, p. 138. — Premières attaques, p. 139. — Orages,
inondations et débandade, p. 140. — Reprise du siège,
p. 142. — Visite du comte du Plessis à Tarmée navale,
p. 143. — Escarmouches et combats, p. 144. — Occupation
de la contrescarpe, p. 148. — Ruse de M. de Fabert, pri-
sonnier dans Roses, p. 149. — Mort de M. de Saint-Paul,
mestre de camp, p. 150. — Capitulation de Roses (26 mal)
SOMMAIRES DU TOME BBUXliMK. 355
et embarquement de la garnison ennemie; retour à Longes,
p. 151. — Mort de M** du Chol, belle-mère de Souvigny,
p. 152. — M"** de Souvigny se rend aux eaux de Saint-
Antoine-de-Viennois avec M** de Villars, p. 153. — Visite
au duc d'Épemon, gouverneur de Guyenne, en son château
de Cadillac, p. 155. — Son aimable accueil, p. 156. —
Démêlés du premier duc d'Épemon avec Tarchevèque de
Bordeaux, p. 157. — Il lui donne un coup de canne;
excuses exigées par le Roi, p. 159-160. — Souvigny reçoit
quelques faveurs du duc d'Épemon, colonel général de l'In-
fanterie, et revient à Longes, p. 161-162.
AnniEe 1646.
Visite de Souvigny à M. Le Tellier, p. 162. — Il est nommé
lieutenant de Roi au gouvernement de la citadelle de Turin
et lieutenant-colonel du régiment du Plessis, p. 163. —
M. du Fresnay sous-lieutenant sous ses ordres au gouver-
nement de la citadelle; arrivée à Turin, p. 164. — Inven-
taire de la citadelle; bienveillance de la duchesse de Savoie
pour M™* de Souvigny, p. 165.
Ann^ 1647.
Séjour à Chaumont, près de Suse, avec le doyen de Saint-
Pierre de Vienne, p. 166. — Négociations pour la cession
de Trocezard à M. de Trocezard, p. 167. — Voyage en
France avec M"** de Souvigny, p. 168. — Passage du col du
Lautaret au mois de novetnbre, p. 169. — Tourmente de
neige à la Magdeleine, p. 170. — Arrivée k Grenoble,
p. 172. — Retour de Souvigny à Turin par Saint-Jean-de-
Maurîenne; il tombe malade, p. 173.
AmiE 1648.
Souvigny retourne en France par le mont Genis, p. 174. —
Négociations avec son beau-frère le doyen au sujet de Tkh
cezard, p. 175. — U sert un quartier de mattre d'hôtel avae
M. de Voiture; mort de ce dernier; convocation du Purle-
ment au Palais-Royal et commencement des troubles de la
356 SOMMAIMS DU TOMK BEUHtlIB.
Fronde, p. 176. — Retour de SouTigny k Longes, p. 177. —
Négociations avec le marquis de Saint-Chamond en vue de
réchange de Trocesard contre Grécieu, p. 178. — Visite à
Grézieu, p. 180. — Situation de la propriété, p. 181. —
Voyage à Lyon, p. 183. — (Conclusion de Tacquisition de
Grézieu, p. 184. — Installation dans le château et état du
domaine, p. 186. — Souvigny évite un duel à des gentils-
hommes de passage, p. 187. — Liquidation des hypothèques
prises sur Grézieu, p. 189. — Sûretés prises relatiTement à
cette acquisition, p. 191.
Aific^E 1649.
Retour de Souvigny à la citadelle de Turin; avances faites à la
garnison, p. 192-193. — Mort de M. de la Motte au siège
de Porto-Longone et règlement de ses affaires, p. 194-195.
— Souvigny fait de nouvelles avances à la citadelle de
Turin, p. 195. — Il va trouver la Cour à Gompiègne, p. 196.
— Audience du cardinal Mazarin au sujet des avances faites
à la citadelle, p. 197. — Attaque du carrosse du duc de
Dam ville à Louvres-en-Parisis, p. 198. — Vaines démarches
de Souvigny à Paris pour être remboursé de ses avances,
p. 199. — Il retourne à Grézieu, p. 200.
AimÉE 1650.
Souvigny est appelé à la Cour, en Guyenne, pour servir un
quartier de maître d'hôtel, p. 201. — Traversée de l'Au-
vergne et du Limousin, p. 202. — 11 règle à Limoges une
dette de 1621, p. 203. — Description de Liboume et arri-
vée à la Cour, à Bourg- sur-Mer, p. 204. — Souvigny reçoit
un brevet de maréchal de camp, p. 205. — La princesse de
Condé traite avec la Cour, p. 206. — Entrée du Roi à Bor-
deaux, p. 207. — Esprit turbulent des Bordelais, p. 208.
— Préférence du Roi pour les officiers qui lui sont restés
fidèles, p. 209. — Situation stratégique de Blaye, p. 210. —
Retour de la Cour à Paris par Saint-Jean-d'Angély, Blois,
Orléans et Fontainebleau, p. 211. — Souvigny est nommé
chambellan d'affaires du duc d'Orléans, p. 212. — Il rejoint
la Cour à Dijon au printemps de 1650; il retrouve M. de
SOMMAlfiES DU TOME DEUXIÈME. 357
Ta vannes, lieutenant de Roi en Bourgogne, p. 213. — Il est
envoyé à Auxonne et autres villes pour aider aux approvi-
sionnements de l'armée, p. 214. — Capitulation de Belle-
garde, p. 215. — Retour à Grézieu-Souvigny, p. 216. —
Champfort refuse le gouvernement de Verdun-sur-le-Doubs,
p. 217.
Année 1651.
Visite au duc d'Épernon, gouverneur de Bourgogne, à Bourg-
en-Bresse, p. 218. — Souvigny l'accompagne à Pierre-Châ-
tel; description de cette place, p. 219. — Il se rend à
Paris, avec la marquise de Villeroy, p. 220. — Arrêt au
château de Villeroy, p. 221. — Souvigny expose, sans suc-
cès, le dénuement de la citadelle de Turin devant un conseil
de guerre tenu au Luxembourg, p. 222.
Année 1652.
Rentrée du cardinal Mazarin en France, p. 223. — Siège de
Bar-le-Duc, p. 224. — Champfort y dirige l'artillerie,
p. 225. — Capitulation de la place; entretien de Souvigny
avec le Cardinal, p. 226.
Année 1653.
Continuation de la guerre en Champagne, p. 227. — Opé-
rations autour de Rethel; l'armée est mise en quartiers,
p. 229. — Licenciement de l'artillerie, p. 230. — Champ-
fort construit un pont sur l'Aisne, p. 231. — Prise de Ver-
vins, p. 232. — Retour du Cardinal à Paris, p. 233. —
Discours des maréchaux de la Motte-Houdancourt et de Vil-
leroy, p. 234. — Réception des Parisiens, p. 235. — Procès
de Souvigny contre M. de Saint-Chamond et ses créanciers,
et règlement de comptes, p. 236. — Séjour à Grézieu et fon-
dations pieuses, p. 237. — Souvigny envoie de l'argent à la
citadelle de Turin; façon dont subsistent alors les différentes
places, p. 238. — Il est appelé comme maréchal de camp au
siège de Bellegarde, p. 239. — Composition de l'armée de
siège, p. 240. — Sa répartition, p. 241. — Travaux du
siège, p. 242. — Souvigny coupe le pont sur la Saône,
358 SOMMÀIRKS DU TOME DEUXIÈME.
p. 243. — M. de Bouteville demande à parlementer^ p. 244.
— Conditions de la capitulation, p. 245. — Intervention de
Souvigny en faveur de d'AJègre, p. 246. — Sortie de la
garnison, p. 247. — Le duc d*Epemon s'empare des meubles
du prince de Condé, p. 248. — Retour de Souvigny à Gré-
zieu, par la Bresse, avec le comte de Béreins, p. 249. — Sou-
vigny est chargé d'une mission auprès du duc de Mantoae,
p. 250. — Il passe à Turin, p. 251. — Il voit le comte de
Quincé et les troupes du Montferrat, p. 252. — État des
affaires de Mantoue, p. 253. — Les Espagnols sont maîtres
de la citadelle de Casai, tandis que le duc de Mantoue
occupe la ville, p. 254-255. — Haute situation de la maison
de Mantoue, p. 256. — Réception de Souvigny par le duc
de Mantoue, p. 257. — Commencement des négociations
avec ce prince; ses griefs, p. 258. — Souvigny fait déloger
du Montferrat les troupes du comte de Quincé et du marquis
Ville, p. 259. — Il revient à Casai et recommence les négo-
ciations avec le duc, p. 261-262. — Ce dernier se plaint de
ce que le Montferrat ait été donné au duc de Savoie, p. 263.
— Souvigny représente les sacrifices faits par la France en
faveur de Mantoue, p. 2G4. — Portraits du duc et de la
duchesse, p. 266. — Description de la place de Casai,
p. 267. — Le duc s'apprête à quitter Casai, p. 268. — Sou-
vigny prend congé de lui et revient à Turin, p. 270. —
Bienveillance de Madame Royale pour M*"* de Souvigny,
p. 271. — La garnison de la citadelle continue à ne pas
être payée, ni Souvigny remboursé de ses avances, p. 272.
Annke 1054.
Mort de M. de Chainpfort, tué au siège de Stenay, p. 273. —
Notice sur M. de Champfort : Son mariage avec M"* de la
Guierche, p. 274. — Ils habitent le Petit-Arsenal, p. 276.
— Débuts de Champfort dans la carrière militaire, p. 277.
— 11 devient commissaire, puis lieutenant de rartillerie,
p. 278-279. — Généraux sous lesquels il sert en Italie et en
Espagne, p. 280. — Sa conduite au combat de Blénean, au
Faubourg Saint-Antoine et en Lorraine en 1652, p. 281-282.
— Bienveillance de M. de la Meilleraye, grand maître de
l'Artillerie, envers lui, p. 203. — Charité et piété de M. de
Champfort, p. 284. — Victoire de la Roquette (1663),
SOMMAIRES DU TOME DEUXIÈME. 359
p. 285. — Le duc de Mantoue se rend à la cour de France ;
Souvignv passe le reste de l'année 1654 à Turin, p. 286.
Année 1655.
Passage de la reine de Suède à Turin, p. 286. — Le duc de
Alodène et le prince Thomas assiègent Pavie, p. 287. —
Levée du siège, p. 288. — Le P. Bonaventure est appelé
auprès du prince Thomas, malade, p. 289. — Mort de ce
dernier, p. 290. — Jugement sur la vie du prince Thomas,
p. 291. — Accident arrivé au carrosse de Souvignv à Turin,
p. 293.
Année 1656.
Souvigriy sert comme maréchal de camp au siège de Valence,
sous les ducs de Modène et de Mercœur, p. 294. — Des-
cription de la place de Valence, p. 295. — Composition des
troupes de siège, p. 297. — Attaques des brigades de
Modène et de Mercœur, p. 300. — Souvigny se loge sur le
chemin couvert avec le régiment irlandais de Preston,
p. 301. — Belle conduite de ce corps; Souvigny commande
un ouvrage avancé, p. 302. — Les ennemis introduisent un
secours dans la place, p. 303. — Les généraux songent à
lever le siège, p. 304. — Le duc de Modène s'y oppose,
p. 305. — Inquiétudes de M°»« de Souvigny, p. 306. —
Mort de M. du Monceau l'aîné, p. 307. — Opérations autour
de Valence, p. 308. — Capitulation de cette place, p. 309.
— M. do Valavoire en est nommé gouverneur, p. 310. —
Souvigny retourne à Turin par Casai, p. 311. — Les troupes
prennent leurs quartiers sur les frontières du Montferrat et
des Langues, p. 313. — Ordres pour repasser les monts;
Souvigny est chargé de la conduite du régiment d'Auvergne,
p. 314. — Il est nommé lieutenant général des armées du
Roi, p. 315. — Madame Royale propose à Souvigny un
emploi dans ses Etats, p. 316.
Année 1657.
Souvigny reçoit Tordre de remettre à Madame Royale la cita-
delle de Turin, p. 317. — Le marquis de Pianesse en prend
:uîo soMMAiiiKs m: tumk iiëivikme.
pitssossioii. I». MA. — S(»uvif(ijy prend «*ong»' de Madame
Ko\al<\ |). '.iUK — Soins doni il est entouiV* pendant son
voviif^f, p. .TiO. — Il jKisst' If iiionl (>ni<i ol arrive à Lyon,
puis à Soin if» n\. p. .*>2I-!V22.
\\\ii in.'SS.
\o>afff dv Soiivi^n\ à la dnir, à Paris, p. 322. — La Cour
vienl à L\on. p. '.i2'.\. - Kriiits du mariage du Koi avoi: la
princesse Marfjfuoritr dv Savoie, p. .T24. — Entr«»vue a\«M-
la eour de Savoie, p. .'{25.
\nnh Hmî».
Souvif^nv se rend de Lyon à V«Mit^\, ehe/ le haron de Lii^'n\,
p. '.VU'}. — Il esl rappelé en hâte à L\on. p. '{28. — Morl
lie M"'* de S<»uvif;nv. p. .'V29. - Caiis^ïs de sa niori, p. 380.
- EI(»5(«' de M""' de Siiu\i«n\, p. 331. — Ses \erlus et sa
Imnlé. p. 332. - Hienveillanee de Madame liovale à son
»'j(ard. p. 333. Transporl de son eorps à Souvigny,
p. 33^1. ■ Ses ol»sè(pies, p. 33r>. Fondations pieusos en
sa inénioir»-, p. 3.'>«». - Soii\ii»n} se ri;nd à Poiliors pour
rejoindre la Oour, »•! la lr«)iiNe à \ illefa4»naii. se dirigeant
\ers les (ronlières d'Kspaj»ne, p. 337-33S. — Il lt>i^'e avec
M. de la Onillolitre. inaréehal de eanip, p. 33^). - ï>es-
rription de Kavonne et de Saint-Jcan-de-I.ii/. p. 340. —
Industrie de la pêche à la l^aleiiie. p. 3'iJ. — Pr«)!its qu'en
l'elirent les hasipies. p. 342. — Sou\ij;ny re<;<»it le jjrésident
de Chamnusseï et le e«>nite de San-.Nazan», en\o\és de
Savoie et d<' Manlciue, p. 3'i3. Mazarin et Don Louis de
llarn conxiennenl de se rénnir dans l'île des Kai^ans, p. 344.
.MM. de ('.hnupp»«s el de Soiivif»n\ son! eharp*»s de l'aniê-
nagenienl des li«*u\ pnuv la France, M. de Hatloville el Don
\. Pinientel pour rKs[)a^ne, p. 34.*). — Les Espagnols se
mêlent avec les FraïKais, p. .3'i(>. — Signature du traité de
paix, p. 347. - - Joit* des deux [)artis, p. .348. — Souvigny
se rend à Toulous»' a\e«- la Cnur, [mis à (lastelnaudary.
p. 34î»-3:»(),
.NogeDt-le-Rotrou , iinpriiuerie D Ari»ELF.v-GouvKRNEiR.